L'étranger (1967)
Disons le tout de suite, je ne le connais pas le roman de Camus (
). Ceux qui l'ont lu ont l'air de considérer cette adaptation ratée et très faible. Découvrant donc l'histoire et le personnage directement sur l'écran, j'avoue avoir trouvé le résultat vraiment intéressant. Sans doute pas aussi passionnant que cela aurait pu l'être mais certainement pas honteux ou dispensable.
Il y a une sorte de déliquescence existentialiste que j'ai trouvé très originale à défaut d'être viscérale. A ce titre, le recours à une voix off est une réelle facilité qui aurait mérité d'être traité plus visuellement comme l'est le tout dernier acte où les ténèbres engloutissent littéralement et progressivement Mastroianni. Il y a bien des tentatives de traduire sa lassitude et son détachement par l'utilisation du son ou de la lumière mais ces effets ne sont pas assez poussés pour être palpable. D'un côté, j'ai trouvé que cette "indécision" de la réalisation appuyait presque le propos du film à l'image du procès où Meursault est totalement absent et déconnecté des enjeux, peut-être conscient que les dés étaient déjà lancés et que la résistance est inutile puisque incompréhensible. Par contre, c'est sûr qu'il y a des moments où Visconti ne sait pas quoi faire de son matériel et se contente de balancer les zooms mécaniquement comme lors du premiers tiers assez agaçant.
Je sais pas si Mastroianni a compris ou non le personnage du livre mais je n'ai pas été dérangé par son interprétation tout en admettant que c'est loin d'être son meilleur rôle.
Un film assez curieux, bancal, maladroit mais qui m'a souvent fasciné dans l'ensemble, sans doute plus en effet pour son scénario et son personnage central insaisissable que pour la pellicule imprimée. Reste que cet opus de Visconti ne mérite pas cette quasi invisibilité. Il y a un problème de droit ou c'est juste sa piètre réputation qui joue contre-lui ?
L'innocent (1976)
C'est assez troublant de voir à une semaine d'écart
L'étranger et cette ultime réalisation de Visconti. J'y ai retrouvé un personnage masculin assez similaire : froid, en parti désensibilisé qui porte sur un monde un regard absent sans la moindre empathie, décrivant ainsi cliniquement à son épouse son attirance pour sa maitresse comme si cette dernière était capable de couper ses émotions. Justifier son comportement par son athéisme m'a un peu dérangé même si d'un pure point de vue symbolique, la perte de valeur du "sacré" est plutôt pertinente.
Bien que l'ayant vu en étant très fatigué (re
), j'ai beaucoup apprécie le rythme de sa narration qui joue fortement sur la durée des prises de vues pour y distiller une tension psychologique intrinsèque qui rend chaque plan indispensable à la progression du film. Il y a là une assurance et une maturité dans le timing et la direction d'acteurs remarquables. Les 130 minutes ne se ressentent jamais, pas plus que la "lenteur" de la narration, la retenue des émotions ainsi qu'un canevas finalement très simple, presque épuré où 75% du film se déroule à 2 ou 3 intervenants dans un nombre réduit de pièces.
Sans être forcément intense ou palpitant, le film déploie des flammes non de plus en plus vives mais de plus en plus brûlantes. Un peu à la manière des grenouilles immergées dans de l'eau froide et qui ne se rendent pas compte de l'augmentation de la température,
l’innocent provoque un sentiment que j'aurai du mal à définir clairement mais qui bâtit scène après scène un malaise indéfini et difficilement caractérisable avant que la pression n'explose avec la séquence de la messe de minuit.
On n'en ressort pas bouleversé ou même ému mais avec une réelle blessure morale entêtante et tout autant durable comme les nombreux regards lancés par les protagonistes et qui deviennent obsédant.