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Test dvd
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Kenneth Anger – The Magick Lantern Cycle

DVD - Région All
Potemkine
Parution : 23 juin 2015

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Le Magick Lantern Cycle étant divisé en neuf films distincts, il allait de soi que la qualité des copies varierait selon les titres et les restaurations effectuées. UCLA a fourni un excellent travail sur Rabbit’s Moon et tout à faire correct sur Fireworks (même si l’on note plusieurs griffures). Eaux d’Artifice est le plus à plaindre du lot quant à son rendu défraîchi, la relative ingratitude des copies disponibles devant, probablement au moins partiellement, à l’intérêt souvent secondaire porté au film. Quant aux films couleurs,  le travail est à la hauteur du foisonnement chromatique définissant l’esthétique Anger : nulles mouvances, une excellente définition... C’est dans les meilleures conditions que le spectateur pourra découvrir cet univers à l’exceptionnelle expressivité. On notera cependant un grain marqué sur Scorpio Rising. Les formats (1.33 / 1.37) ont, quant à eux, été respectés.

Son

Pas de paroles ou de son direct chez Anger. Ce n’est pas pour autant que la bande sonore n’est pas travaillée avec méticulosité chez celui-ci. La partition de juke-box de Scorpio Rising s’entremêlant aux bruits de moteur de ses bikers en serait l’exemple le plus évocateur.  Le mixage mono porte à une ampleur suffisante la ligne musicale (signées Jagger ou Beausoleil quand  elles ne convoquent pas Jonathan Halper ou Peggy March) d’une œuvre qui s’écoute autant qu’elle se regarde. Là encore, le soin apporté respecte l’exigence de ce cinéaste rock. 

Suppléments

Certainement fascinante, l'oeuvre de Kenneth Anger n'en est pas moins complexe, tant pas sa signifiance - mêlant, entre autres formes de pensée, ésotérisme et ironie - que par les signifiés cinématographiques qu'elle adopte, oscillant entre symbolisme quasi abstrait et vérisme le plus crû. Aussi se félicitera-t-on que Potemkine ait fait l'heureux choix de doubler le DVD comprenant l'intégralité des courts métrages du Magick Lantern Cycle d'un second disque exclusivement constitué de suppléments. Le corpus ainsi proposé réunit quatre suppléments qui, s'ils ne cernent certes pas de manière exhaustive l'univers de Kenneth Anger, offrent néanmoins suffisamment d'aperçus biographiques et analytiques aux angeriens et angeriennes néophytes susceptibles de les aider à mieux appréhender cette plus que singulière contrée cinématographique...

On déconseillera cependant à celles et ceux pour lesquels ce coffret Potemkine marque l'entrée en "Angerie" d’entamer l’exploration de ces bonus par celui figurant en tête de menu : River of Anger. Si l'on reviendra sur celui-ci d'ici à quelques lignes, indiquons simplement pour l'heure que ce River of Anger prend le parti d'une forme calquée sur celles, avant-gardistes, chères à l'auteur de Fireworks (1947). Un choix de réalisation qui n’en rend pas la découverte forcément aisée pour les spectatrices et spectateurs encore peu rompu.e.s au cinéma expérimental... Aussi proposera-t-on de débuter le visionnage de ces bonus par Les sortilèges de Kenneth Anger, une émission télévisée de 15 minutes réalisée en 2003 par Pip Chodorov pour Arte. Ladite émission prend la forme d'un entretien avec Kenneth Anger himself, enregistré à Los Angeles. Entrecoupés de plans de la ville, campant par touches rapides l'espace dans lequel vécut (et vit toujours) le cinéaste, et d'extraits de quelques-uns de ses films les plus fameux, Les sortilèges de Kenneth Anger brosse les principaux traits de la biographie artistique de Kenneth Anger. L'importance de Jean Cocteau dans la genèse de l'œuvre angerienne est ainsi clairement soulignée. Le cinéaste témoigne de son admiration pour Le Sang d'un poète 1(932), dont Fireworks porte l'évidente marque. Une admiration par ailleurs réciproque puisque Jean Cocteau - ainsi que Kenneth Anger le raconte dans ce même bonus - fit présenter Fireworks au Festival du Film maudit de Biarritz en 1949, aux côtés de L’Atalante (1934) de Jean Vigo ou bien encore de Rome ville ouverte (Roma città aperta, 1945) de Roberto Rossellini. Les sortilèges de Kenneth Anger témoigne par ailleurs de l’importance d'Henri Langlois dans la carrière du réalisateur de Scorpio Rising (1963). Kenneth Anger explique ainsi qu’il fut l'assistant du créateur de la Cinémathèque au début des années 1950. Éclairant sur les influences de Kenneth Anger, ce synthétique documentaire l'est pareillement en ce qui concerne ses partis pris esthétiques. Ses quelques mots sur la réalisation de Scorpio Rising souligne la centralité du collage dans la cinématographie angerienne. Notamment lorsque Kenneth Anger explique avoir combiné en un même film ses propres images - celles filmées à Coney Island de bikers new-yorkais - et d’autres empruntées à The Road to Jerusalem, une fiction mettant en scène le Christ et les Apôtres et initialement destinée à des cours de catéchisme. Prétendant face à la caméra de Pip Chodorov qu’il découvrit The Road to Jerusalem après que la Poste le lui a livré par erreur, Kenneth Anger se révèle alors être un savoureux raconteur d’anecdotes. Un talent dont il fit montre, rappelons-le, dans son mythique ouvrage Hollywood Babylone (1959), réédité en 2013 aux éditions Tristram, compilant une extraordinaire litanie de destinées tragiques et autres faits-divers sordides ayant eu pour acteurs et actrices autant de stars hollywoodiennes.

Une fois le visionnage des Sortilèges de Kenneth Anger achevé, on invitera nos angeriens et angeriennes débutants à enchaîner avec celui des trente-cinq minutes de dialogue entre Kenneth Anger et Gaspar Noé, enregistrées à la Cinémathèque française lors de la venue du réalisateur à celle-ci en 2013. La conversation entre les deux cinéastes apporte nombre d’informations sur le panthéon cinéphile de l’auteur de Lucifer Rising (1966-81). On entend ainsi Kenneth Anger qualifier Sergei M. Eisenstein de « dieu cinématographique », évoquant plus particulièrement le choc que fut pour lui la découverte encore adolescent de !Que Viva Mexico ! (1932). Parmi les références convoquées par Kenneth Anger apparaissent encore les noms d'Erich von Stroheim - notamment pour La Symphonie nuptiale (The Wedding March, 1928) -, de Michael Powell - plus précisément à propos du Narcisse noir (The Black Narcissus, 1947) - ou bien encore de Dimitri Kirsanoff, un cinéaste français d’origine russe s’étant un temps illustré dans l’avant-garde cinématographique des années 1920. Si cette conversation avec le réalisateur de Enter the Void (2009) permet de préciser les contours du paysage cinéphile ayant nourri l’œuvre de Kenneth Anger, elle vient aussi démontrer que le réalisateur alors plus qu’octogénaire n’a rien perdu de cette verve qui irriguait Hollywood Babylone. On ne doute pas que spectateurs et spectatrices prendront un plaisir certain à entendre Kenneth Anger narrer la mystérieuse disparition des rushes de la première version de Lucifer Rising au terme d’un enchaînement d’événements mêlant un sac rempli de drogue, un chien du nom de Snowflake et la Charles Manson’s family... Enfin, le dialogue entre Gaspar Noé et Kenneth Anger met aussi en évidence la place centrale de l’occultisme - plus précisément celui professé par le Britannique Aleister Crowley dont l’ouvrage majeur s’intitule... Magick -, dans la filmographie de l’auteur de Invocation of My Demon Brother (1969). Car c’est sous le signe de Lucifer que se place le Magick Lantern Cycle... ainsi que le démontre encore le spectaculaire tatouage barrant la poitrine de Kenneth Anger. Et que ce dernier, en showman achevé, exhibe au public de la vénérable institution qu’est la Cinémathèque lors de ce même échange !

Forts des informations délivrées par Les sortilèges de Kenneth Anger et par la captation du passage de Kenneth Anger à la Cinémathèque, nos angeriens et angeriennes (désormais plus tout à fait) néophytes pourront ensuite aborder les deux derniers bonus proposés par Potemkine. Sans doute plus complexes, ces suppléments répondront certainement aux attentes de celles et ceux désireux d’approfondir leur lecture de l’œuvre de Kenneth Anger. La conversation de plus d’une demi-heure entre Jean-Baptiste Thoret et Olivier Assayas s’avère, à ce titre, absolument passionnante. S’appuyant sur le livre que le réalisateur d’Irma Verp (1996) consacra à Kenneth Anger en 1999 - Eloge de Kenneth Anger dont Potemkine reproduit des extraits bellement illustrés dans un livret joint au coffret (1) -, le dialogue met en évidence l’importance du Magick Lantern Cycle dans l’Histoire du Septième Art. Olivier Assayas fait ainsi la brillante démonstration que les courts métrages de Kenneth Anger ne doivent pas être réduits au statut de curiosités underground pour amateurs et amatrices de métrages étranges et sulfureux. Puisque selon lui, ces œuvres développent une pensée essentielle aussi bien sur la généalogie esthétique de l’acte cinématographique - les films du Magick Lantern Cycle sont autant de déclinaisons réflexives sur les formes premières du cinéma - que sur le sens même de celui-ci : en substance, la cinématographie est de tous les arts celui qui aura permis de pousser le plus loin le désir de rendre visible l’invisible. Décidément fort fin lecteur de Kenneth Anger, Olivier Assayas met aussi en évidence les jalons dans la représentation d’une modernité alors en construction - sociologique, sexuelle, visuelle - que constitue ce pan tant souterrain que fondateur de l’Histoire du cinéma, initié par Fireworks et clos par Lucifer Rising.

D’une rigueur intellectuelle certes moins prononcée, River of Anger d’Antoine Barraud - le quatrième des suppléments proposés par Potemkine - n’en présente pas moins un certain intérêt. Ainsi que nous l’évoquions au début de cette chronique, ce documentaire de presque quarante minutes réalisé en 2007 par l’auteur du récent Dos rouge (2014) prend le parti de restituer une rencontre avec Kenneth Anger selon des choix formels inspirés par ceux présidant au Magick Lantern Cycle. Les dix premières minutes de River of Anger consistent, par exemple, en un cadre quasi-exclusivement noir duquel se détache la voix de Kenneth Anger évoquant la place majeure du rêve parmi ses sources d’inspiration. N’apparaissent ponctuellement à l’écran que d’incertains photogrammes, empruntés à des films d’Edgar G. Ulmer - Détour (Detour, 1945) et Le Démon de la chair (The Strange Woman, 1946) -, émergeant puis s’effaçant à la manière de visions oniriques. Cette manière qu’a Antoine Barraud d’illustrer cinématographiquement la logique narrative du rêve, dont se réclame Kenneth Anger, s’avère plutôt séduisante. On est en revanche un peu moins convaincu par son choix de filmer de façon volontairement et systématiquement floue Kenneth Anger lorsque celui-ci vient, notamment, à s’exprimer sur la présence du nazisme dans Scorpio Rising. Peut-être s’agissait-il de donner à voir l’ambiguïté idéologique de Kenneth Anger ? Toujours est-il que le résultat s’avère à la longue plus lassant que convaincant. D’autant plus que Kenneth Anger lève par ses paroles toute équivoque en la matière, précisant que nullement favorable au national-socialisme, il fait un usage volontairement provocateur des références iconographiques à l’idéologie hitlérienne.

Sans doute le plus imparfait des quatre bonus proposés par Potemkine - mais aussi le plus risqué... - River of Anger n’est donc pas exempt de points de vue in fine stimulants sur Kenneth Anger. S’ajoutant aux Sortilèges de Kenneth Anger, ainsi qu’aux échanges entre Kenneth Anger et Gaspar Noé d’une part et Jean-Baptiste Thoret et Olivier Assayas d’autre part, River of Anger vient donc former un ensemble de suppléments permettant de prolonger de manière plus qu’enrichissante la découverte du Magick Lantern Cycle. Une œuvre essentielle à laquelle Potemkine a consacré un travail éditorial - sans doute l’aura-t-on compris... - pleinement à la hauteur de son objet !


(1) Riche de quarante-cinq pages, ce livret reproduit en outre le storyboard de Puce Women, un film inachevé de Kenneth Anger dont ce dernier tira par la suite Puce Moment (1949). D’une troublante élégance, les dessins de la main-même de Kenneth Anger viennent aussi bien éclairer le soin préparatoire apporté par celui-ci à son art cinématographique que l’ampleur des talents graphiques du réalisateur. Ledit livret comprend en outre une filmographie illustrée du Magick Lantern Cycle achevant de faire de celui-ci un très beau complément imprimé aux bonus audiovisuels du coffret.

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Par Jean-Gavril Sluika (technique) et Pierre Charrel (bonus) - le 29 juin 2015