encore un avis à l'arrache, en sortant de la séance.
je pensais qu'il y aurait plusieurs pages sur le film, du coup j'ai peu parlé tableau, époque... je me dis que j'aurais peut-être dû le faire, surtout si d'aucuns en sont encore à parler de "classicisme" (<- les guillemets c'est pour prouver que j'ai lu le topic et les propos autour du terme
)
En toute honnêteté, j’y suis allé à reculons.
Pour deux raisons. La première parce qu’à la suite de la bande annonce j’avais peur d’un film d’amour lesbien ou le lesbianisme ne serait qu’un prétexte. La deuxième c’est que j’avais peur d’un film de prof de français. Je n’ai rien contre les profs de français mais je me souviens de séances un peu lourdingues où il s’agissait d’aller voir un film « à thèse » et de disséquer le bouzin en fonction d’une grille de lecture uniquement littéraire.
Au moment des premiers dialogues, cette peur est revenue me serrer les viscères. Parce qu’il faut bien le dire : les dialogues sont écrits, les dialogues font sens. A part la faiseuse d’ange qui parle normalement (en maugréant deux mots), tout est sous contrôle, chaque mot est pesé…
Bien sûr c’est volontaire et bien sûr cela sert le propos du film, mais j’avoue avoir retenu mon souffle.
J’avais arrêté de lire l’avis dans Positif parce qu’il s’agit d’une exégèse autour du portrait (ce qui fait sans doute sens) et que j’avais envie de voir avant de réfléchir.
Bref.
Je ressors de ce film ému.
Ému, déjà par la beauté des images, par la beauté de l’histoire, par le choix des actrices et par le traitement au bulldozer du film.
Le parti pris de tout montrer semble facile pour un film qui parle de portrait de femme. Surtout que le titre renvoie directement à un reflet : la peintre fait le portrait d’une jeune fille en feu, tandis que le film fait le portrait de la peintre qui fait le portrait de la jeune fille. Mais, montrer les choses de cette façon, à ce point, j’ai trouvé ça osé et réussi.
Quand je parle de bulldozer ou de tout montrer, on pourrait croire que le film manque de subtilité, ce n’est absolument pas le cas. La subtilité est dans les images, dans les lumières, dans les détails (un saladier plein de pommes ici, le crépitement des bûches là, etc). Pour le reste, le film prend son sujet à bras le corps. La première scène nous donne à voir des portraits de femmes qui peignent.dessinent un portrait. L’image est belle, ni léchée, ni trop figée dans une gouache lumineuse éthérée, mais quand bien même, des portraits de femmes qui font un portrait pour parler d’un portrait… je me suis dit que ça risquait d’être lourd.
Et le film continu, sans moi, il se fiche de mon avis et poursuit son chemin, la peintre qui se jette à l’eau pour récupérer ses toiles, l’arrivée de nuit, le secret de devoir peintre sans le dire, la silhouette fantomatique de dos dans les feuilles mortes.. ; euh… ça commence à s’amonceler sévèrement dans le genre cliché.. ; c’est beau… mais bon.
Et puis, vous savez ce que c’est avec les effets d’accumulation, c’est comme les fous rire qui n’en finissent plus, ça fini par provoquer autre chose. Parfois ça tend au malaise, parfois ça tend au sublime.
Les regards appuyées, les lignes de dialogues et les déplacements hyper théâtralisés pour exprimer les contraintes et les conventions sociales, l’absence des hommes, l’océan qui se déchaîne, la broderie que l’on commence avec les fleurs fraîches et que l’on termine alors que les fleurs sont fanées (pour marquer le temps qui passe… mais surtout pour dire que le geste créatif engendre ce qu’il y a de plus permanent : une œuvre, un souvenir)., etc, etc.
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Des « moments qui font sens », il y en a à foison dans le film, de ces instants bancals dont on se dit « ouh là »… je pense à un moment où au premier plan Noémie Merlant est floue, au second plan (nette) Adèle Haenel lui fait une remarque et tandis que Merlant s’en va sous le coup de cette remarque, elle devient nette… dans le genre « effet appuyé », ça se pose là.
Alors, bien sûr, le film ne propose pas que le portrait de deux femmes qui tombent amoureuses et dont le destin fait écho à leur époque, c’est aussi l’occasion de parler de sujets féminins (comme l’avortement ou le mariage arrangé) mais toujours avec le même choix de tout montrer, d’aller jusqu’au bout. Si certains cuts sont assez brutaux, le rythme du film n’évolue pas, il reste suspendu, ni contemplatif, ni mou, dans un étirement constant des instants (avec peu de décors finalement). Les seules accélérations se font au tout début lorsque la peintre cherche à cacher sa condition et que la caméra la suit.
Ce parti pris est poussé à l’extrême lorsque pour faire son auto portrait Marianne, nue, place un miroir au niveau du sexe de son amante, nue elle aussi.
Je donne autant d’exemples (il y en a bien d’autres) parce que l’histoire est connue dès le début et que ce n’est pas sa finalité qui nous intéresse mais le comment. Un peu comme dans les romans policiers où l’on sait qui a tué mais que l’on cherche le mode opératoire. Cette peinture des sentiments c’est ce qui nous capte, nous attire.
Forcément Sciamma donne la clef avec la récitation du mythe d’Eurydice. Le « fantôme » d’Héloïse est d’abord la peur du futur, de la perte qu’apportera le lendemain, avant de devenir l’incarnation du souvenir à chérir, celui que l’on peut étreindre et chérir à jamais. De fait, comme tout est déjà joué d’avance, nous sommes moins dans une histoire que dans un souvenir.
Bien évidemment, nous sommes dans un tableau, ça crève les yeux et l’écran, les cadrages, la lumière, les décors, la direction des actrices… impossible de nier cela. Ça reviendrait à dire que Sciamma ne sait pas filmer ses actrices, ne parvient pas à capter la tension montante du désir… on peut y être insensible mais c’est au cœur de son propos, au cœur du film pendant deux heures. L’énoncer me semble enfoncer une porte ouverte. Après, il n’en reste pas moins que les actrices sont sublimes de retenu et de passion. En revanche, j’ai trouvé que le thème du souvenir ressortait du film par cet effet d’accumulation, parce que lorsque l’on se souvient, on ne peut pas se souvenir des choses insignifiantes, de ce qui ne nous a pas marqué, chaque moment, instant, geste, odeur, lumière qui œuvre à la réminiscence a du sens pour nous. Dans cette optique le film parvient à ordonner. Ça m’a fait penser à Boileau qui préciser que le sublime ce n’était pas que le très haut mais aussi réussir à organiser ce qui est désorganiser… j’ai trouvé de cette impression dans ce film.