William A. Wellman (1896-1975)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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allen john
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

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feb a écrit :ImageImage
Other Men's Women - 1930
Voilà, on y revient finalement! J'ai ce coffret depuis quelques années, et c'est vraiment un bel objet. Donc... Retour sur les films!

Tourné en plein durant la période de formation du parlant, au début du contrat de "Wild Bill" à la Warner, ce film est une petiite chose dont les prétentions au départ ne devaient sans doute pas dépasser l'intention de remplir les salles pendant quelques semaines, en fournissant un peu de drame et puis c'est tout. Mais wellman en a fait bien autre chose... Bien sur ce n'est ni Wings, ni A star is born. C'est un film éloigné de ses oeuvres de guerre, de ses westerns même. Mais le metteur en scène, un artiste, se double aussi d'un fin peintre des passions humaines, notamment masculines... et en prime, Other men's women est de bout en bout un film Warner: Monté avec soin, rythmé parfaitement, et interprété de façon juste par de jeunes acteurs, dont certains iront bien plus loin: Parmi les seconds rôles, on remarque quand même James cagney et Joan Blondell! Bien sur, il y a aussi le vieux J. Farrell McDonald, et Mary Astor, l'un revenu de tout, l'autre avec une carrière déja bien remplie.

Mais les deux héros, interprétés par des acteurs plus obscurs aujourd'hui, sont deux amis, Bill (Grant Withers) et Jack (Regis Toomey). Le premier est un fêtard incorrigible, et l'autre un homme stable et marié; ils travaillent tous deux dans les chemins de fer, et un jour Jack ramène Bill, flanqué dehors par sa logeuse, chez lui, auprès de son épouse Lily (Astor). Ce qui devait arriver arrive: Lily et Bill tombent amoureux, et Bill part. Mais jack soupçonne bientôt que la trahison ait été plus loin qu'un baiser, et les deux hommes se battent pendant qu'ils sont dans une locomotive. Jack manque de peu de mourir, mais sera aveugle; rongé par le remords, Bill entend se sacrifier: lors d'une crue, un pont menace de s'écrouler, il souhaite donc conduire un train lesté de ciment sur la voie pour le stabiliser; il souhaite surtout faire un suicide spectaculaire...

L'intrigue proprement dite est adéquate pour de l'action et du spectaculaire; d'ailleurs, Wellman s'acquitte de sa tâche avec beaucoup d'efficacité, le film étant structuré sur la montée vers le "climax": l'un des conducteurs de train, seul sur une locomotive, sur un pont enjambant une rivière en furie... Mais si ces scènes fonctionnent, eles sont marquées par la convention et, disons-le, ont un coté baroque qui accuse bien son age. Non, la ou Wellman se débrouille le mieux, finalement, c'est dans la façon dont il montre la vie et les liens humains... Comment les cheminots Withers et Cagney discutent debout sur le toit d'un train, dos à un pont qui pourrait tout simplement les faire tomber, mais se baissant juste au bon moment... Comment la vie s'organise, de rendez-vous un peu miteux en soirée dansante ... Comment Jack et Lily ont su construire un hâvre de paix dans cet univers... et puis il y a l'histoire d'amour. les mots en sont conventionnels, mais les gestes en sont superbes, parfaits. La caméra ne laisse rien échapper, les acteurs esquissent un geste de la main, s'approchent, les regards sont chargés d'émotion... ajoutons à cela cette capacité de Wellman à faire ce qu'on n'attend pas: sa façon de cadrer ceux qui écoutent lorsqu'un autre parle; ainsi la rupture en Blondell et Withers, par exemple... Un autre aspect fascinant du fil, c'est le refus de juger, de montrer le bon Jack et les méchants: pas de manichéisme ni d'adversité ici... Son utilisation du son est d'un naturel déconcertant, les dialogues marqués par l'argot de l'époque est très réussi, et ses scènes tournées en décor naturels sont particulièrement réussies pour 1930, à une époque ou le matériel parlant pesait trois tonnes.

Bref, ce film certes mineur, qui nous est rendu disponible grâce au coffret "Forbidden Hollywood", volume 3, consacré à Wellman, est un plaisir de plus à mettre à l'actif d'un très grand metteur en scène.

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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Akrocine »

Une scène m'a particulièrement marqué, le moment ou un des héros court sur le chemin de fer filmé en plan large du haut d'une grue l'effet des dizaines de rail qui s'entre-croise avec la pluie et le refflet de la lumière, le tout donne un effet très film-noir!
La scène d'intro. est également remarquable, l'homme descend du train pour boire et manger un morceau alors que le train continue d'avancer! L'homme compte alors les wagons en même temps qu'il parle à la serveuse :D

Comme l'avait dit Tarvernier lors de la projection au Festival Lumière Wellman s'avait filmer les trains comme personne !
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allen john
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par allen john »

Akrocine a écrit :Une scène m'a particulièrement marqué, le moment ou un des héros court sur le chemin de fer filmé en plan large du haut d'une grue l'effet des dizaines de rail qui s'entre-croise avec la pluie et le refflet de la lumière, le tout donne un effet très film-noir!
La scène d'intro. est également remarquable, l'homme descend du train pour boire et manger un morceau alors que le train continue d'avancer! L'homme compte alors les wagons en même temps qu'il parle à la serveuse :D

Comme l'avait dit Tarvernier lors de la projection au Festival Lumière Wellman s'avait filmer les trains comme personne !
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par feb »

Très bonne critique allen john :wink: J'avais trouvé ce film d'une grande modernité et Mary Astor est d'un naturel...je suis tombé amoureux d'elle dans ce film et dans Red Dust.
Quant à Wellman c'est vraiment un réalisateur que j'adore, je découvre petit à petit sa filmo et pour le moment ses films sont un pur plaisir de cinéma.
allen john a écrit :Oui, c'est vrai. Et les avions... et Barbara Stanwyck... et Gary Cooper.
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Ann Harding »

Hier, j'ai découvert le nouveau DVD Paramount de Wings. Je connaissais déjà le film sous différentes versions. En 2007, TCM US avait diffusé une version N&B assez laide (et en plus avec une image recadrée et légèrement écrasée) avec la partition pour orgue de Gaylord Carter. L'effet avait été soporifique. Heureusement, j'ai pu ensuite découvrir le film avec la version Photoplay teintée accompagnée par la partition orchestrale étincelante de Carl Davis. Quelle différence ! J'avais été émue et émerveillée là où j'avais ressenti un ennui poli. J'ai donc hier regardé - et écouté- avec intérêt la version Paramount qui est équipée de la partition originale (reconstituée) de J.S. Zamecnik.
Image Version N&B vieux master avec image recadrée
Image version teintée Photoplay 1993
Image DVD Paramount 2012

Tout d'abord, l'image est réellement superbe. Mais, si je la compare avec la version Photoplay, on voit que les éléments que possédait la Paramount étaient de grande qualité. Ils ont pu stabiliser l'image et enlever les quelques scories qui restaient. Il y a une légère différence dans le teintage (numérique probablement). Ensuite, je me suis concentrée sur la partition. Et là, il y a beaucoup à dire. Je vais essayer de décrire les différentes interprétations de quelques scènes cruciales.

L'adieu de David à ses parents:
Dans cette scène, nous voyons David (Richard Arlen) dire adieu à ses parents (Julia Swayne Gordon et Henry B. Walthall) alors qu'il s'apprête à partir pour la guerre. C'est une scène intime et poignante. Dans le DVD Paramount, Zamecnik illustre la scène en utilisant une mélodie de Tchaikovsky, Nur wer die Sehnsucht kennt. C'est une pratique tout à fait normale à l'époque d'utiliser des morceaux de musique classique ou des chansons populaires pour illustrer un film. Mais, Zamecnik ne modifie pas vraiment la mélodie pour lui donner des variations suivant le moment et les sentiments exprimés dans cette scène. Il réitère constamment le motif principal de Tchaikovsky et réalise plus une illustration sonore qu'un véritable accompagnement. Cela a pour effet d'étirer la scène et de la rendre sentimentale. Dans la version Photoplay, Carl Davis prend un tout autre parti. Il joue sur la sobriété. Avec un motif lent et retenu, il suggère la peine et l'angoisse retenue de David qui fait tout pour dissimuler le chagrin qui l'étreint. La musique fait des pauses, ici et là, et suit le cheminement émotionnel de David. Evidemment, l'effet est fort différent. Nous sommes en empathie parfaite avec David et ressentons la boule dans la gorge qu'il ressent.

La bataille dans les airs contre le bombardier Gotha:
Le choix fait par Paramount pour leur DVD est de bruiter systématiquement tout ce qui se passe à l'écran. Nous avons donc droit à des tirs de mitrailleuses, bruits d'hélices, tirs de mortiers, explosions, crash d'avions et de voitures, etc. Le volume sonore de ces différents bruitages a tendance à noyer la musique dans les scènes de bataille. Je dois avouer que cette surenchère dans le bruitage est quelque peu contre-productive. On se retrouve au milieu d'un film muet sonorisé et on s'attend à voir les acteurs parler... Certes, les bruitages étaient utilisés à la fin des années 20 avec l'arrivée du système Vitaphone (et autres). Mais, ici, Paramount a fait un choix délibéré de bruiter totalement chaque image au point de la saturation. Ils avaient peut être peur d'avoir un film (trop) muet ? Pour ce qui est de la musique, le choix de Zamecnik est d'utiliser (jusqu'à plus soif) le motif principal de l'ouverture du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. La mélodie réapparait dans le film lors de chaque bataille aérienne. Ce leitmotiv n'est à priori pas une mauvaise idée; mais, à nouveau, il n'y a aucun travail pour créer des variations du motif principal. Et plus grave, le déroulement de la bataille n'est pas soulignée. Il n'y a pas vraiment de point culminant musicalement. La bataille est surtout soulignée par les bruitages de mitrailleuse et de crash au sol. Dans la partition de Carl Davis, il n'y a pas de bruitage. Mais, il réussit à suggérer les tirs de mitrailleuse avec les percussions et les cuivres. Il dose le niveau de 'bruitage musical' en fonction de ce qui se passe à l'écran, soulignant les moments importants. Là où dans le DVD Paramount, nous avons un banal bruit d'hélice et d'avion au décolage, Davis crée un motif musical insistant et rythmé qui rappel le mouvement d'une hélice et suggère -dès le tout début du film- la passion inextingible de Jack (Charles Buddy Rogers) pour les avions. Le motif prend une forme presque suspendue qui nous fait ressentir ce sentiment d'apesanteur et de bonheur d'un pilote dans les airs. Mais, il n'oublie pas d'y ajouter un sentiment d'attente et d'angoisse. Tout cela se trouve dans la musique avec les différentes instruments qui sont utilisés suivant leur couleur. L'accompagnement n'est jamais lourd, même lors de la bataille finale. Davis ne semble pas vouloir surcharger les scènes déjà violentes. Mais, il sait guider notre regard vers la partie importante d'une scène. Je pense particulièrement à la mort de ce soldat assis, adossé à un poteau, qui fume une cigarette. Dans le DVD Paramount, nous avons une débauche d'effets sonores: avions, mortiers, etc et il nous faut quelques instants pour réaliser que l'homme a été touché par un éclat d'obus et qu'il est mort. Avec Carl Davis, il se concentre sur cet événement, soulignant le léger sursaut de l'homme touché par l'obus et sa mort subite.

La mort de David:
Jack a abattu l'avion allemand que pilotait David et celui-ci va mourir. Zamecnik illustre la scène du combat avec une musique triomphante qui continue jusqu'au moment où David découvre l'identité du pilote. Alors, la musique devient plus sombre. Mais, dès que David a fermé les yeux, la musique reprend son ton guilleret alors que nous voyons Jack prendre dans ses bras le corps inanimé de David. C'est clairement un contresens total. cette scène était également bien mal accompagnée par Gaylord Carter dans mon souvenir. La mort de David ne m'avait pas plus touché que cela. Davis prend un parti totalement opposé. Déjà pendant la bataille qui oppose Jack à David, il n'y a aucun motif triomphant, mais une atmosphère d'appréhension. Nous vivons les derniers instants de David en l'air avec lui. Si il y a un très bref exposé du motif triomphant lors que Jack se pose et court vers l'avion pour en ôter sa croix de fer, il n'est que très court. La mort de David avec Jack à son chevet est un moment poignant, mais pas du tout sentimental avec Davis. Il y a une chaleur et une tendresse retenues dans son accompagnement qui sont tout à fait remarquables.

Au total, vous l'aurez compris, la partition de Carl Davis est absolument remarquable par ses couleurs, son dynamisme et sa compréhension profonde des personnages et des événements. Malheureusement, cette petite merveille reste indisponible au grand public, à moins d'une diffusion hypothétique à la TV. Le DVD Paramount est une pure merveille visuelle, mais musicalement, il reste bien en deça de ce qu'il pourrait être. La partition de Davis décuple émotionnellement le film lorsque celle de Zamecnik ne fait qu'une illustration sonore bien terne.
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Jeremy Fox
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Jeremy Fox »

Le DVD n'est pas d'actualité mais ça ne fait pas de mal de temps en temps de revenir en arrière. Voici donc la critique de Convoi de femmes
allen john
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par allen john »

The purchase price (William Wellman, 1932)

Atypique, ce film qui fait partie des oeuvres de Wellman interprétées par Barbara Stanwyck est étonnant, d'une part par la façon de traiter un sujet propice à se vautrer dans de nombreux clichés, qui seront tous ou presque évités, ensuite par la façon dont Wellman organise sa mise en scène, à la fois frontale et suggestive, ensuite par son choix du fil du rasoir: jamais totalement un drame, jamais totalement une comédie, le film se place sur un terrain glissant en faisant de la conquête sexuelle d'un homme par une femme le véritable enjeu... Et cette femme, je le répète, est Barbara Stanwyck!

Joan, une chanteuse de cabaret à New York, a vécu: son petit ami, Ed, est un bootlegger aux activités annexes des plus variées, et elle souhaiterait bien sur trouver mieux. Elle va donc se marier avec un riche héritier, mais celui-ci la plante avant la cérémonie par peur du scandale; la jeune femme fuit à Montréal, afin de changer de vie. Mais elle est vite rattrapée par son passé, des envoyés de Ed la retrouvant sans difficulté; elle prend une résolution en rencontrant une femme de ménage de son hotel qui s'est lancée dans un mariage par correspondance avec un fermier du Dakota du Nord: la jeune femme se trouvant disgracieuse, elle a en effet envoyé la photo de Joan... Celle-ci "achète" le mariage pour 100 dollars, et part pour l'aventure...

Les enjeux pour Joan vont être, non pas de se faire accepter en tant que femme de la ville, mais d'une part d'accepter son mari (George Brent, plutôt bon en fermier un rien benêt), puis de se faire accepter par lui, après que leur nuit de noce ait été un désastre: elle l'éloigne d'une gifle. Les clichés sur la différence entre ville sophiqtiquée et campagne rustique sont finalement expédiés en une scène de beuverie, lorsque les voisins de Jim et Joan Gilson arivent pour célébrer à leur façon le mariage. Mais wellman montre Stanwyck se laisser entrainer dans la fête, et celle-ci, bien que haute en couleurs (Le réalisateur y a engagé des figures du burlesque, on y reconnait notamment Tiny Sanford et Snub Pollard) ne débouche pas sur un excès de condescendance à l'égard des bouseux. On retrouve cet esprit naturaliste dans les scènes de la fin, qui montrent Joan s'adapter, s'habiller pour l'hiver (Une scène de réveil nous montre une chemise de nuit du plus haut rustique, qui contraste de façon spectaculaire avec la nuisette quasi transparente que Joan porte au début de son séjour).

Comme souvent chez William Wellman, l'adversité viendra de là où on ne l'attend pas: un chauffeur trop entreprenant qui va nécessiter une correction de la part d'un gangster au grand coeur (Night nurse), un caïd de la zone qui va sauver ceux qu'il aurait pu écraser (Beggars of life), un Américain qui va sans la savoir abattre son meilleur ami qui a volé un avion Allemand pour retrouver les lignes alliées (Wings)... Ici, ce sont les voisins qui seront la menace: si Jim a du mal à voir en Joan autre chose que son propre échec, l'un des fermiers alentour va vite convoiter la jeune femme et se livrer à un odieux chantage. Même Ed, qui retrouve la trace de sa petite amie, et qui provoque ainsi une crise de jalousie de la part de Jim, s'avère utile et positif pour le couple.

Avec la légendaire efficacité de l Warner en ces annéese années "pre-code", Wellman se livre à une mise en scène qui utilise beaucoup le décor et les à-cotés; il demande peu à ses acteurs, souvent filmés à distance dans des compositions magnifiques: les scènes rurales finales atteignent une beauté réelle, sans aucune fioriture, et en évitant le lyrisme des dernières années du muet; les objets sont utilisés pour véhiculer du sens, comme cette cariole qui a beaucoup de scènes pour elle, la plus spectaculaire étant celle au cours de laquelle Wellman instrumentalise le vide: Brent et Stanwyck reviennent de la ville, ou ils se sont directement mariés sans jamais s'être vus auparavant, sil se taisent. le décor est vide, et on ne voit presque que le blanc de leur visage; ils s'efforcent de ne pas se regarder, et Joan, en particulier, semble dépourvue de vie: elle est au centre du plan. Le silence et l'immobilité des deux acteurs dure 30 secondes... Tout est dit, oserait-on dire, et l'anticipation de la soirée est pour les deux personnages un cauchemar. Sinon, une très belle scène de rupture montre la façon dont Wellman sait déplacer les émotions et interprétations d'un acte aux témoins d'une scène, et aux éléments du décor: Le riche jeune homme vient de quitter Joan, et s'apprète à partir. Wellman cadre les gens autour d'eux. assise devant la vitrine, la jeune femme assiste au départ de la meilleure chance de sa vie, et au fond, on voit les éboueurs arriver et ramasser les poubelles; puis, on revoit de nouveau les témoins, qui cessent de s'intéresser à la situation et retournent à leurs occupations.

Drôlement distrayant, prenant même grâce à la performance inévitablement magnifique de la belle Barbara Stanwyck, le film étonne par son traitement du personnage féminin, véritable moteur du couple de fermiers. Non seulement la jeune femme prend sur elle, et passe de petites tenues sexy à des vêtements plus pragmatiques, mais en prime elle prend les choses en main. Elle est décidée à conquérir son idiot de mari, et le metteur en scène ne nous cache jamais qu'il est bien question de désir. A la fin, après avoir résolu un problème matériel, les deux se retrouvent. Elle est épuisée, il la prend dans ses bras, et la porte naturellement vers la maison, l'embrasse... Et Joan lui dit: je vais m'ocuper de toi, te mettre au lit et te border. Echange des rôles, humour tendre, une façon parfaite de finir un film certes inhabituel (Il n'appartient à aucun genre particulier, et se tient à l'écart de la représentation de la vie citadine, le grand thème des années 30 naissantes, en se refusant à céder de façon trop directe aux codes graphiques et culturels de la mode, Jazz, robes, cafés...), mais aussi attachant que son personnage principal, qui trouve la rédemption dans une renaissance totale.

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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Founious »

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Le bouquin de M H Wilson est captivant de bout en bout, et se dévore avec la même passion que celle qui a été employée à l'écrire. Iconographie superbe.
Le film de Wellman, 'The story of GI Joe', -que je ne connaissais absolument pas- est étonnant de modernité. C'est surprenant qu'il ne soit en rien un film va-t-en-guerre, vu l'époque où il a été produit. Ça lui donne un côté universel que peu de films de ce genre ont réussi à avoir. L'image est très satisfaisante.
Quant au film de Huston, il vous chope à l'estomac dès les premières secondes pour ne vous lâcher que ¾ d'heure plus tard, plutôt sonnés. Un modèle du genre.
C'est vraiment un chouette objet que 'Wild Side Classics' nous a concocté là. Après La chevauchée des bannis et Le rôdeur, c'est mon troisième coup de cœur pour eux. Certainement pas le dernier.

Question : Un éditeur français a-t-il déjà eu l'idée d'éditer les textes d'Ernie Pyle ?
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par allen john »

Frisco Jenny (William Wellman, 1932)

San Francisco, Barbary Coast, 1906: Jenny Sandoval (Ruth Chatterton) assiste son père dans un établissement louche. Mais elle lui cache quelque chose: elle attend un enfant de Dan (James Murray), le pianiste. Au moment ou elle lui avoue son intention de fuir avec Dan, le monde tremble.... Littéralement, c'est le fameux tremblement de terre de Frisco. Une fois ...le calme revenu, les bas-fonds sont en ruine, la vie de Jenny aussi: son père est mort en la menaçant, Dan est mort lui aussi. Avec l'aide de sa fidèle servante Amah, elle place son fils à Chinatown, puis reprend ses activités, sousla protection de l'influent avocat Dan Sutton (Louis Calhern). Elle sauve ce dernier d'une affaire de meurtre, mais ne sait pas que c'est ce qui va finalement précipiter sa chute...

Du mélodrame, du grand et beau tire-larmes, relevé à sa sauce par William Wellman, toujours autant à l'aise dans la stylisation et la suggestion que dans les images-coups de poing. Cette histoire de mère criminelle qui finit condamnée par son propre fils est forcément une occasion en or pour l'actrice Ruth Chatterton, habituée aux rôles durs. Mais pour Wellman, ce film ressemble à une promenade de santé, dans laquelle il s'adonne à ses petits plaisirs: superbe reconstitution du tremblement de terre, vécu "de l'intérieur", peintuire sans concession des petites combines et de la débrouille des fillles qui travaillent dans le bar, un meurtre à l'écran, caché par une table renversée, et une rigueur rare dans la reconstitution des modes passées.

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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par allen john »

Midnight Mary (William Wellman, 1933)

Prété à la MGM en 1933, William Wellman réalise, avec Loretta Young, Ricardo Cortez et Franchot Tone un film en apparence 'à la manière Warner'. Que ce soit à lui qu'on ait fait appel en dit long sur le crédit dont dispose encore le réalisateur; ça montre aussi que les dirigents des studios connaissent leur métier... Le film fait partie de ces petites oeuvres excitantes dont la Warner s'est en effet fait une spécialité, les plus notables étant bien sur The public enemy et l'incontournable Three on a match (Mervyn LeRoy, 1932). Mais le film est malgré tout, dans son scénario, plus un film MGM, permettant une idylle entre Loretta Young et Franchot Tone, qui laisse entrevoir un futur avec des paillettes, ce qui était refusé généralement aux héros de ce genre de film...

Mary Martin (Loretta Young) attend le verdict de son procès: elle est accusée de meurtre, et ce n'est pas la première fois qu'elle a maille à partir avec la justice; en attandant l'issue qu'elle devine fatale, elle s'assied dans une etite pièce en compagnie d'un vieux clerc, et se laise aller à des souvenirs de la décennie écoulée: comment pour fuir la pauvreté et la faim elle est devenue la petite amie du gangster Leo Darcy (Ricardo Cortez), et a finalement rencontré un homme de la haute société qui a cru en elle: Tom Mannering (Franchot Tone), lors de sa rencontre avec Mary, a su tout de suite d'où elle veniat, mais il lui a tendu la main. Mais se jugeant trop dangereuse pour lui, elle le quitte; jusqu'au jour ou Darcy et Mannering se retrouve une fois de trop face à face...

Le scénario, basé sur un flash-back de bonne facture, qui happe e spectateur sans jamais le lâcher, appelle donc d'une part un happy end, et d'autre part des passerelles entre les bas-fonds et l'aristocratie, dont Mannering est un reflet paradoxal; son meilleur ami, Sam (Andy Devine) est un brave homme, riche noceur mais foncièrement sympathique. Et Mannering après avoir rencontré Mary devient moins vain, et réapprend à travailler (Il est avocat) avec plaisir. Le portrait de la zone organisée est lui sans concession, avec Darcy, un homme violent et sans scrupules. Contrairement à Night nurse, ce film ne nous propose pas de portrait de gangster au grand coeur. La rédemption de Mary n'en est pas vraiment une, puisqu'il est sous-entendu que la jeune femme agit principalement sous la pression: celle de son environnement, celle de la faim, celle de la nécessité; elle porte pourtat en elle une aspiration à plus, à mieux, incarnée dans le tableau dont elle a vu une reproduction quand elle était plus jeune: elle en découvre l'original chez Mannering, et comprend qu'elle est enfin arrivée "chez elle". De même, sous l'influence de la jeune femme, Darcy va avoir une bonne en habit et un valet Anglais: cette soif de sophistication détonne un tantinet chez Wellman, qui nous montrait les riches parents de Richard Arlen comme appartenant à un monde en pleine décomposition dans Wings.

Le metteur en scène a fait quand même selon son coeur dans l'utilisation à plusieurs reprises d'un réalisme dur et sans concessions avec toujours la petite touche de stylisation suplémentaire; il a laissé libre cours à son génie pour le plan-séquence, qui laisse toujours les acteurs rester dans la peau de leurs personnages aussi longtemps que possible; enfin, il est un virtose de la caméra mobile, et du placement de caméra: sans aucun effort, la composition est contamment parfaite. Il n'est pas dupe des différences entre ce film et ceux dont il a l'habitude: il se permet d'ailleurs un commentaire narquois sous la forme d'un plan final, qui voit Mannering et Mary, en l'attente d'un nouveau procès qui doit exonérer la jeune femme; ils sont dans les bras l'un de l'autre, au parloir de la prison; tout va bien, ils sont pleins d'espoir... Mais une ombre de barreaux est projetée sur eux, et une barre les décapite de façon symbolique... Quoi qu'il en soit, si la MGM a souhaité avoir Wellman pour faire un film Warner, elle a surtout eu un film de William Wellman... Celui-ci a certes repli les obligations du cahier des charges, mais il a aussi fait passer ses propres idées: manifestement sommé de montrer aussi souvent que possible les james de Miss Young, il a aussi su utiliser ses yeux, comme dans la première scène, lorsque le procureur lit son réquisitoire, et que la jeune femme est vue cachée derrière un magazine, laissant ses yeux seuls exprimer l'indifférence: toujours cete tentation si typique du réalisateur de masquer les scènes "obligatoires"... Il a su tempérer le romantisme parfois exagéré avec son humour et son génie pour le commentaire social brutal. Bref, d'un film excitant mais mineur, il a fait bien mieux.

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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Akrocine »

Un poster de The Public Enemy retrouvé !

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http://mubi.com/notebook/posts/movie-po ... ie-posters
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par bruce randylan »

Pour la sortie de Story of GI Joe : 3 critiques sur 1kult :D
Outre la récente sortie du Wild side, je parle du pré-code Heroes for sale et du muet Beggars of life.
http://www.1kult.com/2012/02/10/critiqu ... m-wellman/

J'en suis d'autant plus content d'en parler que Wellman devient le cinéaste le plus présent sur le site (avec un film par décennies) :)
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Strum »

Je replace ici des mots rapides sur quatre westerns de Wellman, écrits dans le topic film du mois mais qui ont sans doute plus leur place ici :

Par ordre de préférence :

1. Convoi de Femmes.

Quand force de la mise en scène et force du récit se conjuguent. Pas un plan de trop. Du silence, souvent. Il y a de la sécheresse et de l'apreté, mais seulement dans la mise en scène, pas dans les personnages, qui sont forts et beaux. Il y a des coeurs pleins et non rassis par le soleil. De ces coeurs pleins nait l'émotion. On croit à tout ce qui se passe, sans que cela paraisse écrit.

2. Au-delà du Missouri.

Plus lyrique que le précédent. La couleur y joue sans doute. Sous l'image, battent là aussi des coeurs pleins. Là aussi, la rigueur de la mise en scène de Wellman ne contamine pas ses personnages. Cette rigueur sert admirablement la fin du film où le destin tombe comme un couperet sur la femme indienne de Gable. Fin impitoyable dans sa dureté et pourtant magnifique. Là aussi, on croit dur comme fer à ce qui se passe.

Bref, Convoi de Femmes et Au-delà du Missouri : deux très grands films.

3. La Ville abandonnée

Fabuleuse photo. A la sécheresse du désert et des maisons délabrées, répond la sécheresse (ou la rigueur, c'est selon) de la mise en scène. Grand soin dans la composition des plans (sans l'expressivité toutefois des plans très composés, eux aussi, de Mann). Là aussi beaucoup de silence. Mais au final, je ne crois pas tellement à la transformation morale du personnage de Peck. J'en retire l'impression d'un renversement de situation un peu trop écrit, que la mise en scène ne parvient pas à rendre tout à fait crédible. Je reste sur ma première impression d'une sécheresse du coeur. J'admire la forme plus que j'aime vraiment.

4. L'Etrange Incident

Un film beaucoup plus didactique que les précédents. Le caractère très écrit et théâtral du film transparait franchement. J'admire les beaux sentiments et le personnage de Fonda. J'admire la modestie et la simplicité du récit. Cette modestie et ce didactisme se prêtent bien au récit du lynchage d'un innocent, de même que la sécheresse et l'économie (frappantes là encore) de la mise en scène : il y a beaucoup d'honnêteté intellectuelle dans cette approche. Wellman raconte sans ronds de pipe ni renfort de tambours. Encore du silence. Wellman est un cinéaste du silence. Il faut saluer cette honnêteté intellectuelle. Mais cette modestie, et cette honnêteté, font que si je suis édifié moralement par ce récit sans fioriture, je ne suis pas transporté dans le film. J'appréhende cette histoire davantage sur un plan intellectuel que sur le plan des émotions. Là aussi j'admire plus que je n'aime vraiment.
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monk
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par monk »

Découvert Convoi de Femmes donc, et en deux mots: très chouette.
"Chouette" peut paraitre réducteur ou négatif, mais il n'en est rien. C'est pour moi un film d'aventure complet, avec son lot de préripéties* donc, d'action, d'émotion mais aussi de comédie. Et en général, la comédie ça allège le propos.
Mais il y a ce "très" sur lequel j'insiste, parce que c'est un très grand film, humaniste mais pas pompeux, chaleureux mais sans concessions. Pour citer Strum juste au dessus, c'est un film de coeur avec des gens forts et pleins ET crédibles.
C'était donc chouette parce que j'en suis sorti complétement ravi, avec la banane. Et très chouette, parce que le film est fort et qu'il vieilli merveilleusement bien après la vision.
Superbe, je garde.


* A noter le truc de trop: la roue du chariot qui se défait juste pendant l'accouchement. J'ai presque eu un petit "roooh quand même" mais ça entraine sur une des belles scènes du film, absolument magnifique, quand les femmes, dans ce desert implacable, se réjouissent de la Vie. Enorme.
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Jeremy Fox
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Re: William A. Wellman (1896-1975)

Message par Jeremy Fox »

Encore Au-delà du Missouri et tu auras vu tous ses grands westerns
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