Voici le temps des assassins
Julien Duvivier n'est pas réputé pour porter un regard tendre et optimiste sur l'humanité. Son œuvre serait plutôt une exploration de la noirceur de l'âme humaine : « Ma nature me pousse vers des thèmes âpres, noirs, amers. J'ai bien l'impression que nous traversons une ère où les gens ne s'aiment pas. » Il signe au milieu des années cinquante cette œuvre terrible, implacable, d'une noirceur absolue. Sa peinture d'une humanité scélérate, perverse, manipulatrice frappe toujours aussi fort aujourd'hui. Pourtant, le film démarre tranquillement sur un ton naturaliste. Duvivier nous fait ressentir avec brio la vie animée du quartier des Halles et d'un restaurant. Puis, avec l'arrivée de Catherine, le film dérape peu à peu, nous emporte vers l'abîme et la nuit, se fait de plus en plus inquiétant, abstrait, fantasmagorique presque. Catherine, magnifiquement incarnée par Danièle Delorme, est au centre d'un tourbillon qui entraîne Chatelin et son entourage. Elle synthétise tout ce que l'humain a de plus vil, mais elle est aussi une victime, un ange noir qui porte profondément en elle les cicatrices d'un grand mal social.
Si la Nouvelle Vague n'a pas eu que des mots tendres à son égard (Truffaut avait tout de même soutenu ce film en particulier) et s'il a été depuis plutôt oublié de l'histoire du cinéma français, Duvivier n'en est pas moins un cinéaste admirable. La précision de ses cadres, de ses mouvements de caméra, de l'emplacement des acteurs, du découpage et des lumières (il est ici superbement épaulé par le grand chef opérateur Armand Thirard)... tout ceci fait de Voici le temps des assassins un classique indémodable, une œuvre sombre qui atteint par moments les accents des grandes tragédies. Après Panique et La Belle équipe, voici donc le troisième film du cinéaste à retrouver le chemin des salles dans une copie restaurée. Et rendez-vous la semaine prochaine pour le dernier titre de ce cycle, l'admirable Fin du jour...
DANS LES SALLES
voici le temps des assassins
UN FILM DE julien duvivier (1956)
DISTRIBUTEUR : PATHE
DATE DE SORTIE : 13 AVRIL 2016
André Chatelin (Jean Gabin), restaurateur en vue du côté des Halles à Paris, voit sa vie bouleversée par l'irruption de Catherine (Danièle Delorme), la fille de son ex-femme Gabrielle. Catherine lui annonce que sa mère est morte et qu'elle se retrouve à la rue, sans ressources, pauvre âme perdue dans un Paris qu'elle ne connaît pas. Chatelin accepte de l'aider et la recueille sous son toit. Vieillissant, il se laisse mener par la jeune fille, incapable de voir qu'il a à faire à une personnalité calculatrice et sournoise. Elle commence par défaire les liens d'amitié qui unissent Chatelin et Gérard Delacroix (Gérard Blain), un jeune étudiant en médecine qu'André a pris en affection. Ce n'est que le début d'une longue descente aux enfers... (Lire la suite)