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Re: La Nuit du chasseur (Charles Laughton - 1955)

Publié : 23 mars 11, 10:53
par cinephage
Rick Blaine a écrit :
Jeremy Fox a écrit : Oui mais l'originalité première du film est de voir ce qui se passe à travers les yeux d'un enfant encore très naÏf justement
C'est tout à fait incontestable, mais ça crée un point de vue qui ne me parle pas vraiment, justement à cause de ce rejet pour le personnage.
Là, je tique un peu. Dans le récent True Grit, qui adopte le point de vue de la jeune héroïne, elle est représentée avec sérieux et sang-froid, de façon pas forcément très vraisemblable, mais, peut-être, comme se voit un enfant quand il raconte une histoire dont il est le héros.
Pour prendre un autre exemple, les jeunes héros de la Guerre des boutons se voient comme des soldats, même s'ils mangent un quatre-heure et se font choper par leur parents. Le film épouse leur point de vue, il y a une approche de la fiction où le jeune est placé au même niveau que le récit.

Dans Shane, le jeune B.de Wilde épouse constamment une position inférieure, d'enfant admiratif et subalterne, qui perd ses moyens face au spectacle de la virilité assumée d'Alan Ladd, et sur le nom duquel il s'attarde vocalement, laissant trainer le "a" de Sha-a-a-a-ne. Bref, s'il offre un support cathartique, si le jeune public peut facilement se mettre à la place du jeune garçon, je ne dirais pas, en revanche, que le film adopte son point de vue, sauf à considérer qu'il se considère lui-même comme donnée négligeable. Le film porte sur le garçonnet un regard qu'un adulte pose sur un enfant, bienveillant, indulgent, mais qui ne le prend pas au sérieux et le considère comme naïf et innocent. A mon sens, un enfant ne se considère pas lui-même comme innocent.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 11:43
par Wagner
Et bien si, la mise en scène adopte le point de vue de Joey, c'était un parti pris revendiqué (cf. commentaire audio de Stevens jr, notamment lors de la bagarre dans le saloon). Le film raconte bien l'histoire telle que l'a vue Joey. La fin a aussi un côté Moonfleet.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 11:50
par cinephage
Wagner a écrit :Et bien si, la mise en scène adopte le point de vue de Joey, c'était un parti pris revendiqué (cf. commentaire audio de Stevens jr, notamment lors de la bagarre dans le saloon). Le film raconte bien l'histoire telle que l'a vue Joey. La fin a aussi un côté Moonfleet.
Ce n'est pas cette information qui va rehausser le film dans mon estime... D'ailleurs Moonfleet n'épouse que très localement le point de vue de l'enfant.
Les innombrables sous-entendus sexuels du film sont-ils également présentés du point de vue du jeune garçonnet ??

Pour moi, parler de l'enfance n'est pas forcément parler "comme un enfant", et un point de vue sur un enfant n'est pas forcément un point de vue "de" l'enfant. C'est peut-être cette différence d'approche par rapport à Stevens qui fait que le film me gêne par moments, du coup. Ce serait une explication...

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 12:57
par Wagner
cinephage a écrit :Pour moi, parler de l'enfance n'est pas forcément parler "comme un enfant", et un point de vue sur un enfant n'est pas forcément un point de vue "de" l'enfant.
Le problème de tous les films de ce genre est qu'ils confondent souvent les deux, à savoir qu'ils adoptent un point de vue enfantin mais que la caractérisation de ce point de vue est celle d'un enfant imaginé par un adulte.

Hormis ces problèmes de personnage pour Shane, il faut quand même reconnaître une mise en scène de belle qualité. Delmer Daves ne fait pas beaucoup mieux dans les mêmes endroits.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 13:06
par cinephage
Nous sommes d'accord, j'aime bien Shane, au final. Cet aspect du film en est à mon sens la faiblesse majeure, mais la mise en scène en est tout à fait remarquable, et le film comporte quelques morceaux de bravoures (la bagarre), quelques notions superbement orchestrées, notamment l'errance et la sédentarité, que les sentiments ambigus de Shane pour les fils barbelés soulignent judicieusement.

Pour les enfants, j'aime bien la solution consistant à "sauter" d'un point de vue à un autre (comme dans Moonfleet ou l'ile au trésor), qui résoud bien le paradoxe, ou le traitement stylisé sur le mode du conte (du type de la nuit du chasseur ou to kill a mockingbird, films dans lesquels l'articulation monde adulte/monde de l'enfance fonctionne parfaitement).

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 13:09
par Rick Blaine
Wagner a écrit : Hormis ces problèmes de personnage pour Shane, il faut quand même reconnaître une mise en scène de belle qualité. Delmer Daves ne fait pas beaucoup mieux dans les mêmes endroits.
On peut difficilement faire plus subjectif que ces questions, mais je n'ai vraiment pas été marqué par la mise en scène de Stevens, et surtout je trouve que Daves fait vraiment mieux.
J'imagine que l'agacement que le film a provoqué chez moi n'a pas aidé non plus a me mettre dans les meilleures conditions, mais je trouve que ce que fait Daves est plus beau.


(Je ne voudrais surtout pas donner l'impression de m'acharner sur Shane, auquel je concède volontiers un statut de film important dans l'histoire du western, mais il faut bien reconnaitre que mis à part le personnage de Palance, et dans une moindre mesure celui de Van Heflin, il y a bien peu de choses qui m'ont intéressées lorsque je l'ai vu :D )

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 23 mars 11, 13:14
par Wagner
cinephage a écrit :Nous sommes d'accord, j'aime bien Shane, au final. Cet aspect du film en est à mon sens la faiblesse majeure, mais la mise en scène en est tout à fait remarquable, et le film comporte quelques morceaux de bravoures (la bagarre), quelques notions superbement orchestrées, notamment l'errance et la sédentarité, que les sentiments ambigus de Shane pour les fils barbelés soulignent judicieusement.

Pour les enfants, j'aime bien la solution consistant à "sauter" d'un point de vue à un autre (comme dans Moonfleet ou l'ile au trésor), qui résoud bien le paradoxe, ou le traitement stylisé sur le mode du compte (du type de la nuit du chasseur ou to kill a mockingbird, films dans lesquels l'articulation monde adulte/monde de l'enfance fonctionne parfaitement).
Ce saut peut être un peu dangereux. Pour La Nuit du chasseur, j'ai un énorme problème, celui que les enfants n'existent pas en-dehors de l'esprit de Lillian Gish qui ouvre et ferme le film. Je ne comprends pas ce parti-pris.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 21 avr. 11, 23:07
par Federico
Un article qui cite des passages du bouquin Heaven & Hell to play with, The Filming of “The Night of the hunter”, de Preston Neal Jones :

http://www.telerama.fr/cinema/s-il-n-y- ... ,68063.php

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 1 oct. 11, 13:52
par Ann Harding
Image
I Remember Mama (Tendresse, 1948) avec Irene Dunne, Philip Dorn, Barbara Bel Geddes, Oskar Homolka et Cedric Hardwicke

Vers 1910, à San Francisco, Katrin (B. Bel Geddes), la fille aînée de la famille Hanson, a réussi à publier une nouvelle. Elle y raconte la vie de sa famille, d'origine norvégienne, qui est dirigée par sa mère Marta (I. Dunne)...

George Stevens a toujours su obtenir de ses acteurs des incarnations naturelles et dénuées de maniérisme. Il a déjà dirigé Irene Dunne dans Penny Serenade (1941) où elle donnait une interprétation éblouissante en jeune mère adoptive. En 1948, elle est devenue une mère de famille, assumant son âge. Cette histoire simple de la vie d'une famille pourrait facilement devenir un mélo tire-larme de la pire espèce. Mais, point du tout, DeWitt Bodeen et John Van Druten ont concocté un délicieux scénario où chacun peut se reconnaître dans les situations du quotidien. Irene Dunne est la matriarche d'une famille avec trois enfants. Elle doit compter chaque sou car la famille n'est pas riche. Arborrant un accent norvégien très convaincant, elle est une femme obstinée, courageuse et finalement ordinaire. Elle ne cherche pas à être la 'mère fantasmée' des films MGM. Elle est seulement la mère que nous avons tous eu, qui doit faire face aux problèmes du quotidien pour aider ses enfants et sa famille. Elle doit gérer ses trois enfants, supporter les commérages de ses soeurs et un oncle encombrant. Son mari ne semble pas avoir sa tenacité et son cran. C'est donc elle qui prend les décisions dans la famille. Dunne joue tout cela avec un naturel confondant. Stevens utilise au mieux le décor de la maison, se déplaçant de pièces en pièces. Il sait toujours ménager des silences lors des moments les plus intenses, arrivant à nous transmettre ces moments suspendus tel que lors de la mort de l'oncle. Oskar Omolka qui jouait un personnage bruyant et casse-pieds, s'éteind avec une certaine sérénité qu'on n'aura pas soupçonné. D'autres scènes virent au tragi-comique alors que Mama doit chloroformer le chat qui est malade. Assaillie par la culpabilité de devoir tuer l'animal favori de sa cadette, elle tente de tuer le chat. Mais, le lendemain, il sera toujours en vie. Barbara Bel Geddes, qui joue l'adolescente de la famille, réalise le jour de son anniversaire l'amour de sa mère. Tout cela est amené par petites touches. Finalement ces 134 min passent très vite en compagnie de cette famille attachante, dominée par la présence d'une Irene Dunne, ordinaire et extra-ordinaire à la fois.
Le DVD Z1 comporte des STF.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 1 oct. 11, 16:05
par Profondo Rosso
Ca donne bien envie ça en plus vostf je vais me laisser tenter...

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 3 juil. 12, 02:23
par Profondo Rosso
Mariage Incognito (1938)

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Peter Morgan est un jeune professeur de botanique dans un collège de province dirigé par son père. Lors d'une escapade à New York en compagnie de son cousin Keith, il rencontre une chanteuse de cabaret, Francey, dont il tombe amoureux et l'épouse immédiatement. De retour chez lui, il préfère ménager ses parents, surtout son père très autoritaire, et diffère l'annonce de son mariage, présentant Francey comme une amie de Keith, d'autant plus que Peter a une "fiancée officielle", Helen...

Le rire, l'émotion et une belle inventivité sont au service de cette jolie comédie romantique signée George Stevens. Comme souvent dans les comédies des années trente un message social se dessine en toile de fond avec quelques piques envers le poids des apparences, l'opposition sociale, l'autorité parentale. Tout cela est cependant moins appuyé que chez un La Cava par exemple et finalement c'est surtout la tendresse suscitée par les personnages qui rend le tout si attrayant. Le coup de foudre et le mariage précipité en ouverture est ainsi délicieusement amené par Stevens qui croque en quelques scènes son couple si attachant et magnifiquement interprété. James Stewart alors en pleine ascension (Vous ne l'emporterez pas avec vous de Capra sort la même année et il retrouve le réalisateur dans la foulée Mr. Smith au Sénat) perfectionne son emploi d'alors de jeune homme gauche et emprunté à la timidité irrésistible. C'est bien ce qui fait fondre Ginger Rogers elle aussi dans son registre de citadine gouailleuse et au caractère bien trempé. Cette scène de rencontre est suffisamment craquante pour que l'ellipse sur l'inattendu mariage (au bout d'une journée !) passe et forme un cocon amoureux autour des personnages qui va être mis à rude épreuve lorsqu'ils devront se confronter au monde extérieur.

Ce monde extérieur s'illustre à travers la petite ville provinciale de Stewart et surtout de la personnalité conservatrice de son intimidant père joué par Charles Coburn. Aux antipodes des obsédés libidineux qu'il peut incarner chez Hawks entre autre (Chérie je me sens rajeunir) est ici un sévère président d'université qui ne tolère aucun écart de la part de son fils amener à lui succéder. Un fils tellement intimidé qu'il n'osera lui dire qu'il est marié avec une ex danseuse et différant l'annonce à un moment plus propice qui va fortement tarder à se présenter. On rit donc aux éclats des multiples quiproquos et catastrophe qui empêche les jeunes mariés d'assumer leur union au grand jour dont un gag énorme où Ginger Rogers colle une rouste mémorable à la "fiancée" officielle et distingué de Stewart. Les situations qui placent le couple dans des positions de vulgaires flirt bardé d'interdit (on situe bien la morale envahissante la société d'alors) offrent de bon moment aussi comme lorsqu'un petit coin isolé pour s'embrasser révèle le nid de tous les étudiants de la ville venus se bécoter en douce. La détresse de nos tourtereau est cependant palpable sous l'humour et offre de charmants instants notamment le faux départ de Ginger Rogers où elle et James Stewart cherchent tous les prétextes pour retarder l'échéance, avec l'allusion sexuelle à peine masquée du déclenchement du lit pliant censé distraire leur attention (le mariage ne pouvant être "consommé" qu'une fois officiel aux yeux de tous).

Les seconds rôles déploient une belle énergie également et outre Charles Coburn génialement bougon, Beulah Bondi en maman pas si fragile (excellente scène de danse improvisée !) est parfaite, tout comme James Ellison en meilleur ami fêtard. Dommage que la conclusion (sans être ratée) soit si quelconque (on aurait aimé voir Charles Coburn en prendre un peu plus pour son grade) il y avait matière à une meilleure apothéose finale que ce poussif final larmoyant dans le train. Cela n'enlève en tout cas rien au charme et à l'attrait de cette piquante screwball comedy.4,5/6

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 17 janv. 13, 13:22
par Frances
J'ai écouté dernièrement la magnifique partition que Franz Waxman a composée pour Une place au soleil.
Je vous laisse en profiter.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 17 janv. 13, 13:25
par Jeremy Fox
Frances a écrit :J'ai écouté dernièrement la magnifique partition que Franz Waxman a composé pour Une place au soleil.
Un de ses plus beaux scores.

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 17 janv. 13, 13:33
par Frances
Jeremy Fox a écrit :
Frances a écrit :J'ai écouté dernièrement la magnifique partition que Franz Waxman a composée pour Une place au soleil.
Un de ses plus beaux scores.
Inoubliable...comme le film !

Re: George Stevens (1904-1975)

Publié : 17 janv. 13, 13:37
par Frances
Profondo Rosso a écrit :Mariage Incognito (1938)

...
Les seconds rôles déploient une belle énergie également et outre Charles Coburn génialement bougon, Beulah Bondi en maman pas si fragile (excellente scène de danse improvisée !) est parfaite, tout comme James Ellison en meilleur ami fêtard. Dommage que la conclusion (sans être ratée) soit si quelconque (on aurait aimé voir Charles Coburn en prendre un peu plus pour son grade) il y avait matière à une meilleure apothéose finale que ce poussif final larmoyant dans le train. Cela n'enlève en tout cas rien au charme et à l'attrait de cette piquante screwball comedy.4,5/6
Superbe chronique Profondo Rosso. Je l'ai vu dernièrement. Une superbe petite comédie qui mérite d'être vue rien que pour l'excellente scène du "crêpage de chignon" entre Ginger Rogers et Frances Mercer.