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Test blu-ray
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Le Cuirassé Potemkine

BLU-RAY - Région B
Potemkine
Parution : 4 décembre 2018

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Bien que nous soyons depuis longtemps habitués à une certaine forme d'exigence quant à nos attentes concernant le rendu technique des éditions en haute définition, et ce même avec des films muets ou très anciens, il faut bien reconnaître que la tâche s'avérait ardue avec une œuvre telle que Le Cuirassé Potemkine. Plusieurs fois interdit, censuré, remonté, disponible dans différentes versions de qualité technique lamentable, ce film a subi tant d'avanies au point qu'une certaine forme de tolérance s'impose. L'éditeur Potemkine (associé à mk2) propose ici la version restaurée en 2005 par la Cinémathèque allemande (déjà sortie en DVD) qui depuis fait référence pour être la plus complète possible. Le master du Blu-ray auquel nous avons affaire en 2018 prend cette base et semble avoir été nettoyé et traité au mieux pour satisfaire aux nécessités de la haute définition. Sans surprise, la copie est régulièrement parsemée de petites rayures et de points blancs et noirs mais tous ces scratchs paraissent comme atténués, permettant ainsi un vrai confort de visionnage (en fait, on parvient à ne plus y prêter attention la plupart du temps). Et si l'instabilité du cadre typique du cinéma muet est amoindrie, elle a été légèrement conservée probablement pour des critères de fidélité. Dans le même ordre d'idée, aucun bidouillage numérique n'est à déplorer. Si l'on relève évidemment des scènes et des plans plus abimés que d'autres, il faut admettre qu'on a devant nos yeux un master généralement de très bonne facture, affichant une belle luminosité et des contrastes probants avec une échelle de gris nuancée (même si quelquefois trop lumineux). La définition générale est variable selon les plans (et sans doute les sources) mais l'aspect HD est bien rendu et certains gros plans présentent même un piqué magnifique (le grain de peau et les étoffes en témoignent). Enfin, la copie possède une belle texture granuleuse, même si le grain est parfois épais, respectant ainsi l'aspect argentique pour cette œuvre de patrimoine essentielle. En conclusion, malgré des scories attendues et inévitables, le contrat HD est donc rempli, Le Cuirassé Potemkine n'a jamais aussi bien resplendi.

Son

Cette édition comporte trois pistes sonores : la bande-son originale écrite par Edmund Meisel pour la sortie allemande en 1926, la bande-son composée par Del Rey & The Sun Kings en 2007 et la bande-son composée par Zombie Zombie en 2009. La version de Meisel réorchestrée est propre et possède une belle dynamique, elle propose une spatialisation frontale bienvenue sur les trois enceintes avant grâce à un mixage multicanal. Les deux autres pistes sonores récentes présentent une qualité technique parfaite : elles sont d'une très grande limpidité, profondes, dynamiques et très bien étagées, et bénéficient d'un mixage stéréo assez immersif. La vision du film avec ces deux compositions modernes, qui mêlent instruments classiques et électroniques, apportent aux images d'Eisenstein un contrepoint très marqué et constituent avant tout une expérience audiovisuelle que chacun est libre d'apprécier.

Suppléments

Pour cette sortie événementielle, Potemkine annonce avec fierté la version la plus complète du film jamais présentée. Compte tenu de l'effort éditorial, on peut sans hésitation ajouter qu'il s'agit également de l'édition vidéo la plus ambitieuse au monde du chef-d'œuvre de Sergei M. Eisenstein puisque, au-delà de la facture technique plutôt séduisante du Blu-ray, les suppléments proposés sont nombreux et surtout passionnants. Avec au premier chef l'excellent documentaire L'Utopie des images de la Révolution russe, réalisé par Emmanuel Hamon, disponible sur le Blu-ray et également sur un troisième disque (un DVD). On se doit de saluer également le magnifique Steelbook noir et or qui accueille cette nouvelle édition.

Le Cuirassé Potemkine, version sonore allemande de 1930 (49 min - 4/3 - DTS-HD MA 2.0 - VOSTF - SD)
L'éditeur présente ici ce qu'il faut considérer comme simplement une curiosité, ni plus ni moins. Il s'agit de la reconstruction numérique de la version allemande datant de 1930 sur gramophone, effectuée sous la direction d'Enno Patalas (le responsable de la restauration de 2005). Cette version écourtée du Cuirassé Potemkine, introduite par plusieurs intertitres explicatifs, fut adaptée (et remontée) par Piel Jutzi et distribuée par la société Prometheus-Film, propriétaire du négatif, à destination du public allemand. Des dialogues ont été écrits spécialement pour les images afin d'obtenir un film sonore ; la redondance est bien sûr de mise avec les plans filmés par Eisenstein mais à ce niveau de réappropriation, il ne sert plus à rien de s'offusquer. Surtout que le montage scrupuleux établi par le cinéaste est régulièrement modifié, la séquence à Odessa s'apparentant même à un véritable saccage dans ce domaine. Un supplément à l'intérêt limité, réservé aux plus curieux.

Sur les traces du Cuirassé Potemkine (42 min 20 - 4/3 - DTS-HD MA 2.0 - VO STF - 2007 - SD)
Sous-titré "documentaire sur l'histoire du film et sa restauration", ce film allemand réalisé en 2007 recueille les témoignages de Naum Kleeman, historien du cinéma, d'Enno Patalas, responsable de la restauration de 2005, et du compositeur Helmut Imig. Abondamment illustré par des extraits du film, des photos d'archives et quelques images du tournage, ce documentaire renseigne sur le destin particulier du Cuirassé Potemkine, tourné à l'occasion des conférences sur la révolution de 1905, et sur ses nombreuses déconvenues jusqu'à sa récente reconstruction. Cette œuvre est caractérisée par une « longue histoire germano-russe » depuis son premier succès public à Moscou. On en apprend donc beaucoup sur le cheminement du négatif entre les deux pays (il a été vendu à la société allemande Prometheus, qui a importé le film et modifié son montage) et sur les différentes censures effectuées à Berlin (avec l'hypothèse de la participation d'Eisenstein, notamment pour modifier la scène de l'assassinat du matelot) et en URSS.


Sont abordés : la collaboration avec le compositeur Edmund Meisel et la quête obsédante d'un rythme rapide, la restauration de cette musique qu'il a fallu rallonger, les coupes faites dans le négatif, le retour de celui-ci en URSS dans les années 30 ou 40, la version sonore soviétique de 1950 encore plus mutilée. On nous présente quelques différences entre les versions pour les plans les plus violents de l'escalier d'Odessa. Des documents d'archives de la VGIK, l'école de cinéma de Moscou, montrent aussi des plans non retenus par Eisenstein et des photogrammes de la copie de 1926. Enfin est évoquée la version russe de 1976 supervisée par Kleeman, avec la musique de Chostakovitch allongée pour s'adapter au score. Le film s'achève par des comparaisons entre les versions de 1976 et de 2005, une brève description technique de la restauration (de l'image, des intertitres) et par un mystère au sujet de la colorisation du fameux drapeau rouge. Voilà donc un documentaire instructif et enlevé, très intéressant aussi par les désaccords existants entre Kleeman et Patalas quant aux choix effectués pour la reconstruction et la restauration du Cuirassé Potemkine.


Naissance d'un cinéma révolutionnaire (17 min 15 - 4/3 - DTS-HD MA 2.0 - 2008 - SD)
Ce supplément paraîtra très familier aux fidèles de l'excellent Blow up, le court programme de cinéma diffusé sur arte.tv et créé en 2010 par Luc Lagier, dont la voix chaleureuse et le ton bienveillant, associés à une grande culture cinéphile et à une faculté à condenser l'analyse, créent une sorte d'addiction jubilatoire. Ce journaliste et écrivain de cinéma reprend ici la formule (ponctuations visuelles, montage étudié, commentaire à la fois ludique et didactique) qui fait le succès de ses modules sur Internet, pour nous parler de Sergei Eisenstein et des premières années du cinéma soviétique. Il passe rapidement en revue les grands événements depuis 1905 jusqu'à la révolution d'Octobre, puis les dates principales de la vie d'Eisenstein avant d'évoquer son début de carrière (sa formation théâtrale, les influences de l'avant-garde russe des années 1920, l'élaboration de ses principes de mise en scène et surtout de montage jusqu'à son premier film, La Grève). Lagier aborde ensuite bien sûr Le Cuirassé Potemkine (l'historique du projet, le tournage) et livre une analyse filmique succincte dont il a le secret pour mettre en lumière le "mouvement cinématographique" selon Eisenstein et sa vision du montage, ainsi que les concepts de "naissance et de contamination du mouvement révolutionnaire", exemples visuels à l'appui (essentiellement tirés de la séquence de l'escalier d'Odessa).


Survivances et antécédents du Cuirassé Potemkine (10 min 25 - 1.78 et 4/3 - DTS-HD MA 2.0 - 2018 - HD)
Sous-titré "Eisenstein au miroir de Zamiatine par F.A." Ecrivain, Evgueni Ivanovitch Zamiatine fut d'abord un ingénieur naval avant la révolution de 1917 puis devint membre du Parti Social-démocrate à tendance bolchévique. Il travaillait comme stagiaire dans le port d'Odessa quand éclata la grève générale de 1905 et lorsque le cuirassé Potemkine entra dans la rade. Il en tira alors la nouvelle Trois jours, parue en 1913 et dans laquelle il raconte ces événements, et son style littéraire fut appelé "écriture cinématique" par Eisenstein. On retrouve dans ce document le professeur François Albera, qui nous explique la proximité entre les "images" de l'écrivain et celles du cinéaste malgré les différences qui caractérisent leurs oeuvres respectives. Albera nous lit plusieurs extraits de la nouvelle de Zamiatine, illustrés par des photogrammes extraits du Cuirassé Potemkine. On y relève de cette manière des correspondances habiles entre le texte littéraire et les plans tournés par Eisenstein.


Entretien avec François Albera, historien du cinéma (1.78 - DTS-HD MA 2.0 - 2018 - HD)
Ce supplément est divisé en trois sections : Eisenstein avant Potemkine, Analyse du Cuirassé Potemkine et Les différentes versions.
Eisenstein avant le Cuirassé Potemkine (21 min 33). François Albera est professeur d'histoire et d'esthétique du cinéma, spécialisé dans les avant-gardes et le cinéma soviétique. Dans cette première partie, il nous entretient de la personnalité de Sergei Eisenstein. Il évoque son origine bourgeoise, sa soif de culture, sa formation théâtrale, sa période militaire dans l'Armée rouge, sa découverte des artistes d'avant-garde. Albera nous précise comment le futur cinéaste s'est imposé dans le monde de l'art russe en effervescence grâce à des mises en scène théâtrales audacieuses, avec pour ambition de créer des chocs pour les spectateurs. Il décrit son passage au grand écran avec sa troupe tout en restant fidèle à son approche artistique ("dissoudre l'art dans l'ordre social"). La Grève impose Eisenstein dans le monde du cinéma, lui qui est parti des principes du Ciné-Œil de Dziga Vertov pour vite s'en affranchir afin d'imposer ses "idées du choc" qu'il théorise dans ses manifestes. Enfin, on apprend son admiration pour Joyce et Ulysse, pour son monologue intérieur et ses associations libres.

Analyse du Cuirassé Potemkine (27 min 51). L'historien nous parle ici précisément du Cuirassé Potemkine, un film commandé à Eisenstein pour commémorer la révolution de 1905. Il aborde l'historique du projet ("l'année 1905 devait en être le sujet") qui se réduit à l'épisode du Potemkine par manque de temps, l'importance du mouvement social qui en est au cœur, la théorisation du montage. Albera livre quelques pistes de lecture analytique : le refus de l'individualisation, la distribution précise par Eisenstein des mouvements selon les personnages, l'influence du cubisme dans la "déconstruction du mouvement continu", "l'articulation entre le Ciné-Œil et le constructivisme de la réalisation", la notion essentielle de conflit. Il s'attarde sur la séquence finale de la confrontation attendue entre le Potemkine et l'escadre impériale. Il développe enfin l'idée de la réappropriation du montage par le public en citant pour exemple les images des trois statues des lions, dont la succession rapide simule un mouvement, qui symbolisaient l'effroi des autorités devant la réplique du Potemkine suite au massacre des civils, avant que les spectateurs plus tard voient dans cet effet "animé" le réveil du peuple.

Les différentes versions (20 min 21). Dans cette dernière partie, François Albera expose les raisons de l'existence des différentes versions - dues à des manipulations constantes (même de la part des cinéastes eux-mêmes), aux projections différentes selon les salles commerciales, les salles d'entreprises ou le cinéma itinérant. Sans s'y attarder particulièrement, il explicite évidemment le rôle de la censure, qu'il remet d'ailleurs en perspective. Pour Le Cuirassé Potemkine, Albera va lister ses principales versions. La version longue pour la première projection prestigieuse au Bolchoï ; la version allemande muette avec ses changements ; une troisième version sonorisée germanique de 1930 avec des dialogues interprétés par un chœur ouvrier enregistré sur disques ; la version soviétique de 1950 à partir de contretypes et avec un montage "linéarisé" et des "rapports de causalité" (une version diffusée en France) ; la version de 1976 restaurée par Youtkevitch et Naum Kleiman, plus complète mais accompagnée de thèmes composés par Chostakovitch ; puis le travail accompli par la cinémathèque allemande en 2005 pour créer la dernière version en date à partir de copies positives en Angleterre et de copies allemandes. Albera estime que chaque version a sa validité et moque l'obsession actuelle pour la version définitive selon les volontés initiales supposées des cinéastes. Pour lui, enfin, la puissance du cinéma d'Eisenstein résiste à toutes les adaptations et restaurations.

Par Ronny Chester - le 8 décembre 2018