Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Tom Peeping
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Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par Tom Peeping »

Un merveilleux conte pour enfants à la poésie duquel les adultes ne sauraient rester insensibles, Un jour, un chat (Az prijde kocour), film tchèque réalisé par Vojtech Jasny en 1963, est un parfait exemple de la liberté créatrice à laquelle certains réalisateurs pouvaient prétendre lors du court dégel qui survint derrière le Rideau de Fer au cours des années 1960. Je ne connaissais pas l’existence de ce film jusqu’à il y a quelque jours (encore une découverte dûe au hasard du Net) et mon envie de le voir m’a poussé à commander le DVD sur un site tchèque. Sans regret : c’est un film d’une légèreté qui confine à la grâce.

Au début des années 1960, dans une petite ville tchécoslovaque, un vieil homme regarde avec des jumelles les habitants vaquer à leurs occupations depuis la tour d’une église. Il en commente tout seul les faits et actes, les générosités et les bassesses. Dans la salle de classe primaire de l'école de la ville, un maître idéaliste demande à ses jeunes élèves de dessiner ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas dans le monde qui les entoure. Comme ils aiment bien le vieil homme, qui est une figure de la petite ville, celui-ci vient poser pour eux et se met à leur raconter une drôle d’histoire. Autrefois, une troupe itinérante était passée dans la ville, composée notamment d’un magicien, de sa belle assistante et d’un chat portant des lunettes magiques. Quand l’assistante retirait les lunettes du chat, les gens apparaissaient colorés selon leur personnalité (gris pour les voleurs, jaunes pour les infidèles, violet pour les menteurs, rouge pour les amoureux). Cela avait provoqué une belle pagaille dans la ville car personne n’était prêt à être ainsi dévoilé devant tout le monde. Puis la troupe était partie comme elle était venue. Quelque temps plus tard, une musique foraine se fait entendre à l’entrée de la ville : c’est la troupe itinérante qui est de retour avec le chat à lunettes. Après un spectacle public au cours duquel la jolie assistante retire les lunettes du chat, les personnages se colorent comme par magie, selon leurs qualités et leurs travers, pour le plus grand bonheur des enfants qui eux ne changent pas de couleur. Démasqués, plusieurs notables de la ville veulent alors faire la peau du chat pour l’empailler et le mettre au musée. Et la pagaille de recommencer…

Un jour, un chat est donc un conte (mais aussi une fable) avec des personnages qui sont des archétypes, comme dans tous les contes : le rêveur, le fourbe, la médisante, la gentille… Et l’univers des adultes est bien distinct de celui des enfants : seuls le maître d'école et le vieil homme font le lien entre les deux. Mais l’histoire n’a pas très grande importance, c’est surtout son esprit qui compte. La morale de la fable est qu'il est difficile de garder adulte les préceptes moraux qu'on nous enseigne lorsqu'on est enfant. Quant à l'esprit poétique de tous les instants, c'est lui qui permet de dire par métaphore des choses sans doute très parlantes aux spectateurs qui ont vu le film à sa sortie. Les lunettes semblent bien être la visière que le communisme impose aux individus, dans son idéalisation pervertie de la société. Une fois les lunettes retirées, l’Homme apparaît dans toute sa complexité identitaire. Les enfants, promesse de la nouvelle génération du dégel, sont les premiers à vouloir protéger le chat magique qui leur donne à voir le Monde tel qu’il est lorsqu’il est libéré de la contrainte et des faux-semblants importés de Moscou. Le réalisateur du film, Vojtech Jasny, aura évidemment des démêlés avec la censure soviétique une fois le rideau de fer retombé et partira alors travailler en Allemagne et en Autriche. L’originalité et l’intelligente insolence d’ Un jour, un chat lui ont permis de recevoir le Prix Spécial du Jury et le Prix de la Commission Supérieure Technique au Festival de Cannes 1963.

Aujourd’hui, le film peut être vu comme un passionnant témoignage historique de la libération du cinéma tchèque des années 60 et donc de la chose politique de l’époque. Mais c’est l’inventivité visuelle du film qui continue d’étonner : l’utilisation magistrale du format large (1:2.35) qui rend justice à la splendide place publique de la ville (le film a été tourné à Telc, une ville de Bohême classée au patrimoine mondial de l’Unesco) et à sa campagne environnante, le montage qui mélange les longs plans-séquences et les effets psychédéliques, l’irruption de la longue scène de mimes et de marionnettes lors de séquence du spectacle et bien sûr et avant tout, le travail très surprenant sur la couleur (toutes les scènes avec les personnages colorés en gris, jaune, violet ou rouge qui évoluent parmi d’autres en couleurs naturelles). Un jour, un chat est sans doute l'un des films en couleurs les plus étonnants que j'aie pu voir. La musique du film par Svatopluk Havelka ( ?) est formidable, entre jazz, classique et pop sixties.

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Les acteurs, dont je ne connaissais aucun visage, sont tous très bons quand on garde à l’esprit qu’ils jouent dans un conte, ce qui n’implique pas un jeu naturaliste de leur part. Jan Werich (qui incarne à la fois le vieil homme et le magicien) semble avoir été une personnalité du cinéma tchèque et Jiri Sovak (le maître d'école) et Emilie Vasaryova (Diana, l’assistante du magicien) semblent être devenus des stars nationales suite à la sortie du film en 1963. Quant aux enfants, ils sont simplement eux-mêmes et apportent une fraîcheur supplémentaire à cette histoire qui en avait déjà beaucoup. Et le chat, malicieux comme tout, avec ou sans lunettes, est une révélation (les gros plans de ses yeux inquisiteurs qui scrutent les personnages sont géniaux).

Bref, Un jour, un chat (connu en anglais sous les titres When the cat comes ou Cassandra Cat) est une excellente surprise, un film d’une rare originalité, constamment créatif, léger, drôle et enrichi par ses différents niveaux de lecture. Je le recommande sans réserve pour les aventuriers de la découverte.

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Le DVD tchèque (Filmexport Home Video) présente le film dans un excellent transfert anamorphique à l’image, couleur et son impeccables. Le film est en tchèque avec sous-titres anglais amovibles. Le DVD est truffé de bonus (le film semble être un classique du cinéma tchèque) mais sans sous-titres, je n’ai donc aucune idée de ce qui est dit dans les divers documentaires et interviews.
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par julien »

Tom Peeping a écrit :Un jour, un chat est sans doute l'un des films en couleurs les plus étonnants que j'aie pu voir. La musique du film par Svatopluk Havelka ( ?) est formidable, entre jazz, classique et pop sixties.
T'es sûr que t'exagère pas un peu, parce qu'en général, les musiques pop que l'on entend dans le cinéma tchèque de cette époque ne sont la plupart du temps que de pâles imitations du Rock anglo-saxons. :mrgreen:

Bon en tout cas te description du film donne envie. :D

Svatopluk havelka il avait aussi composé la bo de Qui a Tué Jessie ? Un croisement burlesque entre jazz et pop musique. C'était assez sympathique.
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par bruce randylan »

Ca a l'air génial ! :D

Tu aurais un lien pour commander ça ?
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par Tom Peeping »

Je ai commandé le DVD sur ce site qui m'avait été recommandé :
http://www.dvdr.cz/zbozi_video.php?lang ... ch+Jasn%FD
Ca m'est revenu à 23 € frais de port compris vers la France et le DVD est arrivé en 15 jours.
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par bruce randylan »

Mille merci. Je commande ça bientôt. :)
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par bruce randylan »

Le film est prévu chez Malavida :D
J''espère que la qualité sera au rendez-vous.
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par julien »

Ah ben voila il suffisait d'attendre. En général Malavida c'est quand même du sérieux. Il était temps qu'ils se penchent enfin sur le cinéma tchèque.
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par Jactari »

J'ai visionné le film hier, après avoir été alléché par la présentation de Tom Peeping.
Je ne regrette pas, c'est une très belle découverte (merci, donc), et il est probable que je le visionnerai à nouveau un jour, après avoir révisé un peu mes cours d'histoire, car je comprends bien l'essentiel de la seconde lecture, mais il y a certainement des références qui m'échappent.

C'est un questionnement un peu accessoire au regard des dimensions politique et technique du film mais je me suis fait la réflexion que dans les films mettant en scène un personnage animal important pour l'histoire (voire, ayant le rôle-titre), il n'est pas rare de voir le nom de l'animal au générique, mais il est absent dans ce film.
Est-ce une pratique si récente ? Ou bien peut-être qu'elle n'a pas de sens dans certains pays où la règlementation sur l'élevage (et le traitement) des animaux domestiques serait différente ?
Quoi qu'il en soit le Tabby de ce film a une bonne tête d'acteur. :D
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Re: Un jour, un chat (Vojtech Jasny - 1963)

Message par Joe Wilson »

J'attendais beaucoup de la découverte, qui m'a d'abord laissé perplexe...un peu bousculé par des changements de ton incessants, une approche à la fois excentrique et décalée.
Mais rapidement, la fantaisie du conte m'a happé pour de bon : la mise en scène exprime une liberté rare...de la très belle scène de spectacle à des passages quasi oniriques, Jasny met en avant le triomphe d'une étrangeté poétique. Celle-ci brise tous les carcans d'un univers fermé pour s'accomplir dans le rêve et la troublante beauté d'un regard retrouvé.
Le rythme musical prend une dimension essentielle tant Jasny alterne accélérations euphoriques et moments contemplatifs. La vie quotidienne, qui d'abord a semblé étouffer ces accomplissements, s'approprie peu à peu cette magie qui porte en elle une clarté vibrante.
Dans ses prises de risques, Un jour, un chat trouve une résonance atypique, très riche d'un point de vue historique et sensible (Tom Peeping l'a déjà bien souligné). Et c'est un régal pour les yeux.
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Re: Notez les films naphtas - Décembre 2009

Message par lupinnipul »

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Un jour, un chat... (Az prijde kocour/1963) de Vojtech Jasny

Du haut de son balcon, le camarade Oliva, un homme mûr, à la fois sage et espiègle, observe les habitants de son village et nous conte leurs histoires. Robert, l'instituteur, initie les jeunes au pouvoir du libre arbitre et exacerbe leur imaginaire. Robert a aussi une aventure amoureuse avec la secrétaire de l'école, qui, elle, le trompe avec le directeur... Un jour, une troupe de cirque débarque, avec à sa tête un magicien qui est le sosie parfait d'Oliva, et surtout Diana, une créature de rêve qui porte sur les genoux un chat portant des lunettes. Particularité étrange et pour le moins déconcertante: une fois les lunettes retirées, le regard du chat fait changer la couleur des gens en fonction de leurs vices et vertus ! Ainsi, le rouge indique un amoureux, le violet est un menteur, le gris, un voleur et le jaune, un infidèle...A l'idée que les secrets les plus honteux puissent être révélés, la panique gagne les habitants et, rapidement, certains complotent contre l'infâme félin...

L'arrivée de la troupe est prétexte à une grande variété de séquences oniriques, plus ou moins originales. Pêle-mêle, Jasny emprunte quelques artefacts propres au cirque, au théâtre noir ou encore à la pop culture pour nourrir un propos satirique qui fustige l'infidélité, la bêtise, le mensonge et l'hypocrisie. Le film évoque également les légendes populaires (on pense au joueur de flûte de Hamelin par exemple) et certaines scènes du début ou son intemporalité m'ont rappelé le Ballon rouge de Lamorisse. La poétique de Un jour, un chat...est donc riche d'influences. Le film ouvre aussi une nouvelle voie dans le cinéma tchèque, car si Milos Forman, la même année, prépare le terrain à la nouvelle vague socio-réaliste avec son As de pique, ce film de Jasny est vraisemblablement l'un des points de départ d'une série de films dégagés des processus narratif traditionnels: Jaromil Jires et surtout Vera Chytilova sont déjà dans les starting-blocks pour suivre Jasny et pousseront même l'allégorie dans des coins bien plus sombres et plus adultes. Un jour, un chat... peut également servir de point de repère pour l'étude du langage cinématographique d'un Warmerdam ou d'un Kaurismaki. C'est un type de farce typiquement européen, absurde et concret à la fois.
En valorisant la figure de l'instituteur, par ses côtés gentiment libertaire et transi d'amour, et les enfants, dont le rôle dans le film passe de l'anecdotique au prépondérant, le scénario positionne le film comme une critique de la société à la papa et de ses figures tutélaires corrompues ou dépravées, fustige la bureaucratie, le conservatisme et donc, bien entendu, l'occupant soviétique. Quoi de plus banal en 1963, finalement ? Même si le film est parfois maladroit (en insistant notamment lourdement sur l'opposition entre "couleurs", Jasny s'appuie sur un manichéisme primaire du plus mauvais effet), ou longuet, l'ensemble est tout de même une œuvre intéressante, originale et profondément optimiste, qui séduira les amateurs de contes débridés - et les fans des sus-cités (Chytilova, Jires) ou du polonais Wojciech Has. 3/5
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