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Portraits


 

john mctiernan à travers ses films

John McTiernan est aujourd'hui mis à l'honneur sur DVDClassik. Alors qu'il fait l'objet d'une rétrospective du 10 au 28 septembre à la Cinémathèque française, après un détour par Deauville (et juste après sa sortie de prison), ce n'est pas sans une certaine émotion que nous lui témoignons notre affection, autant pour l'homme que pour ses films. Ce portrait du cinéaste à travers ses réalisations est donc un moyen pour nous de rendre hommage à ce brillant formaliste qui sut nous donner tant de sensations fortes en une vingtaine d'années en redéfinissant avec élégance, dynamisme et intelligence le film d'action et d'aventures.

Enfin, grâce à la Cinémathèque, nous avons pu approcher personnellement McTiernan à l'occasion d'un entretien. Mais l'exercice fut à la fois surprenant et déstabilisant compte tenu de l'état d'esprit actuel du cinéaste suite à ses déboires avec la justice américaine. Après lecture de cette page consacrée aux films, nous vous invitons à lire ci-dessous l'article qui traite de cette rencontre :

Entretien avec John McTiernan

nomads (1986)

Dans un hôpital de Los Angeles arrive un patient en état de délire intense et aux vêtements ensanglantés, qui en français essaie d'avertir l'équipe médicale d'une menace terrible pour l'humanité. Mais l'homme, en pleine panique, dans une dernière convulsion meurt d'une crise cardiaque après avoir parlé à l'oreille et légèrement blessé son médecin traitant, le docteur Eileen Flax. Peu de temps après ce drame, la belle Dr Flax, qui prépare son déménagement vers l'Est, est prise d'hallucinations. En fait, à son insu, elle revit les visions horrifiques du patient décédé, l'anthropologue français Charles Pommier qui venait de découvrir la présence de créatures nomades meurtrières. Possédée par l'esprit de Pommier au point de perdre pied dans sa propre réalité, Eileen va revivre les derniers jours du scientifique et assister grâce à cette expérience fusionnelle aux assauts venant d'esprits anciens qui errent dans la ville.

Pour les spectateurs qui découvriraient Nomads après avoir vu toutes les autres réalisations de John McTiernan, la surprise risquerait d'être déroutante. Et la déconvenue logiquement de s'ensuivre. Alors qu'aucun des films suivants du cinéaste ne paraît daté en raison de leur ingéniosité et de leur dynamisme ahurissants, cette première oeuvre fragile est inscrite dans les années 80 jusqu'à la caricature. Esthétique pub, décor californien stéréotypé, nappes musicales synthétiques et électroniques mixées avec du rock FM passe-partout, rien n'est épargné à ceux qui seraient devenus allergiques à cette décennie (ce n'est pas notre cas, que l'on se rassure). D'autre part, exception faite de certains choix visuels précis, bien malin celui qui pourrait déterminer à l'aveugle qu'il se trouve devant un film portant la signature de John McTiernan. Néanmoins, il ne faudrait pas s'en formaliser ; après qu'il ait étudié à la Julliard School et à la New York University, les premiers travaux de McTiernan dans le milieu audiovisuel sont des publicités réalisées pour la télévision. La transition avec le long métrage ne pouvait donc s'effectuer sans qu'il n'abandonne complètement le bagage technique accumulé lors de cette période de formation. Pourtant bien des éléments contenus dans Nomads nous semblent familiers et relever d'une certaine ambition de la part du réalisateur. Il ne s'agit pas ici de céder facilement à la "politique des auteurs" et de défendre plus que de raison un film qui comporte un certain nombre de défauts. Seulement, il est intéressant de mettre Nomads en perspective avec la carrière future du cinéaste et de piquer la curiosité des cinéphiles qui sauront de tout manière se faire leur propre opinion.

Pour son premier film de cinéma, MacTiernan est à la fois (unique) scénariste et réalisateur, autant dire qu'il porte l'entière responsabilité de ce que l'on observe à l'écran. Avec Nomads, thriller horrifico-fantastique mâtiné de drame conjugal, la volonté du jeune cinéaste est de tourner un film d'atmosphère au service d'une trame scénaristique non linéaire. D'entrée de jeu dans sa carrière, McTiernan mise sur l'intelligence du spectateur en complexifiant son script, effectuant des allers-retours à la fois dans le temps et dans des espaces mentaux différents. De même, il s'efforce de conserver toujours une part de mystère, distillant très progressivement certaines informations au compte-gouttes et préférant faire en sorte que le public soit happé dans sa mise en scène plutôt qu'il soit occupé à simplement ordonner des indices. Ainsi, la réalisation se situe à plusieurs niveaux d'espace-temps, selon qu'elle se place du point de vue du Pr Pommier (à travers ses hallucinations et ses souvenirs) ou du Dr Flax. Les points de bascule entre les deux niveaux de réalité pouvant se faire de manière fluide, ou bien chaotique quand l'action s'emballe au fur et à mesure du film et que les nombreuses visions du médecin aboutissent à la résolution (relative) de l'intrigue en allant au bout de la fusion entre les deux personnages. Cette approche cérébrale en points de vue est le principal intérêt de Nomads, compte tenu du fait que le scénario avec ses créatures fantomatiques tueuses hantant l'esprit des personnages était quand même un thème très en vogue dans les années 80. Il est intéressant de relever déjà quelques figures de style bien connues au sein de cette mise en scène comme les ralentis, les changements de mise au point (qui peuvent appuyer un passage d'un niveau de réalité à l'autre) ou encore les travellings circulaires qui au sein d'un plan réorientent complètement l'enjeu dramatique de l'action. On s'amusera également de la chute d'un ennemi du toit d'un building qui préfigure visuellement celle dont sera victime Hans Gruber dans Piège de cristal. On observera également comment McTiernan met à nu - littéralement - Pommier en révélant sa part d'animalité (au lit avec sa femme) au fur et à mesure que son combat contre les "nomades" approche du point de rupture.

Intéressant également est le choix effectué par McTiernan de faire de son anthropologue un Français : sur un plan diégétique, cela sert la thématique des mondes étrangers qui s'affrontent et des informations qu'il faut déchiffrer pour identifier puis combattre les esprits ennemis ; sur un plan personnel, cette option renseigne déjà sur l'intérêt que porte le réalisateur - qui a étudié l'anthropologie - pour les cultures étrangères (qui lui vient de ses études) et pour la communication entre ces cultures. Le seul hic réside dans le fait que si Pierce Brosnan se montre talentueux sur un plan dramatique, il n'est guère convaincant en Français avec son accent horrible (surtout pour nous, spectateurs de l'Hexagone). Sa partenaire qui joue son épouse souffre du même problème. L'autre choix discutable est d'avoir fait des esprits nomades des jeunes punks en chaînes et en cuir qui, en camion ou à moto, harcèlent gratuitement la population (et tuent à l'occasion pour le plaisir). Cela dit, malgré leur aspect "camp" et leurs grimaces ridicules, ils symbolisent une sorte de sauvagerie inhérente à l'homme que la civilisation tente de dominer en vain. D'où le choix judicieux d'un anthropologue comme protagoniste principal : la personne la plus à même de comprendre les enjeux souterrains d'un monde en proie à des êtres figurant la liberté totale d'agir selon son bon vouloir (et de libérer ses pulsions destructrices) se brûle à leur contact et connaîtra un destin logique (que l'on peut estimer ainsi au vu des autres films du cinéaste). Enfin, dans le cinéma de John McTiernan, qui est surtout un cinéma d'hommes (sauf dans Thomas Crown et Basic, mais les femmes dans ces deux films doivent démontrer une grande autorité en empruntant certains codes masculins pour se faire une place au sein d'un univers machiste), on est aussi un peu surpris de voir deux personnages féminins tenir deux rôles importants, le docteur Eileen Flax (interprétée par la superbe Lesley-Anne Down) et l'épouse de Charles Pommier. Leur coopération obligatoire renforce l'aspect romantique du film qui s'achève sur une image à la fois énigmatique (mais qui renseigne sur l'objectif poursuivi par McTiernan) et bouleversante.

De cette manière, le spectateur, malgré les limites évidentes du film, peut rester sur une bonne impression générale et considérer que Nomads se révèle une œuvre contenant suffisamment d'éléments pour augurer de ce que deviendra la carrière de John McTiernan. Un raisonnement qu'a dû tenir le producteur Joel Silver qui, après avoir vu ce premier film, confia au réalisateur les rênes de Predator avec son monstre extraterrestre tapi dans la jungle, sorte d'esprit invisible et frappeur qui oblige son adversaire humain à se débarrasser de ses certitudes et à régresser pour le rejoindre sur son terrain. Au Festival d'Avoriaz 1986, les cinéphiles français ne s'étaient pas non plus trompés en réservant un accueil généreux à Nomads, comme quoi l'histoire d'amour entre la France et John McTiernan est décidément une vieille histoire...

Ronny Chester

predator (1987)

Parti à la recherche d'une équipe de conseillers militaires américains dans la forêt équatorienne, un commando de mercenaires dirigé par Dutch Schaefer est attaqué par un ennemi invisible et indestructible.

John McTiernan signe son premier classique avec cette grandiose relecture des Chasses du Comte Zaroff. Le chasseur vient cette fois d’un autre monde traquer la proie la plus dangereuse de la galaxie, l’Homme. Un peu à la manière du Aliens (1986) de James Cameron où les fanfaronnades des militaires étaient éteintes par les assauts imprévisible des aliens, McTiernan procède ici par étape. Le début est presque un cliché du film de commando, ici hypertrophié à l’aune de l’actioner bourrin des 80’s. Muscles saillants, armes à feu (le petit pépère) et poignards aux proportions démesurées symbolisant la toute-puissance sexuelle de ces soldats caractérisés comme des demi-dieux, le réalisateur y va fort. Les aléas même du tournage servent cette vision avec une première scène d’action efficace mais grotesque (car signée par la 2e équipe dont le réalisateur officiait surtout sur des séries comme L’Agence tous risques), où notre équipe de sauvetage prend d'assaut un village. L’évolution des individus et leur imprégnation dans leur environnement sont au cœur de l’œuvre de McTiernan et s’expriment déjà brillamment dans ce second film (après le méconnu Nomads). Schwarzenegger et ses acolytes semblent tout d’abord dominer cette jungle touffue du haut de leur carrure démesurée, rompus qu’ils sont à ces missions à haut risque, et les acteurs se montrent particulièrement crédibles dans les manœuvres militaires après un entraînement intensif. Les rares moments où ils paraissent finalement dominés par la jungle et donc vulnérables, c’est à travers le regard infra-rouge et omniscient du Predator, seul être plus féroce qu’eux en ces lieux.

McTiernan inverse donc progressivement le rapport à cette jungle pour le commando, peu à peu diminué et exposé par la menace sourde et inconnue du Predator. Les mastodontes sont mis à mal et rongés par le doute et la peur (rendant d’autant plus fort le contraste avec l’introduction du film où ils font figures de brutes épaisses), et les assauts chirurgicaux du Predator dégagent un mystère et une précision fascinante notamment par l’usage de son arme de camouflage. McTiernan l’introduit subtilement : vision subjective étrange en infra-rouge avec laquelle il "étudie" ses proies, silhouette furtive puis imposante au look sauvage et véloce (dû à Stan Winston et officieusement à James Cameron, qui dépanna son ami après un premier design catastrophique qui fit interrompre le tournage). Trop faible, trop soumis à ses émotions et à ses armes, l’Homme ne peut que chuter face aux assauts du chasseur glacial qu’est le Predator, et ce qui faisait figure de démonstration de force dans la première partie devient alors un terrible aveu d’impuissance avec ce vidage de mitrailleuse rasant un pan entier de jungle. Les morts sont brutales, sanglantes et rituelles, le Predator arborant tel des trophées les organes de ses victimes. McTiernan atteint la quintessence de son art dans la dernière partie quasiment muette. La conquête de cet espace sauvage va se jouer entre le dernier des hommes et le Predator.

Arnold Schwarzenegger, conscient de ses limites dramatiques, aura toujours su choisir intelligemment ses rôles en incarnant des forces de la nature, humaine (Conan le Barbare), robotique (Terminator) ou imaginaire (Last Action Hero), mais en servant toujours une imagerie de surhomme propre aux exploits les plus démesurés. Cela n’a jamais été plus vrai que dans Predator, où toute cette masse physique impressionne tout en semblant fragile face à la présence indestructible du Predator. Pour reprendre possession de la jungle, il doit oublier tout ce qu’il sait pour régresser à l’état sauvage où seuls ses instincts guident ses actions. La musique martiale et tribale d’Alan Silvestri accompagne donc cette transformation filmée par un McTiernan en état de grâce, pour se conclure par un Schwarzenegger enduit de boue, les yeux fous et qui lâche un hurlement de défi à l’adresse de son adversaire. Ce cri n’a plus rien d’humain, c’est celui d’une bête, d’un homme revenu à l’âge de Neandertal. La forêt perd toute topographie réaliste pour devenir un espace mythologique où s’affrontent deux titans. Le combat impressionne et est truffé de rebondissements, la machine froide qu’est le Predator reconnaissant la valeur de son ennemi en abandonnant les armes pour le combattre à mains nues et à visage découvert (ce qui occasionnera une réplique mémorable de Schwarzenegger). Sur le papier un film d’action gros bras mâtiné de fantastique totalement transcendé par l’inspiration de son réalisateur qui signe là un très grand film.

Justin Kwedi

piège de cristal (die hard, 1988)

John McClane, un policier new-yorkais, arrive à Los Angeles pour rendre visite aux siens, installés en Californie depuis que son épouse travaille pour une grande firme japonaise, et résoudre les problèmes de couple occasionnés par cette séparation. Alors qu’il rejoint sa femme lors de la réception donnée par son patron en haut du grand building de l’entreprise nippone, le Nakatomi Plaza, un commando de terroristes européens investit les lieux et prend en otage tous les employés. McClane parvient à s’échapper discrètement mais se retrouve seul au beau milieu de l’enfer, en chaussettes et sous-vêtement "Marcel". Commence alors une lutte longue et acharnée entre le flic solitaire mais téméraire et le commando surarmé dirigé par l’infâme mais subtil Hans Gruber, alors qu’à l’extérieur les forces de police puis le FBI, venus petit à petit prendre la mesure de la situation, ne cessent de se ridiculiser.

Est-il encore besoin de présenter John McClane, héros emblématique de la fin des années 1980 ? Piège de cristal et ses suites (dont les deux dernières en date, consternantes, ont fini par l'enterrer tristement hélas dans la médiocrité) ont inscrit ce personnage hors norme dans la conscience collective des cinéphiles amateurs de sensations fortes. En revenant aux sources, c’est-à-dire au premier film Die Hard, on peut aujourd'hui affirmer que rien ne pouvait présupposer de la réussite majeure de cette œuvre coup-de-poing au style d'écriture bien codifié. Car voilà au départ un sujet de film d’action classique et peu crédible sur le papier, écrit par les scénaristes de 48heures et Commando, produit par Joel Silver et Lawrence Gordon, producteurs phares de cette époque, et avec comme vedette le comédien blagueur et nonchalant de la série Clair de lune - assez éloigné sur le plan physique d’un Stallone ou d’un Schwarzenegger, les deux superstars musclées de l'époque. Ces caractéristiques allaient pourtant parfaitement servir le projet : un acteur que l’on n’attendait pas sur ce terrain - facilitant ainsi l’identification du spectateur et la naissance du personnage dans l’action - et un scénario basique permettant de mettre en valeur deux hommes au fort tempérament, provenant de deux cultures différentes (et même opposées sur bien des points, américaine et européenne) qui se livrent un combat âpre et sans merci sur un terrain très limité.

L'origine de Piège de cristal est assez singulière puisque son idée provient d'abord d'une adaptation lointaine du roman Nothing lasts forever de Roderick Thorp - la suite du livre The Detective écrit par le même auteur et porté à l'écran en 1968 par Gordon Douglas avec Frank Sinatra dans le rôle titre - restée dans les tiroirs des studios pendant des années. Puis, suite à la reprise en main par Joel Silver, le producteur de L'Arme fatale, Predator (déjà) et Action Jackson (sic), ce même projet se transforme en une suite de l'inénarrable Commando projetant son héros hyper-bodybuildé John Matrix dans une nouvelle aventure ! Heureusement, cette dernière idée fut abandonnée et le script totalement remanié avec un retour à des arcs narratifs proches du film Le Detective, organisés sur une base scénaristique assez simple mais diablement efficace. Mais le principal atout de Die Hard reste évidemment la présence de John McTiernan aux manettes qui, après deux films remarqués (surtout Predator), gagne ici ses galons de grand cinéaste et devient l’une des plus grandes révélations du cinéma américain dans cette décennie tant décriée. L’élégance générale de la mise en scène, la chorégraphie dessinée par les mouvements de caméra, la gestion de l’espace, la mise en valeur du héros par des cadrages millimétrées, les changements de points de vue et d'enjeux temporaires signifiés par des décadrages en mouvement et l'usage de la profondeur de champ avec des mises au point changeantes au sein du même plan établissent une cartographie nouvelle de l'actioner et font de Piège de cristal une révolution qui dépasse allègrement le cinéma de genre auquel le film appartient.

Secondé par une superbe photographie du Hollandais Jan De Bont (collaborateur de Paul Verhoeven de 1971 à 1992) combinant onirisme (avec des éclairages tamisés et des effets lumineux dus aux lentilles - ou flares) et néo-expressionnisme bleu métallisé (avec des contrastes poussés et des ombres allongées), le réalisateur délivre un travail qui redéfinit totalement l'esthétique contemporaine. De plus, le retour à l’animalité de l’être humain confronté à la mort, que l’on trouvait déjà dans son Predator, opposé à la haute technologie représentée par le gratte-ciel ultramoderne et les nombreuses armes employées, offre un contraste magnifique et saisissant et permet l’organisation visuelle d’un véritable ballet sanglant et spectaculaire, qui atteint une exigence artistique et une puissance dramatique rarement rencontrées dans ce type de production. L'humour et la dérision entrent également dans l'équation, et chacun en prend légitimement pour son grade : le flic grande gueule isolé dans un univers qui lui est totalement étranger et source de multiples dangers mortels, les "terroristes" victimes de leur trop-plein d'assurance, la presse agressive et irresponsable, et les forces de police complètement dépassées ou bien limitées par leur intellect (le cinéaste n'est généralement pas très amène avec ce corps de métier...). Cet esprit malicieux est soutenu par les compositions du regretté Michael Kamen qui, au sein d'une bande originale pétaradante et riche d'effets électroniques ingénieux, accorde une bonne place à quelques virgules musicales ironiques du meilleur effet (associées à l'usage décalé de la chanson de Noël Let it Snow et à celui de L'Hymne à la joie, le dernier mouvement de la 9ème Symphonie de Beethoven... un Allemand comme le sinistre et suave Hans Gruber). Le découpage musical propre au style de John McTiernan, qui pense sa mise en scène en termes symphonique et contrapuntique, trouve ainsi son complément parfait avec l'œuvre de Kamen. Enfin Bruce Willis, héros masochiste au grand cœur et aux saillies humoristiques dévastatrices, naît à l’écran dans la peau (brûlée) de John McClane, petit grain de sable inattendu dans la machine bien huilée représentée par le commando de malfaiteurs. Face à lui, l’acteur britannique Alan Rickman compose l’un des "méchants" les plus séduisants et flamboyants que le cinéma d’action ait pu nous donner. Pierre angulaire d'une nouvelle forme de cinéma qui aura une descendance hélas surtout superficielle (combien de réalisateurs sauront s'en montrer digne à part David Fincher ?), Die Hard se révèle donc une leçon de mise en scène doublée d’un film matriciel, souvent imité mais jamais égalé. Il se savoure autant à la quinzaine vision qu’à la première, et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Ronny Chester

À la poursuite d'Octobre Rouge (The Hunt for Red October, 1990)

Un sous-marin russe nucléaire d'une technologie avancée, indétectable au sonar, prend la mer pour effectuer des essais. L'Octobre Rouge, fierté de l'Union Soviétique, est commandé par Marko Ramius, officier émérite, expérimenté et respecté de tous. Mais ce dernier a d'autres plans en tête : il veut faire défection et apporter sur un plateau aux Etats-Unis ce nouveau bâtiment. Mais les autorités américaines sont anxieuses ; ne sachant pas exactement à quelle situation ils ont affaire, ils envisagent la manœuvre de Ramius soit comme une attaque délibérée de leur pire ennemi soit comme l'acte d'un déséquilibré. Jack Ryan, consultant de la CIA et expert de l'URSS, tente de convaincre ses supérieurs de la désertion du commandant russe. Mais le temps presse car l'Octobre Rouge est devenu la cible de deux sous-marins, l'un russe et l'autre américain, qui entendent le couler pour des raisons différentes.

En 1988, John McTiernan (réalisateur du très bon Predator un an plus tôt), révolutionnait le film d'action avec Die Hard et sa mise en scène en quasi huis clos, et devenait l'un des plus brillants formalistes du cinéma américain contemporain. Deux ans plus tard, le cinéaste pousse encore plus loin les limites de ce système en plongeant sa caméra virevoltante dans les coursives étroites d'un sous-marin. Le film de sous-marin est un sous-genre en soi qui ne tolère absolument pas la médiocrité ou le manque d'imagination. Régulièrement, mais à compte-gouttes, ce type de production refait surface dans le cinéma américain mais les grandes réussites se comptent finalement sur les doigts de la main. Surtout, en 1981, une œuvre phare donnait l'impression d'avoir atteint la plénitude du genre : avec Das Boot, film allemand situé durant la Deuxième Guerre mondiale, le réalisateur Wolfgang Petersen signait alors probablement le chef-d'œuvre du genre et stupéfiait toute la profession. Il fallait donc du courage une certaine forme d'inconscience pour se frotter à nouveau à ce type de défi. Mais à la réflexion, quel pouvait être le cinéaste le mieux placé pour relever ce challenge, sinon le maître d'oeuvre de Piège de cristal ?

On peut se risquer à affirmer que The Hunt for Red October marque le zénith de la carrière de John McTiernan, car contrairement à ses autres films (bien que quasiment tous fabuleux à maints égards) l'ensemble des éléments constitutifs d'une grande oeuvre cinématographique sont ici portés à leur sommet : réalisation bien sûr, enjeux dramatiques, intelligence du scénario, photographie, montage, interprétation, musique. Adapté d'un roman d'espionnage captivant de Tom Clancy, A la poursuite d'Octobre Rouge se révèle un pur joyau de mise en scène qui bénéficie de plus d'un script dense et ingénieux. Celui-ci met en opposition des systèmes politiques et militaires puissantes, très organisés et d'une grande rigidité ; mais ce qui intéresse le cinéaste, ce n'est pas principalement la lutte idéologique propre à la guerre froide, mais la façon dont deux individualités en marge de leur corporation parviennent à tirer leurs marrons du feu dans un environnement hostile et à convaincre leur entourage à la fois de leur bonne foi et de leur supériorité intellectuelle, alors que leur univers est au bord du gouffre. Ces deux personnages, le commandant russe Marko Ramius et l'agent de la CIA russophile Jack Ryan, sont à ce point proches intellectuellement - même si appartenant à des camps opposés - que John McTiernan veille à leur rapprochement culturel progressif, une thématique qu'il affectionne. Cinéaste cultivé et amoureux des lettres, McTiernan mise également sur l'intelligence des spectateur en maintenant un équilibre savant entre le suspense d'un thriller d'espionnage et le déroulement précis des événements qui passe à travers une combinaison parfaite entre l'image et les dialogues. Car, à proprement parler, A la poursuite d'Octobre Rouge n'est pas du tout un film à grand spectacle (excepté l'avant-dernière séquence, qui voit les différents navires se retrouver pour un affrontement inévitable) ; au contraire, le film est une longue continuité dialoguée que le cinéaste parvient à dynamiser d'une manière incroyable par son découpage et son montage. Ainsi la dialectique entre le film et son spectateur évoquée ci-dessus se met à place grâce à une tension permanente au sein de chaque plan ou presque, qui chacun pris individuellement véhicule un objectif à atteindre ou bien à décoder.

McTiernan, une nouvelle fois secondé par la superbe photographie de Jan de Bont, continue d'émerveiller par sa réalisation, qui confine au génie de la chorégraphie en espaces exigus. La tension que ses mouvements de caméra sophistiqués impriment au film - associés à un jeu avec la profondeur de champ et à un montage imaginatif - n'a d'égale que l'incroyable suspense qui se joue dans cette délicate partie d'échecs, où chaque décision d'un personnage entraîne un rebondissement spectaculaire, où presque chaque raccord relance la course contre la montre. Scandé par la musique puissante, tantôt martiale tantôt lyrique, du grand Basil Poledouris (collaborateur fidèle de John Milius et de Paul Verhoeven, malheureusement  disparu en 2006), A la poursuite d'Octobre Rouge, sûrement l'un des films maritimes les plus exaltants tournés à ce jour, fait partie de ce que Hollywood a produit de plus intelligent depuis 25 ans. Enfin, McTiernan étant également un grand directeur d'acteurs (ceux-ci ont d'ailleurs souvent souffert sous sa coupe en raison de son exigence redoutable), on se doit de rappeler à quel point la distribution du film se révèle d'une richesse impressionnante : outre un Sean Connery imposant on y trouve Alec Baldwin, Scott Glenn, Sam Neill, James Earl Jones, Richard Jordan, Tim Curry, Stellan Skarsgard, Jeffrey Jones ainsi que toute une galerie de seconds rôles solides aux visages bien connus.

Ronny Chester

Medicine Man (1992)

John McTiernan vient d’enchainer les succès et les triomphes artistiques. Son trio magnifique Predator / Piège de cristal / A la poursuite d’Octobre Rouge a fait date. Le box-office n’a en outre pas cessé de grimper de film en film. Le réalisateur figure parmi les rois de Hollywood même si son nom n'est jamais cité par personne, il peut désormais tourner tout ce qu’il veut. Choisissant un projet de film légèrement en avance sur son temps et hyper-écologiste, McTiernan tourne donc Medicine Man. Un film que l’on peut qualifier de "mineur" au sein de sa riche carrière, même si l’ensemble recèle d’un joli nombre de belles scènes et d’idées originales (surtout visuelles). Le récit est basique, narrant les aventures de deux botanistes aux prises avec des multinationales avides de transformer la forêt amazonienne en usine à produire de l’argent. Si le registre est fort logiquement à la fois contemporain et visionnaire, le cinéaste cède en revanche un peu trop facilement aux sirènes dramaturgiques les plus éculées. La romance obligée vient alourdir une œuvre qui peine déjà à décoller et à trouver son rythme de croisière. Quant aux acteurs, ils ne sont pas forcément toujours très bien dirigés, un comble pour un réalisateur qui aime autant ses acteurs et le démontre régulièrement. McTiernan est parvenu à pousser Schwarzenegger dans des retranchements intéressants, qu’il s’agisse de Predator ou de Last Action Hero (sorte de Six personnages en quête d’auteur sur le mode du muscle, avec une star très subtilement exploitée), ou encore a réussi à diriger Pierce Brosnan dans L'affaire Thomas Crown en faisant largement oublier l’ombrageuse présence de son rôle fétiche (à savoir James Bond)... Il est dès lors décevant de constater qu’il ne tire rien de très habile de la part de Sean Connery, immense acteur ici dans un personnage un peu désincarné, peut-être lui-même déçu par son metteur en scène (finalement plus intéressé par la beauté de la nature qu’il filme que par sa distribution).

Car c’est bien la nature qui fascine le cinéaste en ces lieux. Et autant avouer que rarement la jungle aura été aussi bien filmée, aussi captivante et envoûtante que dans ce film. Medicine Man réserve de nombreuses perles visuelles, et notamment une scène exploitant tout l’art de McTiernan : la caméra navigue dans les airs, entre les arbres, et plonge petit à petit, telle une descente en rappel rendue avec la grâce d’un regard faisant fi de la gravité. Absolument magnifique, comme ce plan sur les visages des acteurs contemplant la forêt en flamme, dans les dernières minutes du film. Reste que l’on ne peut pas dire que Medicine Man soit passionnant, ni même qu’il soit véritablement réussi ; et l’on peut regretter que son auteur ne parvienne pas à éviter les écueils conformistes et prévisibles qu’il tenait pourtant à distance dans ses films précédents, toujours modernes et surprenants. Il suffit de regarder A la poursuite d’Octobre Rouge, dans lequel McTiernan esquive tous les lieux communs du film de sous-marins (genre habituellement noyé sous les clichés) et réinvente un suspense claustrophobe enclin à emmener les spectateurs dans son sillage, même le plus exigeant d'entre eux. Rien de tout cela dans Medicine Man puisque le film se révèle trop beau, trop lisse, trop inégal aussi. Néanmoins, John McTiernan gagne encore son pari, empêchant le spectateur de s’ennuyer, et stimulant quelques séquences par de solides dialogues et quelques situations convaincantes. De toute évidence, même après la déception, on ne trouve rien à lui pardonner tant il maîtrise encore son art et reste proche de son idée de "dynamitage" des règles classiques du blockbuster américain. Last Action Hero n’est pas loin, nous aurons tout le temps de retrouver le grand réalisateur à l’œuvre, pour un film aussi drôle qu’émouvant, aussi puissant qu’intelligent. Car si les années 1980 et 1990 sont encore belles dans la mémoire des cinéphiles concernant le cinéma de genre hollywoodien, il faut à tout prix rappeler que c’est aussi grâce à McTiernan.

Julien Léonard

Last Action Hero (1993)

Grâce à un billet magique, Danny Madigan, un enfant de onze ans, peut vivre les aventures de son policier préféré, Jack Slater, croisé des temps modernes. Ensemble ils affrontent force danger et triomphent toujours. Mais les choses se compliquent lorsque des personnes mal intentionnées s'emparent du billet magique et gagnent New York, où le crime paie encore plus qu'au cinéma.

Les meilleurs films de John McTiernan traitent souvent de l’opposition/affrontement d’un homme avec son environnement, ce dernier représentant toujours une idée et un état d’esprit opposé au sien. Dans Piège de cristal (1988) c’était le cowboy moderne John McClane contre la modernité (le début du film le montrant même incapable d'utiliser une photocopieuse) de son pays changeant qui serait symbolisée par l’imposante Tour Nakatomi. La suite, Une journée en enfer (1995), représenterait John McClane contre la ville dont les bruits et l’animation mettent son corps à rude épreuve alors qu’il est à la poursuite d’un terroriste joueur. Le 13e Guerrier (1999) est aussi le récit de la confrontation entre l’Arabe raffiné et les rugueux Vikings, et Predator (1987) ne raconte pas autre chose dans ce duel entre Arnold Schwarzenegger défiant un guerrier alien dans une jungle hostile. McTiernan retrouve d’ailleurs la star autrichienne dans Last Action Hero, et le réalisateur semble réellement avoir offert une sorte de variante meta de Predator ici où le héros d'action se confronte à la réalité.

Le film se plaisait ainsi dans sa première partie à nous présenter les compétences de son commando dans toute la surenchère virile du cinéma d’action des 80’s avant de déconstruire cela avec l’ennemi indestructible que constituerait le Predator, rendant ces fanfaronnades bien vaines. Le héros devait oublier l’apparat superficiel et littéralement se fondre dans cette jungle et revenir à ses instincts les plus primitifs pour vaincre son adversaire. Last Action Hero opère de la même manière et Schwarzenegger va effectuer le même parcours, passant du personnage de cinéma d’action outrancier à l’écran au héros plus vulnérable confronté au monde réel. Last Action Hero pose une approche émotionnelle à l’opposé de celle viscérale de Predator car reposant sur le regard d’un jeune spectateur admiratif. Le film reprend le principe de La Rose pourpre du Caire (1985) de Woody Allen avec l’interaction inattendue d’un personnage de cinéma avec son plus grand admirateur dans la fiction et dans le monde réel. Dans les deux films il s’agira de combler un vide : la jeune femme esseulée et mal mariée sous la Grande Dépression avec son idéal romantique à l’écran et le petit garçon de Last Action Hero avec son idole, le flic dur à cuir Jack Slater. McTiernan se moque avec tendresse de tous les codes - qu’il en grande partie contribué à créer avec son scénariste Shane Black - du film d’action des 80’s et de la façon dont ils imprègnent l’imaginaire de son jeune personnage. Bande-son hard rock tapageuse, ouverture aérienne typique des productions Joel Silver avec voitures de police à perte de vue et bien sûr introduction tonitruante de Jack Slater. Bottes en peau de crocodile, ceinture de cowboy, brushing impeccable et cigare au bec, Jack Slater sied parfaitement à la présence démesurée et rigolarde d’Arnold Schwarzenegger.

L’acteur a toujours été l’incarnation idéale du surhomme dans ce cinéma d’action, pouvant endosser par son physique les forces les plus mythologiques (Conan le Barbare) ou technologiques (Terminator) dépassant l’entendement humain (à l’inverse de son rival de l’époque Stallone dont les exploits sont synonymes de souffrance et dépassement de soi). Ici il pousse juste le bouchon un peu plus loin en apportant une forme de distance à sa force tranquille (dont une savoureuse parodie de Hamlet), McTiernan amenant toujours la dose de surenchère qui permet de poser un regard amusé à ses exploits. Danny (Austin O'Brien), pas dupe des grosses ficelles de cet univers qu’il admire, préfère cependant s’y perdre tant le sien lui apporte peu de satisfaction. Le cadre urbain grisâtre de New York répond donc à une Californie ensoleillée et peuplée de bimbos - la photo désaturée de Dean Semler ne se colorant que devant une enseigne de cinéma - et, quand le moindre crime voit immédiatement surgir la silhouette imposante de Jack Slater, Danny sera victime d’une traumatisante agression sans que personne ne vienne à son secours.

A quoi bon le réel, l’école et un quotidien solitaire quand il suffit de s’engouffrer dans une salle de cinéma pour voir Jack Slater résoudre les problèmes d’un coup de feu et avec le sourire ? Son vœu va littéralement être exaucé à l’aide d’un ticket de cinéma magique hérité de Houdini et nous faire savourer depuis l’intérieur ce monde tapageur de l’actioner. McTiernan, après avoir montré ses clichés avec l’œil amusé du spectateur, nous y plonge avec celui émerveillé du fan Danny qui commente autant qu’il vit intensément l’aventure. L’outrance est encore plus folle vécue de l’intérieur - un chef de police noir sous pression et hystérique, le moindre coup de feu déchaînant l’enfer sur avec une explosion apocalyptique toutes les cinq minutes, aucune blessure et munitions illimitées pour tout le monde - dans ce monde du cinéma où les références et les cameos aux succès récents sont légion avec entre autre Sharon Stone échappé de Basic Instinct, Robert « T-1000 » Patrick toujours aussi intimidant ou Danny reproduisant une séquence culte d’ET. Même le compositeur Michael Kamen y va de son petit clin d’œil avec son thème de Piège de cristal qui se fait entendre sans prévenir. Jack Slater perché sur sa montagne de héros parfait acquiert pourtant une surprenante humanité au milieu de ces pantins grâce au lien qu’il établit avec Danny, car il lui permet d’exister à travers le regard et l’admiration de son jeune fan. C’est cette relation qui en fera un vrai héros lorsque, déboussolé, il se confrontera au monde réel, à la poursuite de l’infâme Benedict (Charles Dance) qui a volé le ticket de cinéma magique.

La mise en abyme s’avère étonnamment touchante dans ce rapport au réel. Jack Slater découvrira certes les lois de la physique différentes et la douleur, mais c’est surtout en tant qu’être de fiction jouet des scénaristes que le personnage suscite l’émotion. Les évènements les plus douloureux de sa vie (la perte de son fils) n’auront été que des gimmicks destinés à produire l’épisode suivant de ses aventures quand pour lui ils constituent un vrai traumatisme. Cette vulnérabilité se révèle à l’image également quand l’urbanité nocturne et pluvieuse new-yorkaise noie sa carrure alors que celle-ci s’épanouissait dans les grands espaces lumineux californiens. Tout comme le Dutch de Predator, Slater devra donc dépasser ce qui le définit (un barbouze dur à cuire/une star d’action) pour être réellement ce héros sans peur et sans reproche. Cette fragilité nouvelle rend alors soudainement l’aventure plus palpitante dans ce monde réel où « les méchants gagnent à la fin » comme s’en délecte Benedict. L’avalanche méta inversée de la dernière partie - caméo en pagaille, Schwarzy dans son propre rôle compris - intéresse moins que la relation entre Slater et Danny, le premier étant bien décidé à prouver au second que l’âme d’un héros ne repose pas que sur des fanfaronnades sur pellicule mais sur les actes. C’est réellement une des prestations les plus captivantes d'Arnold Schwarzenegger, ici producteur, et qui aura insisté pour que soit apportée cette profondeur au scénario initial plus sombre et violent. McTiernan, chez qui on avait déjà décelé une dimension plus réfléchie dans ses précédents travaux, se révèle définitivement un auteur passionnant avec ce film où il distille un sens de l’humour et de la dérision insoupçonné. Un vrai conte moderne, et une réflexion sur le cinéma et le statut de héros, qui sera malheureusement un échec à sa sortie face au mastodonte Jurassic Park.

Justin Kwedi

Une journée en enfer - die hard 3 (Die hard : with a vengeance, 1995)

Une série d'explosions jugées comme terroristes dans les rues de New York réveille "la ville qui ne dort jamais". La police, débordée, reçoit un appel d'un mystérieux Simon qui menace de déclencher d'autres explosions si l'inspecteur John McClane n'accepte pas de jouer au petit jeu du "Simon Says" avec lui pour aller dénicher les bombes cachées dans les quatre coins de la métropole. Un stratagème destiné à cacher une motivation financière. McClane, divorcé, fatigué, esseulé, suspendu par son autorité, va devoir reprendre du service pour répondre aux injections du maître chanteur... et pour mener l'enquête. Il sera inopinément assisté de Zeus, un électricien de Harlem impliqué malgré lui dans ce jeu très dangereux.

On avait laissé le facétieux mais intrépide John McClane, alias Bruce Willis, dans le deuxième volet de ses aventures, 58 minutes pour vivre, réalisé par le Finlandais Renny Harlin. Ce dernier film, un spectacle pyrotechnique souvent efficace situé dans un aéroport à feu et à sang, tentait de marcher fidèlement sur les traces du succès mis en scène deux ans auparavant par John McTiernan mais finissait par trahir quelque peu l'esprit de la franchise entamée avec Piège de cristal, sommet du film d'action des années 80 et surtout véritable révolution formelle du genre. Heureusement, dans ce troisième volet, McTiernan revient diriger Bruce Willis et remet la série Die Hard sur de bons rails, ceux qu'elle n'aurait jamais dû quitter, à savoir la recherche de formes nouvelles et la distanciation ironique vis-à-vis de son sujet. Les options choisies par le scénariste Jonathan Hensleigh et surtout par le cinéaste prouvent l'intelligence de ces derniers de ne pas reproduire à l'identique la recette savoureuse du premier film : ils abandonnent l'espace réduit d'un gratte-ciel pris en otage pour faire de la ville de New York le terrain d'action miné et gigantesque du héros. Un antihéros plutôt, car McClane est constamment balloté d'un endroit à un autre de la mégalopole au cours de cette nouvelle aventure ; et même s'il puise au fond de lui-même les ressources nécessaires pour s'en sortir, il reste le jouet de forces extérieures qui gardent presque toujours un temps d'avance sur lui, exception faite de la conclusion qui retourne les règles du jeu contre son adversaire... enfin, dans la conclusion voulue et tournée par le cinéaste qui ne sortira hélas jamais en salles. En passant de Piège de cristal à Une journée en enfer, John McTiernan troque la verticalité pour l'horizontalité et explore la géographie de la ville avec la précision, l'élégance, le dynamisme et le sens de l'espace qu'on lui connaît. Mais il y opère également une variation intelligente de son style.

La métropole new-yorkaise, la cité la plus cosmopolite et ouverte vers l'extérieur des États-Unis, est le lieu choisi par McTiernan pour marier son style chorégraphique ultra rigoureux et sa maîtrise exceptionnelle du Cinémascope à une mise en scène heurtée héritée du cinéma européen. Ainsi, inspiré par les nouvelles vagues cinématographiques du Vieux Continent, le réalisateur utilise de façon systématique la caméra portée pour nous plonger sur un tempo frénétique dans le quotidien d'une grande ville frappée de l'intérieur par des explosions successives et la paranoïa progressive qui la gagne. Bien sûr, McTiernan n'est certainement pas le premier à avoir eu recours à ce type d'effets visuels, mais il a su créer une dialectique du chaos au sein du genre qu'il avait grandement contribué à redéfinir. Ce style documentaire mêlé à la musicalité lyrique de la réalisation propre à McT fait tout le prix de ce nouvel opus de la trilogie - à l'époque - John McClane. De cette manière, à l'instar de Piège de cristal qui en 1988 créait les nouveaux codes visuels du film d'action et du thriller policier, Une journée en enfer pose les bases filmiques qu'adoptera le genre dans la décennie suivante, soit une approche chaotique représentée par les films réalisés par Paul Greengrass et ses suiveurs. Sauf que ce procédé, que l'on qualifierait volontiers aujourd'hui de "gerborama", a vite atteint ses limites en se réduisant à un habillage visuel qui n'existe que pour lui-même. Alors que chez McTiernan, jamais cet usage haletant et calculé de la caméra portée et des à-coups portés au cadre de l'image ne vient nuire à la fluidité générale des mouvements et surtout au récit filmique.

Une journée en Enfer (soit Die Hard With a Vengeance) est aussi un film profondément ludique dans sa conception. L'humour y est d'abord dédoublé par la présence, aux côtés de McClane, d'un personnage retors et haut en couleur interprété par un Samuel L. Jackson déchaîné, qui cabotine souvent pour notre plus grand plaisir. Son rôle est aussi de servir de relais aux spectateurs dans le chaos savamment mis en scène, une astuce qu'aime bien utiliser McTiernan dans ses films dans une sorte de dialogue avec son public. Mais la violence et la noirceur n'en sont pas pour autant évacuées. Le chef terroriste - ou plutôt, une nouvelle fois, un voleur haut de gamme au cynisme ravageur - incarne un mal qui s'insinue dans les pores de la cité et menace son équilibre. Mais on découvrira par la suite que ce personnage entretient un lien étroit avec le chef du commando qui investissait le Nakatomi Plaza du premier film (d'où le titre original de ce nouvel opus). Dans le rôle de Simon, Jeremy Irons incarne un "méchant de cinéma" comme il en existe finalement assez peu - car toujours à la frontière de la caricature mais sans jamais y sombrer - et marche donc dans les pas du fameux Hans Gruber de Piège de cristal. Son contraste avec John McClane est celui, formidablement jouissif même si stéréotypé, qui oppose le calculateur maléfique au débrouillard maladroit mais toujours plein de ressources - que l'on prend évidemment en sympathie. Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que Simon représente une projection de John McTiernan, maître d'orfèvre extrêmement malin d'un spectacle ironique et manipulateur, doublé d'un artiste conscient de ses tours de passe-passe narratifs et de la futilité de cette entreprise cinématographique. Il est fort dommage que la fin originale ait donc été désavouée par les producteurs qui ont encore raté une occasion de bien faire (on pourra la retrouver dans les suppléments du DVD collector). Anti-spectaculaire au possible, située autour d'une table d'un café dans le petit pays d'origine de Simon, cette fin montre le policier déchu reprendre la main et entamer un jeu mortel de son cru, le "McClane Says". Elle conclut de manière sèche et frontale, et avec une tension et un humour noir savoureux, la confrontation entre les deux antagonistes du film. Avec Une journée en enfer, John McTiernan enterre avec pompe et génie ce qu'il a contribué à créer dans ces années 80 américaines pas si mineures que certains le prétendent. Au-delà d'avoir réalisé un film hautement jubilatoire, le cinéaste rusé et joueur de Last Action Hero a posé avec son Die Hard With a Vengeance un piège en forme d'avertissement pour les futurs producteurs de cette franchise... un piège dans lequel ces derniers sont misérablement tous tombés avec pertes et fracas.

Ronny Chester

thomas crown (the thomas crown affair, 1999)

Le beau et richissime Thomas Crown, grand financier et collectionneur d’œuvres d’art, est également cambrioleur à ses heures perdues pour mettre un peu de piment dans sa morne vie. Il fréquente quotidiennement les musées pour admirer les toiles de grands maîtres. Un jour, un célèbre tableau de Monet disparaît. Une belle femme détective travaillant pour la compagnie d’assurance en vient rapidement à suspecter le play-boy milliardaire. Une romance naissante vient inévitablement contrarier l’enquête.

Il est parfois des "petits films" sur le papier qui procurent un plaisir immense, alors même qu'on arrivait à remettre en question leur existence au départ. Ce neuvième film de John McTiernan en est un exemple frappant. Dès la fin des années 90, Hollywood commence à mettre en chantier des remakes de ses classiques, au grand dam des observateurs qui y voient une véritable régression. Cette nouvelle mode prendra une ampleur déroutante la décennie suivante, et l'on vit actuellement une période ridicule avec des productions qui remettent au goût du jour des films des années 80... Pour en revenir à Thomas Crown, les films du studio MGM - qui n'arrête pas de vivre des bouleversements financiers - font alors l'objet de remakes. En 1999, un film américain emblématique des années 60, L'Affaire Thomas Crown réalisé par Norman Jewison, s'apprête à connaître une nouvelle version initiée par le comédien Pierce Brosnan qui rêve d'interpréter ce personnage. Le film original opposait dans un jeu du chat et de la souris deux stars au sommet de leur charisme et de leur beauté, Steve McQueen et Faye Dunaway. Sur un plan formel, Jewison se sentait libre et sans doute fier d'expérimenter avec systématisme la technique du split-screen (la découpe de l'image en plusieurs cadres, démultipliant la même action sous différents angles ou montrant deux actions se dérouler simultanément). Cette technique s'avérait justifiée pour figurer la toute-puissance du personnage de Crown, millionnaire désabusé qui organise un braquage à distance tel un marionnettiste manipulant plusieurs ficelles. Mais le réalisateur canadien finissait par noyer son film sous la technique, et l'usage du split-screen perdait sa justification une fois la romance entamée. Ce procédé a été utilisé de manière bien plus inspirée et judicieuse par Richard Fleischer dans L'Etrangleur de Boston puis plus généralement par Brian De Palma.

L'intérêt principal du film original résidait dans le couple formé par McQueen et Dunaway dont la présence enflammait l'écran, et L'Affaire Thomas Crown est surtout resté célèbre depuis grâce à une scène hautement sensuelle autour d'une partie d'échecs entre les deux protagonistes dotés d'un charme espiègle et animal. On s'en souvient également grâce à la fameuse bande originale de Michel Legrand - la chanson The Windmills of your Mind gagna d'ailleurs l'Oscar, elle sera reprise dans le remake par Sting. Alors que dans l'histoire d'origine, l'accent était plutôt mis sur le jeu de la séduction entre les deux personnages et les rapports de domination successifs, dans le remake Brosnan et les scénaristes orientent clairement le film vers une romance. L'histoire d'amour au centre du film séduit immédiatement John McTiernan, qui retrouve dans Thomas Crown l'acteur de son premier film, Nomads. Et la singularité de ce remake, pour lequel le cinéaste obtient la liberté d'agir à sa guise juste après la production ultra conflictuelle du 13ème Guerrier, c'est que l'on sent McTiernan s'épanouir complètement dans son travail. Et le spectateur de ressentir ce plaisir de filmer de la plus exquise des manières. Quel est donc l’intérêt de ce nouveau film si ce n'est tout simplement la classe folle d’une réalisation formidablement élégante, dynamique et réglée au millimètre comme du papier à musique ?

Avec Thomas Crown, John McTiernan signe certes un film de commande, mais il profite de l’occasion pour se refaire une santé et nous éblouir à nouveau par sa gestion de l’espace filmique, la sophistication de ses effets et la mécanique d’orfèvre de sa mise en scène. La puissance, le dynamisme et la dextérité de son art s'expriment avec un tel entrain, une telle fluidité que l'on chavire de bonheur devant la maestria qui se déploie à l'écran. De plus, son approche à la fois ludique et énergique met autant en relief les agissements malins et moqueurs d'un cambrioleur esthète et imaginatif que l'histoire d'amour en elle-même avec sa forte dimension érotique. Une romance qui débute quasiment dès le début de l'intrigue alors que le couple original ne se côtoyait pas avant 50 minutes de film. Finalement, le duo charmant Pierce Brosnan / Rene Russo fonctionne plutôt bien et n’a finalement pas trop à rougir de la comparaison. L'autre petit truc en plus est le changement de caractérisation intelligent du héros : alors que Steve McQueen jouait un financier qui braquait une banque à distance en manipulant des voleurs à son service, Pierce Brosnan interprète un amateur d'art fervent qui aime à compléter sa fabuleuse collection de façon certes totalement illégale mais en s'investissant personnellement dans ses cambriolages. Ainsi on peut imaginer que McTiernan se projette facilement dans ce personnage de "metteur en scène" de sa propre destinée : un homme fort, habile et futé, qui se joue de tous ses adversaires grâce à une intelligence supérieure. L'ingéniosité et la méticulosité avec lesquelles Thomas Crown organise ses vols de tableaux renvoient à celles de McTiernan qui emballe son film avec une virtuosité qui laisse pantois. S'il fallait un exemple pour démontrer que l'art cinématographique s'exprime principalement par le biais de la mise en scène, le Thomas Crown de McTiernan serait un candidat parfait. Ce "petit film" au scénario classique, mais efficace, et aux rebondissements dramatiques attendus se retrouve transcendé par une foi dans le cinéma qui déplace les montagnes. Il est simplement dommage que l'on n'ait pas donné suffisamment d'occasions à John McTiernan dans sa carrière pour l'exprimer davantage...

Ronny Chester

Le 13ème guerrier (The 13th Warrior, 1999)

Contraint à l'exil par son calife, pour avoir séduit la femme d'un autre, Ahmed Ibn Fahdlan est envoyé comme ambassadeur en Asie Mineure. Une prophétie l'oblige à devenir le "13e Guerrier" d'un groupe de Vikings partant porter secours au seigneur Rothgar, dont le village est régulièrement attaqué par une horde de démons, mi-humains mi-animaux. Au cours de ce long périple vers le nord de l'Europe, Ahmed apprend la langue de ses compagnons et le maniement des armes. Sur place, il devra affronter ses propres peurs.

Le 13e Guerrier est le grand film maudit de John McTiernan, son dernier vrai classique avant la terrible déchéance des années à venir. Le film adapte le roman Le Royaume de Rothgar de Michael Crichton, lui-même inspiré des écrits d'Ibn Fadlân, un lettré d’origine arabe du Xème siècle qui aurait rapporté le récit de ces périples en tant qu’ambassadeur et notamment ses aventures en compagnies de barbares normands. McTiernan, bien que pas totalement convaincu par certains aspects du roman, y décèle cependant un vrai potentiel de grand film d’aventures. Fort du parti pris quasi documentaire intégré de façon révolutionnaire à son Die Hard 3 (anticipant toute les expérimentations d’un Paul Greengrass sur ses Jason Bourne jamais vraiment à sa hauteur), McTiernan souhaite adopter une vision réaliste et ethnologique à son épopée au pays des Vikings. Le point de vue du personnage d’Ahmed Ibn Fahdlan (Antonio Banderas), Arabe exilé dans ces terres barbares, est celui du spectateur d’abord interloqué par les mœurs rustres vikings puis apprenant progressivement à les connaître. Cette initiation se fera par les armes lorsqu’un oracle sélectionne un groupe de treize guerriers pour venir en aide à un village terrifié par d’étranges créatures, les Wendols.

Sauf que notre observateur arabe hautain va se trouver sélectionné parmi les guerriers pour cette mission et va ainsi devoir cohabiter avec le groupe de Vikings. Alors qu’un film actuel se perdrait en atermoiements inutiles sous couvert de psychologie, McTiernan rend l’appel de l’aventure le plus fort avec un Ahmed acceptant sans discuter un rôle pour lequel il est loin d’être taillé. Le score majestueux de Jerry Goldsmith (et ce thème principal puissant si souvent repris depuis) permet de de savourer les chevauchées dans ces terres hostiles révélant leurs beautés sauvages, tandis que McTiernan établit la communication entre l’Arabe et les Vikings dans une superbe séquence où il apprend leur langue au fil du voyage en les écoutant. Une fois sur les lieux, McTiernan reprendra beaucoup des effets de son magistral Predator (1987) pour personnifier la terreur qu’inspirent les Wendols. Michael Crichton les dépeignait simplement comme des hommes de Neandertal cannibales, mais McTiernan va les orner d’une aura fantastique et mystérieuse bien plus marquante. Simples silhouettes à la carrure plus animale qu’humaine observant les guerriers dans la pénombre des forêts, adversaires indistincts dont les cadavres se volatilisent après un long corps-à-corps, et enfin longs vers de feu approchant au loin tel un monstre mythologique, les Wendols symbolisent une peur primitive et surnaturelle longtemps indéfinissable.

Le Predator était introduit de la même façon et décimait sans mal les mercenaires arrogants qui le défiaient dans le film de 1987, mais McTiernan célèbre ici le courage de ses Vikings en en faisant des adversaires d’une toute autre envergure. Si le remontage de Michael Crichton lors de la post-production agitée du film aura rendu la caractérisation du groupe un peu floue, le regard changeant d’Ahmed sera superbement mis en avant en soulignant la malice et les talents de stratège des Vikings (Dennis Storhoi, très attachant Herger) mais surtout leur noblesse avec le chef Buliwyf magnifiquement incarné par le charismatique Vladimir Kulich. Toutes ces peurs, toutes ces qualités se dévoileront essentiellement dans l’action et par l’image grâce un McTiernan au sommet de son art. Le film sort juste avant Gladiator (2000) et Le Seigneur des Anneaux (2001) qui relanceront totalement le film épique dans la décennie suivante. Le parti pris cru et réaliste de McTiernan rend pourtant plus puissant et consistant son univers en évitant le tape à l’œil numérisé pour mettre en valeur ses paysages (magnifique cadre d’une île sauvage canadienne) et son imposant décor, toujours filmé à hauteur humaine. L’immersion n’en est que plus grande durant les scènes de batailles, déchaînant l’enfer sur Terre durant cette attaque où les combattants sont réduits à des ombres sur fond de ciel rougeoyant, puis on basculera un peu plus dans les ténèbres lors de l’éprouvante expédition dans l’antre souterraine des Wendols (l’affrontement avec la mère Wendol étant malheureusement filmé par Michael Crichton, producteur omnipotent nous privant du montage de McTiernan).

Après avoir fait surgir les Wendols de la brume, de l’ombre et des entrailles de la Terre, l’ultime affrontement nous les fait enfin apparaître au grand jour. McTiernan souligne ainsi la hardiesse de ses héros qui ont réussi à révéler la simples nature d'hommes des "mangeurs de morts" aux premières lueurs de l’aube. Tout comme le Predator se démasquait par respect en ayant trouvé en Dutch (Arnold Schwarzenegger) un adversaire à sa mesure, les Wendols aux abois se déchaîneront cette fois sans leurs artifices de peur. Le réalisateur pensait au départ exprimer cette idée en reprenant le final du Zoulou de Cy Endfield (1964) où les guerriers zoulous saluaient par leurs chants la valeur des soldats britanniques qui leur avaient résisté, mais on le comprend parfaitement sans cette référence. L’union des guerriers survivants la vaillance de ce village et notamment des femmes et bien sûr l’accomplissement d’Ahmed faisant définitivement corps avec ses compagnons d’armes (sa prière à Allah se mêlant à celle des Vikings, les croyances et les peuples s'unifiant face au danger), tout cela s’exprime avec une force peu commune. Les épées et les corps s’entrechoquent dans un maelstrom de sang et de boue jusqu’à une dernière et magnifique prouesse de Buliwyf méritant la perpétuation de sa légende (l’analogie avec Beowulf s’avérant manifeste). Malgré les défauts dus à sa gestation mouvementée, Le 13e Guerrier est une superbe chanson de geste et l'une des plus belles illustrations du pouvoir évocateur du cinéma de John McTiernan.

Justin Kwedi

rollerball (2002)

Ce n'est pas un manque de courage ou de discernement qui nous a amenés à ne pas analyser Rollerball. Ce film est un ratage quasi complet, et ce même s'il comporte une scène brillamment réalisée, et l'on ne va pas s'amuser à démontrer le contraire. Avec ce deuxième remake d'un film de Norman Jewison, John McTiernan avait pour ambition de livrer un pamphlet politique, autant sur le fond que sur la forme. Mais accoquiné à des producteurs filous qui entendaient bâtir un tout autre film que le sien, le réalisateur a non seulement perdu la maîtrise artistique et technique de son film mais aussi également sa sérénité, puisqu'il a tenté de sauver ce qu'il pouvait au moment de sa fabrication en commettant une grosse erreur (engager un détective sulfureux pour mettre sur écoutes un producteur suite à des incidents troublants lors du tournage). Pour tout ce que représente aujourd'hui Rollerball en termes de rendez-vous artistique manqué et de drame personnel quant à la vie et à la carrière de John McTiernan, nous préférons jeter un voile pudique sur ce film.

Ronny Chester

basic (2003)

Dans une base américaine de Ranchers située au Panama, le sergent West, un instructeur particulièrement dur et pervers, organise un énième exercice militaire harassant. De nuit, six de ses soldats sont livrés à eux-mêmes et doivent rejoindre un bâtiment en pleine jungle après un parcours de tir et d'obstacles. Quelques heures plus tard, alors que ces derniers manquent à l'appel, un hélicoptère trouve et récupère deux militaires dont l'un, Dunbar, qui porte son camarade Kendall blessé sur son dos, vient d'abattre un autre de ses comparses qui lui tirait dessus. Dans la base, afin de retrouver les disparus et résoudre le mystère entourant le crime, l'enquête est d'abord confiée au capitaine Julia Osborne. Mais le colonel Styles, commandant de la base, lui adjoint son ami Tom Hardy, un ex-Ranger qui travaille à la DEA et récemment soupçonné de corruption. La collaboration entre les deux enquêteurs s'avère conflictuelle, la militaire et l'agent gouvernemental ne partageant ni le même caractère ni les mêmes méthodes. L'affaire se complique encore plus quand les faits relatés par les différentes sources se contredisent et à mesure que les identités et les agissements de tous les protagonistes - sauf Osborne - deviennent suspects.

Après le tournage catastrophique de Rollerball, son deuxième remake d'un film de Norman Jewison dont il entendait amplifier l'aspect de pamphlet politique, John McTiernan sort exsangue. Non seulement la production lui a retiré le contrôle du film, mais cette mésaventure va marquer le début de sa déchéance en raison de l'affaire judiciaire qui prend sa source dans ses déboires avec un producteur félon, qui l'amèneront à commettre une erreur qu'il paiera plus tard injustement et au centuple. L'année suivant Rollerball, McTiernan trouve un peu de répit avec le nouveau projet Basic, sur lequel il retrouve une certaine liberté d'action grâce à un dirigeant de studio avec qui il avait travaillé sur A la poursuite d'Octobre Rouge. Ecrit par un jeune scénariste adepte des histoires de murder and mystery, le scénario est remanié par McTiernan qui complexifie les personnages qui étaient à l'origine tous caractérisés comme des "méchants". Surtout, ce "Rashomon en milieu militaire" donne l'occasion au cinéaste de jouer à nouveau sur les points de vue, en poussant la logique des réalités parallèles à son extrême.

Au début de l'enquête, le personnage de Tom Hardy (interprété par Travolta) affirme de façon ironique que l'action de tuer relève d'un geste « basique » pour un homme. Or, le spectateur découvrira progressivement qu'absolument rien dans ce film ne procède d'une démarche basique. C'est d'ailleurs pour cette raison que les critiques s'en sont donnés à cœur joie en reprochant à Basic sa trop grande complexité et son imposture. On n'ira pas répondre ici qu'il s'agit d'un grand film tant les coutures du scénario se font parfois jour et que l'aspect répétitif de l'approche adoptée (la remise en cause continuelle des évenements relatés) peut finir par lasser. Mais encore une fois, les qualités première de la dernière oeuvre en date de John McTiernan reposent sur sa mise en scène qui fait de Basic un savant exercice de style. Le dynamisme de la caméra, la maîtrise de l'écran large permettant une chorégraphie savante autour des personnages et les changements de points de vue au sein du plan - qui font partie de la grammaire cinématographique du cinéaste - trouvent pleinement leur justification dans Basic, un film dans lequel tout propos rapporté, toute action entreprise son sujets à caution. Les doutes et les questionnements ne cessent de surgir au cours du récit pour le capitaine Osborne, personnage qui sert de relais et de point d'appui au spectateur dans cette histoire à tiroirs qui ne cesse d'interroger la réalité des faits et des hommes. La réussite de McTiernan s'apprécie dans son découpage et son montage entre les différents niveaux de narration, dans un rythme qui va grandissant au fur et à mesure que s'accumulent les remises en question et les révélations. Un rythme qui devient même paroxystique quand s'enchaînent les scènes et les plans appartenant à des espace-temps différents.

Il est également rassurant de relever la façon dont McTiernan conserve sa faculté à dynamiter une scène de dialogues, à la rendre violente et haletante à la fois. D'autant que Basic est surtout constitué de séquences d'interrogatoires et d'échanges verbaux entre les deux enquêteurs, entre eux ou avec leur entourage. Mais la science du réalisateur se déploie aussi au sein de la jungle, territoire des nombreux flashbacks, où constamment la tension demeure palpable entre les soldats et où leur interaction dangereuse avec un environnement hostile aboutit à un chaos visuel autant que mental. D'une certaine manière donc, on peut observer que Basic combine - sur un mode mineur, certes - le travail effectué sur Predator (la jungle où l'on se bat physiquement) et A la poursuite d'Octobre Rouge (les espaces clos où l'on s'affronte verbalement). Mais ce film, malin à bien des égards et fonctionnant plutôt efficacement comme thriller, ne parvient que rarement à s'élever au-delà de sa condition de murder and mystery. L'aspect ludique de la mise en scène se retrouve d'ailleurs dans la séquence finale marquée par un énorme twist qui remet en perspective (et en cause) tout ce que l'on nous a donné à voir jusqu'ici. Comme si McTiernan n'était pas dupe de cet exercice et qu'il nous renvoyait à la figure de façon ironique tous les artifices propres à une mise en scène de cinéma. Une approche baroque et une distanciation narquoise qui font tout le sel de Basic mais qui en marquent aussi toutes les limites.

Ronny Chester

Par Ronny Chester, Justin Kwedi et Julien Leonard - le 19 septembre 2014