Le Narcisse Noir (Michael Powell & Emeric Pressburger - 1947)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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lowtek
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par lowtek »

J'ai découvert ce film hier, et je souscris à toutes les réserves qui ont pu être formulées ici: le personnage de Dean dont l'érotisme pose problème (en short et en poney), des rôles secondaires un peu sacrifiés, etc. Et pourtant je considère ce film comme un des plus fascinants que j'ai pu voir. D'abord parce qu'il résiste à tout classicisme: c'est l'histoire la plus tordue que j'ai jamais vue sur grand écran (au moins on est sur qu'il n'y aura jamais de remake de ce film avec Jessica Alba ou Marion Cotillard), ensuite parce que cette histoire n'est qu'un facteur très minoritaire de sa réussite: ce qui saute aux yeux c'est avant tout sa matière, plastique, son utilisation étendue du langage cinématographique qui le rends très moderne. De la même manière que les peintures de Piero de la Fransesca sont modernes, en dehors de tout prétexte narratif. Le film d'ailleurs ne s’embarrasse que peu des conventions narratives: d'où viennent ces nonnes, que fait le personnage de Dean? Si le contexte (la religion, le colonialisme) est évidemment daté, la façon de le traiter est complètement ouverte et hors catégorie (à la fois humoristique et dramatique). C'est je pense le propre des chefs d'oeuvre d'échapper à leur époque et de défricher de nouveaux territoires esthétiques. Une chose est sure: ce film a inventé une lumière, une couleur, très moderne, qui est encore celle de notre époque (ces contrastes bleu et orange, ce rapport entre facticité et réalité des décors, proche des jeux vidéos).
Federico
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Federico »

Rick Blaine a écrit : Ce film frôle la perfection.
Dans le sens où frôler est sensuellement bien plus troublant que toucher, oh que oui ! (Je ne me suis toujours pas remis du frôlement du regard de Jean Simmons... :oops: )
Plus prosaïquement, j'irai jusqu'à dire que ce film est la perfection. :D
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Rick Blaine
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Rick Blaine »

Federico a écrit :
Rick Blaine a écrit : Ce film frôle la perfection.
Dans le sens où frôler est sensuellement bien plus troublant que toucher, oh que oui ! (Je ne me suis toujours pas remis du frôlement du regard de Jean Simmons... :oops: )
Plus prosaïquement, j'irai jusqu'à dire que ce film est la perfection. :D
Je n'avais pas réfléchi, consciemment en tout cas, au choix du mot, mais c'est vrai que la notion sensuel de frôlement lui va bien.
Après quelques semaines de murissement dans mon esprit, je pense que je suis près de souscrire définitivement à ta dernière phrase, cette œuvre est inoubliable.
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par someone1600 »

Un excellent film en effet. :D
allen john
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par allen john »

Black Narcissus (Michael Powell, Emeric Pressburger, 1947)

Cinq religieuses sont mises à l'épreuve: il s'agit pour Soeur Clodagh, Soeur Ruth, Soeur Briony, Soeur "honey" (miel, ou "chéri") et soeur Philippa de construire un couvent à partir d'un bâtiment à l'histoire singulière, situé dans les contreforts de l'Himalaya. Elles appartiennent à un ordre spécifique qui leur propose de renouveller leurs voeux tous les ans, faisant d'elles de véritables volontaires dans leur sacerdoce. Le bâtiment mis à leur disposition par le potentat local est un ancien bordel, qui a servi un temps de monastère, mais les moines n'ont pas tenu longtemps: quelques mois... Les gens du coin, d'origine locale (le "général", dirigeant la région) ou Britannique (Mr Dean, l'agent de liaison du "général") vont assister à la tentative des religieuses, et les passions vont se déchainer.

Le Narcisse noir du titre se réfère à un parfum, brandi lors d'une scène par le jeune "général", interprété par Sabu. Le parfum, ou comment une sollicitation des sens est évoquée lors de ce film qui nous conte la difficile tentative de cinq femmes de s'exiler de leurs sens, justement. Par extension, le "narcisse noir" est assimilé à ce jeune général, soucieux de se cultiver mais qui va surtout participer à l'éveil général et baroque des sens. Outre le parfum, on verra un grand nombre de motifs et d'objets liés à la sensualité, la féminité, les sens, depuis des bijoux jusqu'à des fleurs, le film se déroulant dans un luxe de couleurs du à la maitrise exceptionnelle du chef-opérateur Jack Cardiff en matière de Technicolor....

Il y a mise à l'épreuve, donc, mais pas officielle: à la base, il s'agit pour l'église d'assurer une présence en même temps que l'éducation des populations locales. Mais cette mission est à l'origine confiée à Soeur Clodagh (Deborah Kerr) par une vieille soeur toute ridée. On ne la verra pas au-delà de l'exposition du film, mais elle trouve un relais avec deux autres personnages agés: une Indienne, Ayah, sceptique et très ironique à l'égard des soeurs, et un 'saint homme', ermite anonyme et silencieux, qui médite en permanence face à l'himalaya. Les deux reflètent des philosophie différentes, Ayah étant très terrienne (apprenant la venue de religieuses, elle fait le rapprochement avec les prostituées et se réjouit, imagianant qu'elle allait pouvoir s'amuser...), et le saint homme visant en permanence les hauteurs, ayant renoncé à toute attache basse; bien sur, si les soeurs vont essayer de rester le moins proche du fond symbolisé par Ayah, il ne leur sera jamais possible d'atteindre l'état de grâce du vieil ermite... Ainsi passé par le filtre de ces témoins, leur mise à l'épreuve en devient plus impossible encore...

Il est question de passions dans ce film, mais on a un peu trop limité les interprétations à l'érotisme voulu par Powell et Pressburger. D'autres passions sont ainsi évoquées, du soudain abandon du potager au profit d'une jardin fleuri de mille fleurs par Soeur Philippa, au coeur d'or de Soeur Honey qui devient vaine, préférant conserver sa popularité auprès des populations et se rendant indirectement responsable aux yeux des Indiens de la mort d'un enfant. Les soeurs, une fois arrivées, se laissent emporter par la particularité du lieu, et vont toutes écorner leur vocation. Soeur Clodagh , la supérieure, aura à l'arrivée à subir la résurgence d'un passé affectif enfoui, qui la prendra par surprise, et cela ne s'améliore pas devant la personnalité de Dean, le très sensuel agent Britannique, dont les tenues (Chemises ouvertes, shorts, sandales...) vont faire surgir chez elle le trouble, mettant à mal ses résolutions. De son côté, Ruth, déja sceptique quant à ses voeux, va aller jusqu'à confesser son amour pour Dean, et tenter de le rejoindre dans une équipée à la fois sublime et ridicule, découvrant trop tard que celui-ci en pince bien pour une religieuse, certes, mais ce n'est pas elle...

Avec Ruth, l'importance du vêtement dans le drame prend tout son sens. Powell ménage son apparition, contrairement à Clodagh, vue dès l'entretien avec la soeur ridée, et aux autres, aperçues en préambule à leur déplacement vers l'himalaya. Mais Ruth, à ce moment, est malade; on la voit donc, pour la première fois, dans sa fonction, sonnant l'heure à la cloche située à l'endroit même ou le drame final va se jouer, avec sa robe blanche qui ne le restera pas longtemps. Elle soignera quelqu'un qui lui saignera dessus, et le rouge maculé sur la robe annoncera d'autres salissures, jusqu'à cette scène qui verra la soeur soudainement habillée d'une robe rouge qu'elle a fait venir en contrebande, se fardant avec passion de façon provocante devant Clodagh armée de sa seule bible; l'intention? Se donner à Dean, qui est si sensuel; en plus de la robe, elle emporte des petits escarpins rouge eux aussi, et elle laisse libre sa superbe chevelure rousse. Powell serre la jeune femme au plus près, et comment ne pas voir tous les détails de la transformation physique à la fois diabolique et désespérée? Les bottes mises par dessus le pied nu, afin de na pas abimer les escarpins dans la jungle, la chair exposée du mollet, visible lors de la lutte avec Clodagh pour la confrontation finle, et le visage de plus en plus marqué par la haine suite au refus de Dean... Des images qui restent longtemps après la vision du film: on se souvient de Kathleen Byrron après avoir vu ce film... elle reviendra aux cotés de David Farrar (Dean) dans le très beau The small Black room de Powell et Pressburger en 1949.

Comme en écho à ce terrible érotisme, le général tombe amoureux d'une petite Indienne, qu'on sait expérimentée, et tous les efforts du jeune homme pour paraitre raffiné sont donc à l'eau. Il faut dire que la jeune Indienne est jouée par Jean Simmons, et que leur première rencontre s'effectue dans une salle décorée de dessins suggestifs, qui renvoie au passé de la maison... Et qui renvoie au laisser aller général: la constatation qui s'impose, après un débuit durant lequel els soeurs essaient de maintenir la loi de leur ordre, c'est que tout tombe très vite à l'eau, sans jeu de mot puisque Dean leur avait prédit qu'elles ne tiendraient pas jusqu'à la mousson...

L'ironie manifestée par Powell et Pressburger devant ces pauvres religieuses cache en fait un constat simple: on ne peut pas faire abstraction ni de ce qu'on est (C'est pourquoi Clodagh, qui a au moins la reconnaissance de ses pairs, ne succombe pas aux charmes de Dean, et que Ruth, qui en a bien besoin, s'y perd) ni de son propre passé (Ainsi nous le révèlent les très beaux flash-backs de Clodagh, qui révèlent une femme sensuelle et attirée par la vie, qu'on n'imaginerait pas un seul instant s'enfermer dans un couvent...), encore moins de ce qui nous entoure (l'"inde mystérieuse", qui fait la pige à ce bon vieux flegme britannique) et du passé de ce qui nous entoure (Le monastère était donc un bordel, et ce n'est pas près de changer...) Une fois les religieuses parties, peu de choses auront été finalement modifiées dans ce magnifique endroit, dont on rappelle au passage qu'il a été entièrement créé en studio, mais il est tellement plus vrai que nature...

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 39392.html
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Jeremy Fox
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Jeremy Fox »

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Demi-Lune
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Demi-Lune »

A l'instar des Chaussons rouges, la découverte du Narcisse Noir a été pour moi l'une des plus grandes révélations de l'année dernière. La maîtrise et l'ingéniosité des films de Powell/Pressburger n'en finissent pas de m'impressionner et de m'enchanter. A vrai dire, je ne vois pas de défauts à ces deux films que je considère personnellement comme des monuments. Pour ce qui est plus spécifiquement du Narcisse Noir, l'accomplissement plastique est hors normes (un des plus beaux Technicolor que je connaisse, avec des alliages de couleurs tout à fait étonnants) et l'histoire très atypique. Déjà, le fait de planter l'action dans un vieux monastère perdu aux confins des sommets de l'Himalaya, je trouve ça fascinant et stimulant, d'un point de vue visuel. Mais le côté retors du film est plus remarquable encore. C'est un film absolument fascinant sur le refoulement du désir et le cadre religieux dans lequel il s'inscrit ne fait que conforter cette singularité. La modernité du langage cinématographique de Powell se traduit par une mise en scène qui porte en elle la substance, l'essence du malaise qui devient de plus en plus oppressant : l'utilisation des couleurs (du pastel à des teintes de plus en plus fauves) constitue le discours majeur sur les émotions des personnages, tandis que le réalisateur déploie une forme de lenteur calculée, résolument atmosphérique, qui hypnotise et dote les images d'une espèce de force spectrale et moite, lorgnant clairement vers l'onirisme (d'ailleurs les flash-back sur le passé de Deborah Kerr sont traités comme des rêves étranges). Le dernier tiers vire carrément au fantastique. Il y a dans cet art esthétique quelque chose à mon sens de très en avance, peut-être unique à cette époque, et qui me paraît avoir nourri intensément des cinéastes comme Lynch ou Spielberg (là où Scorsese, Coppola ou De Palma n'ont finalement retenu que des leçons formelles). L'écrivain J.G. Ballard comparait les films de Spielberg à ceux de Powell et disait ceci, qui explique mieux que je ne le fais la rareté du cinéma de l'Anglais : c'est une "antithèse absolue du cinéma réaliste" remplie "d'intrigues extravagantes, de motivations mystérieuses et d'effets visuels surréels, toutes qualités qui suscitaient dans le public d'après-guerre un profond malaise". Eh bien je trouve que ce malaise a perduré à travers les décennies : le basculement de Sœur Ruth demeure chargé d'un pouvoir éminemment troublant, comme si Powell et Pressburger instillaient aux images de ses apparitions un vertige inqualifiable. Une Kathleen Byron d'ailleurs inoubliable au sein d'un casting inspiré, dominé par l'impeccable Deborah Kerr.
Dernière modification par Demi-Lune le 13 mars 12, 12:31, modifié 1 fois.
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Strum »

Bienvenue au club.
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par feb »

Strum a écrit :Bienvenue au club.
Et zut, j'ai cru que Strum allait répondre au message d'Isabelle, j'avais fermé la porte de mon bureau pour lire tout ça tranquillement :mrgreen:
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Strum »

feb a écrit :Et zut, j'ai cru que Strum allait répondre au message d'Isabelle, j'avais fermé la porte de mon bureau pour lire tout ça tranquillement :mrgreen:
Ben, j'ai répondu. :mrgreen: Mais si tu veux de la lecture, je parle un peu du Narcisse Noir ici (avec d'autres films), et notamment du rapport du cinéma de Powell&Pressburger avec le rêve et le fantastique :

http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 30&t=30618 :wink:
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par feb »

Strum a écrit :Mais si tu veux de la lecture, je parle un peu du Narcisse Noir ici (avec d'autres films), et notamment du rapport du cinéma de Powell&Pressburger avec le rêve et le fantastique :
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 30&t=30618 :wink:
Cette fois-ci, j'ai vraiment fermé la porte :mrgreen: Merci.
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Tancrède »

un film effectivement guénial qui met à l'amende Suspiria avec 30 ans d'avance.
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Re: le Narcisse noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par LeMarginal »

Ou encore je vous salue marie...en parlant de désir refoulé et de sexualité moite..
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Re: Le Narcisse Noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par Anorya »

Le Narcisse Noir (Powell / Pressburger - 1947).
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Une congrégation de religieuses se rend dans un ancien harem situé sur les contreforts de l'Himalaya pour y établir un dispensaire. Les soeurs sont aidées dans leur tâches par Dean, un agent britannique installé dans la région depuis longtemps. Rapidement, la soeur supérieure Clodagh s'offusque de la conduite de ce dernier. Au sein de la communauté, les tensions s'exacerbent et les nonnes traversent des épreuves pesantes, aussi bien pour le corps que pour l'esprit...

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Difficile de passer après tout ce qui a été déjà dit et redit de nombreuses fois sur ce film tant par les différents intervenants du topic que la chronique du site de dvdclassik, d'autant plus que je dis presque quasiment les mêmes choses sur mon blog. L'occasion du coup de revenir sur un avis plus sensitif qu'informatif (d'autres l'ayant déjà fait très bien et mieux), le film me hantant depuis un moment (j'en suis à mon second Powell actuellement et c'est la même chose. Il me semble que ses films sont destinés à s'élever au dessus de bien d'autres). On a beaucoup mentionné ce technicolor et pourtant je ne m'en lasse pas. C'est un film sensitif où la forme prime sur le fond sans jamais l'entraver (la marque des grands donc). C'est ce que je classe parmi mes films de peinture sans que cela ne soit un instant péjoratif : des films que je me revois bien souvent pour le profond effet visuel qu'ils me procurent. Et cela même si je connais l'histoire de fond en comble.

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Or des oeuvres comme ça où la peinture influence le film (ici les superbes matte-paintings), quitte à laisser des dominantes chromatiques envahir quasiment tout (Demi-lune a déjà mentionné le fait que la couleur varie subtilement au cours du film, ce que le directeur de la photo, Darius Khondji relevait aussi dans l'entrevue Spectrum disponible sur le dvd et blu-ray de Carlotta), il y en a peu. Quand soeur Ruth est prise d'un contrecoup de folie (qui scelle son destin d'une certaine manière, la scène du rouge à lèvres pouvant alors être interprété comme un avertissement au spectateur et à Soeur Clodagh), le rouge, le sang lui monte à la tête. La scène est alors prise au mot puisqu'on passe dans un surprenant plan subjectif où le rouge-sang envahit tout. Ce qui est étonnant (et je regrette de ne pas avoir assez de/les bonnes captures --support blu-ray je ne peux comme avec un dvd faire mes petites captures comme si j'allais au supermarché, cela me désole), c'est cette progression vers toute une gamme chromatique qui amène à ce pic. Avant ce rouge, l'orange d'un coucher de soleil artificiel qui vient percer et jaillir sur le sol (visible au moment où soeur Rugh se précipite pour espionner Clodagh et notre homme viril) tel une rivière de lumière sur les dalles. Powell n'en fait pas trop mais il montre. Il aurait pu couper les plans et amener Ruth à directement espionner les deux protagonistes de son amour et sa jalousie, il faut pourtant mettre deux-trois plans qui montrent le cheminement de soeur Ruth mais aussi les pièces plus ou moins bordées d'orange qu'elle traverse, c'est un fait.

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Powell perfectionniste à ce point pour penser même à ça ? Au regard d'une anecdote farfouillé sur le forum en lisant des avis sur Le voyeur vu pas plus tard qu'hier (l'autre Powell, mais sans Pressburger donc, qui me hante) et qui montrait le sens du détail accordé à de simples crayons agrandis pour les voir plus nettement à la caméra, je dirais que foutrement oui. Et comme si ce pic inatteignable amenait ensuite à être expulsé, sorti de tout, que nous avions atteint l'extase des couleurs (quoi de plus fort que le rouge ? Le noir (comme la cerne et la tenue d'une Ruth ayant définitivement cédé à la folie au petit matin ?)), tout semble presque s'atténuer (sur une des captures où soeur Clodagh prie, on voit pourtant un peu de rouge-rose atténué mais là aussi la couleur participe de la tension et un orange puissant envahit la pièce à ce moment où soeur Clodagh prie, terrorisée et que Ruth passe non loin d'elle). Ne reste plus alors qu'une brume opaque du petit matin, du papier calque sur les couleurs, du pastel blanc. Et le noir d'une Ruth qui n'est déjà plus là.

Dès lors pas étonnant que le départ des soeurs revienne à des couleurs ternes comme au début du film. C'était Ruth (et Powell) qui amenait la couleur et elle partie, il ne reste plus qu'a recouvrir le monastère, cette forteresse imprenable. Pour "citer" un cinéaste de l'animation japonaise, il ne reste plus qu'a voiler ce château dans le ciel...
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monk
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Re: Le Narcisse Noir (Michael Powell-Emeric Pressburger - 19

Message par monk »

Passer après tout ce beau monde et toutes ces éloges pour avouer, presque honteusement, que je n'ai pas aimé tient vraiment de la performance. Voir, se mettre en danger. J'aurais pu ne rien dire et garder cette vexation pour moi (après tout, ça ne changera rien pour personne) mais l'avouer c'est aussi l'assumer.
Alors oui, je n'ai pas aimé. C'est un grand mot, car je ne peux honnêtement pas aller contre l'éloge de la plastique et de la réussite formelle. Chaque plan est un tableau, une oeuvre d'art, c'est impressionnant, impossible de le nier.
Par contre, là où j'aurais a priori dû ressentir de une tension progressive entre les soeurs, une dégradation subtile de leurs relations, un danger provenant de la présence masculine et de l'environement, je n'ai rien ressenti. Aucune émotion, aucune évolution. Les personnages m'ont parus monolitiques: Ruth est folle au début et l'est juste un peu plus à la fin. Le personnage de Kerr est strict et fier du début à la fin et je n'ai pas cru à ses larmes. Son passé n'a pas vraiment d'incidence, elle part comme elle est venu. Heureusement que Dean lui dit qu'il la trouve changée, sinon je n'aurai rien remarqué. Le même Dean qui n'est un objet de désir sexuel que parce qu'on me l'a dit, là aussi. Et ça va bien au delà de sa présence physique inconsistante et rigide (il jout comme Lee Van Cliff: avec, ou sans chapeau), il a aussi de beaux mots qui font chavirer les coeurs (ironie, bien sur ! Lorsque Kerr pleure à chaudes larmes, il lui tend un mouchoir sorti de sont chapeau et lui dit "tenez, il est propre, je me suis lavé la tête". Sexy !).
L'environement enfin, devait être un challenge, un vrai. Le révélateur de toutes les tensions et des charactères intrinsèques de chaque personnage. Il y a bien une légère brise, des jolies montagnes et des gens oui, mais je n'ai pas ressenti le danger, la menace, la pression. Rien de vraiment vicieux ou de vicié. Et c'est finalement ce qui m'a le plus manqué, alors que les promesses sont là.
Un film inoubliable, en effet, de par ses partis pris esthétiques forts, mais beaucoup d'ennui pour moi, et une vraie incompréhension.
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