Courage indien - The Vanishing American (1955)
Réalisation : Joseph Kane / Production : Herbert J. Yates ( Republic Pictures) / Scénario : Alan Le May d'après un roman de Zane Grey) / Photographie : John L. Russell / Musique : R. Dale Butts
Avec Audrey Totter (Marion Warner), Scott Brady (Blandy), Forrest Tucker (Morgan), Gene Lockhart (Blucher), Jim Davis (Glendon), John Dierkes (Freil), Gloria Castillo (Yashi), Julian Rivero (Etenia), Lee Van Cleef (Jay Lord)
Marion Warner arrive à Oljato, une petite ville du Nouveau Mexique pour prendre possession des terres que son oncle lui a légué. Dès son arrivée, elle se heurte à Blandy, un indien Navajo qui lui conteste le droit de s'installer sur des terres appartenant aux indiens, puis ce sont Morgan, le propriétaire du magasin général de la ville et Blucher, l'agent aux affaires indiennes qui lui est totalement soumis, qui semblent pressés de voir partir l'étrangère, tentant de lui forcer la main pour qu'elle cède ses terres à Freil, un de ses voisins rancher. Connaissant la valeur d'une terre sur laquelle coule la Red Dusty, une des rares sources intarissables de la région, Marion ne cède rien à Morgan mais elle se montre tout aussi intraitable avec les Navajos qu'elle veut chasser de ses terres…
Le meilleur western de Joseph (ou Joe) Kane que j'ai vu à ce jour, une deuxième vision toute récente n'a fait que renforcer mon admiration pour ce petit western fauché. L'action se déroule au tout début du 20ème siècle, à une époque où la plupart des tribus indiennes étaient vaincues et soumises ce qui facilitait la tache des aventuriers sans scrupules, tel ce Morgan (Forest Tucker), qui est un modèle assez commun dans le western de petit potentat local qui cherche à s'accaparer par la force les terres de ses voisins, ici celles des Navajos qui survivent dans des conditions misérables à proximité de la ville et celles de la gêneuse Marian Warner, débarquée à Oljato à la surprise générale. Morgan parvient à faire régner sa loi sur la région avec la complicité de Blucher, l'agent aux affaires indiennes qui lui obéit au doigt et à l'oeil et qui falsifie les documents officiels et les titres de propriété ; avec ses hommes de main Glendon (Jim Davis) et Jay Lord (Lee Van Cleef) et une poignée d'apaches qui se sont mis à son service ce qui ne les empêchent pas d'être humiliés par leur "maitre". Quant aux Navajos, à l'exception du rebelle Blandy, ils semblent totalement soumis ; ces éleveurs pacifiques survivant sur des terres arides sont maintenus dans un état de misère et sont opprimés par Morgan et ses hommes, quand ils ne sont pas réduits en esclavage, y compris les jeunes filles que Morgan appellent ses "partridge" (perdrix). C'est ainsi qu'il appelle les jeunes indiennes qui doivent être conduites le soir dans ses quartiers.
C'est par l'une d'elle, Yashi (Gloria Castillo), que Marion va commencer à s'intéresser au sort réservé aux indiens, permettant bientôt à la jeune fille d'échapper à l'emprise de Morgan et de rejoindre son père Etenia (Julian Rivero), le vieux chef des Navajos avec lequel elle va trouver refuge dans une zone montagneuse appelé les
Spirit Rocks. C'est en raison de cet intérêt inattendu pour le sort réservé aux indiens que Blandy va progressivement accepter de s'allier à Marion…et plus si affinités. Amour interracial ? Non. Sans doute échaudés par le sort réservé au roman de Zane Grey, les initiateurs du film ont trouvé une parade : Blandy était un blanc qui avait été enlevé enfant par des indiens Shoshones. Il faut dire qu'avant d'être publié en roman en 1925,
The Vanishing américain l'avait été en feuilleton et en raison de son histoire d'amour interraciale et de la représentation négative d'un missionnaire chrétien, le journal avait reçu des milliers de lettres de protestation, incitant l'éditeur de Zane Grey a faire pression sur lui pour qu'il modifie son texte…ce qu'il fit. Les adaptateurs du roman ne sont pas allé aussi loin que lui
(Il faisait mourir le guerrier Navajo à fin du roman alors qu'il n'est que blessé dans l'adaptation et le couple pouvait repartir main dans la main -pour commencer- vers de nouvelles aventures). Malgré ces concessions, le livre et surtout sa première adaptation au cinéma par Georges B. Seitz (1925), traduits en français par le titre
La race qui meurt marquaient une étape importante dans la représentation de l'indien. Le titre original est plus précis car "The Vanishing american" (qu'on peut traduire par "l'américain qui disparait") soulignait le fait que depuis 1924, les indiens avaient acquis la citoyenneté américaine mais que cette "race" continuait à mourir en dépit de l'abandon apparent de la tentation génocidaire.
La révolte "individualiste" du guerrier Navajo était motivé par un sentiment de trahison car après s'être comporté en héros durant la guerre menée par les USA aux Philippines, à son retour il faisait le constat qu'il était toujours considéré avec mépris et toujours rejeté de l'espace des blancs. Il avait d'autre part retrouvé les siens dépouillés de tous leurs biens et repoussés dans des zones invivables où ils disparaissent à petit feu….comme avant. Ce qui était neuf dans le film de 1925, l'était évidemment beaucoup moins en 1955 mais la version de Joe Kane, si elle met aussi l'accent sur ce passé de Blandy et sur la situation désespérée des Navajos, se rattrape dans la finesse de sa description des relations entre Blandy et Marion qui est au coeur du film. Le rapprochement ne nait pas avant tout d'un désir mais il résulte d'un lent éveil à l'autre, la compréhension mutuelle permettant de passer par dessus leurs antagonismes et leurs préjugés initiaux. L'histoire d'amour n'a donc rien de gratuite et elle est amenée de manière habile, les dialogues simples mais assez joliment écrits permettant de montrer les différentes étapes du rapprochement, le cap décisif étant franchi quand un premier éclat de rire merveilleux de Audrey Totter va répondre aux révélations que va faire Blandy sur certaines de ses frasques passées. Une réaction inattendue à laquelle le fier et glacial indien va répondre par un discret sourire qui marque le changement définitif de leur relation même si lui même reste jusqu'au bout pessimiste sur l'avenir de cette relation.
Par le suite, Kane continue à suivre le couple notamment dans de très belles séquences nocturnes superbement photographiées par John L. Russell (
Macbeth, version Orson Welles ;
Psychose, etc…) mais je ne retrouve pas toujours cette beauté dans les plans de jour. Russell ne se sert pas toujours au mieux du noir et blanc notamment dans la partie finale se déroulant en partie dans des décors naturels désertiques assez spectaculaires car dans ce cadre minéral, le gris du ciel se confond avec les nuances de gris infinies des paysages, écrasant un peu et aplanissant les perspectives extraordinaires sur les montagnes et les canyons de l'Utah où fut tourné le film. Il s'agissait peut-être d'une volonté délibérée de boucher les perspectives justement mais je trouve que ce choix esthétique, si choix il y a eu, n'est pas payant. C'est d'autant plus dommage que Joe Kane était de son coté bien plus inspiré que d'habitude (mais sans doute que Russell n'y est pas pour rien). Dans les séquences d'action dans lesquelles bien souvent il montre ses limites, il se montre sans faille et se distingue par un choix intelligent des angles et des cadres. Je ne rend compte que d'une séquence inhabituellement inventive : la course poursuite entre le vieux chef Etenia et 3 Apaches (on pense forcément aux 3 Mohawks lancés à la poursuite de Fonda…). Marion remet au vieil homme un document compromettant prouvant la falsification de documents officiels par la bande de Morgan, à charge pour lui de se présenter sur la piste où doit passer la prochaine diligence et remettre le message. Un plan nous le montre courir en haut d'une crête où l'aperçoivent les conducteurs de la diligence. Il parvient à remettre son message sous les regards impuissants des Apaches qui n'osent pas intervenir. Ceci fait, le vieil homme aperçoit ses poursuivants dissimulés en partie derrière des buissons. Il s'avance au devant d'eux. L'un des Apaches s'approche et l'on entend hors champ le coup de carabine qui abat le vieux chef.
Je passe sur les nombreuses péripéties (un gunfight, deux incendies, des embuscades, un petit peu d'escalade, une séance de torture, une évasion, etc…sans compter les rebondissements d'un final spectaculaire) car il en faudra beaucoup pour que Morgan s'incline : L'alliance entre Marion et Blandy…et dans le final
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- la révolte des Navajos et l'intervention du marshal sollicité par Marion (dans un final un peu confus qui est moins convaincant que le reste).
Kane réussit même presque constamment à dissimuler sa pauvreté, à une exception près, car du ranch dont est censé hériter Marion, on ne voit qu'une barrière…et beaucoup de poussière mais il avait à contrario réussit à soigner l'unique grand décor indoor que l'on retrouve à plusieurs reprises, celui du magasin de Morgan qui est assez luxueux. Un mot sur les interprètes. Pas grand chose à dire des affreux, sinon que Forrest Tucker a déjà été plus méchant et que Lee Van Cleef se prend une balle très vite puis reçoit un coup sur la cafetière avant de se retrouver en caleçon
(qui dira le martyr subi pas cet homme, obligé de rejoindre l'autre pays du western
Un choix forcément par défaut…Pas taper ! ). Certains rôles d'indiens étaient intéressants (bien aimé notamment le personnage d'Etenia, un peu moins le chef Navajo interprété par Glenn Strange). Quant à Scott Brady, pour faire simple, je l'ai rarement vu aussi convaincant dans un rôle qui n'était pas gagné d'avance, en tout cas à mes yeux car j'ai légèrement frémi en le découvrant en indien (plus haut, j'ai dit ce qu'il en est vraiment )
Mais le personnage central de ce western est une femme. Marion Warner débarque dans la petite ville en habit de ville et on est surpris de la découvrir au matin suivant avec chapeau de cow-boy et colt au coté mais ce n'est pas comme les panoplies de cow-boy d'antant car elle sait se servir d'une arme (mais elle n'en abuse pas car ça aurait pu être grotesque et ça ne l'est jamais). Je ne suis pas toujours son grand fan (ma réserve porte sur quelques unes de ses prestations "extrêmes" dans le film noir :
Tension et
La dame du lac, notamment) mais Audrey Totter est ici absolument formidable, à la fois dure car elle va sembler d'abord intraitable puis s'adoucissant au fur et à mesure (et absolument irrésistible quand elle rit aux éclats). RIP Audrey et merci pour tout. vu en vost. (Je vais essayer de revenir rapidement pour évoquer la version de 1925)
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