ce sont les autres qui en parlent le mieux ...
David Locke a écrit : Shura (1971) de Toshio Matsumoto
Un samurai sans maître qui se fait appeler Dagobei succombe aux charmes d'une Geisha. Alors que son serviteur lui remet une somme importante devant lui servir à réintégrer son clan pour venger l'assassinat de son seigneur, il apprend qu'un autre samurai, appartenant au clan responsable de la ruine du sien, veut racheter les dettes de la Geisha pour en faire sa femme...
L'idée, en ouverture du film, du soleil qui se couche pour ne jamais reparaître (de même que la couleur) introduit à merveille les trois dimensions essentielles du film :
- du point de vue formel, Matsumoto utilise la photo noir et blanc très contrastée pour littéralement peindre un univers nocturne où les compositions picturales s'appuient sur des grandes surfaces uniformes - comme des grandes traînées de peinture.
- sur le fond, il s'agit de peindre un univers caractérisé par une noirceur toujours plus profonde, une plongée dans la folie comme entrée dans la nuit de la raison.
Le film se présente comme le théâtre d'ombres d'une psychée pour laquelle tout sens vacille.
- car enfin, Matsumoto joue sur la dimension théâtrale des situations : les éclairages artificiels constants (il fait toujours nuit, comme sur une scène de théâtre) et le fait que les personnages jouent des rôles pour duper ceux qui les observent...
Au delà, la trouvaille formelle des répétitions (le héros voit ce qui va arriver puis tombe malgré tout dans le panneau) donne un caractère inéluctable à ce qui arrive, en renforçant encore cette noirceur, cette absence d'espoir, qui caractérise tout le film.
En définitive, ce film est la vision stylisée d'un monde qui a perdu son sens. Un monde de simulacres, comme si l'Homme n'était jamais sorti de la caverne de Platon.
Un monde qui est peut-être aussi celui du Cinéma, cet art qui nous fait entrer dans une nuit peuplée de fantômes du passé et de bribes de désir - où l'écran est barbouillé du fiel de nos erreurs passées comme des traînées d'encre noire.
vic a écrit :Shura - The 48th Ronin (Toshio Matsumoto, 1971) : film d'une grande originalité et très surprenant par bien des cotés, où Matsumoto semblent vouloir constament repousser toutes les limites esthétiques et dramatiques pour mieux accrocher le spectateur aux tripes (je sais que personnellement des images et les personnages du film sont inscrits de manière indélébiles dans ma mémoire et c'est pas souvent que ça arrive.)
J'avoue que je suis incapable de trouver les mots pour décrire l'originalité et surtout la beauté de la mise en scène très maitrisée, entre classissisme proche du kabuki et modernité des mouvements de caméra. En tout cas le film est à voir dans le noir complet pour apprécier pleinement toutes les nuances et subtilités du noir et blanc très travaillé, le film étant entièrement nocturne, les personnages sortant des ténébres et y retournant comme les fantomes d'un film de Nakagawa. Bref, un vrai choc émotionnel.
Bizarre que ce film qui me parait à hauteur des meilleurs réussites du jidai-geki, tant esthétiquement (Onibaba, Kwaidan, etc) que dramatiquement (Harakiri, Sword of Doom, etc) me soit jamais cité nulle part.
spoilers : http://www.sancho-asia.com/article.php3?id_article=1055