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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Trio magnifique

(Bian cheng san xia)

L'histoire

Dynastie Qing. Accablés par un féroce seigneur qui profite d'une vacance du pouvoir pour imposer sa loi, quelques villageois kidnappent la fille de ce dernier dans un ultime geste de désespoir. Ils sont rapidement aidés par Lu Fang, jeune guerrier juste et droit - qui trouvera parmi les hommes du seigneur deux alliés et amis prêts à combattre jusqu'à la mort leur ancien souverain, au prix de batailles sanguinaires et tragiques.

Analyse et critique

Pas forcément adulé par les spécialistes du genre, Le Trio Magnifique est surtout considéré dans le milieu cinéphile HK comme un galop d'essai appelant d'autres réussites bien plus éclatantes. Tourné en 1966 après Tiger Boy, le film est en effet une oeuvre de jeunesse pour Chang Cheh, qui réalise à 43 ans le troisième long-métrage d'une carrière pour la Shaw entamée seulement un an plus tôt ! Tout comme King Hu, il met alors à profit la structure Shaw Bros pour redéfinir les codes du Wu Xia Pan, genre alors plutôt moribond...

Et c'est dès le générique que le ton est donné. Directement replacé dans son contexte historique (la dynastie Ming disparait au profit de la dynastie Qing, tournant de l'Histoire dessiné en une simple et belle idée de mise en scène qui montre déjà tout le talent de Chang Cheh), le film s'ouvre sur quatre plans splendides, où le sens de la couleur et du cadre de Cheh font déjà merveille. Chorégraphiés et mis en scène dans une stylisation touchant au génie, ces premiers plans enfoncent d'ailleurs malheureusement toutes les autres scènes du Trio Magnifique par leur beauté : jamais au cours du film, Chang Cheh ne retrouvera cette incroyable inspiration initiale. Mais en une séquence, qui n'est pas sans rappeler le meilleur de John Woo (magnifiques ralentis, glorification de la chevalerie et de l'amitié virile, violence graphique...), Chang Cheh donne rendez-vous aux cinéphiles et aux spectateurs de la Shaw : ses grands thèmes sont posés, son cinéma est déjà là, et s'épanouira dans ses oeuvres futures.

Reste donc le post-générique, évidemment, soit 90 minutes parfois longuettes, un peu bavardes et désordonnées. Car si Chang Cheh, perfectionniste notoire, joue déjà avec maestria de la grammaire cinématographique (ses cadres, le sens du décor ou encore la photographie n'ont rien à envier aux fleurons du genre), il pèche encore par un rythme chaotique : répétitif, voire même lassant sur le long, Le Trio Magnifique n'a pas l'ampleur narrative des chefs d'oeuvre du Wu Xia Pan et l'on peut s'y ennuyer poliment pour peu que l'on ne soit pas fan hardcore du réalisateur, ou du genre. Ainsi, malgré le nombre des combats, l'on y parle plus que l'on se bat, tandis que les batailles mêmes frustrent parfois par leur rapidité et leur fulgurance. Ce n'est que plus tard que Chang Cheh trouvera l'équilibre parfait et saura imposer sur deux heures la magnificence de style de son générique. Par ailleurs peu aidé par un scénario parfois exagérément manichéen (et pourtant pas très éloigné de Howard Hawks et de son Rio Bravo, tourné 7 ans plus tôt et dont on retrouve les grands traits ici), Chang Che doit aussi composer avec des personnages féminins pour le moins faiblards (l'on sent bien que ce ne sont pas les stars féminines de son film qui le passionnent, mais bien son trio de guerriers) ainsi qu'avec une interprétation inégale (le jeune Jimmy Wang Yu est d'une rare fadeur, heureusement compensée par ses deux acolytes, plus énigmatiques et équivoques) qui ne rendent pas forcément justice aux ambitions du réalisateur. D'où une certaine platitude d'ensemble qui pourra freiner les plus réfractaires.

Heureusement, le script et la réalisation de Chang Cheh réservent quelques bonnes surprises, notamment une noirceur et un jusqu'au boutisme assez sidérants pour le spectateur occidental, et ce encore aujourd'hui. On l'a dit, Le Trio Magnifique (re)pose les bases d'un genre, ainsi que ses codes : le film marque ainsi le début des gerbes de sang (toutefois discrètes) et autres poussées d'hémoglobine. Les meurtres de sang-froid se succèdent, et l'on a pas le temps de s'apitoyer sur la mort d'une des héroines qu'un brave paysan meurt dans d'horribles et sadiques circonstances. Ainsi, la scène de l'échange de prisonnières frappe par son incroyable violence et cruauté, dont la modernité rappelle plus un épisode de 24 que celle, supposée, du fade Tigre et Dragon. Modernité jusque dans son sous-texte, politique (la défense des opprimés face au pouvoir comme métaphore constante du film) ou sexuel, puisque l'on pourra sans grand peine s'amuser à déceler ici et là de fines allusions, dans le jeu et la mise en scène, à une homosexualité latente du trio masculin.

C'est dire si Le Trio Magnifique a beaucoup à offrir malgré les réserves majeures émises plus haut. Car s'attarder uniquement sur les défauts de cette oeuvre de jeunesse, ce serait occulter la flamboyance des costumes, la beauté des décors (certaines fresques de fond ne sont pas sans rappeler la beauté du Narcisse Noir de Michael Powell), les quelques pointes d'humour distillées ici et là, le romantisme maladroit mais forcené de l'ensemble ou encore le sens du mouvement dont fait déjà preuve Chang Cheh, et qui réunis offrent de vrais beaux moments de cinéma. Déjà maître de ses effets, Cheh joue ainsi de quelques travellings fulgurants pour réveiller l'intérêt du spectateur et donne même toute la mesure de son talent dans la très belle scène de combat final. Toute en jeux de couleurs et ballets sanglants, elle invite (tout comme les tous derniers plans et leur musique élégiaque, dignes de Sergio Léone) à découvrir rapidement le cinéma du créateur de Deux Héros et de Frères de Sang, également édités ce mois-ci par Wild Side...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Xavier Jamet - le 22 novembre 2004