Plusieurs jours après le clap de fin signé Audiard, le sort de cette cinquième saison n'en finit pas de me laisser déchiré... Rochant a dit un nombre incalculable de fois que c'était personnellement sa dernière en tant que showrunner, qu'il voulait quitter son grand-œuvre avant de perdre l'inspiration et la passion, et à cet aune, il faut sans doute considérer cette saison moins comme une "nouvelle livrée" fidèle au cahier des charges, que comme une postface où tout serait déjà joué depuis longtemps. Pour le dire autrement, la vue d'ensemble donne l'impression d'avoir affaire à un édifice en 4+1... cette cinquième saison aura sans doute toujours un statut un peu particulier, celui du "désamour" - un peu, toutes proportions gardées, comme
Le parrain 3 (que j'adore).
L'objectif affiché était de pénétrer l'intériorité de ces personnages rendus maîtres dans la dissimulation, et c'est diversement réussi : scènes de coucheries hors sujet côtoient des potentiels diversement exploités au regard des répercussions professionnelles que cela devait provoquer pour les personnages (la psychose de JJA, essentiellement, mais aussi le sort de Malotru, réglé dès la fin du premier épisode, sa loyauté retrouvée, la pression subie par le frêle Pacemaker, les questionnements moraux de Mille Sabords), alors même que le rythme ronronne pour s'attarder censément sur cette dimension psychologique. On perd singulièrement toute la "saveur"
Bureau des légendes avec recueil de renseignement humain, réunions sous tension dans la salle de crise...
Avec son regard où l'on ne sait jamais vraiment s'il est complètement fêlé ou d'une clairvoyance visionnaire, Amalric s'impose cependant comme l'homme fort du projet, avec Alexeï Gorbounov dont le visage émacié restera longtemps en mémoire. Leur duel est une des réussites de cette saison.
Très inégale (cette cyberattaque complètement naze dans l'hôpital belge avec cette RSSI qui a des poussées de lait mammaire), s'égarant souvent dans un entremêlement d'intrigues qui, quoique séduisantes sur le papier pour leur ampleur internationale (Russie, Arabie saoudite, Cambodge, Égypte), ne mèneront pour la plupart pas bien loin (la mission de Marie-Jeanne, la tension sexuelle avec son garde du corps) ou promettaient tellement plus (la gestion de l'infiltration de Pacemaker, la mission de Mille Sabords), il aura, en définitive, fallu attendre la moitié du parcours pour que les choses se réveillent enfin, avec un engrenage infernal culminant dans les épisodes 7 et 8. Derniers épisodes mis en boîte par Rochant, ils retrouvent la veine magistrale de la série, avec une tension insoutenable et un brio narratif qui faisaient cruellement défaut à l'édifice depuis un bout de temps. Whaou.
Les deux derniers épisodes d'Audiard achèvent (au propre comme au figuré) un cycle auquel Rochant, trop proche de ses personnages, ne se sentait peut-être pas lui-même capable de donner le point final et logique... Eux aussi boiteux à leur manière, porteurs en leur sein d'une tension insoluble entre le souci d'une appropriation personnelle en peu de temps et une démarche conclusive, ils évacuent inexplicablement plusieurs protagonistes dont on pouvait légitimement attendre (au moins pour JJA) une résolution dramatique forte. Il manque clairement une "grande" scène entre JJA et Karlov, on ne peut pas monter en épingle leur contentieux pendant toute une saison et ne rien en faire le moment venu. Laisser des tas de choses en plan comme ça est forcément source de frustration, au regard de l'investissement émotionnel du spectateur. Mais, malgré des aberrations scénaristiques (à quoi bon lancer une nouvelle sous-intrigue sur la nana d'Artus à ce stade?? depuis quand on laisse un transfuge se balader sans surveillance dans les rues de Paris, alors qu'il vient tout juste de trahir son pays?? et SURTOUT
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Malotru qui a compris que Karlov va forcément se venger d'une manière ou d'une autre, et qui ne pense à aucun moment que cela puisse s'exercer contre lui, c'est-à-dire, contre ceux qu'il aime... wtf?? C'est une couleuvre beaucoup trop grosse à avaler, devant, certes, permettre le grand accomplissement de la damnation faustienne, mais qu'il aurait été tellement facile de rendre plus acceptable sur le plan scénaristique... il suffisait que Malotru demande à la DGSE les services d'un garde du corps pour Nadia, après tout elle aussi réfugiée... Adjoindre un garde du corps à Nadia aurait rendu la scène de son assassinat moins douloureuse à regarder sur le plan de la crédibilité
), et malgré la tristesse infinie que je ressens personnellement face à cet aboutissement (tout ça pour... rien), il y a matière à être admiratif face aux partis-pris d'Audiard, à la fois respectueux de l'esprit général de la série (la succession au poste de Directeur du renseignement) et iconoclaste. Un peu comme pour
Le parrain 3, donc, en y réfléchissant il ne pouvait pas y avoir d'autre fin que celle-ci, et le réalisateur la vend d'une manière qui poursuit durablement en mémoire. Je repense à cette fin du
Bureau des légendes comme peu d’œuvres ces dernières années... des sentiments très contradictoires, oscillant de la déception à la reconnaissance. C'est une sensation très étrange, pas celle que je pensais (et espérais) éprouver, mais très stimulante et obsédante. En soutien à Audiard face au shitstorm, Rochant affirme que le temps leur donnera raison... et je crois que c'est exactement ça, ils ont eu les couilles de faire un pas de côté foncièrement clivant pour mieux marquer les esprits.
Dire que cette exceptionnelle création s'achève fait vraiment mal au cul.