Ratatouille a écrit :Demi-Lune a écrit :un personnage de flash-back, qui n'est là aussi, par essence, restitué que dans la reconstitution mentale de celle qui y repense
Donc à partir du moment où l'on parle d'un personnage de flashback, peu importe son taux de grotesquerie, on pourra toujours le légitimer du fait qu'il ne s'agisse que de la reconstitution mentale de celui ou celle qui y repense ? C'est pratique.
Non. Je ne le replace qu'au regard du film, et de sa construction qui invite de façon explicite à questionner le rapport spectateur/personnage du film avec le principe de narration, et par conséquent, à questionner ce qu'on est en train de voir.
Ce film est tout entier construit selon un dialogue entre un récit de méta-fiction (le manuscrit), des scènes présentes et des souvenirs de la part du personnage d'Amy Adams. En entremêlant ces trois récits qui deviennent une seule et même dynamique, le film rend donc volontairement poreuse la limite fiction/réel, et incidemment, crée peu à peu une faille dans le pacte de confiance qui se noue à chaque film entre le spectateur et le narrateur-démiurge qui orchestre tout ça, aka le réalisateur : la "fausseté" de la narration-manuscrit (qui nous est montrée comme telle) est de nature à entacher la véracité de l'autre mode de narration qui lui réponde et qui soit également subjectif, à savoir les souvenirs de Susan (les scènes présentes étant objectives, ou tout du moins plus difficilement soupçonnables). C'est un effet de contamination : on a deux récits sur trois qui sortent en fait indiscutablement de la tête de Susan. Le récit-manuscrit est une construction mentale et lui répondent des souvenirs dont nous ne savons pas trop par quelles associations d'idées ils surgissent. Je ne dis pas qu'il
faut douter de ces flash-back, mais que la manière très subtile dont est fait le film
peut tout à fait nous en faire douter, et y gagner ainsi un nouveau niveau de lecture totalement raccord. Or, à partir du moment où l'on considère que le film est une psychanalyse, cette prudence que l'on peut porter à l'égard de l'objectivité des souvenirs de Susan amène logiquement à porter un regard distancié sur eux, et notamment sur cette fameuse scène de la mère, puisqu'on sait que Susan a fait d'elle une figure-repoussoir structurante. Susan repense à tout ça
en réaction au livre, dont nous savons qu'il ne s'agit déjà que d'une traduction visuelle de sa psyché (on s'imagine tous les situations ou les personnages d'un livre qu'on lit) : ce mécanisme de réaction a donc nécessairement une valeur psychanalytique. A partir de là, je distingue deux options, qui coexistent parfaitement dans le film : ou sa mère était effectivement une caricature de vieille bourgeoise vulgos (première lecture), ou le travail de psychanalyse initié par le bouquin pousse Susan, qui repense indistinctement à tout ça, à charger le trait sur la représentation freudienne qu'elle se fait de sa mère, afin de se rassurer dans les choix qu'elle a faits dans sa vie
en réaction à (comme pour le livre).
En fait, pour le dire beaucoup simplement, je m'étonne que l'on prenne pour argent comptant tout ce que montre ce film, alors qu'il s'amuse justement tout du long à répéter qu'une histoire n'est qu'une vue de l'esprit.