enfin une réhabilitation de ce film!!!
Pour ma part, voila ce que j'en pense:
Synopsis Roman Polanski est devenu, avec le temps et de façon méritée, une véritable institution du cinéma mondial à lui tout seul. Il a signé nombre de films inoubliables qui n'ont pas manqué d'amuser, traumatiser ou impressionner durablement ses spectateurs, pour finalement intégrer le cercle fermé des oeuvres de qualité qui ont marqué l'inconscient collectif. Ainsi on peut sans soucis ranger Repulsion (1965, une traumatisante étude sur la folie), The Fearless Vampire Killers (1967, l'une des meilleures parodies de film fantastique), Rosemary's Baby (1968, un film effrayant sans effets spéciaux jouant tout sur la suggestion), Chinatown (1974, un polar hommage plus obsédant que biens des classiques), Le Locataire (1976, un film à part, glaçant, surréaliste et débordant d'humour très noir), et pour finir en beauté et après une période moins intéressante, The Pianist (2002, un regard juste et sans fioritures ou sensiblerie sur les horreurs des Nazis) parmi ses oeuvres les plus marquantes. Peu de réalisateurs peuvent se vanter d'un tel palmarès et surtout d'avoir marqué aussi durablement et fortement l'esprit de ses spectateurs. En effet, même les spectateurs peu cinéphiles connaissent le nom de Roman Polanski car il se souviennent des moments intenses (et pourtant souvent désagréables) qu'il leur a fait vivre à travers ses oeuvres et grâce à son intelligence, son talent et son intransigeance artistique. Ses films sont souvent très concrets, simples et peu tape à l'oeil, convoquant regulièrement le surréalisme, la noirceur, l'humour et l'absurdité des oeuvres de l'immense Franz Kafka. La précision méticuleuse de sa mise en scène n'a d'équivalente que celle mise dans la composition de chaque plan où aucun détail n'est laissé au hasard. Ainsi, le réalisme qui s'en dégage est très important pour son 'systéme' sans pour autant que ses films puissent être qualifiés de réalistes. De même, c'est souvent grâce à la relative simplicité de ses oeuvres qu'il arrive à véhiculer la complexité des éléments et réflexions qui y sont soulévés. La noirceur d'âme de l'être humain et ses troubles sont au centre de son cinéma, ce qui en fait du coup l'un des plus fins observateurs et analystes de nos travers et déviances, expliquant le formidable succès de ses oeuvres pourtant difficiles auprès du grand public. On est touché car quelque part, soit on se retrouve dans le caractère de ses héros, soit on est troublé par l'acuité du jugement et de l'analyse de R. Polanski. Death and the Maiden (1994) ne déroge pas aux habitudes de son réalisateur, bien au contraire. Après les déceptions provoquées par Pirates (1986, boursouflé et très inégal), Frantic (1988, intéressant mais d'ambition limitée) et Lune de Fiel (1992, inutilement outré et agressif), Death and the Maiden marque le retour d'un Roman Polanski inspiré et sur un sujet qui le touche, car très proche de sa thématique habituelle. Dans ce film, il nous propose un huis-clos très tendu adapté par Ariel Dorfman d'après une de ses pièces de théâtre. Dans un pays sud-américain non mentionné, on suit le destin de trois personnages lors d'une nuit d'orage qui a fait disjoncter le système électrique et coupé le téléphone. Paulina Escobar (Sigourney Weaver) attend son mari dans leur maison isolée du bord de mer. Elle est passablement énervée car elle lui a préparé un diner aux chandelles et celui-ci est en retard. Gerardo Escobar (Stuart Wilson) arrive passablement plus tard, gentiment raccompagné par un de leurs lointains voisins, le Docteur Miranda (Ben Kingsley), pour cause de crevaison de pneu de voiture. S'ensuit une dispute où l'on apprend que Paulina a été torturée et violée 15 ans plus tôt lorsqu'elle était activiste révolutionnaire, et Gerardo (maintenant avocat chargé des procès des tortionnaires de l'époque) était le leader de son parti. Lorsque le Docteur Miranda ramène cordialement le pneu crevé, Paulina apparaît très troublée et après avoir évité de le voir, elle vole sa voiture sans raison apparente. On apprendra après qu'elle est persuadée d'avoir reconnu l'homme qui l'a violée quinze ans plus tôt. S'ensuit alors une nuit électrique où Paulina souhaite faire son propre procès de son tortionnaire présumé. Sur cette intrigue très serrée et dans un décor quasi unique (deux ou trois extérieurs pour respirer un peu), Roman Polanski réussit l'exploit de filmer un suspence des plus haletants et cela sans poursuites et quasiment sans violence physique. Sa mise en scène est absolument remarquable de maîtrise et d'efficacité dans un espace aussi restreint, et ses angles de caméra tordus reflètent parfaitement l'état d'esprit des protagonistes. Par contre, ils provoquent un état de malaise volontaire chez le spectateur qui n'est clairement pas là pour passer un moment agréable. De plus, grâce à la progression dramatique reglée au couteau, l'intérêt est constamment maintenu, il n'y a pas de temps morts. Polanski réussit également à créer une sorte de fascination morbide et quasi inévitable chez le spectateur (et c'est pour cela que certains sont très gênés par le film) envers les tortures dont à été victime Paulina. Le film est plus qu'un simple thriller virtuose, il questionne en tant qu'être humain sur nombres de notions: un tortionnaire peut-il changer et se repentir ? Miranda était-il un produit de son époque, un tortionnaire forcé ? Existe-t'il un pardon pour un tel crime ? Paulina ne se met-elle pas au même niveau que lui en le séquestrant ? Sa vengeance lui apportera-t'elle un quelconque soulagement ? La fin du film est à ce titre absolument remarquable. R. Polanski y est plus noir que jamais et les toutes dernières images du film montrent de façon implacable à quel point un tel traumatisme est impossible à effacer quelles que soient les actions entreprises. Les trois acteurs sont impeccables et sans leur présence, il ne fait nul doute que le film aurait perdu beaucoup de son intérêt. Sigourney Weaver est parfaite, rendant de façon très convaincante les troubles de Paulina et son côté bête sauvage tout juste apprivoisée, sa force intérieure inaltérable, son hésitation permanente entre le bien et le mal. Face à elle, Ben Kingsley est ambigü au possible et rend à la perfection la dualité de son personnage (gentillesse évidente et non feinte du début du film, agressivité qui lui échappe lors de sa séquestration). Entre eux, Stuart Wilson est le contrepoint nécessaire, la "normalité" qui s'exprime face aux deux autres personnages extrêmes. Son interprétation est impeccable et il rend parfaitement son tiraillement entre les deux options qui se présentent à lui (aidera-t'il sa femme ou son voisin ?) et son rôle de juge dans la société. Une oeuvre puissante qui vous emmenera vers des régions peu fréquentées sur la grande carte des questions morales où chaque personnage a son point de vue à défendre. Sa fin est d'une noirceur et d'une universalité confondante alors que son déroulement propose tour à tour diverses options face à l'horreur. Un film difficile et peu agréable mais profondément nécessaire au même titre que Le Pianiste, de façon à rappeler l'existence du mal au sein de l'humanité. Il est trop facile de le dissimuler derrière le masque du diable ou autres épouvantails, alors qu'en fait il est très probablement tapi en chacun de nous et que la question est la suivante, notre conscience et notre morale seront-elles capables de le contenir?
Stef