Music Man a écrit :LA CUCARACHA de Ismael RODRIGUEZ – 1959
Avec Maria FELIX, Dolores DEL RIO, Emilio FERNANDEZ, Pedro ARMANDARIZ, Antonio AGUILAR et Flor SILVESTRE
Durant la révolution Mexicaine, le colonel Antonio Zeta, dont les troupes ont été décimées, cherche des soldats dans un village où une femme, la Cucaracha, est devenue l'égérie des militaires. Le Colonel inflexible, fait réquisitionner tous les hommes valides mais ne veut même pas discuter avec la Cucaracha qu'il traite avec mépris. Pourtant, Zeta devient son amant et une violente passion les unit tandis qu'elle suit la troupe dans tous ses déplacements...
Ismael Rodrigues (le réalisateur de Nous les pauvres, le plus gros succès commercial du ciné mexicain ) n’a pas lésiné sur la démesure et le spectaculaire dans cette peinture flamboyante de la révolution mexicaine, en mettant en vedette les deux plus grandes icônes du cinéma mexicain, Maria Felix et Dolores Del Rio. Il n’a pas évité le ridicule non plus ! Il ne faut pas compter sur le film pour avoir beaucoup d’éclairage sur la révolution mexicaine de 1910 et les luttes pour le pouvoir qui en résultèrent. Rien sur les raisons idéologiques de ce soulèvement, mais un film passionnel à la limite de la parodie qui s’attarde sur l’inimitié voire la rage existant entre deux femmes amoureuses du même colonel. Après s’être copieusement insultées, elles vont finir par en venir aux mains. Les outrances du film, d’un kitsch affirmé, sont assez délectables pour les amateurs de second degré !
Maria Felix, en pétroleuse en pantalon, qui jure comme un charretier et boit comme une éponge offre un savoureux contraste avec une Dolores Del Rio aux airs de madone. Les deux femmes, qui comptent parmi les plus grandes beautés de l’histoire du cinéma mondial, ne sont plus toutes jeunes ici et semblent tout droit sortir d’un salon de beauté, voire d’un lifting.
La fière et autoritaire Maria Felix semble se délecter (et en rajouter un peu) dans un rôle de femme de tête où elle excelle (et qui depuis Dona Barbara est devenue sa spécialité). Cette Barbara Stanwick à la puissance 100, encourage les soldats avec énergie et ardeur dans les situations les plus dangereuses. Quand elle rencontre Dolores Del Rio qui pleure son mari défunt, elle la somme de se reprendre en main et lui dit littéralement « qu’elle lui casse les couilles avec ses pleurnicheries ».
Les querelles des deux tigresses sont entrecoupées par quelques rares scènes de bataille et surtout de nombreuses strophes de la Cucaracha, célèbre hymne révolutionnaire bien connu et autres airs folkloriques.
En dépit de du technicolor flamboyant qui met en valeur un magnifique ciel bleu nuit, et de superbes gros plans des magnifiques visages des deux stars principales (Gabriel Figueroa assure la photographie)…la bêtise du scénario laisse pantois. On a vraiment envie d’éclater de rire quand s’affiche au bout d’une heure et demie sur l’écran "ainsi s’achève la révolution mexicaine", tant le film semble être joyeusement passé à côté ! Bon, au moins c’était divertissant, mais honnêtement ce n’est pas un bon film !!
En raison de son affiche impressionnante, le film fut pourtant envoyé au festival de Cannes en 1959 …où il fut complètement éclipsé par le Nazarin de Bunuel, ce qui semble normal.
Pour moi ça a été une excellente surprise. D'abord on sent que le réalisateur était très désireux de s'imposer comme "auteur". Il essaye énormément de choses, d'un point de vue visuel (il semble fasciné par les pieds par exemple), avec plus moins de bonheur, mais du coup on ne s'ennuie jamais (ainsi on ne voit jamais le visage des deux femmes lors de leur fameuse bagarre, tout est raconté hors champ ou commenté. On peut supposer qu'elles n'avaient pas envie de se ridiculiser, mais du coup le résultat est assez intriguant). Sa figure de style préférée fonctionne par associations visuelles. Une séquence se termine sur la plan, la suivante commencera sur un autre, quasiment identique. Alors on parvient avec tout ça à des choses pratiquement surréalistes, parce que vidées de sens autres qu'artistique (par exemple Maria Felix accouche, gros plan sur son visage parce qu'elle est en train de hurler de souffrance - séquence suivante gros plan sur la bouche d'un mexicain réjoui qui annonce une victoire en criant. C'est assez saisissant dans le genre). De plus, comme le dit Music Man la photographie est absolument sublime, digne, par exemple, d'un Western comme
Duel au soleil (je pense à ça parce que Maria Felix a failli joué Pearl dans le Vidor). Il y a vraiment un plaisir esthétique pur à voir le film. La séquence de l'accouchement chez la sorcière est, à elle seule, un grand moment.
Le scénario est absolument grotesque en effet, tant les personnages sont mal dessinés, ce qui fait qu'on a énormément de mal à comprendre leurs sentiments et leurs motivations. Dolores Del Rio est complètement énigmatique : elle tombe tout à coup amoureuse du gros général mexicain à moustaches qu'elle méprisait la demi-heure précédente. Elle semble pleine d'idéaux mais finalement se révèle revencharde, hypocrite et même méchante. Le moustachu explique à Maria Felix qu'il l'aime et juste après il la quitte pour une autre. Maria Felix est capable de hurler sur une femme qui a perdu son mari et qui sanglote, mais pique une crise, deux secondes plus tard, quand sa copine est tuée. Etc, etc, etc ... Et évidemment on ne comprend absolument rien à la fameuse "révolution mexicaine". Mais enfin franchement, quand on regarde ce type de films, on ne s'attend pas à un cour d'histoire non plus (je ne sais pas qui il voulait tromper sur la marchandise) quoiqu'en dise le prologue et l'épilogue.
Les deux actrices principales sont sans âge (d'où notre étonnement en apprenant que Maria Felix est enceinte !). Felix surjoue comme une folle (j'ai adoré ça, même si objectivement ce n'est pas très bon) son personnage de camionneuse, qui se transforme progressivement en "femme" (elle termine en jupe). A la base sa conduite est entièrement "masculine" (du point de vue de 1959) : elle s'habille en homme, jure et crie comme un homme, boit comme un homme et change de partenaires comme un homme (d'où son surnom de "cucaracha" car le cafard femelle- cucaracha en espagnol - est, c'est bien connu, insatiable sexuellement). Elle a l'air de beaucoup plus tenir à sa copine "Trompetta" qu'à ses amants (du moins au début du film.) Elle est aussi sans remord, ni pitié (la thèse du film c'est qu'une vie de misère en rend pas aimable). Dolores Del Rio (54 ans) est désirée par tous les soldats qui passent, malgré les effets visibles de la chirurgie esthétique (c'est la première paysanne mexicaine liftée de l'histoire, je pense). Elle pleure pendant une grande partie du film et finalement devient une véritable tigresse, capable d'être aussi vulgaire et agressive que sa rivale. Ca nous vaut quelques échanges croustillant où elles s'insultent avec énergie, le personnage de Dolores del Rio se montrant beaucoup plus perfide (on dirait qu'elle a vu "Le Miroir se brisat" et les échanges entre Taylor et Novak, ce qui est chronologiquement impossible.)
L'objet de leur rivalité est un certain Emilio Fernandez, qui ressemble à Sancho Panza dans la série "Zorro", mais en moins expressif. Autrement dit il est impossible de deviner pourquoi elles sont folles amoureuses de lui (mais il y a une scène très curieuse de séduction basée sur des rapports dominant-dominée qui est très forte et explicite, presque ouvertement sexuelle. C'est très machiste d'ailleurs).
Bref, du grand cinéma kisch qui l'est d'autant plus qu'il se prend très au sérieux et veut nous parler les yeux dans les yeux d'amour, de mort, de guerre et d'histoire. Je n'ai pas eu du tout envie d'aller au Mexique après avoir découvert ce petit chef d'oeuvre, mais plutôt de découvrir d'autres films avec Maria Felix, qui est, selon Music Man (que je remercie au passage) une "Barbara Stanwyck puissance 100".