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LE TROISIEME TROU (PERRY MASON) de Erle Stanley Gardner

Créé par Erle Stanley Gardner (1889 – 1970), le personnage de l’avocat enquêteur Perry Mason effectue ses débuts en 1933 avec PERRY MASON SUR LA CORDE RAIDE. Par la suite, sous le pseudonyme d’A.A. Fair, l’écrivain lance une nouvelle série, consacrée aux détectives Cool & Lam. Nouveau succès pour Gardner qui abandonne son métier d’avocat et écrit, chaque année, plusieurs romans policiers jusqu’à son décès. Au final, Perry Mason vivra 82 aventures et Cool & Lam résoudront 29 énigmes.

Dans ce court roman (180 pages dans l’édition originale), Kerry Dutton débarque dans les bureaux de Mason pour avouer un détournement de fonds. Très vite, il apparait que Dutton été animé des meilleures intentions : en effet, le père de l’insouciante Desere Ellis lui avait confié la gestion d’une importante somme d’argent. Or, Desere semble être tombée sous la coupe d’un jeune beatnik désireux d’utiliser la fortune de la demoiselle afin de lancer un nébuleux projet d’aide aux artistes. Amoureux de Desere, Kerry Dutton a voulu l’empêcher de dilapider cet argent et a procédé à différents placements, obtenant au final un joli bénéfice en son nom propre qu’il souhaite laisser à la jeune fille. Une affaire de meurtre, commis près du troisième trou d’un parcours de golf, complique la situation et Mason devra sauver de la mort un Dutton que tout accuse.

Datant des années ’60 (il s’agit d’une des dernières enquêtes de Mason), le bouquin a plutôt bien vieilli, décrivant un milieu de jeunes artistes oisifs voulant utiliser l’argent d’autrui pour leurs combines (« Desere fréquentait surtout des garçons aux cheveux longs et aux ongles sales, des idéalistes d'extrême gauche, qui n'hésitaient pas à piocher dans son argent tout en continuant à la tenir à l'écart. »). Le style de Gardner est, en version originale, parait-il exécrable et il faut, si cela est exact, saluer la traduction de Maurice-Bernard Endrèbe (lui-même romancier et créateur du personnage d’Elvire, la Vieille dame sans merci) qui, dénuée de circonvolution, n’en reste pas moins très efficace et va droit à l’essentiel : peu de description mais beaucoup de dialogues, un peu à la manière d’une pièce de théâtre et, d’ailleurs, les jeux de manches entre avocats ne sont-ils pas les meilleurs héritiers du théâtre classique avec l’unité de lieu (le prétoire), de temps (la durée – courte – du procès) et d’action (qui relève du pur whodunit) ?

Si l’enquête est réussie (quoique les premières pages, assez techniques, peuvent rebuter pour les non familiers des problèmes juridiques), les personnages sont, eux-aussi, intéressants : Perry Mason est aidé de sa secrétaire forcément énamourée (Della Street) et d’un détective qui enquête sur le terrain, Paul Drake. Face à lui, Mason doit compter avec Hamilton Burger (sacré patronyme !) bien décidé à incriminer le pauvre Dutton. Une fois de plus, la vérité sera dévoilée durant les dernières pages, menées à un rythme des plus soutenu et même si l’identité du coupable n’est pas franchement surprenante, la recette fonctionne impeccablement. Un plaisant whodunit, une énigme bien construite, un zeste de romance, une pincée d’humour,…cette première rencontre avec le plus célèbre des avocats s’avère très agréable et donne envie de découvrir d’autres enquêtes de cette longue série. Du divertissement pur (il ne fait pas en attendre de la grande littérature ou une quelconque recherche stylistique) qui se lit quasiment d’une traite.


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LA LEGION ECARLATE de Johan Heliot

Né à Besançon en 1970, Johan Heliot se révèle au public avec sa trilogie de la lune dont le premier tome, LA LUNE SEULE LE SAIT, publié en 2000 chez Mnémos obtient le prix Rosny Ainé. Par la suite, Heliot écrit le diptyque FAERIE HACKERS / FAERIE THRILLER et de nombreux romans indépendants tant destinés aux adultes qu’aux adolescents.

Edité dans la collection « Royaumes Perdus » chez Mango, LA LEGION ECARLATE est plutôt destiné aux jeunes lecteurs mais chacun peut y trouver son bonheur. L’intrigue, resserrée sur 176 pages, s’intéresse au destin d’un jeune soldat romain, Marcus Livius Salveris, vivant sous le règne de l’Empereur Trajan. Il accompagne le général Servius Tarsa dans son grand projet : conquérir les terres inconnues se trouvant au-delà de la Grande Mer. Le général voit son armée décimée par une tempête mais s’obstine et débarque au Nouveau Monde : la lutte s’engage entre les légions de Rome et les tribus Peaux-Rouges.

Asterix et Obélix avaient jadis, effectué cette « grande traversée » et Tarzan avait, il y a des décennies, rencontré au fond de l’Afrique des soldats romains. Heliot lui-même, dans son RECONQUERANTS, avait déjà traité du sujet mais, cette fois, il opte pour un récit plus porté sur l’aventure, quelque part entre l’uchronie, la fantasy, le péplum et le western. Le parcours du jeune héros Marcus anticipe ainsi le destin de certains protagonistes du western dit « progressiste », son acceptation au sein de la tribu indienne évoquant le classique UN HOMME NOMME CHEVAL ou le plus récent DANSE AVEC LES LOUPS tandis que les scènes de massacre rappellent SOLDAT BLEU. Face à Marcus se dresse le tyrannique Borsa : celui-ci, après avoir assassiné son général, règne en maitre sur les derniers légionnaires romains abrutis par les drogues. A moitié fou, Borsa s’imagine en véritable César, tel le colonel Kurtz d’APOCALYPSE NOW. Heliot décrit donc l’opposition entre son légionnaire bienveillant et le despote sanguinaire, ajoutant à la transformation psychologique et initiatique de son héros (comme en témoigne l’éprouvante scène de torture visant à l’intégrer à la tribu) une inévitable romance et un soupçon de fantastique par les interventions (authentiques ou imaginaires ?) des anciens dieux Ursus et Corbeau.

Les scènes d’action sont, pour leur part, efficaces et décrivent les manières de combattre des Romains et leurs machines de guerre, notamment les redoutables Scorpions. Pour les curieux un lexique explicatif en fin de volume fournit quelques précisions sur les termes antiques employés.

En dépit d’un déroulement quelque peu prévisible et linéaire, LA LEGION ECARLATE demeure une belle réussite qui se lit pratiquement d’une traite et offre un agréable dépaysement aux amateurs de récit d’aventures historiques teintés de fantastique. Une réussite !



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LES YEUX DE L'OMBRE JAUNE

Les « Bob Morane » mettant en scène l’Ombre Jaune sont souvent à la fois les plus divertissants et les plus frustrants. Divertissants car ces aventures sont celles qui se rapprochent le plus du « pulp » à la DOC SAVAGE, FANTOMAS ou FU MANCHU dont ils reprennent avec bonheur tous les clichés, certes surannés mais toujours plaisants. De la littérature de consommation courante à base de méchant mégalomane, de jeune fille en détresse et d’inventions délirantes. Cependant, les « Ombre Jaune » s’avèrent également frustrants car les contraintes inhérentes à la série (le nombre de pages restreints, le souci de rester dans une optique très familiale au niveau de la violence) obligent Vernes à limiter le développement de l’intrigue, laquelle devient, dès lors, très schématique. Ne pouvant se permettre de trainer en route, l’auteur amorce son récit par une situation mystérieuse auquel seront confrontés nos amis Morane et Ballantine. Très vite les deux amis soupçonnent l’Ombre Jaune et, oh surprise, celui-ci s’avère effectivement coupable. Après quelques péripéties, l’une ou l’autre bagarre et course-poursuite, Morane triomphe du cruel Oriental, généralement en recevant l’aide bienvenue de Tania Orloff, la nièce de Mr Ming partagée entre sa loyauté envers tonton et son amour platonique pour Bob.

Dans le cas des YEUX DE L’OMBRE JAUNE, une demoiselle en détresse, Martine, est traquée, dans un Londres forcément brumeux, par un étrange humanoïde dont les yeux lancent des rayons mortels. Secourue par Morane, la jeune fille révèle que son père, un spécialiste du laser, a disparu. L’Aventurier, accompagné de Ballantine, se retrouve ensuite dans un château médiéval auvergnat et découvre rapidement l’implication de Monsieur Ming, alias l’Ombre Jaune, dans un sinistre plan visant à créer une arme mortelle. Heureusement, Tania Orloff, que Bob persiste à considérer comme une « petite fille » viendra à la rescousse pour déjouer les projets de domination planétaire de son oncle.

L’intrigue, très classique et linéaire, n’est pas inintéressante mais Vernes doit avancer à la vitesse d’un supersonique pour la caser dans le nombre de pages impartis (moins de 150). Pas de place au doute (seul l’Ombre Jaune peut avoir élaboré un tel plan de conquête !), peu de développement des personnages (exceptés quelques phrases échangées, en fin de volume, entre Bob et Tania) et peu de surprise quoique le roman ne soit jamais ennuyeux. A la fois qualité et défaut, le rythme soutenu assure un divertissement bien ficelé et divertissant, une lecture idéale pour les jeunes adolescents (et ceux qui le sont resté).

Pour l’anecdote, le roman fut adapté en bande dessinée dans une version remaniée sous le titre LES YEUX DU BROUILLARD (Miss Ylang Ylang y remplaçant Mr Ming) et cette bande dessinée fut elle-même convertie en roman (également sous le titre LES YEUX DU BROUILLARD), aboutissant à une sorte de remake du titre qui nous occupe.

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LE MIROIR SE BRISA d'Agatha Christie

Quoiqu’il soit rarement cité parmi les incontournables de Christie, LE MIROIR SE BRISA démontre pourtant toute la science narrative de la romancière.

L’intrigue tourne autour de la célèbre actrice Marina Gregg venue tourner un nouveau film dans le petit village tranquille de St Mary Mead en compagnie de son époux, le réalisateur Jason Rudd. Lors d’une réception donnée dans leur nouvelle maison, Heather Baddock, jeune femme sans histoire, renverse son cocktail. Marina lui tend innocemment le sien mais, dès que Heather l’a bu, elle s’écroule, victime d’une overdose de tranquillisant. L’inspecteur Dermot Craddock de Scotland Yard arrive à St Mary Mead pour enquêter, aidé par Jane Marple. Très vite, tous deux acquièrent la conviction que la victime désignée était en réalité Marina, d’ailleurs cible de lettres anonymes très menaçantes.

Inspirée par la vie de l’actrice Gene Tierney, ce « country mystery » fonctionne comme une sorte de séquelle à UN CADAVRE DANS LA BIBLIOTHEQUE (datant de 1942) auquel il est fréquemment fait référence. Publié vingt ans plus tard (en 1962), LE MIROIR SE BRISA se montre nostalgique et analyse les changements connus dans un petit village anglais typique où, à présent, les gens ont arrêté de cultiver leur potager et préfèrent acheter leurs légumes au supermarché. Le village s’est étendu, un nouveau quartier résidentiel a été construit (le Quartier Neuf) pour la génération de l’après-Guerre et, horreur ! malheur !, certains hommes portent les cheveux longs.

Pour sa huitième enquête, Miss Marple apparait très âgée (on la décrit, de manière exagérée, comme « presque centenaire ») aussi effectue t’elle l’essentiel de l’enquête par les yeux d’autres personnages qui lui servent de témoins. Peu à peu, elle résout le mystère. La maitrise de Christie apparait d’ailleurs dans ces dernières pages : alors que certains de ses collègues s’étendent sur des dizaines de pages pour expliquer le « comment » et le « pourquoi », la romancière n’a besoin que d’une vingtaine de lignes pour démêler l’intrigue : un changement de perspective, un renversement de point de vue et, en prenant les faits par « le bon bout de la raison », tout semble limpide.

Une belle réussite qui résiste très bien à la relecture.

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Réédité dans son intégralité par Robert Laffont dans sa collection « Bouquins », le « Journal » de Matthieu Galey, qui fut critique littéraire et théâtral et participa, entre autres, à l'émission « Le Masque et la Plume », est considéré par certains commentateurs comme un exemple du genre, ce qui, à mes yeux, je dois le dire, puisque j'ai pris la peine de le lire, me paraît, en grande partie, exagéré. Comparé à ses illustres modèles (les « Journaux » des Frères Goncourt, de Jules Renard, de Léon Bloy ou encore de Julien Green que je considère comme un chef d'oeuvre), l'ouvrage de Matthieu Galey me laisse l'impression de quelque chose de mineur, d'un ensemble de notes qui, même proposées dans leur intégralité, c'est-à-dire avec l'adjonction de passages qui avaient été censurés lors des éditions précédentes parce que jugés trop « sulfureux » probablement, semblent presque toujours ne privilégier, dans les événements qu'il rapporte, que ce qui est anecdotique.
Il ne suffit pas de croiser, au fil des pages, de ce « Journal », quelques-unes des personnalités littéraires, artistiques et politiques des années 1950-1980 pour susciter l'intérêt du lecteur de 2017. Ce que Matthieu Galey raconte, ce ne sont, le plus souvent, que des petites histoires sans importance ou des collections de bons mots qui n'ont la faculté que de libérer chez le lecteur un léger sourire puis de disparaître comme des bulles de savon qui éclatent et dont il ne reste rien. D'ailleurs, un bon nombre des personnages dont il est question dans ces pages ont déjà sombré dans les trappes de nos oublieuses mémoires. D'autres, certes, nous sont encore connus (Cocteau, Gide, Aragon, Sartre, Mitterand, parmi d'autres), mais, je le répète, ce que Matthieu Galey écrit à leur sujet ne suscite déjà plus qu'un intérêt très relatif. Pour ma part, en tout cas, je n'ai rien trouvé de très mémorable dans ces pages. On se délecte, certes, de temps à autre, d'une petite formule assassine, d'une description dépourvue de la moindre flatterie, de quelques méchancetés aussi finaudes que légitimes (ah ! Les sombres combines et cuisines littéraires autour du Prix Goncourt, un prix décidément totalement surfait!), mais rien dans tout cela qui ait la capacité de provoquer autre chose qu'un relèvement de sourcils... et l'on passe à autre chose.
Le premier quart de l'ouvrage m'a paru particulièrement décourageant au point que j'ai failli en abandonner la lecture en cours de route. Pourquoi ? Parce qu'il est encombré d'une amitié littéraire du Matthieu Galey des débuts, celle de Jacques Chardonne. Omniprésent, l'auteur de « L'épithalame » apparaît comme une personnalité agaçante, un homme suffisant, imbu de lui-même, déplaisant. Au point que, je l'avoue, c'est avec soulagement que j'ai vu disparaître son nom des pages du « Journal » en même temps que sa mort en 1968. Les pages qui suivent, délestées de cet encombrant personnage, gagnent aussitôt en intérêt sans être cependant palpitantes, Matthieu Galey restant quelqu'un d'assez superficiel. Jacques Chardonne évaporé, le « Journal » n'en paraît pas moins assez fastidieux, égrenant pas exemple, de manière lassante, les émois et les conquêtes sexuels de son auteur. Il n'y a pas de quoi s'en offusquer, Dieu merci nous n'en sommes plus là, mais il reste, qu'on le veuille ou non, qu'il n'y a rien de plus rébarbatif ni de plus lassant que de lire, page après page, des récits de cet ordre. Il faut s'appeler Mozart et Da Ponte pour rendre attrayant un catalogue de conquêtes d'ordre sexuel ! Chez Matthieu Galey par contre, ces récits répétitifs et monotones n'engendrent que lassitude dans l'esprit du lecteur !
Dans une des dernières notes du « Journal », écrite le 27 août 1985, alors qu'il vient de relire des pages qu'il a écrites 25 ans plus tôt, c'est Matthieu Galey lui-même qui, avec lucidité, détaille sa propre superficialité : « La figure que j'y fais ne me plaît guère, sot, vaniteux, frivole, coureur, snob, méprisant... ». On ne peut mieux dire ! D'autant plus que, lorsqu'il écrit cela, la teneur du « Journal » a changé et l'auteur lui-même n'est plus tout à fait le même. Le dernier quart de l'ouvrage, en effet, est de loin le plus intéressant. Le ton change, passant de la frivolité à une profondeur et une intensité dont il était jusque là quasi dépourvu. Rien de pesant cependant, Matthieu Galey gardant jusqu'au bout, jusque dans l'épreuve de la maladie, une sorte de détachement et d'ironie teintée d'humour subtil qui étonnent et émeuvent. Les dernières années de sa vie, marquées par l'atteinte d'une maladie dégénérative incurable (la maladie de Charcot), ont manifestement transformé l'homme, et le « Journal » s'en ressent, offrant tout à coup des notes et des phrases qui vont droit au cœur et qu'on souhaite retenir, alors que rien de ce qui précédait n'était vraiment mémorable. Ainsi, le 21 mars 1984, se référant au titre d'un ouvrage de Julien Green, il écrit : « Oui, je sais à présent que je suis un voyageur sur la terre, un touriste, que tout passionne et intéresse, parce que son séjour est bref, et qu'il ne reviendra plus. » Jusqu'au bout, en effet, même lorsque la maladie l'a rendu quasi impotent, on le devine curieux de tout, de la vie, du monde et de sa propre mort annoncée. Jusqu'à la dernière note du « Journal », écrite le 23 février 1986, sobre, belle et intrigante : « Dernière vision : il neige. Immaculée assomption. » 6/10
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EN SCENE POUR LA MORT de Helene McCloy

Helen McCloy (1904 – 1994) publie son premier roman en 1938, DANCE OF DEATH dans lequel apparait déjà le psychiatre Basil Willing qui deviendra son enquêteur récurent, héros d’une quinzaine de whodunit. On citera en particulier LE MIROIR OBSCUR, classique du crime impossible fréquemment cité parmi les meilleurs romans de ce style. Par la suite, McCloy délaissera quelque peu l’énigme pure pour se rapprocher du thriller psychologique.
EN SCENE POUR LA MORT se déroule dans un théâtre. Une troupe y répète le mélodrame « Fedora » dans lequel un personnage secondaire, Vladimir, meurt sur scène. Si, durant les répétitions, un mannequin est utilisé, un véritable comédien est engagé pour la première de la pièce. Au cours de celle-ci, Vladimir, qui git inconscient et dans le coma, est approché par trois autres acteurs : Leonard, Rod et la vedette, Wanda. A la fin de la représentation, Vladimir ne se révèle pas : il a été assassiné devant des dizaines de témoins. Leonard, Rod et Wanda ont tous eu l’opportunité de commettre le crime et la police ne possède aucun mobile et pas la moindre preuve permettant d’incriminer un des trois suspects. Le psychiatre Basil Willing intervient pour résoudre le mystère.

Sur cette base classique mais d’une redoutable efficacité, McCloy brode une énigme prenante dans laquelle on retrouve quelques mystères secondaires intéressants. Le roman débute par exemple par un étrange cambriolage chez un rémouleur : nul objet ne semble avoir été dérobé mais, par contre, le canari en cage a été libéré. La science déductive et les connaissances psychologiques de Willing permettront de résoudre ce problème et pour déterminer toute l’importance d’un traité médical et d’un synopsis abandonné (sur lequel une réplique est soulignée). Une mouche fournira même la preuve de culpabilité espérée. Willing usera également, à différentes reprises, d’une perspicacité proche de Sherlock Holmes pour énoncer quelques vérités évidentes…du moins après que le psychiatre ait expliqué le cheminement de sa pensée.

Comme dans de nombreux romans de ce style, l’énigme s’avère ingénieuse mais la solution proposée, qui pointe logiquement vers le coupable n’était sans doute pas la seule possible. Les whodunit sont souvent construits comme des puzzles où plusieurs résolutions fonctionnent (comme en témoigne l’incroyable CLUB DES DETECTIVES d’Anthony Berkeley, véritable tour de force qui propose pas moins de huit solutions plausibles à l’énigme). Il s’agit toutefois d’un défaut mineur (en est-ce véritablement un d’ailleurs ?) au sein d’un roman très plaisant, vivant et enlevé. Les dialogues sont réussis, le rythme alerte et les anecdotes sur le monde théâtrales instructives (un débutant déclame la dernière réplique de la pièce lors d’une répétition, ce qui provoque la colère des comédiens pour lesquels cela « porte malheur ») avec les rivalités entre acteurs, les uns cabotins, les autres en déclin, les autres espérant atteindre la gloire, sans oublier les seconds couteaux qui courent le cachet ou les types qui vivotent dans le milieu du spectacle en espérant qu’un jour un metteur en scène daigne s’intéresser à leurs écrits.

Une excellente surprise, immanquable pour les amateurs de whodunit rétro !



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Rien ne fait reculer l'écrivain algérien Boualem Sansal. Ni les intimidations ni les menaces ni les mises à l'écart n'ont réussi à le contraindre au silence. Dans un de ses romans, « Le Village de l'Allemand » (2008), il n'a pas craint de comparer les islamistes radicaux porteurs d'un projet clairement totalitaire aux nazis. Et il récidive, de livre en livre, proposant, dans ce nouveau roman, sorti en 2015 et à présent édité en format de poche chez Folio, en s'inspirant du célèbre « 1984 » de George Orwell, la vision d'un monde futur totalement gouverné par des « religieux ».
Cet empire théocratique se nomme l'Abistan et tire son nom de son prophète, Abi, lui-même désigné comme le « délégué » de Yölah, puisque tel est désormais le nom par lequel on nomme le dieu unique auquel on est tenu de se soumettre. Dans ce monde nouveau, toute vie, toute pensée sont régentées par des dispositions des plus contraignantes. La surveillance d'autrui s'organise de manière radicale et la seule langue autorisée pour les échanges a été conçue pour empêcher l'autonomie de la pensée. Ce régime, née à la suite de cataclysmes, a été engendré dans la peur et se maintient par la terreur qui fait les hommes soumis. Dès que pèsent sur un individu ou un groupe des soupçons de subversion, même infimes, le verdict ne tarde pas à tomber : tout récalcitrant, quel qu'il soit, est exécuté publiquement. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se plie au bon vouloir des « religieux », aux prières multiples qu'ils imposent, aux tenues qu'on est contraint de porter, aux interdits qui maintiennent dans l'ignorance.
En vérité, bien sûr, tout n'est pas aussi contrôlé que voudraient le faire croire ceux qui dirigent ce monde. Il existe des zones qui n'ont pas pu être encore nettoyées, des ghettos où sont parqués des renégats. Et puis, surtout, il court des rumeurs à propos de frontières. Ne reste-t-il vraiment qu'un seul monde, qu'un seul empire, l'Abistan ? N'y a-t-il pas quelque part une frontière à trouver et d'autres peuples à découvrir ?
Ces questions interdites, un individu nommé Ati se les pose. Quelqu'un ose mettre en doute la propagande du régime et partir à la recherche d'une autre vérité que celle qu'on cherche à imposer à tous les esprits. Un homme se met en quête des frontières, car il en est de deux sortes : la frontière géographique au-delà de laquelle vivent peut-être d'autres peuples, mais aussi la frontière du temps. Car, en Abistan, tout commence en 2084 et personne ne sait rien de ce qui s'est passé avant.
C'est un roman glaçant, terrifiant, qu'a écrit Boualem Sansal, comme un cri d'alarme pour nous mettre en garde contre le pire. Mais c'est aussi un roman d'espoir qui nous rappelle que, même dans un empire totalitaire comme celui qu'a imaginé l'auteur, il peut encore subsister, ici ou là, malgré la terreur, des esprits curieux, des hommes cherchant la liberté. 8/10
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QUANTUM de Peter Hamilton

L’Anglais Peter Hamilton (né en 1960) s’est fait le spécialiste des space-opéras gigantesques et des récits s’étendant sur des centaines, voire des milliers de pages, comme en témoigne son magnum opus, L’AUBE DE LA NUIT, œuvre fleuve (de plus de six mille pages) divisée en six tomes bien épais et qui serait, de fait, le plus long roman de SF jamais écrit. Hamilton aime les séries et celle de Greg Mandell en constitue une autre, trilogie cyberpunk mêlant science-fiction réaliste, politique fiction et énigme policière. Le premier tome, MINDSTAR, pose les bases d’un univers encore développé dans ce second opus, QUANTUM, situé dans un XXIème siècle dévasté par le réchauffement climatique.

Ancien militaire ayant combattu les djihadistes durant la guerre de Turquie, Greg Mandel travaillait pour la Mindstar, une branche des forces armées britanniques dont les agents disposent de pouvoirs psychiques (empathie, télépathie, préscience, intuition, etc.) augmentés par divers implants neuronaux. L’Angleterre se reconstruit après la période la plus sombre de son histoire : en effet, durant dix ans, le président Armstrong a imposé une infâme dictature socialiste sous l’égide du Parti Socialiste Populaire. Heureusement, aujourd’hui, le parti est tombé suite à un attentat ayant couté la vie à Armstrong. La chute des gauchistes a permis la seconde restauration et l’accession au pouvoir d’un gouvernement capitaliste néo conservateur bien plus apprécié du peuple qui chasse et extermine les derniers sympathisants socialistes. Directrice de la compagnie Event Horizon, la milliardaire Julia Evans fait appel aux services de Mandel pour élucider la mort d’un spécialiste de la physique quantique, Edward Kitchener, vénéré par ses élèves et disciples tel un véritable gourou. Mandel enquête, découvre l’attraction physique exercée par le défunt sur ses étudiantes mais également l’impossibilité apparente de ce crime : personne n’a pu venir de l’extérieur mais tous les suspects semblent innocents, ce que confirment les dons psychiques de Mandel.

QUANTUM est un roman touffu qui brasse de nombreux thèmes (physique quantique, voyages dans le temps, voyages interstellaires, problématique du réchauffement climatique, pouvoirs psy amplifiés par des implants,…) typiques du cyberpunk et qui, associés au contexte politique développé avec une réelle originalité (la suprématie conservatrice et libérale, associé à la toute-puissance des mégacorporations, comme solution après dix ans de tyrannie socialiste), offrent un background fouillé et intéressant à une énigme policière assez classique dans l’esprit des romans de l’âge d’or. Nous ne sommes pas loin des « cosy murder » et des « country house mystery » avec cette investigation menée par un enquêteur perspicace devant élucider le meurtre impossible d’un savant retranché dans un lieu isolé. Pour coller à son époque, l’auteur recourt néanmoins à la technologie et ajoute à son énigme une bonne rasade d’action, en particuliers durant les cent dernières pages, créant ainsi un hybride, ma foi fort efficace, entre le policier d’énigme, le polar hard boiled et la science-fiction politisée.

Certes, on peut regretter quelques longueurs (le bouquin fait quand même 540 pages, à peine une nouvelle selon les standards de son auteur mais un pavé pour la plupart des écrivains de SF), des digressions parfois un brin ennuyeuses ou exagérément étirées (était-il nécessaire de consacrer autant de pages à l’opposition entre la milliardaire Julia Evans et la présentatrice télé qui se moque de ses tenues ?) mais, dans l’ensemble, QUANTUM reste un divertissement bien mené, prenant et réussi dans lequel on ne s’ennuie pas.

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Rien que l'introduction vaut le détour, où Beigbeder fait l'apologie toujours salutaire du livre-papier face à la menace et aux changements apportés par la lecture sur liseuse et tablettes. Je ne suis personnellement pas forcément autant inquiet, mais en tant qu'amoureux du support, je ne peux que soutenir la démarche. Il propose ensuite le top 100 de ses livres/auteurs essentiels (certains ayant droit à plusieurs entrées), où via des citations il fait la part belle à son amour de la langue et de la poésie, mettant pas mal à l'honneur des auteurs adeptes du journal ou de l'autofiction. Et ça reste un critique passionnant par son approche affranchie des conventions. Les romanciers vivants y sont à l'honneur face aux morts. Entre intrigantes découvertes et plaisir de la connivence, chacun pourra faire son marché. Et c'est ce que j'ai fait en attaquant ça :


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Jauffret y propose une suite de courts chapitres, comme autant de petits romans-variations d'une noirceur terrifiante sur (en gros) la vie de couple, l'insatisfaction existentielle de personnages coincés dans un environnement urbain sans empathie, et qui n'ont pour seules options que la défenestration ou le meurtre gratuit. Jamais de prénoms, c'est toujours "Elle" ou "Il". C'est impeccablement écrit, dans un style clinique que Jauffret semble parfaitement maîtriser, au risque de tenir de la recette. Le principe de la succession fait que chaque petit récit finit par laisser une impression de ressassement. Cette monotonie est certainement voulue, parce qu'elle colle avec son sujet. En ce qui me concerne, ça m'a gavé, et j'ai laché le bouquin au bout d'une trentaine de chapitres (il en compte une 50aine). Ce que je me suis pratiquement toujours refusé à faire. J'ai trouvé ça un peu dommage, parce que je reconnais le talent de l'auteur, et que ça m'a évoqué un autre texte ultra-plombant qui m'avait bouleversé il n'y a pas longtemps (Bord de mer, de Véronique Olmi). Sans doute que Jauffret cherche ainsi à assécher l'émotion de son lecteur, à le rendre indifférent au sort de ses héros du désespoir. Mais j'ai trop de trucs à lire pour accepter de m'imposer jusqu'au bout une aussi pénible expérience...


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Excellent pavé, dont l'intrigue principale prend la forme d'une enquête sur un mystérieux cinéaste hollywoodien maudit, auteur de films d'horreur à succès, ayant profité des légendes courant sur son compte pour mieux vivre en reclus. Pessl (je sais pas comment ça se prononce) compose un univers étonnamment crédible, tant dans sa vision du milieu que dans le comportement de ses personnages. La chasse aux indices et aux témoins est rendu passionnante par l'inclusion dans le corps du texte de photographies, photocopies et autres documents (y compris des pages Web). C'est très convaincant et pas du tout gadgeteux. Et surtout, il y a un mélange des tons vraiment efficace, qui rend la lecture captivante, puisqu'on enchaîne harmonieusement des moments franchements hilarants, à l'ironie savoureuse, à d'autres passages absolument flippants. Tout ça rend le roman un peu inclassable. Même si l'on est beaucoup dans les codes du thriller, c'est sans doute pour faire passer en douce une réflexion sur le pouvoir de la fiction, le goût de l'humain pour la fable contre la raison. Bref, une vraie maîtrise de la part de cette romancière dont il faudra que je lise le précédent bouquin, qui avait eu plutôt bonne presse.


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Le meilleur pour la fin, avec ce qui fut plus qu'un coup de cœur. Le concept est relativement simple : Monnin a acheté à un brocanteur une enveloppe contenant un paquet de vieilles photographies ayant appartenu à une même famille (le genre de truc qui déjà me fascine). Elle s'en est inspiré dans un premier temps pour imaginer une histoire, donner une existence à ces figures anonymes aux postures et sourires figés dans l'éternité, et surtout faire entendre leurs voix. Le résultat est bien plus qu'un ludique exercice de style pour auteur en manque d'inspiration. Monnin s'est complètement approprié ces vies et ces visages pour broder à partir de là quelque chose de formidablement puissant, vrai et profond, dans une écriture de toute beauté, à la fois simple et fragile, qui tord délicatement la langue pour être le plus juste dans l'expression de ce qui est indicible. Elle évoque ainsi les espoirs et les déceptions de l'enfance comme de l'âge adulte, l'amertume, l'abandon. Le tout dans le cadre d'un petit village où la Nature souveraine impose aussi sa présence.
Puis dans un deuxième temps, Monnin tourne la page de la fiction et revient à la source en tentant d'enquêter sur les vrais gens, avec dans l'espoir de comparer la vérité et l'invention, et peut-être même de retrouver certaines de ces personnes. Là encore, la même écriture est à l'œuvre. Pas évident de décrire à quel point le regard et la prose de l'auteur sur ces gens, dont l'enveloppe ne sera jamais entièrement dévoilée, m'ont profondément bouleversé.
Petite cerise sur le gâteau, Alex Beaupain (son compagnon ?) a à son tour puisé son inspiration dans le texte de Monnin pour composer un véritable album, présenté comme complémentaire au bouquin. Avec de très beaux titres, délicatement produits (l'un d'eux sera même repris sur son dernier disque), de très chouettes guests (Camélia Jordana, Clotilde Hesme, Françoise Fabian entre autres).

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Message par Mama Grande! »

Le rouge et le noir de Stendhal

En général, j'aime plutôt la littérature XIXème. L'éducation sentimentale est un des plus beaux romans que j'ai jamais lus, je me délecte du souffle romanesque balzacien...
C'est donc avec excitation que j'ai ouvert mon premier Stendhal.
Mais rien à faire, j'ai beau m'être forcé, je n'ai pas réussi à le lire jusqu'au bout. Tout le projet esthétique de l'auteur, à savoir décrire les sentiments avec une froideur clinique et sans la moindre trace d'empathie ou d'affect, m'est complètement passé au-dessus de la tête. Il fut impossible pour moi de ressentir le moindre intérêt pour ce qui pouvait arriver à cette tête à claques de Julien Sorel, et la société qu'il décrit, que ce soit Paris ou Besançon, m'a semblé tellement lointaine... Pourtant, elle ne m'est pas plus lointaine que la Normandie de Madame Bovary, ou Angoulême dans Illusions Perdues, mais Flaubert ou Balzac parviennent à les rendre proches du lecteur par je ne sais quel miracle.
J'avais lu que pour avoir son style sec, Stendhal lisait chaque matin un extrait du code civil. On peut dire que ça lui a réussi. Mais en ce qui me concerne j'ai lu ses pages avec le même intérêt que j'aurais lu un rapport comptable. Donc quand le roman ne devient qu'une succession de faits qui se lit sans émotions, à quoi bon continuer? Autant lire le résumé de la fin. C'est ce que j'ai fait (à 150 pages de la fin quand même, mais c'était trop).
Résultat, je ne suis pas du tout motivé pour La Chartreuse de Parme, mais il paraît que c'est un peu différent.
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Message par poet77 »

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Je ne me lasse pas de lire et relire les ouvrages de Stefan Zweig (1881-1942) qui fut non seulement un remarquable romancier et nouvelliste mais aussi un biographe de grand talent. Il y a deux ans, je relisais avec bonheur et avec passion le livre qu'il avait consacré à Honoré de Balzac, un ouvrage de référence s'il en est, l'exemple parfait du talent de l'auteur autrichien. Avec l'ouvrage qu'il a consacré à Romain Rolland (1866-1944), me voilà cependant obligé de nuancer quelque peu mes propos. A vrai dire, si ce livre n'est pas aussi satisfaisant que d'autres, c'est probablement parce que, pour une fois, Zweig s'est risqué à se faire le biographe non d'une personnalité du passé mais d'un de ses illustres contemporains et, qui plus est, d'un homme et d'un écrivain avec qui il était intimement lié. De ce fait, comme l'indique très justement Serge Niémetz, qui en a rédigé la préface, l'ouvrage ressemble davantage à une hagiographie qu'à une véritable biographie.
Tout ce qu'a fait, pensé et écrit Romain Rolland prend une forme dithyrambique sous la plume de Stefan Zweig. L'admiration sans borne qu'il éprouve pour l'auteur de « Jean-Christophe » l'aveugle quelque peu, il faut le dire, et semble, parfois même, fausser son jugement. On a le sentiment de lire l'éloge d'un maître rédigé par un élève si transi d'admiration qu'il ne peut dévier d'un iota du registre apologétique. C'est exagéré car, si Romain Rolland, mérite en effet certains compliments, il n'en est pas moins, semblable à tout un chacun, encombré de petitesses, d'étroitesses d'esprit et de préjugés. De plus, contrairement à ce que laisse supposer Stefan Zweig pour qui chaque ouvrage du maître semble être un sommet d'excellence, l'oeuvre de ce dernier apparaît composée de volumes de qualités très inégales. Je me souviens d'avoir lu, il y a longtemps, « Colas Breugnon », qui m'avait paru bien peu intéressant. De même pour ce qui concerne « L'Âme enchantée » que j'ai lu en 1979 et qui, si je me souviens bien, ne m'avait guère enthousiasmé. Seul l'ouvrage le plus fameux de Romain Rolland, « Jean-Christophe », que j'ai lu en 1976, m'avait fait forte impression (mais je me demande s'il en serait de même si je le relisais aujourd'hui...).
Il est étrange de constater combien l'admiration et la vénération peuvent rendre tout à la fois lucide et aveuglé celui qui les éprouve. Les quelques pages que Zweig consacre à la question juive (comme on dit) telle qu'elle apparaît chez Romain Rolland sont la caractéristique de cet écartèlement. A propos du personnage de Jean-Christophe, Zweig écrit : « Sans que sa libre nature se laisse brider par n'importe quel sentiment de haine collective, il a cependant hérité de sa pieuse mère une certaine aversion à leur égard [les Juifs], et, en ce qui le concerne, il doute que ces gens par trop détachés de tout aient vraiment pris note de son œuvre et de sa personne ; mais il est sans cesse obligé de constater qu'ils sont les seuls à témoigner de l'intérêt pour son œuvre, ou du moins pour ce qu'elle offre de nouveau. » (p. 239). Curieusement, si l'on en croit le préfacier de la biographie, ce texte correspond exactement à l'ambivalence de sentiments qui habitait Romain Rolland dans son rapport avec Stefan Zweig. Mais que dire de cette phrase extraite de « Jean-Christophe » et citée par Zweig (p. 241) ? « Les Juifs sont comme les femmes : excellents quand on les tient en bride ; mais leur domination à celles-ci et à ceux-là est exécrable. ». Une phrase qui aurait dû faire bondir d'indignation l'auteur de « 24 heures de la vie d'une femme » !
A mon avis, Romain Rolland ne mérite vraiment les éloges que lui décerne Stefan Zweig que durant une seule période de sa vie. Mais quelle période puisqu'il s'agit de celle qui correspond aux années de la Grande Guerre ! Quand elle éclate, l'auteur se trouve en Suisse, pays dans lequel il devra rester confiné durant toute la durée des hostilités, tant ses positions suscitent de rejets et d'incompréhensions. Le titre même de son ouvrage le plus célèbre de cette époque (« Au-dessus de la mêlée ») provoque la confusion. Contrairement à ce qu'on lui a reproché, Romain Rolland n'a pas voulu se situer en dehors du conflit, mais il a voulu échapper à tout prix à toutes les propagandes et à tous les préjugés qui encombraient les esprits de ce temps-là, y compris les plus avisés. Les rêves de fraternité européenne que Romain Rolland n'avait cessé de magnifier se trouvaient alors fracassés et ne semblaient rien d'autre qu'une fumeuse utopie. « Cette guerre européenne est la plus grande catastrophe de l'histoire depuis des siècles, la ruine de nos espoirs les plus saints en la fraternité humaine », écrivait-il dans son « Journal » le 3 août 1914 (cité par Zweig p. 275). Pourtant, il ne veut pas baisser les bras ni se laisser envenimer par les poisons d'antipathie qui ne cessent de se répandre dans les deux camps : « Je ne veux pas haïr, écrit-il, je veux rendre justice même à mes ennemis. Je veux garder au milieu des passions la lucidité de mon regard, tout comprendre et tout aimer. » (p. 277). Quel contraste par rapport à ce que beaucoup d'autres écrivaient à cette époque, surtout dans la presse ! Rolland méconnu, incompris, vilipendé, mais ne voulant pas se laisser infester par l'esprit du temps a persisté contre vents et marées dans l'attitude la plus estimable qui soit et que Stefan Zweig avait bien raison d'approuver, tout en corrigeant les mauvaises interprétations de la pensée du maître : « Rolland, explique-t-il, ne combat (…) pas la guerre (comme plusieurs le crurent souvent), mais bien l'idéologie de la guerre, l'ingénieuse déification de l'éternelle bête humaine » (p. 305).
Je trouve regrettable que Stefan Zweig n'ait pas été capable de prendre un peu de recul par rapport à celui qu'il considérait comme un maître et un ami et avec qui il échangea une abondante correspondance, afin d'éviter le ton trop hagiographique de sa biographie. Cela étant dit, l'ouvrage mérite d'être lu, ne serait-ce, comme je l'ai indiqué, qu'à cause des pages saisissantes qu'il consacre à la période de la Grande Guerre. 6/10
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Message par poet77 »

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Avec ce quatrième volume de la saga « The Big Sky » se confirme l'immense talent d'écrivain de A.B. Guthrie. J'ai déjà vanté les qualités d'écriture des trois premiers récits (« La Captive aux Yeux Clairs », « La Route de l'Ouest » et « Dans un si Beau Pays »), qualités réaffirmées et renouvelées dans ce roman. Avec Guthrie, les histoires de western se colorent d'une profondeur et d'une densité qui leur donnent des dimensions d'universalité. On aurait tort de les qualifier de mineures. L'auteur de cette saga est un romancier de premier ordre, cela ne fait pas l'ombre d'un doute.
Le style et le ton adoptés par Guthrie pour ce quatrième volume diffèrent sensiblement des trois premiers. Nous ne sommes plus en 1832 comme dans « La Captive aux Yeux Clairs », mais en 1880 et, dès la première page, c'est le désenchantement qui gagne. Déjà, dès cette époque-là, en Oregon, force est de constater le gâchis, ce qu'on appellerait aujourd'hui le désastre écologique, les terres abîmées, les rivières polluées, etc. Plus rien n'est comme avant et, s'il est encore permis de rêver, il faut le faire en quittant ce pays-là pour chercher asile ailleurs, sur une autre terre, là où peut-être l'on peut trouver de quoi être heureux.
C'est à quoi se résout Lat Evans, d'autant qu'il en a assez de supporter son père, son Pa comme il dit, un homme dont le moralisme étroit le rend à ses yeux à la fois aimable et haïssable, mais dont il ne peut plus supporter les colères. L'accablement de Ma ne suffit pas à le retenir, il faut chercher autre chose, et Lat Evans profite de la constitution d'un convoi de bétail pour partir et chercher fortune sous d'autres cieux. Un jour, se dit-il, il aura, lui aussi, ses troupeaux et ses terres et il sera riche. Avant cela, néanmoins, il faut passer par bien des épreuves, que Guthrie décrit avec un incroyable talent, nous faisant sentir presque physiquement les souffrances des hommes, leur solitude (car si l'on s'associe avec des partenaires, on ne noue jamais de véritables amitiés), la rude compagnie des Indiens et, surtout, les terribles rigueurs de l'hiver.
Aucun de ces périls ne peut arrêter Lat Evans qui, à force de conviction, d'habileté, voire de tricherie, réussit, là où il a trouvé racine, à conquérir le statut dont il rêvait. Cela dit, avec Guthrie, on ne saurait se contenter d'un simple récit de conquête sociale. D'abord, parce que, chez cet auteur, les rêves ne peuvent se limiter aux succès d'ordre matériel : au contraire, ils sont toujours habités de recherche mystique et de métaphysique (cf. le magnifique échange entre Lat et sa fiancée Joyce à la page 239). Est-ce parce que les protagonistes sont méthodistes ? Toujours est-il que la Bible imprègne ce roman (comme les trois précédents de la série) de sa marque. Une présence forte mais qui est à double tranchant, les protagonistes étant d'un côté habités de véritable faim spirituelle mais de l'autre tentés par un moralisme étriqué. On trouve cette ambivalence chez Lat qui reste marqué par l'étroitesse d'esprit de son père qui pourtant l'avait fait fuir !
Cela se retrouve également dans un autre grand point fort du roman, celui de la beauté, de la singularité et de la profondeur de ses personnages. Lat ne tarde pas à se trouver pris entre deux appels contradictoires : celui de Callie, une prostituée avec qui il a vécu les moments les plus heureux qui soient tant elle s'est mise à l'aimer jusqu'à ne pas hésiter une seconde à l'aider financièrement quand il était dans le besoin, et celui de Joyce Sheridan, la jeune fille de bonne famille qu'on lui a présentée en vue d'un mariage tout en lui recommandant fortement de cesser de fréquenter la première. Le personnage de la prostituée au grand cœur pourrait sembler quelque peu convenu mais ce n'est pas le cas. Guthrie n'a pas besoin de grands développements ni de lyrisme excessif pour nous faire sentir à qui l'on a affaire et nous faire comprendre les tiraillements de Lat, engoncé dans ses principes et son désir de respectabilité tout en sachant, au fond de lui, que personne ne l'aimera jamais autant que Callie. Quelques notations suffisent et l'on sait qu'aucune des expressions dédaigneuses dont on use pour la désigner ne peut entacher l'âme de la prostituée. Quoi qu'elle fasse, Lat lui-même ne peut l'évoquer qu'en parlant d'une fille « étrangement pure ». Et quand, à la fin du roman, il se confesse littéralement à Joyce, celle qui est devenue sa femme et qui lui a donné un enfant, quand il lui avoue sa relation avec Callie et quand il ajoute qu'il y a eu une rencontre entre eux après le mariage, il ajoute cette parole énigmatique, surprenante, paradoxale et néanmoins justifiable : « Parfois il faut pécher pour faire le bien » (p. 323). 9,5/10

N. B. : Ce superbe roman, précisons-le pour finir, a été adapté au cinéma en 1959 par Richard Fleischer sous le titre français de « Duel dans la boue ». Un film qui ne manque pas de qualités mais qui édulcore quelque peu le roman, si l'on en croit la postface de Bertrand Tavernier. Il est disponible dans la formidable collection « westerns » des éditions Calysta/Sidonis.
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Message par Max Schreck »

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Très bon. Tout n'est pas toujours convaincant, avec une peinture de personnages qui peut manquer de subtilité ou qui cède un peu trop aux clichés. Mais on est vite emporté par la chaleur qui se dégage de l'ambiance générale de la bande de copains qui se retrouve, et d'un postulat franchement marrant et qui ne manque pas de pertinence. Mordillat a surtout un vrai sens du dialogue, qui sonnent ici de façon très réaliste, quand bien même ça prend souvent la forme du discours politique. C'est surtout toujours tragiquement d'actualité.
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rodoliv
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Message par rodoliv »

Max Schreck a écrit :Image
Très bon. Tout n'est pas toujours convaincant, avec une peinture de personnages qui peut manquer de subtilité ou qui cède un peu trop aux clichés. Mais on est vite emporté par la chaleur qui se dégage de l'ambiance générale de la bande de copains qui se retrouve, et d'un postulat franchement marrant et qui ne manque pas de pertinence. Mordillat a surtout un vrai sens du dialogue, qui sonnent ici de façon très réaliste, quand bien même ça prend souvent la forme du discours politique. C'est surtout toujours tragiquement d'actualité.
Merci, je teste ainsi que "Intérieur nuit" que tu mentionnes plus haut :wink:
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Re: Vos dernières lectures

Message par Max Schreck »

rodoliv a écrit :Merci, je teste ainsi que "Intérieur nuit" que tu mentionnes plus haut :wink:
Je décline toute responsabilité en cas de déception, hein, mais c'est bien le but de ces notes que d'encourager à la curiosité. De mes dernières lectures, je reste quand même sur Les Gens dans l'enveloppe d'Isabelle Monnin, comme plus gros coup de cœur.
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