La bonne nouvelle, ici, je trouve, est le retour en forme du metteur en scène, plus que du conteur-prophète, Shyamalan. L’ambition extra-filmique d’être le conteur des temps modernes manifestement passé, il en profite même pour faire évoluer, sans se renier, son cinéma, en lui ôtant l’élément qui commençait à rendre ses films caricaturaux, les fins à twist, pour tendre un peu plus, et plus "directement", vers ce qu’il l’anime fondamentalement : la foi. Mais, qu'il n'a pas totalement recouvert sa capacité à créer du sentiment, à émouvoir, à être capable de créer, à partir d’un style épuré et intimiste, une épaisseur dramatique.
Avant toute chose, After Earth est un récit initiatique. L'histoire d’un enfant initié par son père à la cruauté et beauté du monde. Le recours à la SF d’aventure écolo à la Avatar n’est qu’un prétexte commercial pour Shyamalan pour nourrir un drame intimiste quasiment dénué d’effets, de coup de théâtre, sans surprise, old-school, élaboré autour de l’idée de passation de pouvoir. Le postulat de départ sonne comme un croisement incongru, passablement réussi, entre le jeu vidéo ( FPS) et le cinéma ( sentiments, émotion et durée). L’opposition entre une logique d’exploration de jeu vidéo ( regarder, trouver...) et celle plus cinématographique du survivor où le corps entame une transformation ( blessures, endurance...), entre le mouvement nécessaire d’un enfant voulant échapper à la mort et l’immobilité d’un père cloué dirigeant et dispensant un enseignement devant un écran de contrôle. Opposition donc, entre, d'une part, l'aspect inexpérimenté, innocent et la peur du débutant et, d'autre part, l'aspect expérimenté, aguerri, courageux du patriarche. Et, mouvement de rapprochement entre les deux personnages éloignés par la distance d’un lieu, la Nature, dont Shyamalan ne tire rien d’autre qu’un réservoir d’épreuves pour rite de passage. L’environnement naturel est réduit à un arrière-plan, à une toile de fond dénuée de relief qui n’entre jamais en résonance, en dépit du message écolo, avec l’initiation du jeune héros. Le bestiaire ( des singes, sangsue, aux tigres, en passant par le rapace géant) ne sont là que pour alimenter un imaginaire. C’est rigolo mais complètement vain. Il y a un côté petit théâtre situé dans la nature. Rite de passage mais sans véritable prise de conscience de l’extérieur, le monde d'After Earth est un monde étrangement dépeuplé et dématérialisé; le film ne racontant, au fond, qu'une banale histoire de dépassement de soi. Qu'une transformation spirituelle à peine digne de Karaté Kid. A la fin du film, face au Monstre, n'ayant plus peur, l'enfant devient invisible, et donc, dans le vocabulaire de Shyamalan, sans que le réalité n'est de prise sur lui. La tendance à l’abstraction propre au cinéma de Shyamalan, à rendre immatérielle et illusoire la réalité posée par le film ( la réalité dans Sixième Sens, l’invasion ET dans Signs, la Nature ici) finit par rendre le film problématique et caduque. Détruisant tout ce qu’il construit scrupuleusement dans une logique de survivor, avec un corps soumis et des sens en éveil, le film s’annule sous l’effet d’une dématérialisation croissante de la réalité au profit d'un dépassement du personnage. On comprend très vite où Shyamalan veut nous emmener. La crise qu’il met en scène est avant tout spirituelle : les épreuves aboutissent à une maitrise progressive de la peur. Curieusement auto-centré, ridiculement rivée à un exercice de domestication de la peur comme produit de l'imagination, ce dépassement de soi ressemble à un exercice d'auto-hypnotisme de négation de la matérialité du monde. Le cinéma de Shyamalan n’est pas un cinéma existentiel mais un cinéma psychologisant, narcissique, dont le principal danger est de nier l’espace autour et au-delà de ses personnages. Or, l'espace au cinéma est essentiel.