La traversée de Paris est un film qui me fascine. Je viens de le revoir et je me souviens que mon père m'a forcé à le voir, au lieu d'un énième visionnage de
Madame Doubtfire de Chris Columbus, mon film de chevet de l'époque. Aujourd'hui je le remercie pour cette obligation, comme pour le
Chat de Pierre Granier-Deferre. Le premier comme le second, me scotchent devant mon écran pendant une demi-heure même si je n'ai pas le temps.
Le choix de proposer une comédie dramatique à une époque ou cette période est encore taboue est un choix judicieux. Dix ans après cette terrible époque, les blessures sont encore vives et la France Résistante comme on aimait le rappeler à l'époque était inattaquable. Un pari risqué et une réussite totale.
L'approche documentaire dans la description du fonctionnement du marché noir, des petits commerçants sous l'occupation est brillant. Le fait de se concentrer sur les petits gens et non sur de grandes figures de l'époque est un choix logique dans cette volonté d'en faire une comédie. Les scénaristes dépeignent une société qui n'est ni blanche, ni noire, mais simplement composée d'individus tentant de survivre et faisant des choix, bien où mal, seul notre moralité peut le dire.
Le duo picaresque formé par
Martin et
Grandgil est le moteur du film. On s'attache aux deux personnages, on doute de leur sincérité, on a peur pour eux, on rigole de leur malchance comme on se ronge les sangs en les voyant confronter aux pires individus de l'époque.
Jean Gabin est un grand et l'imposante silhouette de l'acteur, sa verve et le soin apporté par les scénaristes aux dialogues font de ses prises de parole de grands moments du cinéma. Je frissonne encore devant son discours dans le deuxième bar où il sort son célèbre "salauds de pauvres" dont je ne comprenais pas la puissance évocatrice à l'époque. Sa confrontation avec le commerçant interprété par
Louis de Funès reste un moment fort du cinéma français. La confrontation entre
Grandgil sarcastique et un
Jambier surexcité est à voir si on aime le cinéma. J'aime beaucoup la joute verbale entre les deux protagonistes et le pauvre
Martin qui essaye de se débattre dans ce marasme.
Il n'épargne aucun personnage, principaux comme secondaire. Les scénaristes font un portrait sans concession des gens sous l'occupation. Le rythme du récit est plutôt intéressant. On pouvait craindre une certaine redondance et il n'en est rien, les scénaristes faisant le choix de diversifier les situations et les rencontres. À cette occasion, on découvre différent décors de l'époque, les prises de vue nocturnes donnant aux quartiers parisiens un réalisme flagrant. Je ne sais pas si la ville a énormément changée entre l'époque du film et l'époque du tournage, mais je suppose que oui et ce n'est jamais visible, on pourrait croire être confronté à des images d'archive.
Le réalisateur et ses scénaristes cassent l'image glorieuse de cette France résistante pour proposer un récit dépeignant une France plus réaliste, avec ses braves gens, ses pleutres, ses montres et ainsi de suite. Le happy end du film qui arrive assez abruptement après une scène tétanisante, est à relativiser. Ils survivent oui, mais cette guerre a fait des dégâts et on le ressent dans la brièveté de l'échange. Je l'interprète ainsi en tout cas. Ce n'est pas un échange réellement chaleureux, plus une rencontre entre deux souvenirs, celui de Grandgil et celui de Martin.
Un chef d’œuvre qu'on se doit de connaitre.
Je vous demande un peu d'indulgence, c'est ma première critique sur un forum en espérant que ça ressemble effectivement à un avis et pas à une description ennuyeuse, le film mérite mieux.