Scytales a écrit :Bonjour.
J'ai quelque peu de mal à admettre Lawrence d'Arabie dans le cénacle des "chefs-d'oeuvres absolus".
Les confrontations de personnalités (et d'acteurs) sont intéressantes dans leur propos, et auraient dû donner lieu à un traitement nuancé, une montée en puissance de la dramaturgie autrement plus subtile que ce qui est réalisé dans le film, qui peine à aller au-delà de la mise en oeuvre esthétisante du cliché.
La scène introductive - largement coupée dans la version originellement distribuée dans les salles- résume assez bien ce que sera le traitement des personnages. Lawrence offre les cigarettes de son compagon avec une emphase appuyée; ainsi sera-t-il: peinture par le détail caricatural et grandiloquence.
Lawrence est d'une trop désarmante ingénuité lorsqu'il s'attache le respect et l'admiration de son guide lors de son voyage vers l'Arabie en lui offrant son révolver.
Le traitement de l'histoire des deux pauvres hères que Lawrence prend à son service, histoire qui fait valoir la bonté du héros, frise le ridicule dans une épopée qui aurait gagné à se passer de ce genre ficelles scénaristiques.
La scène où Peter O'Toole, sa peau laiteuse mise à nue, est confrontée à l'officier ottoman manque cruellement de force; il faut réfléchir pour comprendre la portée qu'aurait dû revêtir cette épisode: l'humilation par procuration de l'homme blanc, la permutation des rôles entre les victimes et les bourreaux du racisme dans notre culture, une situation qui devait interpeller, mettre le spectateur mal à l'aise. Et pas ce plan sur le visage débile du soldat turc, plan qui ramène les choses dans leur ordre occidental... Ouf! Ce n'était qu'un mauvais (oui, mauvais) rêve. Mais que se passe-t-il? Lors de la vision de la scène, on ne comprends vraiment ni pourquoi Lawrence aligne l'offcier, ni pour quel motif celui-ci voulait depuis le début le battre. Et pour cause: le jeu de O'Toole manque terriblement de lisibilité.
Peter O'Toole, qui, avec son physique de poupée de porcelaine et son air de perpétuelle ébahi, réussit peut-être, dans les moments les plus sobres, à assumer son rôle d'illuminé messianique, mais qui n'affiche aucune réelle crédibilité dans celui de chef de guerre, de figure de proue. La détermination trop schématique d'un Lawrence qui s'en revient annoncer la victoire d'Akaba dans le mess des officiers manque de force. Où est la folie, l'effrayante cruauté du Lawrence qui sonne la charge sur une colonne en déroute? Pas dans la composition de l'acteur. Pour un peu, je préférerais le séance de "pétage de plombs" du futur Vador dans l'Attaque des Clones... On se demande aussi qui est cette grande silouette qui se fait giflé dans l'hopital militaire de Damas "libéré"... une scène qui tombe pour ainsi dire à la fois à plat et à pic pour conclure sur la qualité interpétative du film, singulièrement dans son rôle-titre. On peut penser qu'un traitement du personnage façon Les Vikings, sombre et plus sobre tout le long du film, aurait été bienvenu pour contre-balancer la nature de Peter O'Toole.
Certains seconds rôles me paraissent beaucoup mieux joués, si l'on excepte la faconde appuyée d'une caricature (encore une) du représentant civil du gouvernement britannique. Dommage que McQueen n'ai pas eu tant de bonne scènes. Son entrée, seul, dans la troupe qui vient de traverser le Sinaï n'échappe pas à certaines facilités, dont l'idée du gamin n'est pas la plus mauvaise: ce serait plutôt le plan sur un Omar Shariff venant à sa rencontre, le ventre un peu trop en avant pour véritablement figurer la dignité d'un grand chef.
Pour ce qui est de la mise en scène, son originalité et son efficacité m'échappe totalement.
La charge sur Akaba est d'un loupé, avec le mouvement final de la caméra sur un canon ridicule qui était censé tenir la puissante Royal Navy en respect... Les décors auraient mérité plus d'imagination pour montrer à l'écran une position dont l'importance stratégique avait été assez habilement amené par son évocation à la fois pleine de crainte et d'envie. Mais comment croire une seconde que l'Akaba que l'on voit à l'écran est celle que l'on avait évoqué?
La scène du retour de Lawrence du Sinaï, où il a récupéré un chamelier, est ennuyeuse et sans enjeux. Puisqu'il "était écrit" que Lawrence reviendrait (si! si! c'était dans le scénario!), Lean aurait pu faire plus court, et accessoirement mieux pour filmer l'attente. Le coup sans génie du montage d'une suite de plans fixes passe assez mal en la circonstance. D'autant que ce qui se passe dans le cadre est sans intérêt aucun.
Le gros plan sur le visage d'une jeune fille, puis le mouvement sur les femmes vues de dos qui observent la fête dans la tente du prince Fayçal n'a qu'une portée purement illustrative, anecdotique, là où on aurait pu souhaiter plus de recherche pour marquer la raideur et l'originalité de la culture d'adoption de Lawrence.
J'accumule les illustrations sorties du contexte; c'est ma façon de dire que le montage du film n'est pas le plus fluide qui soit.
Et que dire du désert filmé par Lean si ce n'est qu'il n'a pas la plastique poétique de celui d'un Ford (La prisonnière du désert).
Seule vraie bonne scène, à mon goût: le plan moyen, travelling arrière, sur le mouvement des pieds de Lawrence en train de se faire ovationner en marchant au fait d'un train. Scène qui, finalement, contient en germe ce qu'aurait dû être le personnage de Lawrence: une figure détachée, mystérieuse, décrite par son environnement, une sorte de colonel Kurtz du désert en somme, qui n'aurait pas du être laissé un travail d'un Peter O'Toole qui n'avait pas les épaules assez larges.
Quant à la musique, elle a la force des images, c'est-à-dire assez peu de force en réalité.
Reste, reste... que Lawrence d'Arabie, c'est avant tout une vision mordante de la politique, qui fait mouche plus d'une fois dans les conclaves d'Alexandrie ou de Damas, ou encore dans le clou du film, le point d'orgue qui culmine au sommet de l'étude anthropologique : la scéance du Conseil National Arabe, où l'on prend plaisir à voir un Peter O'Toole enfin dans sa peau: dépassé par les événements. S'il fallait défendre le film, ce serait pour avoir amener une telle scène, qui est véritablement jubilatoire dans l'incisive précision et la sincérité toute clinique du regard occidentale sur l'anecdocte qui fait l'histoire.
Finalement, Lawrence d'Arabie est encore un film à faire.
Critique intéressante si l'on remplace toutes tes affirmations par leur strict contraire
Le plus drôle, c'est que tu réclames de la subtilité et que chaque fois tu passes à côté du sous-texte, étant obnubilé par ce que TU VEUX VOIR dans ce film et qui ne s'y trouve pas.
Par exemple, la scène où Lawrence est confronté à l'officier turc est bourrée de sous-entendus homosexuels : l'aspect efféminé de Lawrence joue évidemment en sa défaveur et c'est lorsqu'il comprend ce que l'on veut de lui qu'il frappe l'officier.
Celui-ci le fait battre et l'air malsain affiché sur les visages de ses tortionnaires ne laisse aucun doute sur ce qui adviendra au cours de l'ellipse qui nous le fait retrouver brisé dans un caniveau au petit matin.
Dès lors, il prend conscience non seulement qu'il n'est pas un dieu doué d'invisibilité, un esprit à la rigueur mathématique auquel il suffit d'exposer une idée abstraite pour qu'elle se réalise dans le concret (d'où l'aspect irréel de la prise d'Akaba, une simple formalité puisque la traversée du désert devait dans son plan suffire à surprendre l'adversaire), mais qu'il n'est même pas un arabe comme il pensait l'être devenu.
Il n'y a pas de Colonnel Kurtz dans cette histoire : le journaliste américain a bien du mal à cerner le personnage "Lawrence" qui n'a rien d'un chef de guerre.
Et pour cause : plus qu'une épopée héroîque, ce film est le portrait intime d'un homme tiraillé entre ce qu'il est et ce qu'il fait ou croit faire.
Peter O'Toole est extraordinaire dans ce rôle d'un homme constamment dépassé par les événements : si ses idées, nourries de lectures et d'études de la culture et de la langue arabe, sont brillantes, il pense que leur mise en application dépend seulement de sa volonté, quitte à passer outre les obstacles les plus évidents.
Passées les premières réussites rien moins que miraculeuses, les entrprises de cet homme sont vouées à l'échec.
S'il y a un message plus général dans le film, c'est sans doute qu'il est illusoire, lorsque l'on fait partie du camp des éternels vainqueurs (les blancs dominateurs du Monde), de prétendre mener les minorités à la victoire contre son propre camp, quelque soit notre degré d'identification (d'amour?) pour ces minorités.