Strum a écrit :Sans déflorer l'intrigue d'Obsession, on en pressent malheureusement assez vite les rebondissements, peut-être parce que d'autres films sont passés par là, dont, bien sûr, Vertigo. Dès lors, tel un promeneur assis au bord du chemin, on assiste impuissant aux déambulations de Robertson, marcheur à demi-éveillé, en sachant par avance ce qui va lui arriver, et on a toujours un coup d'avance sur lui.
De Palma voulait au départ intituler son film
Déjà-vu. Ce qui en dit long sur sa démarche, qui ne vise pas tant à être riche en surprises (quoique je trouve le twist efficace), qu'à être méditative, à questionner l'héritage hitchcockien, en particulier ici celui de
Vertigo. Toute la réflexion de De Palma vis-à-vis d'
Obsession est contenue dans cette scène à l'église San Miniato avec la métaphore picturale : Bujold restaure la fresque de Bernardo Daddi mais, trouvée sous elle, existe une ébauche laissant apparaître quelque chose de complètement différent. Cette métaphore condense une très large partie du rapport qu'entretient De Palma avec Hitchcock. On peut considérer, dans la mesure où De Palma fait dire aux deux personnages, qui s'accordent là-dessus, qu'il faut préserver le chef-d'oeuvre originel (fresque de Daddi =
Vertigo), que De Palma ne vise pas le moins du monde à rivaliser avec Hitchcock, du moins, à faire du bête copiage. Son sincère respect pour l'œuvre hitchcockienne (respect qui s'effilochera peu à peu - sans doute moins à cause de ce qu'il pense des films d'Hitchcock que de la réputation de plagieur qu'on lui colle systématiquement - mais qui demeure présent, y compris dans le radical
Body Double) le fait donc s'attaquer, non pas frontalement au chef-d'oeuvre, mais à ce qu'il peut tirer sous ses craquelures, cette possibilité d'une
autre vision de ce même chef-d'oeuvre. Cette métaphore de la fresque et de son ébauche (c'est-à-dire, de ce qu'il est possible de retravailler, tel un historien de l'art, tel un scientifique, tel un exégète), ça devient du coup tout l'axe depalmien. Luc Lagier voyait d'ailleurs ce concept dual (fresque/ébauche) apparaître déjà dans la métaphore du générique de
Sisters (1973), où les photos de fœtus nous montraient
un corps, puis, dans la toute dernière image,
deux corps (
body double) : De Palma se détachait symboliquement de Hitchcock. Tout ça peut sembler capillotracté, et il est vrai que la démarche de De Palma a toujours suscité des incompréhensions, mais il y a énormément matière à creuser dans les films de De Palma.