Your Name (Makoto Shinkai - 2016)
Publié : 9 déc. 16, 19:25
Mitsuha, adolescente coincée dans une famille traditionnelle, rêve de quitter ses montagnes natales pour découvrir la vie trépidante de Tokyo. Elle est loin d’imaginer pouvoir vivre l’aventure urbaine dans la peau de… Taki, un jeune lycéen vivant à Tokyo, occupé entre son petit boulot dans un restaurant italien et ses nombreux amis. À travers ses rêves, Mitsuha se voit littéralement propulsée dans la vie du jeune garçon au point qu’elle croit vivre la réalité... Tout bascule lorsqu’elle réalise que Taki rêve également d’une vie dans les montagnes, entouré d’une famille traditionnelle… dans la peau d’une jeune fille ! Une étrange relation s’installe entre leurs deux corps qu’ils accaparent mutuellement. Quel mystère se cache derrière ces rêves étranges qui unissent deux destinées que tout oppose et qui ne se sont jamais rencontrées ?
SPOILERS.
Vu en avant-première hier soir. Pressé par le temps, je ne suis pas resté après le film pour l'intervention du réalisateur en personne, Makoto Shinkai. #3615jeracontemavie
En guise de propos liminaire, il faut savoir deux choses. La première, c'est que Makoto Shinkai s'impose depuis le milieu des années 2000 comme l'une des étoiles montantes du cinéma d'animation japonais, grâce à quelques films remarqués, mais peut-être surtout, paradoxalement, grâce à un court-métrage intitulé The garden of words (seul Shinkai que j'avais vu à ce stade), qui pourrait constituer la quintessence de son style très pictural et photo-réaliste en termes d'environnements naturels et urbains, et très porté sur le mélo en termes d'intrigue et de style. La seconde chose à savoir, c'est que son dernier-né, Your name, adapté de son propre manga, fait un carton historique au Japon au box-office, atteignant le top des films les plus vus et devenant le premier film d'animation le plus plébiscité après Le voyage de Chihiro, qui était déjà lui-même un carton miraculeux.
Maintenant, revenons au film. Cette espèce de quête irrépressible consistant à trouver absolument à Hayao Miyazaki un héritier fait s'affronter aujourd'hui plusieurs prétendants, et là où Mamoru Hosoda s'est un peu pris les pieds dans le tapis l'année dernière avec l'inégal Le garçon et la bête, Shinkai fait aujourd'hui péter les statistiques dans une situation qui laisserait rêveur en Europe (imagine-t-on un film d'animation battre tous les records de fréquentation salles?). Le parallèle Hosoda/Shinkai est tentant, mais reste pour autant artificiel tant le Cinéma des deux auteurs diverge en termes graphiques et thématiques. Affectionnant les environnements graphiques très travaillés et détaillés, enveloppés de nuances de bleu ou de rose, qu'ils soient naturels ou tokyoïtes, Shinkai semble par ailleurs volontiers bien plus porté sur des histoires d'amour impossibles, ce qui en fait un "héritier" de Miyazaki en trompe-l’œil. Cette étiquette qu'on veut maintenant lui attribuer s'avère réductrice dans le sens où son univers est très personnel et autonome.
Cet univers, il n'est pas difficile de comprendre en quoi il attire massivement le public japonais avec Your name. Ce film se confronte, par l'allégorie, à un drame national encore vif, et cherche à en conjurer son impact grâce à la magie, aux possibles du médium Cinéma, renforcé par le prisme de l'animation, vecteur de l'imaginaire par excellence, qui permet tout. Shinkai offre une sorte de catharsis collective et réactive l'espoir au gré d'une histoire de salut et d'amour qu'on pressent, bien avant sa conclusion, se diriger vers une résolution régénératrice. Je crois donc qu'il faut garder un certain recul par rapport au triomphe public qui est réservé au film au Japon, car, sans vouloir déprécier la sincérité du public et leur affection pour le travail proposé par Shinkai, je crois qu'il y a nécessairement une dimension psychanalytique et affective qui rentre en ligne de compte et qui affecte la stature du film.
De mon côté, c'est la déception qui domine, écho positif ou non... Shinkai peaufine son style graphique et atteint ici une forme de plénitude, qui fait de Your name un film formellement splendide à regarder. Que ce soient les détails modernes du quotidien (les sms sur smartphone...), les artères grouillantes de Tokyo ou la baie calme du lac Itomori, on y est, on les formalise, on y plonge notre imagination. Mais, j'ai envie de dire, c'était le minimum à attendre de la part de l'homme derrière The garden of words... c'est bien sur le fond que le bât blesse, car de ce côté-là, le réalisateur n'a pas dépassé les limites qui s'étaient déjà faites voir (à une échelle moindre, du fait du format) dans son précédent travail. Et c'est malheureusement rédhibitoire. En effet, l'affection de Makoto Shinkai pour le mélodrame bute contre une expression lourdingue, mielleuse, sur-signifiée (on a envie que les personnages se taisent, parce que c'est bon, on a COMPRIS), assaisonnée de chansons J-Pop qui renvoient le film au statut d'objet culturel pour ados difficilement assimilable, en tout cas indiscutablement moins universel que les films de Miyazaki. Les meilleurs moments du film se nichent en creux, en suspension, lorsque Shinkai a enfin confiance en son public et ne se croit pas obligé de tout surligner ou expliciter. Dans un même mouvement, je trouve qu'il y a un problème de narration, qui fait que le cadre du film est bizarrement planté et qu'on assimile un peu en marche forcée les personnages, leurs liens et les enjeux, comme s'il nous manquait plein d'éléments et qu'il fallait qu'on comble le gruyère de nous-mêmes. C'est un parti-pris qui aurait pu être stimulant, mais qui trahit surtout à mon sens les travers de Shinkai déjà relevés dans The garden of words. Les deux héros, Mitsuha et Taki, ne s'imposent pas avec cette évidence dont sont régulièrement coutumiers les grands noms de l'animation nipponne. Par ailleurs, si le pitch de Your name est prometteur, la retenue japonaise (ou le calibrage de son public) empêche l'approfondissement que le film appelle ostensiblement sur la sexualisation de cet échange (le running-gag du palpé de seins ne doit pas faire illusion sur l'"audace" du propos), ce qui conduit à des situations gentiment amusantes mais surtout terriblement convenues - l'impression, encore une fois, de voir une comédie dramatique pour ados bien loin des subtilités espérées. Le déroulé du film devient par conséquent celui d'une série de bonnes idées non exploitées... comme par exemple le personnage de Mlle Okudera. Indéniablement, le film est riche du point de vue de sa construction, avec des ruptures de tons, des flash-back/flash-forward mêlés, mais je crois que Shinkai a vraiment besoin de franchir un cap en matière de scénarisation car il est regrettable de voir un tel talent graphique (soyons clair, c'est lui qui fait les plus beaux films d'animation nippon aujourd'hui) être gaspillé dans des histoires guimauve pareilles.
Mais bon, l'adhésion ou non à un mélo représentant une ligne de crête très variable, je souhaite que Your name puisse quand même trouver son public en France, même s'il ne rencontrera évidemment pas le même plébiscite qu'au Japon.