Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
Bronco Boulet
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Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Demi-Lune »

En ce qui me concerne, Le Discours d'un Roi s'est révélé être un film relativement médian, bénéficiant d'un duo de comédiens (Colin Firth et Geoffrey Rush) impliqués et inspirés, mais affaibli par une approche filmique et narrative statique et/ou convenue. Si, en dépit d'une ou deux longueurs, le film se suit sans aucun ennui, la progression dramatique demeure cependant des plus linéaires, dévoilant un parcours qui, sans préjuger de sa fidélité historique, comporte énormément de ressorts prévisibles (approche entre le malade et le médecin, confiance, faux pas, rupture, retrouvailles, doutes, et victoire finale main dans la main). La réalisation de Tom Hooper, dans l'ensemble plate, axée sur des gros plans, ne donne jamais l'occasion au film d'échapper à cette linéarité. Remarque personnelle au passage : il aurait peut-être pu être intéressant, lors des prises de parole publiques, de recourir à quelques plans-séquences plutôt que de découper les scènes comme ça l'est à l'écran, le bégaiement de George VI appelant à la nécessité d'une maîtrise de soi lors des fameux discours qui ponctuent le fil narratif, et donc à une "performance", à un surpassement progressif, dont le courage, la subtilité et la longueur auraient, de mon point de vue, été mieux retranscrites par un plan continu. On aurait peut-être ainsi vécu la difficulté de l'exercice pour le Roi, et l'angoisse du tempo (avec les blancs, les silences, les hésitations, et le chronométrage) de bien meilleure façon, quoiqu'on puisse sans doute rétorquer que le montage, la coupe, soulignent imperceptiblement les aspérités phoniques du phrasé du souverain. Ce qui m'amène à parler du thème central du film : le bégaiement. Sur cet aspect, Le Discours d'un Roi est plutôt réussi, dans ce qu'il communique bien les difficultés humaines et sociales impliquées par ce trouble de l'élocution (avec des facteurs psychologiques bien mis en exergue). Le film délivre une belle histoire, même convenue, une leçon de courage et de dignité, une victoire sur soi même. Colin Firth peut se prévaloir de cette réussite. Car, comme je le disais, il y a trop de faiblesses à côté pour que je sois pleinement convaincu. Notamment, le film est axé sur les efforts déployés par George VI pour lutter contre son mal, mais dans le même temps cherche un fond d'historicité (les discussions avec Churchill et Stanley Baldwin, autant d'alarmes sur l'inéluctabilité de l'entrée en guerre face à Hitler) qui ne reste jamais qu'en toile de fond, avant que cela devienne subitement - et donc assez artificiellement - l'enjeu déterminant des vingt dernières minutes. On pourrait encore reprocher le recours à la Septième Symphonie de Beethoven, certes pièce musicale magnifique, mais dont je ne peux m'empêcher de penser que la sensibilité surligne presque maladroitement le moment paroxystique du film. J'ajoute que Timothy Spall est l'un des plus piètres interprètes de Churchill que j'ai pu voir.
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Watkinssien
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Re: Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Watkinssien »

Pour ma part, j'ai adoré ce film que j'ai trouvé magnifique dans son apparente simplicité....

Contrairement à notre cher Demi-Lune, je pense que la mise en scène est d'une rare élégance, d'une discrétion bienvenue et parsemée de très belles idées.
Simplicité, dans les métaphores visuelles qui se révèlent dans la concrétisation de ce que l'on voit : je prends comme exemple les nombreux gros plans du film sur le Roi devant un micro. Hooper choisit de cadrer son personnage devant un microphone circulaire. Cette forme, qui est réaliste, représente à la fois l'importance du discours mais surtout le monde, entité dont le fameux speech influencera, mine de rien, le cours de l'Histoire. Et Hooper arrive à inscrire ce procédé sans jamais appuyer son récit de didactisme ou de propagande de mauvais aloi.

Simplicité dans l'utilisation des décors, où les cours vocaux se déroulent dans une pièce délabrée aux murs rapiécés, contrastant avec la teneur événementielle de l'objectif.

Porté par des comédiens excellents, un rythme constamment contrôlé, The King's Speech demeure un "bijou de modestie"...
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Strum
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Re: Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Strum »

Bonne initiative. :wink:

Je replace ici, sans le relire, ce que j'en disais dans "Notez les films":

Courtes focales à foison, cadrages parfois trop librement désaxés, d'autres fois presques frontaux au contraire, comme si le réalisateur hésitait entre plusieurs styles, raccords lumières pas toujours heureux, on est ici loin d'une mise en scène classique assurée, bref, je n'ai pas toujours été convaincu par la réalisation de Tom Hooper pour Le Discours d'un Roi. Il a fallu bien du savoir-faire aux Frères Weinstein pour que Tom Hooper obtienne l'Oscar du meilleur réalisateur pour ce travail si inégal et hétérogène. Il est amusant de constater qu'ont notamment concourru aux oscars cette année, un film au sujet contemporain - The Social Network, mais à la mise en scène classique (ô combien plus maitrisée que celle du Discours d'un Roi) et ce film historique au sujet classique mais à la mise en scène très contemporaine dans son approche (et moins maitrisée).

Restent, et sans doute que ceux que le film a touché y verront l'essentiel, une réalisation où ces focales courtes parfois excessives mettent aussi en valeur les visages, leurs ravines, leurs petits secrets, leurs espoirs, leurs dépressions, et une volonté de s'attacher sur un plan individuel au parcours d'un bègue qui apprend à vaincre ses difficultés d'élocution. Geoffrey Rush et Colin Firth sont admirables, et leurs visage ainsi mis en valeur, passent merveilleusement bien la rampe. Mais cette approche du récit où ne compte que l'individu, se fait au détriment du contexte et de l'Histoire - ce contexte historique ne semble exister qu'en fonction de Georges VI dans le film, il ne préexiste jamais à lui, et je n'y ai vu qu'une illustration d'arrière plan pas très importante aux yeux du réalisteur. A force de vouloir se concentrer sur l'individu et l'émotion dans un film historique, on court d'ailleurs le risque de prendre certaines décisions curieuses, comme celle de passer la 7e de Beethoven sur la totalité du fameux discours de Georges VI. N'aurait-il pas été possible de trouver un morceau de musique anglais exaltant l'esprit de resistance du Royaume-Uni pendant la deuxième guerre mondiale, histoire de se mettre un minimum dans le contexte de l'époque ? Un détail que cet usage de Beethoven ? On pourrait aussi y voir un symptome.
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Re: Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Strum »

Ainsi qu'un échange avec riqueuniee :
riqueuniee a écrit :Cet Allegretto est tout à fait approprié, (ne serait-ce que pour une question de minutage !).De plus ne pas choisir un morceau "patriotique" anglais (souvent moins intéressant artistiquement parlant) évite un côté patriotique trop marqué.
Par ailleurs, la 5ème de Beethoven est associée (à tort ou à raison, je ne sais pas trop) aux émissions de la BBC pendant la guerre, son début , côté rythme, correspondant au V en morse.(qu'on pouvait entendre avant le fameux "Londres").
Rien d'incongru dans ce choix, donc (d'autant plus que ce morceau a plusieurs fois servi au cinéma, dont sur la fin de Zardoz de Boorman).
En plus, sa progression collait bien à la progression (en intensité dramatique) du discours. Même si j'aurais préféré, personnellement, un accompagnement plus discret (ou du moins à un niveau sonore moins élevé)
Evidemment que la raison de ce choix tient en pratique au minutage. Le réalisateur voulait se faciliter sa vie, il aimait certainement bien la 7e (qui en passant n'a rien à voir avec la 5e, laquelle à son tour ne correspond pas au pom pom pom pom atonal précédant le "Ici Londres" de la BBC), etc..., mais c'est un choix qui témoigne pour moi d'une absence de réflexion, d'une absence d'attention aux détails et aux symboles, d'une absence d'attention à la question de la contextualisation historique dans un tel film (imagine-t-on dans la réalité historique Georges VI, Elizabeth, Chamberlain, Churchill, les anglais... écouter du Beethoven, un compositeur allemand, en 1939, en pleine exaltation nationaliste, pendant le discours de déclaration de guerre à l'Allemagne ? Non). Le deuxième mouvement de la 7e est en plus un des morceaux les plus connus de Beethove, impossible de ne pas l'identifier. Cela m'a fait complètement sortir de la scène.
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Demi-Lune
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Re: Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Demi-Lune »

Watkinssien a écrit :Porté par des comédiens excellents, un rythme constamment contrôlé, The King's Speech demeure un "bijou de modestie"...
Certes, mais tu concèderas que le film manquait quand même cruellement de tronçonneuse, non ? :mrgreen:

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Nestor Almendros
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Re: Le Discours d'un Roi (Tom Hooper - 2010)

Message par Nestor Almendros »

C'est déjà un lointain souvenir, qui m'empêchera de m'expliquer en détail, mais il est encore très positif. Après la bouillonnante époque des Oscars qui a certainement créé un amalgame désobligeant au film (même si LE DISCOURS D'UN ROI est typiquement un film à Oscar), je reconnais toujours quelques défauts à l'oeuvre, notamment une certaine prévisibilité notée par Demi-Lune (parcours attendu de l'élève meurtri qui va réussir).
Mais je ne peux rejeter un scénario qui m'a vraiment tapé dans l'oeil. J'ai rarement eu cette impression d'avoir sous les yeux une histoire qui imbrique aussi bien, avec une telle ingéniosité, différentes facettes. En partant d'une anecdote passionnante, angle génial ignoré jusque-là, le scénario ramène les enjeux colossaux de l’époque à l'aventure personnelle et intime d’un individu (comme le souligne Strum) condamné à assumer son rang. Encore qu'il soit enrichi par l'apparition non négligeable de la radio, média de masse, qui permet de densifier encore davantage la peinture de l'époque, le manque de contexte historique ne m'a pas vraiment embarrassé puisque je me suis (largement) contenté de cette petite histoire dans la grande, de ce conflit intérieur à la portée universelle, à ce détail historique piquant et peut-être surtout à ce tableau saisissant d’une vie royale loin du conte de fées, le portrait poignant d’un héritier sommé d’accepter enfin une condition jusque-là écrasée par le protocole.
LE DISCOURS D’UN ROI ne serait rien sans ce personnage que l’Histoire a probablement réduit à une fonction et que le film replace enfin dans une sphère humaine et émotionnelle. Si le handicap du bégaiement est un catalyseur efficace qui transmet au spectateur un but à atteindre et donne au film l’élan suffisant, ce personnage est remarquablement écrit, avec une dimension plus profonde à ce qui n'aurait pu être qu’une simple « aventure humaine ». George VI a des failles, parfois très visibles, et cette complexité m’a vraiment séduit. C’est d’abord un homme mal dans sa peau, traumatisé dès l’enfance par une malédiction insoupçonnée, la prison dorée de cette vie royale. Il fait partie de ces personnes à qui on ne refuse rien, jamais. C’est pourquoi le traditionnel apprivoisement qui s’opère entre Lionel Logue (l’orthophoniste) et lui devient très intéressant, basé sur un rapport de force presque culturel. Si le futur roi a l’habitude d’imposer ses demandes, Logue chez lui a tous les pouvoirs et, en plus, le savoir « médical ». Leur confrontation est passionnante et donne lieu à de très bonnes scènes, prévisibles mais bonnes.
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