Le Cinéma muet

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

Dernier film vu dans ce petit focus "école suédoise" :

Le trésor d'Arne / Herr Arnes pengar (Mauritz Siller - 1919)

Trois brigands écossais s'évadent d'une prison et vole l'argent d'un seigneur en massacrant toute sa famille. Seule a survécut une jeune fille qui avait pu rester cachée durant la tuerie. Quelques temps plus tard, elle croise sans le reconnaître l'un des assassins.

Encore une belle réussite signée par Stiller :)
Le scénario est un peu mieux structuré que le vieux manoir mais continue de conserver une narration clairement découpé en chapitre. L'originalité ici est qu'ils correspondent chacun à un changement de focalisation.
L'effet est simple mais permet de modeler des personnages plus profonds que le tout venant avec en particulier une psychologie très riche et complexe. C'est surtout valable pour l'un des trois assassins rapidement pris d'une terrible crise de culpabilité au point de d'éprouver des sentiments envers la "soeur" de la fille qu'il a poignardée.
La survivante est un tout petit peu moins marquante dans le sens où son amour pour cet homme repose moins sur un élément déclencheur fort. Mais durant le dernier tiers, ses dilemmes donnent des beaux moments. Ca repose en partie sur la fragilité de son interprétation mais aussi, et surtout, sur la réalisation de Stiller qui possède une rare compréhension de son langage cinématographique. Ainsi quand l'héroïne est en plein trouble pour savoir si elle doit dénoncer ou non l'homme qu'elle aime, toute la séquence se déroule dans des ruelles et passages du bourg pour créer un sentiment d'enfermement alors que les extérieurs du film se déroulait jusque là dans des lieux ouverts. Il y a beaucoup de trouvaille de ce genre tant visuel (les trucages sont très bien pensés et conçus) que narratif (l'ellipse du massacre, la vision des assassins aiguisant leurs couteaux) ou pictural avec le choix de cette mer gelée où tout le monde est prisonnier.
La caméra participe donc à communiquer des émotion délicates. Un travelling précédent le criminel crée ainsi physiquement la présence d'un fantôme qui le hante et devient de la sorte un sentiment palpable tant pour le comédien que pour le spectateur.

La capacité du cinéaste à s'adapter à chaque séquences est remarquable et ce dès l'ouverture qui possède la fraîcheur et la fantaisie des meilleurs Sérial avec un formidable sens de l'espace (géniale idée d'introduire la cellule par un travelling circulaire suivant le gardien).
Le style du film passe ainsi de la légèreté à l'urgence en passant par le désarroi, le trouble, le romantisme et la solennité lors d'un cortège final qui a marqué beaucoup d'esprits.
En revanche, je trouve qu'il manque au film un véritable climax qui donnerait toute sa force à cette très belle fable morale d'une beauté plastique permanente.

Le film est sorti en zone 1 donc n'hésitez pas :D
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Message par Supfiction »

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Beau Brummel (1924)

Cette version de 1924 réalisée par Harry Beaumont s'avère beaucoup plus sombre et tragiquement romantique que le remake plus connu avec Stewart Granger. C'est sans doute l'époque qui veut ça mais c'est aussi la conséquence du grand écart de style entre les deux têtes d'affiche de ces deux versions, entre le charmeur cabotin Stewart Granger et le mélancolique et tragique John Barrymore. De fait, ce Beau Brummel fait souvent penser à Monte Cristo ou à certains films de Lon Chaney pour sa noirceur romantique et sa vengeance en toile de fond.
Cette version vaut le coup d’œil également grâce à Mary Astor, alors âgée d'à peine 18 ans. Ses scènes d'amour avec Barrymore sont très réussies et on croit totalement à la véracité des sentiments. C'est aussi réussi que chez Borzage (je ne peux pas faire de plus beau compliment donc).
Le vieillissement des deux acteurs au cours du film est également particulièrement convaincant, c'est assez rare pour le signaler. Bon, c'est surtout Barrymore qui vieillit en fait, passant du jeune premier au vieillard sénile et à moitié fou (alors que son valet ne bouge pas lui!).
Enfin, la musique est excellente notamment dans les passages romantiques. Petit bémol, le dénouement s'éternise un peu trop, comme s'il n'avait pour fonction que d'assurer une grande scène tragique à la star Barrymore.
Je redécouvre totalement Mary Astor pour l'occasion et j'ai bien envie de voir d'autres muets avec cette actrice oubliée dont j'avais une image assez dure à cause du Faucon Maltais.
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Message par bruce randylan »

Un p'tit mot sur The extra girl (F. Richard Jones - 1923)

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Un jeune femme un peu naïve rêve de faire carrière dans le cinéma. Sans réponse d'une annonce de casting par correspondance, elle décide de rester dans son village natale pour épouser son ami d'enfance. Mais le jour du marriage, un studio lui propose de venir signer un contrat sans imaginer qu'une rivale amoureuse de son fiancé avait manipuler son courrier

Produit et écrit par Mack Sennett, ce nouveau véhicule pour Mabel Normand (qui trouvait cela dit l'un de ses derniers rôles) laisse un peu craindre le pire à la lecture de son synopsis. Mais contre toute attente, ce film est excellente surprise qui bénéficie d'une écriture soignée qui parvient à éviter les déja nombreux clichés sur la fascination que le cinéma exerçait sur la foule. En effet, les personnages ici sont particulièrement humains et ne répondent pas à des conventions incontournables. Ainsi, c'est le futur marié qui va aider Mabel Normand a prendre la fuite pour qu'elle puisse réaliser son rêve de devenir actrice plutôt que chercher à la retenir. De plus la vision du 7ème est loin d'être idyllique ou même glamour et ressemble surtout à une fourmilière débordant d'égoïsme et d'arrogance (sans non plus tomber dans la charge satirique).

L'autre grand atout de The extra girl est de bénéficier d'une réalisation très soignée de Jones qui sait très habilement glisser d'un registre à l'autre avec beaucoup d'aisance. La séquence de la fuite du mariage est ainsi très dynamique et alerte pour se conclure magistralement par une note touchante et émouvante quand le père pourchassant sa fille se retrouve à lui dire au-revoir au milieu des rames du chemin de fer, étant arrivé trop tard pour l'empêcher de prendre le train.
Beaucoup de séquences fonctionnent ainsi sur un mélange de registre : sérieux et humour (l'essai de cinéma), l'humour et la tendresse (les retrouvailles au studio), la farce et le suspens incroyablement intense (le lion) ou le drame et l'action (l'escroc).
A chaque fois Jones trouve une manière subtile et mettre en valeur toutes les situation, souvent en jouant (et variant) les décors. La séquence du lion est à ce titre un modèle de découpage, d'utilisation des travellings et de variations d'échelle de plan.

Le film n'essaie toutefois jamais d'être un chef d'oeuvre et s'attache à rester une divertissement fluide et jamais ennuyeux. La fin très moralisatrice rappelle d'ailleurs qu'on se trouve devant un film grand public mais il faut rendre hommage à un véritable respect des personnages à l'écran qui ne sont jamais artificiels (malgré plusieurs ficelle un peu faciles).

Ce formidable petit film est disponible dans le coffret Blu-ray de Flicker Alley consacré à Mack Sennett. De plus la copie est somptueuse. C'est le seul vrai long-métrage du coffret d'ailleurs (un titre atteint les 50 minutes mais sinon c'est plutôt des courts en une ou deux bobines). Je l'avais trouvé pour 5 euros lors de la braderie Carlotta 8)
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

En ce moment à la Fondation Pathé, il y a un cycle autour des grandes actrices du cinéma muet. Comme la sélection s'effectue autour de restaurations effectuées par Bologne (via Il Cinema Ritrovato), il y a pas mal de films italiens muets. :)

L'histoire d'une femme (Egenio Perego - 1920)

Pina Menichelli était donc l'un des trois grandes diva du cinéma transalpin durant les années 1910-1920 (avec Lyda Borelli et Francesca  Bertini). Il va sans dire qu'elles étaient toutes trois spécialisées dans le mélodrame.
C'est bien-sûr le cas de L'histoire d'une femme qui conte comment Pina Menichelli s'est retrouvée mortellement blessée par une arme à feu. Il s'agit donc d'une narration par flash-backs, ce qui est toujours peu commun à l'époque. Cependant les faits sont racontés par une confession écrite laissée par la victime avant qu'elle fut menée à l'hôpital et qui pose immédiatement pas mal de problèmes de crédibilités, de logiques et de cohérences. Ca pose surtout les limites d'une narration bien trop elliptique où les faits principaux doivent majoritairement tout aux cartons et très peu à la mise en scène. Ca donne donc beaucoup de scènes trop courtes qui laissent peu de temps pour que l'émotion et les dilemmes s'installent. Il est toutefois vraisemblable que la copie soit incomplète car il a y a de nombreuses coupes abruptes et plans fugaces qui ne sont pas en adéquation avec le rythme du film. Pas de quoi non plus expliquer certains trous du scénario pour le moins maladroit comme l'enfant de l'héroïne qui réapparait très artificiellement dans l'intrigue (et qui disparaît de nouveau très rapidement laissant une sous-intrigue en suspens !).
C'est un peu dommage car la réalisation avait les épaules pour tenir un peu plus la progression du film et des personnages. Elle est plutôt élégante avec une belle photographie, de jolis cadrages et des décors souvent bien conçues jouant beaucoup sur le vide. Par contre, le sens de l'espace est très brouillon et on a du mal à se repérer quand il y a des actions parallèles se déroulant dans des endroits proches.
Quant à l'interprétation, j'avoue ne pas avoir été si sensible au jeu de Pina Menichelli qui souffre d'un maquillage encore grossier.
Un peu décevant donc.

Assunta Spina (Gustavo Serena et Francesca Bertini - 1915) est d'un bien meilleur niveau. :)
L'intrigue n'est pas non plus d'une audace folle, toujours orientée très mélodramatique, mais cette fois le scénario est très épurée, se recentre énormément sur ses personnages en prenant bien plus son temps pour s'attarder à la psychologie. On sent donc parfaitement que l'actrice principal Francesca Bertini est à la co-réalisation avec le souci de rendre vivant les protagonistes et chaque scènes.
Certes le découpage est bien moins varié que L'histoire d'une femme (on reste dans un film de 1915) mais la rigueur du cadrage est d'une très grande maturité avec des plans larges magnifiques en extérieur, parfaitement composés avec une photographie sublime tandis qu'il y a un vrai travail dans la gestion de la foule et des figurants. Il y a notamment une toute une réflexion sur la profondeur de champ qui m'a paru encore plus abouti que le déjà excellent Mais Mon amour ne meurt pas (1913).
Après, certains décors intérieurs sonnent un peu trop théâtral et le toc en toile (surtout le tribunal).
J'ai aussi beaucoup aimé l'interprétation de Francesca Bertini, assez intériorisé et en finesse à part quelques fausses notes un peu plus datées lorsque le dénouement tragique se profile.
Pour ceux que ça intéresse, un DVD italien existe (il y a des sous-titres anglais sur les intertitres)
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Message par bruce randylan »

Adieu jeunesse ! / Adio Giovinezza ! (Augusto Genina - 1918)
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Un jeune homme arrive dans une grande ville pour poursuivre ses études. Le quotidien entre sorties avec les copains et un amour naissant pour la fille de sa logeuse est bientôt mis à mal par une femme plus âgée.

Cette comédie dramatique est en réalité la deuxième version d'une pièce de théâtre déjà adaptée au cinéma en 1913 par l'auteur lui-même Nino Oxilia.
Cette version étant disparue, on peut s'en faire une idée avec cette version d'autant qu'on y retrouve Maria Jacobini qui fut la compagne d'Oxilia.

C'est d'ailleurs avant tout pour ses comédiens qu'on peut trouver des qualités à ce film qui ne brille pas par une réalisation totalement anodine et sans grande saveur de Genina. Les décors sont peu exploités, le découpage est sans éclat, la photographie assez plate etc.
Reste donc la direction d'acteurs qui s'avère d'un bon cru et parvient à rendre vivant quelques personnages secondaires, quoique pénalisés par une caractérisation un peu grossière comme la bonne poire du groupe qui est toujours contraint de payer pour ses amis et qui perd toujours ses lunettes.
Mais c'est bien-sûr Maria Jacobini qui brille à l'écran et mérite largement sa renommée dans le cinéma italien muet. Loin des tragédiennes façon Lyda Borelli, Francesca Bertini ou Pina Menichelli, Jacobine apporte fraîcheur et spontanéité à son rôle avant que le film ne se fasse plus amer et qu'elle interprète avec beaucoup de sobriété, de retenu et d'intériorisation l'amoureuse fragile et délaissée, n'osant pas déranger son ancien amant.
L'évolution du scénario n'est d'ailleurs pas inintéressant avec une vision assez juste de la fin de l'adolescence (d'où le titre) puisque
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même si le couple renoue in-extremis à la fin de l'histoire, leur passion ne pourra pas survivre aux diplômes de l'étudiant qui doit continuer sa vie ailleurs.
Ce dernier acte (et Jacobini) permettent de sortir de l'anonymat avec un traitement à la maturité inattendue.

Le film connut deux autre remakes dont une autre par Genina en 1927 et une parlante 1940.
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

Je baise votre main madame! / Ich küsse Ihre Hand, Madame (Robert Land - 1929)

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Un comte russe déchu doit désormais gagner sa vie en étant serveur dans un restaurant de luxe parisien. Une série de quiproquo lui fait croiser à plusieurs reprises une aristocrate fraichement divorcée.

Ernst Lubitsch étant aux USA depuis quelques temps, la place était libre pour composer des comédies romantiques sophistiquées. Mais on se s'improvise pas Lubitsch si facilement et Robert Land vient en faire la démonstration. Sans être bien stimulant, le scénario offrait plusieurs pistes assez intéressantes pour dresser quelques séquences savoureuses mais la sauce ne prend que très rarement à cause d'un rythme bien trop plat et d'une réalisation qui peine à exploiter son matériel. Le rendez-vous manqué place Vendôme est loin d'être évident pour cause d'une gestion de l'espace maladroite. On pourrait en dire tout autant sur le second rôle corpulent qui grignote dans les plats de réception ou se voit contraint de promener un chien pendant que celle qu'il convoite fricote avec un conçurent. Ca manque vraiment de génie et d'une personnalité qui transcenderait le tout. En un mot, le timing et le tempo sont absents.

Résultat : malgré une introduction alléchante, le film ne décolle que rarement. Le film a beau bénéficié de jolis travellings, d'une production soignée et de comédiens talentueux, je baise votre main Madame provoque une passivité qui disparaitra seulement lors des 10-15 dernières minutes grâce à ses personnages plus complexes qu'à l'accoutumée. Il y a une très jolie séquence où Marlene Dietrich cherche à humilier son amant après avoir découvert son véritable emploi. Il y a là toute une belle palette d'émotions et de comportements à la fois complémentaires et contradictoire d'autant qu'un second rôle se révèle un caractère humaniste qu'on ne soupçonnait pas jusque là.
Et si l'ultime séquence dans les couloirs de l'hôtel accélère un peu le rythme et cherche quelques bonnes idées (via un ascenseur), on ne peur s'empêcher de se demander ce que ça aurait pu donner dans de meilleures mains.
Sinon, ça confirme que Marlene Dietrich est une actrice qui me laisse de marbre. :|

Le film est sorti dans la période de transition fin muet - début parlant avec un titre faisant référence à une chanson populaire de l'époque. Il ne tarda donc pas à connaître une rapide seconde exploitation avec une séquence sonorisée comprenant le fameux succès. C'est cette version qui a été diffusée à la Fondation Pathé.
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Message par bruce randylan »

Encore un mélo italien découvert grâce à un sympathique petit cycle sur l'année 1917 à la Cinémathèque (et le retour des muets sans accompagnement !).

La fille des flots / La figlia del mare (Ugo Falina - 1917)

Hypnotisée par les flots, un femme tombe dans l'océan avant d'être secouru par un peintre qui reconnaît en elle le sosie exact d'un amour passé décédé il y a 5 ans.

Est-ce un film ou est-ce plutôt un caprice Clelia Antici-Mattei ? :|
Impossible de trouver des informations sur elle et à la vue de sa courte filmographie (3 films entre 1917 et 1919), j'ai envie de croire que dame Clelia a voulu se prendre pour une des grandes divas du cinéma italien et a voulu se donner une carrière cinématographique. Elle est d'ailleurs co-scénariste de ce mélo édifiant et baignant dans les poncifs éculés : en tombant dans l'eau, elle perd la mémoire mais la retrouve après avoir fixé l'ocean par une fenêtre pendant plusieurs jours, elle tombe amoureux d'un prince russe qui fut lui aussi l'amant du sosie disparue... Et ça ne concerne que la première moitié du récit.
Ca pourrait passer à la rigueur si l'actrice était digne de rivaliser avec les Lyda Borelli ou les Francesca Bertini de l'époque... Sauf qu'elle se révèle une piètre actrice, dénuée du moindre charisme (et d'un physique pas très gracieux). Ses poses sont forcées, rigide et appuyés comme si son jeu avait 10 ans de retard sur l'ensemble de la profession. On peut cependant élargir ces reproches à ses partenaires, tous plus insipides les uns que les autres avec une médaille d'honneur à "Fatima", la servante du maître interprétée par une blanche passée au cirage noire le plus grotesque :?

Ugo Falina sauve un peu les meubles avec quelques plans bien cadrés et composés et quelques plans (beaucoup plus rares) avec de jolis clairs-obscures : le peintre posté à un balcon observant Clelia gravissant les escaliers d'une fontaine au loin, le couple d'amant s'embrassant sous un porche ou en ombres chinoise derrière une vitre opaque et plus surprenant un cadrage sur l'ombre d'un portail se reformant dessinant un motif abstrait. Mais sorti de ces enluminures, on ne peut pas dire que la réalisation porte l'histoire qui n'avance que pas ses cartons.
En y repensant, ça ne me surprend pas, j'avais déjà croisé Falina il y a des années avec une version de Roméo et Juliette de 1912 bien médiocre.

Et chose qui continuera de m'interloquer : une bonne partie du public de la CF qui applaudit à la fin de la projection. Ils ont vraiment une passion incompréhensible avec les mélodrames !
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

Amour et journalisme / Kärlek och journalistik (Mauritz Stiller - 1916)
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Pour obtenir un scoop sur les expéditions d'un célèbre scientifique, une journaliste se fait embauché comme servante dans sa maison

Petite et gentille comédie romantique bien loin de l'ambition (visuelle et plastique) des futures réalisations de Stiller, ce moyen métrage (35 minutes) n'en demeurent pas moins tout à fait charmant, en particulier grâce à ses comédiens, plein de naturel et de fraîcheur. Cela dit, il semble qu'Amour et journalisme s'intègre dans le genre de comédie que le cinéaste composera plus tard (mais que je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir).
En tout cas, l'intrigue, si elle n'est pas follement originale ou surprenante, est suffisamment bien construite et racontée pour qu'on suive le déroulement avec un certain plaisir. C'est surtout le personnage féminin qui est intéressant, pas si éloigné des héroïnes modernes Hawksiennes. Ca permet d'obtenir des relations et un sujet qui n'ont finalement pas tant vieilli au bout de 100 ans.
La mise en scène est encore un peu prisonnière d'une hégémonie de plans larges pour un découpage assez basique, sans être trop gênant par la brièveté de son récit, la qualité de sa photo et l'alchimie entre ses acteurs.

J'espère donc que la cinémathèque ne va pas (une nouvelle fois) annuler/repousser le cycle qu'elle doit consacrer à Mauritz Stiller, prévu pour l'été 2017.


L'Ange gardien / The Eternal Grind (John O' Brien - 1916)
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Trois sœurs orphelines vivent dans la précarité et doivent travailler dans une usine de textile aux conditions très rudes. Mais leurs caractères rentrent bientôt en conflit.

Un mélodrame fortement imprégné d'un discours social assez atypique pour l'époque mine de rien. On y parle des conditions de travail entre exploitations et insalubrité avec un grand patron qui s'enrichit en rognant sur le salaire de ses employés tout en leurs refusant l'accès au soin quand bien même cela tient de sa responsabilité. Et ce patriarche s'inquiète plus de voir l'un de ses fils avoir des idées progressistes que l'aîné dilapidant son argent dans l'alcool et les relations éphémères.
Production de studio oblige, on ne peut pas dire qu'on soit dans un ancêtre du néo-réalisme même si la réalisation offre quelques plans extérieurs du New-York de l'époque assez saisissant. Et ça n'empêche pas le film d'être assez juste et sincère durant sa première moitié.
La suite, malheureusement, n'échappe pas aux clichés du genre avec le fils renié, une sœur malade, une autre qui veut sortir de la misère en fricotant avec des hommes fortunés et une dernière intègre qui préfère brûler de l'argent sale que de l'utiliser.
Le dernier tiers avait l'air bien conventionnel à ce titre mais l'ultime bobine est désormais perdue et il faudra se contenter de cartons racontant la conclusion. En tout cas, la copie de la cinémathèque semble être l'unique survivante.
Un peu dommage car le film est vraiment plus qu'estimable malgré ses formules commerciales usitées.
Quant à Mary Pickford, qui tient le rôle titre, elle y trouve un personnage pour une fois plus proche de son âge réel. :mrgreen:
Elle est très bien cela dit, à la forte, volontariste et intègre sans pour autant être béate d'optimiste.

Deux bonnes découvertes :)
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

La bouteille enchantée / The bottle imp (Marshall Neilan - 1917)

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Amoureux de la fille d'un riche propriétaire, un modeste pêcheur décide d'aller prouver sa vaillance en allant dans une montagne magique pour ramener un manteau composé des plumes d'un oiseau de feu. Sur le chemin, il croise un vieil ermite qui lui vend une bouteille magique qui pourra répondre à ses vœux mais avec un risque de malédiction : son propriétaire doit en effet la revendre à la moitié de son prix d'achat sinon il sera condamné à un mort précoce, et vers l'enfer.

Agréablement surpris par cette production paramount qui offre à Sessue Hayakawa un premier rôle positif, loin de l'image du méchant de Forfaiture. D'ailleurs, le film prône un amour interracial assez étonnant puisque sa fiancée est une occidentale, certes hawaïenne (où le tournage s'est déroulé) mais "blanche" tout de même.
Adapté d'une nouvelle de Stevenson, le scénario est lui aussi surprenant avec un début qui fait plutôt penser à une variation d'Aladin avec sa princesse et sa lampe magique avant de bifurquer vers un registre plus menaçant dans cette malédiction ; bien qu'un peu brouillonne au début. Sa règle n'est pas clairement défini et on saisit mal les risques encourus, ses avantages et autres détails importants pour la compréhension de l'histoire. C'est donc durant sa seconde moitié que l'intrigue devient palpitante alors que les personnages sont contraints de devoir retrouver un repreneur à leur lampe magique mais dont la monnaie d'échange est de plus en plus dur à trouver, ce qui décourage les possibles repreneurs. Le suspens est bien dosé, la progression dramatique solide et on croit volontiers à cette histoire où le couple de héros est prêt à se sacrifier à tour de rôle pour sauver l'élu(e) de son cœur.

Les quelques trucages sont forcément désuets mais traduisent parfaitement les enjeux narratifs et quelques plans sont assez jolis. Plutôt connu pour ses titres avec Mary Pickford (que je ne connais pas encore comme M'liss et Papa longues jambes), le prolifique Marshall Neilan s'acquitte avec professionnalisme de sa tâche avec surtout la grande qualité de ne pas sombrer dans l'exotisme de pacotille auquel la bouteille enchantée échappe pratiquement totalement. Il se concentre sur l'histoire qui manque par moment de fluidité dans son introduction (mais peut-être est-ce dû à la copie de la cinémathèque qui possède quelques parties manquantes dont le prologue tout simplement absent ?) mais sait garder la tension, valoriser ses acteurs, donne quelques plans larges inspirés, soigne sa photographie (très jolis contrejours ou la scène nocturne au sommet du volcan) et donne surtout envie de croire à ce conte de fée un brin moralisateur mais toujours prenant.
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Re: Le cinéma muet

Message par Rashomon »

Où vois-tu tous ces films? Je ne les ai pas vus à l'affiche de la Cinémathèque ou de la Fondation Seydoux, je suppose donc que tu as une autre adresse. :wink:
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Re: Le cinéma muet

Message par aelita »

Les films suédois et les productions de 1917 sont ou ont été programmés à la Cinémathèque (dans un trimestre précédent pour les films suédois, et du 30/11 au 21/1 pour l'année 1917).
Dernière modification par aelita le 29 déc. 16, 22:29, modifié 1 fois.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (pensée shadok)
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

Voilà, il y a en ce moment un cycle sur l'année 1917 à la cinémathèque. :wink:
http://www.cinematheque.fr/cycle/l-annee-1917-371.html
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Re: Le cinéma muet

Message par Ann Harding »

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Critique de The Bottle Imp (1917, Marshall Neilan) sur mon blog.
aelita
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Re: Le cinéma muet

Message par aelita »

Merci pour le lien (en particulier pour les précisions que ta critique apporte). La copie de la Cinémathèque était incomplète (il manquait notamment le début, où Stevenson raconte l'histoire à des enfants), mais ça ne m'a pas empêchée de beaucoup apprécier ce film, parfois un drôle de mélange entre la culture polynésienne et le conte oriental (et parfois le conte gothique, avec cette bouteille qui porte malheur et passe de mains en mains, comme la main du diable-même si les deux histoires n'ont rien à voir), et aussi de détails quasi-contemporains (du tournage), tels le costume du père de la jeune fille à côté de l'aspect conte intemporel. La morale n'est pas très originale (elle est commune à bien des contes), mais elle n'est pas assénée de façon lourdingue.
Les trucages sont sommaires, mais ajoutent au charme de cette histoire.
Pour répondre à Bruce (à propos du côté interracial de l'histoire d'amour) , c'est sans doute parce que la jeune femme, même si elle a la peau claire, n'est pas "blanche" (c'est à dire d'origine européenne) , mais hawaïenne, que c'est passé aussi facilement (? à vérifier) : pour le public américain, c'était juste un conte exotique...
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (pensée shadok)
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Re: Le cinéma muet

Message par bruce randylan »

Toujours dans la rétro 1917 :

The last of the Ingrams (Walter Edwards - 1917)

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Le dernier descendant d'une lignée de pionniers ayant fait fortune a sombré dans l'alcoolisme après le décès de sa mère. Ses créanciers en profitent pour l'expulser de sa maison.

Supervisé et produit par Thomas H. Ince, ce drame moralisateur finit par s'imposer sur la longueur malgré une mise en place laborieuse.
En effet, la passion pour la boisson du héros et le cynisme du méchant s'accommodent assez mal d'un réalisation répétitive (Ingrams autour de la table du salon regardant le tableau de sa chère maman), d'une interprétation sans grande finesse et d'un propos guère plus subtile. Surtout on a du mal à adhérer à ce personnage aviné qui nous est imposé tel quel sans qu'on ai le temps de le prendre en pitié ou en sympathie. On a surtout l'impression de voir un numéro d'acteur de William Desmond pour montrer la grandeur de son registre. L'expression n'existait pas à l'époque (et pour cause) mais on dirait un rôle à oscars.

Le deuxième acte est plus satisfaisant une fois que le héros est sur la voie de la rédemption, mue par l'amour d'une femme méprisée elle aussi par une société réactionnaire. C'est surtout cette description d'une population bigote, mesquine et réactionnaire qui donne son intensité au film avec la description des habitants de ce petit village côtier. Les rues sont assez bien filmées comme les réaction outrés des passants face à la "provocation" des 2 "pêcheurs". Cette foule ainsi se transforme en une masse haineuse et hargneuse sortant le goudron et la plume (ce n'est pas qu'une expression !) pour punir ceux qu'ils jugent immoraux. On vire alors dans une variation assumée de la lettre écarlate. La virulence de la critique surprend tout de même d'autant que la réalisation et le montage s'accélèrent enfin avec une excellente gestion des figurants où la menace et la violence se font vraiment ressentir.
Après, ce n'est pas follement original non plus et le film est un peu hypocrite et prisonnier à la fois de son conformisme moral et de sa critique d'un certain puritanisme.

La copie de la cinémathèque (la dernière existante sans doute) mériterait une vraie restauration mais permet tout de même de profiter de quelques effets d'éclairages assez soignées.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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