La blonde ou la rousse - Pal Joey
Si le début du film semble manquer un peu de panache, c'est pour mieux annoncer la comédie un peu triste, un peu amère, qui va suivre. Joey, le personnage principal, y est d'emblée présenté comme un homme détestable et il le restera jusqu'au dernier millimètre de pellicule. Si l'on peut entrevoir, sous son épaisse carapace de séducteur irrespectueux et imbu de lui-même, un homme profondément mélancolique et indécis, Joey demeure malgré tout un vrai anti-héros, un gigolo de bas étage, un personnage peu attachant auquel il est difficile de s'identifier et qui déserte généralement les comédies musicales. Par ailleurs, le film est surprenant à d'autres niveaux: il met effectivement en scène une relation triangulaire assez malsaine, où une riche veuve n'hésite pas à entretenir son amant pour tromper sa solitude et à balayer ses rivales sans aucun scrupule. Bien que le spectacle de Broadway qui lui a servi de base était apparemment bien plus cynique et tendancieux et que le studio ait bricolé un happy-end (avec coucher de soleil sur fond peint) pour faire passer la pilule, on est loin de la comédie familiale que l'on pouvait attendre dans l'Hollywood puritain des années 50, et c'est tant mieux.
Une dizaine de très belles chansons composées par Rodgers & Hart (parmi lesquelles les célèbres «
The lady is a tramp » et « My funny Valentine »), servent d'interludes musicaux au sein de l'intrigue. Tous interprétés en solitaire par Sinatra ou par les doublures vocales de Rita Hayworth et Kim Novak, les numéros musicaux sont très sobres et malheureusement aucun n'est véritablement dansé (alors que la présence de Rita l'aurait permis). De plus, le seul numéro qui réunit les trois acteurs dans une courte rêverie musicale a été ostensiblement raccourci (pour ne pas dire charcuté) au montage et frustre de ne durer que quelques secondes. Sans compter que ce même numéro, avec ses effets spéciaux brouillons et ses raccords approximatifs, est le plus mauvais du film d'un point de vue technique.
« Pal Joey » est le dernier film que Rita Hayworth accepta de tourner pour la Columbia qui lui cherchait alors une remplaçante. C'est Kim Novak, jeune recrue du studio, qui sera choisie pour faire de l'ombre à la star sur le déclin. Cependant, malgré sa candeur et ses formes généreuses, malgré les efforts déployés pour la mettre à son avantage, elle ne parvient nullement à voler la vedette à la grande Rita, toujours rayonnante et très touchante en femme mûre et jalouse. Malgré une performance tout à fait honorable, une fois encore malheureusement, tout rappelle à Rita qu'elle demeure à jamais la femme d'un seul rôle: Gilda, et qu'elle est condamnée à vivre et jouer à l'ombre de ce personnage envahissant: on la voit ainsi retirer lassivement ses gants lors d'une scène de strip-tease, et on peut noter la présence d'une photo promotionnelle de Gilda posée sur son bureau.
Finalement, bien qu'il ne soit pas dénuée de petits défauts, « Pal Joey » est un film musical agréable, inhabituel et globalement réussi, qui a la chance d'être servie par trois grands noms du septième art.
7,5/10