Bis repeta dans les mélo italiens avec la découverte du cinéaste Febo Mari, pour moi le plus talentueux des cinéastes croisés jusque la.
Cenere / Cendres (1915) est célèbre pour être la seule participation cinématographique de la grande comédienne Eleonora Duse qui s'était retirée des planches presque 10 ans plus tôt, vivant assez mal de se voir vieillir. Febo Mari a réussir à la convaincre de passer devant la caméra en lui prouvant l'apport que pouvait créer l'éclairage et en lui demandant de co-écrire le scénario. De plus ce dernier, également acteur, jouera son fils à l'écran.
Il en résulte un film assez détonnant quand on le compare à ses homologues qui privilégie la multiplication de péripéties et de personnages. Dans
Cenere, la narration est incroyablement épurée et se recentre essentiellement sur deux personnages, leurs états d'âmes au gré d'une poignée de séquences assez longues se déroulant en grande partie dans une petite mansarde aux murs dépouillés. Ça pourrait austère, froid et ça ne l'est jamais grâce à la qualité de son interprétation dans la retenue avec beaucoup de douleurs intériorisées, une atmosphère feutrée et pudique, et peu de gros plans (sans doute pour rassurer sa comédienne qui a également exigée une photo assez sombre pour masquer ses rides)
Cependant, ce scénario est tellement réduit à ses deux comédiens principaux que le contexte extérieur est trop rapidement expédié pour qu'on partage les tourments du duo. Mais le talent des comédiens et la qualité de la mise en scène en font un très beau film, poignant et noble tant dans son exécutions que dans ses ambitions.
Il fauno / le faune (1917) opère un changement radical de ton avec là aussi un désir de sortir des sentiers battus du genre (encore que je ne le connais que par la petite dizaine de films muets italiens vu jusqu'ici) avec une proche plus fantaisiste pour une grosse placée accordée à l'imaginaire : une jeune femme, amoureuse du sculpteur qui l'embauche comme modèle, s'endort dans son atelier avant d'être réveillée par la statue d'un faune qui vient de prendre vie et qui lui promet un vrai amour sincère.
Premier constat : c'est beau !
La photographie multiplie les clairs obscurs (nocturnes ou nom) avec un virtuosité permanente tandis que les nombreux extérieurs sont cadrés avec goût pour des repérages qu'on devine assez fouillés.
Et puis il y a ce climat à la fois romantique, poétique, païen, mythologique assez irrésistible et qui possède juste ce qu'il faut de recul et de second degré pour ne pas trop se prendre au sérieux sans sacrifier à la sincérité de son traitement.
Très belle découverte qui m'a ravi et surpris constamment.
Enfin
Maddalena Ferat (1920) est assez inférieur et souffre davantage des conventions mélodramatiques habituelles : Une jeune femme fuit un tuteur trop entreprenant, tombe amoureuse d'une homme insouciant qui est appelé à servir sous les drapeaux où il est rapidement porté disparu. Elle épouse un des amis de son ancien amant, devient maman... mais le mort ne l'est pas et revient faire culpabiliser ses camarades.
La narration n'est pas toujours habile lors de la présentation qui s'éparpille trop en confondant vitesse et précipitation. Celà dit, la seule copie existante est incomplète (il manque la troisième bobine) et on sent ailleurs des ellipses pas très naturelles.
Par contre, les circonvolutions narratives sont régulièrement contre-balancée par des petites touches d'humour, peu fréquentes dans le genre (comme ce fondu enchainé associant une mégère à une vieille chouette
!). Et Febo Mari peaufine une nouvelle fois sa mise en scène avec une utilisation intelligente des décors et du mobilier : des inscriptions sur le montant d'une fenêtre qui renvoie à un passé révolu ; une peau de félin (trophée de chasse) sur laquelle s'écroule l’héroïne, prête à se sacrifier par amour ; une grange filmée comme une église ; un escalier encadré par d'imposants murs qui devient une véritable descente aux enfers ; un voile devant le lit de l'enfant...
Celà donne un certaine intensité dramatique à la seconde moitié, pas loin de basculer dans la pure fièvre, où les personnages paniquent totalement face à ce revenant et agissant de façon incohérente.
Ce goût décoratif parvient ainsi à sauver aisément de la routine un sujet à priori anonyme.
Pour changer de cinéaste, tout en restant sur Febo Mari qui est ici simple comédien.
Tigre reale / tigresse royale (Giovanni Pastrone - 1916) commence assez mal avec sa vamp' mondaine qui se rit des hommes qu'elle provoque pour mieux les laisser tomber. J'avais peut de me retrouver face une transposition italienne de la
Femme et le pantin (dont toutes les adaptations m'ennuient au plus haut point) et heureusement, le film bifurque progressivement vers quelque chose de plus profond avec plusieurs flash-backs sur le passé de la "tigresse" qui ne manque pas de force ni d'émotion avec une réalisation qui essaie quelques trucs sur la profondeur de champs ou de légers travelling avant qui viennent appuyer la solitude ou l'abandon que subit la comédienne Pina Menichelli, elle aussi de plus en plus touchante.
Enfin, plus du tout de Febo Mari ni même de mélodrame mais on reste sur Giovanni Pastrone avec
La guerre et le rêve de Momi co-réalisé par Segundo de Chomon en 1917.
On voit très rapidement qui a fait quoi dans ce moyen-métrage de 40 minutes. La première partie (et moitié) signée Pastrone présente les personnages et le contexte (première guerre-mondiale) avec un grand-père racontant une histoire à Momi dont le père est parti combattre sur le front. La photo est belle mais on se demande où est-ce que cela va bien nous mené car l'histoire prend son temps et les enjeux tardent à se développer.
Il faudra attendre donc que Momi s'endorme et se mette à rêver pour comprendre la finalité, et l'intérêt du récit : 20 minutes d'animation en stop-motion tout simplement fantastiques et merveilleuses. C'est donc bien-sur évidement Segundo de Chomon qui s'occupe de ce segments où deux armées de jouets se livrent à une bataille. Il avait déjà utilisé à plusieurs reprises le stop-motions dans ses films trucs mais l'ambition qu'il déploie ici est un sacré pari qu'il remporte haut la main. C'est poétique, très abouti techniquement avec beaucoup d'imagination et des efforts pour créer un vrai univers visuel qui éblouit dans des paysages en maquettes très impressionnants.
Un bijou qui n'a pas vraiment vieilli et qui impressionne même à quelques reprises. Ca dépasse aisément le simple statut de curiosité historique (le premier "film" en stop motion).
Il faudra donc vraiment qu'un jour un véritable hommage soit rendu à Segundo de Chomon et lui redonne la place qu'il mérite parmi les pionniers du cinéma, loin du simple copieur de Méliès qu'il a pourtant dépassé.