Alfred Hitchcock (1899-1980)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Demi-Lune »

Quatre de l'espionnage (1936)
Succédant aux 39 Marches dans la filmographie hitchcockienne, auquel il reprend d'ailleurs l'actrice Madeleine Carroll et les péripéties d'espionnage sur fond de badinage amoureux vachard, je ne peux guère dire que cet opus soit du même niveau. Hitchcock oblige, la mise en scène est traversée de bonnes idées visuelles, et, comme il l'expliquait à Truffaut, on retrouve ici son sens de l'exploitation scénaristique des lieux caractéristiques du pays où se déroule l'action (on est en Suisse, les espions se cachent donc dans une chocolaterie et communiquent par emballages de tablettes). Le problème, c'est que le film souffre d'un cruel manque de rythme. Un peu à l'image de John Gielgud, le film est très raide, et il faut toute la décontraction classieuse de Madeleine Carroll pour rendre alerte cette chasse à l'espion allemand, qui aurait été, sinon, particulièrement ennuyeuse. Il faut dire que si Gielgud est un peu hiératique et bien moins à l'aise que Robert Donat pour jouer l'amoureux contrarié auprès de Carroll, les facéties agaçantes de son coéquipier Peter Lorre alourdissent elles-mêmes beaucoup la trame, au demeurant assez simple. Fort heureusement, quelques scènes à la construction redoutable (le montage alterné entre le meurtre dans la montagne et le comportement du chien, par exemple) viennent bien nous rappeler à qui nous avons affaire ; le dernier acte, dans le train s'apprêtant à passer la frontière, en est illustratif, et conclue efficacement cette œuvre qui reste, à mon avis, très mineure dans la filmographie d'Hitchcock.
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Federico »

Une archive de 1984 débusquée par l'INA : la série d'émissions nocturnes de France Culture Les nuits magnétiques qui fut consacrée parallèlement à Hitchcock et à... Chester Himes :

http://boutique.ina.fr/litterature/PACK ... es.fr.html
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par someone1600 »

Demi-Lune a écrit :Quatre de l'espionnage (1936)
Succédant aux 39 Marches dans la filmographie hitchcockienne, auquel il reprend d'ailleurs l'actrice Madeleine Carroll et les péripéties d'espionnage sur fond de badinage amoureux vachard, je ne peux guère dire que cet opus soit du même niveau. Hitchcock oblige, la mise en scène est traversée de bonnes idées visuelles, et, comme il l'expliquait à Truffaut, on retrouve ici son sens de l'exploitation scénaristique des lieux caractéristiques du pays où se déroule l'action (on est en Suisse, les espions se cachent donc dans une chocolaterie et communiquent par emballages de tablettes). Le problème, c'est que le film souffre d'un cruel manque de rythme. Un peu à l'image de John Gielgud, le film est très raide, et il faut toute la décontraction classieuse de Madeleine Carroll pour rendre alerte cette chasse à l'espion allemand, qui aurait été, sinon, particulièrement ennuyeuse. Il faut dire que si Gielgud est un peu hiératique et bien moins à l'aise que Robert Donat pour jouer l'amoureux contrarié auprès de Carroll, les facéties agaçantes de son coéquipier Peter Lorre alourdissent elles-mêmes beaucoup la trame, au demeurant assez simple. Fort heureusement, quelques scènes à la construction redoutable (le montage alterné entre le meurtre dans la montagne et le comportement du chien, par exemple) viennent bien nous rappeler à qui nous avons affaire ; le dernier acte, dans le train s'apprêtant à passer la frontière, en est illustratif, et conclue efficacement cette œuvre qui reste, à mon avis, très mineure dans la filmographie d'Hitchcock.
En effet... personnelement j'ai trouvé que le film ne décollait jamais vraiment... malgré tout, la carriere de Hitch s'envolera par la suite. :wink:
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cinephage
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par cinephage »

Le film est mineur, c'est indéniable, mais je ne boude pas mon plaisir. Peter Lorre m'a fait sourire, et les quelques moments brillants (certes, dûs à la seule mise en scène d'Hitchcock) sont tout à fait estimables. Ce n'est sans doute pas une référence du cinéma d'Hitchcock, l'intrigue en est par trop naïve, mais ça reste un très agréable film des années 30, avec des personnages secondaires sympathique et quelques éléments de satire sociale plutôt bienvenus.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par allen john »

North by Northwest (Alfred Hitchcock, 1959)

Shakespeare, dans Hamlet (Acte II, sc. II) nous gratifie d'une allusion à Hitchcock: Hamlet définit sa folie par la désorientation géographique, I am but mad north-northwest. Le barde avait nécessairement vu le film, ou alors cette introduction absurde n'est ici que pour souligner à quel point il est vain de vouloir à tout prix renvoyer à Shakespeare lorsqu'on a Hitchcock entre les mains. Et si effectivement le titre etait une allusion consciente à Hamlet, quelle importance, réellement? North by northwest est sans doute, pour reprendre la formule chère à Hitchcock, d'abord et avant tout une "tranche de gateau", un film, à consommer avec plaisir. Et peut-être un peu plus, aussi.... Un opéra de celluloid dans sa forme la plus parfaite, la plus classique.

The 39 steps
(1935), bilan de la période Anglaise, se présentait comme un fascinant catalogue de tout ce qu'Hitchcock savait faire et souhaitait faire, un film en liberté totale dans lequel on avait le sentiment d'un accomplissment parfait: rien, absolument rien ne manquait, tout était en place, et l'excitation de voir le film est encore palpable aujourd'hui. C'est à peu près à ce type de sentiment que renvoie ce film, sorte de bilan de la période Américaine, mené tambour battant, et dont on se dit après tout qu'il ne peut rien y manquer, aucune scène coupée n'attend d'être redécouverte, bref, il est tel qu'il doit être, sorte de mètre-étalon par lequel repenser toute la gamme des films d'espionnage et d'aventures... et à la base de ce film parfaitement Hitchcockien à 100 %, il y a... le scénariste Ernest Lehmann. Celui-ci a de son propre aveu livré clés en mains à Hitch un film parfaitement Hitchcockien, dans lequel il a su insuffler le souffle nécessaire, un personnage à la Cary Grant, des allusions humoristiques à la mère abusive, des lieux emblématiques, une blonde fatale, une histoire d'amour qui se met à prendre le pas sur l'aventure, un faux coupable, une solide dose d 'absurdité, un méchant suave, façon James Mason, et des enchainements anthologiques d'évènements qui ne perdent jamais le spectateur en route, tout en rendant la navigation aussi fluide que possible... On le voit venir, ce brave Lehmann; de là à s'attribuer tout le mérite, il n'y a qu'un pas que peu de scénaristes hésitent à franchir, enflammés par le regard trop partial de la critique à l'égard du réalisateur, sorte de symbole de la politique des auteurs (Voir à ce sujet les remarques hallucinantes d'un Nunnally Johnson s'atribuant tous les mérites de quelques films de John Ford, et considérant l'apport de Ford lui-même comme nul)... Avec Hitchcock, quand bien même ce brave Ernest aurait effectivement été l'auteur des péripéties dans leur intégralité, on aurait quand même une leçon de mise en scène dans chaque plan, d'une part; et d'autre part, le grand Hitch était célèbre pour sa proension à s'accaparer le matériel, et l'infléchir dans la seule direction possible, celle dictée par la mise en scène. Inutile d'attribuer à quelqu'un d'autre la présence dans ce film d'une hallucinante scène de suspense en plein jour dans un champ, à la fois contrepied du cliché du film noir et mise en abyme exceptionnelle d'une matérialisation du vide, ou d'une allusion salace en bouquet final, ou de scènes de cinéma muet visant à nous montrer en silence, paradoxalement, des personnages qui téléphonent. C'est du Hitchock pur...

Hitchockienne également, cette notion de parcours qui est imposée au personnage principal, de New York, et le Plaza Hotel, à Rapid City, à coté du Mont Rushmore, en passant par Glen Cove, Long Island ou les Nations Unies, voire Grand central Station à New York, Chicago, sans oublier le train Twentieth Century Limited, cher à Hawks, ou une portion importante du film se déroule, devenant ainsi un lieu, plus qu'un moyen de locomotion. Cette géographie s'accompagne bien sur d'une grande lisibilité, chaque lieu faisant l'objet d'une exposition et d'une mention explicite dans les dialogues... Impossible de se perdre en apparence dans ce film dont la perfection narrative est légendaire. Cette perfection est pourtant batie, a priori, sur du vide... en effet, comme il se définit lui-même, le héros Roger Thornhill n'est 'rien': lorsqu'il offre du feu à Eva Marie Saint, cary grant lui explique que le O de son nom, dont les initiales (R. O. T.) figurent sur l'étui d'allumettes qu'il lui a tendu, renvoie à rien, O is for nothing. Ce n'est pourtant pas tout à fait rien puisque la vision de cet acronyme incongru renvoie lors de la fin du film à un signe, la jeune femme découvrant ce même symbole comme une preuve, en plein danger, que Roger est présent, prèt à la sauver du destin qui la menace. Néanmoins le début du film, avec ce Roger Thornhill, publicitaire, est un menteur professionnel, quelqu'un qui a bati son aisance financière sur du vide. Et bien sur, quand on le prend pour un agent secret (Ce qui est très clair et très Hitchcockein dans le film, grâce encore une fois à la lisibilité et aux enchainements des évènements), Thornhill ne sait pas que cet agent secret est encore plus vide que lui, puisqu'il n'existe pas... Donc, du vide, partout, y compris dans les convistions des méchants, dont l'appat du gain reste la principale motivation pour trahir. Mais de toutes façons, dans ce film, tout le monde ment, personne ne semble croire en rien; comme lorsque quelqu'un dit la vérité, il est ausstôt pris pour un menteur: Martin Landau, en suave secrétaire, dit à Thornhill qu'il est inutile de tenter de prouver son indentité, les papiers ne pouvant qu'être faux, ou encore Van Damm, joué par James Mason, parle des dénégations de Thornhill comme d'une performance... ce thème du jeu, de la mise en scène, est aussi cher à Hitchock, bien sur. On le retrouve tout au long du film, avec ses manipulateurs, ses objets en trompe l'oeil, et ses péripéties: le personnage de Kaplan est peut-être inventé, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une existence suffisamment tangible, grâce à quelques trucs de mise en scène de la part de la CIA. la fausse mort de Thornhill est dûment mise en scène elle aussi lorsque c'est nécessaire, et Thorhill joue l'imbécile afin de se tirer d'une situation embarrassante.

Et puis, il y a Eve. C'est bien sur son vrai nom, et derrière ce prénom symbolique se cache d'une certaine manière LA femme. Mais bien sur, l'alliage entre Eva Marie-Saint et Cary Grant nous vaut un feu d'artifice, Hitchcock ayant particulièrement apprécié de pouvoir se lancer dans ce qui est apparemment une digression une fois son personnage dans le train, mais qui est beaucoup plus une affirmation de son intérêt pour la rencontre érotique entre un homme et une femme; "Boy meets girl", donc, comme par inadvertance dans un premier temps lorsqu'ils se croisent dans un couloir du train. Puis elle l'invite à sa table, et lui fait du rentre-dedans d'une façon très directe, avant de l'inviter sans aucun scrupule dans son compartiment, ou la conversation prend dans la mesure du possible (la censure de 1959 étant quand même un brin tatillonne) un tournant apparemment plus intime. Eva Marie-Saint n'est pas aussi célébrée que peuvent l'être Ingrid Bergman et Grace Kelly, mais elle est fantastique.

Il est intéressant de constater que ce film qui professe donc le trou noir politique (Van Damm, de son coté, ne trahit l'Ouest que par appat du gain, et lorsqu'on lui demande ce que fait son ennemi, l'énigmatique "professeur" de la CIA joué par Leo G. Carroll suppose qu'il "vend des secrets gouvernementaux, peut-être") et l'absence d'engagement (Thornhill, exaspéré d'être pris pour un agent secret, propose à la CIA d'apprendre à "perdre quelques guerres froides"...) a débouché dans le cinéma d'aventures sur un héritage fortement paradoxal, puisque il ne faut pas chercher très loin la filiation entre ce film et la série des James Bond, dont le héros s'efforcera toujours d'être du bon coté, même s'il est évident que la encore les véritables motivations des protagonistes pèsent bien peu face au plaisir du spectateur, qui lui n'a pas besoin d'une cohérence politique. Mais aucun film de ce genre n'est jamais parvenu à la cheville de ce North by northwest dont la gestion miraculeuse du suspense, l'humour parfaitement dosé, et la thématique Hitchcockienne habituelle (fausse culpabilité en tête) se conjuguent avec le plaisir d'une interprétation absolument parfaite. Ce film peut se voir aussi souvent que vous le voulez, et je sais de quoi je parle, avec 48 visions au compteur...

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Message par daniel gregg »

allen john a écrit :North by Northwest (Alfred Hitchcock, 1959)

Shakespeare, dans Hamlet (Acte II, sc. II) nous gratifie d'une allusion à Hitchcock: Hamlet définit sa folie par la désorientation géographique, I am but mad north-northwest. Le barde avait nécessairement vu le film, ou alors cette introduction absurde n'est ici que pour souligner à quel point il est vain de vouloir à tout prix renvoyer à Shakespeare lorsqu'on a Hitchcock entre les mains. Et si effectivement le titre etait une allusion consciente à Hamlet, quelle importance, réellement? North by northwest est sans doute, pour reprendre la formule chère à Hitchcock, d'abord et avant tout une "tranche de gateau", un film, à consommer avec plaisir. Et peut-être un peu plus, aussi.... Un opéra de celluloid dans sa forme la plus parfaite, la plus classique.
:lol:
allen john a écrit :Ce film peut se voir aussi souvent que vous le voulez, et je sais de quoi je parle, avec 48 visions au compteur...

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:shock: Ceci dit, c'est vrai qu'on ne se lasse pas de ce film, en bonne place parmi les films que j'ai le plus souvent revus
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par allen john »

daniel gregg a écrit :
allen john a écrit :Ce film peut se voir aussi souvent que vous le voulez, et je sais de quoi je parle, avec 48 visions au compteur...

http://allenjohn.over-blog.com/
:shock: Ceci dit, c'est vrai qu'on ne se lasse pas de ce film, en bonne place parmi les films que j'ai le plus souvent revus
Oui. d'ailleurs, 49.
:lol:
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par someone1600 »

superbe analyse comme d habitude de notre allen john avec laquelle je ne peux qu etre d accord
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Demi-Lune »

L'homme qui en savait trop (1956)

Je n'ai jamais vraiment réussi à caser cet Hitchcock dans mon panthéon perso du réalisateur... ce n'est d'ailleurs pas celui que je revois le plus souvent. Hier soir, au bout de quarante minutes, j'en viens pourtant à me demander pourquoi ! La mise en place de l'intrigue est une merveille d'intelligence, et tout en laissant cours à son humour, Hitchcock installe subtilement la tension et l'inquiétude. Une scène, notamment, me paraît fabuleuse : celle, en apparence anodine, où Louis Bernard prend l’apéritif avec les McKenna, dans leur chambre d'hôtel. Doris Day chantonne et danse avec son enfant, l'atmosphère est bon enfant, et pourtant, quelque chose cloche. Ce moment de bonheur familial, en plan-séquence, dure trop longtemps, paraît suspect, et les cadres, doucement, se mettent à rétrécir à mesure que Doris Day veut en savoir plus sur le Français. C'est une scène très calme, bercée par les lointains grondements de la musique de Herrmann, mais on sait, par la seule force suggestive de la mise en scène, qu'un drame va se jouer entre ces personnages. Hélas, la suite du film m'a rappelé pourquoi j'ai une petite réticence au sujet de L'homme qui en savait trop. Je trouve que le film, dès lors que l'action se déplace à Londres, traîne un peu la patte, déroule une certaine facilité. Les méchants déçoivent un peu. Après avoir atteint un incroyable climax avec la séquence au Royal Albert Hall, le film retombe dans le dernier acte dans une forme de mollesse. Pour autant, le film regorge de séquences brillantes : Stewart approchant de l'atelier d'Ambrose Chapel, filmé de manière très menaçante ; le montage dans l'ambassade qui permet, de raccords en raccords, de se déplacer du rez-de-chaussée jusqu'à la porte interdite... et évidemment, ce phénoménal moment de cinéma qu'est le concert, qui est peut-être ce qu'Hitchcock a réalisé de plus magistral dans toute sa carrière. J'ai étudié plan par plan cette séquence des tas de fois, et je reste encore maintenant soufflé par la perfection de l'art du réalisateur atteint ici.
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Abronsius »

Suite de mon périple hitchcockien...

Shadow of a Doubt / 1943

Hitchcock quitte les studios et tourne cette histoire en extérieurs puisque le gouvernement américain en guerre stipule qu'aucun nouveau décor ne doit dépasser la somme de 5000 $. Hitch s'adapte facilement, ce n'est pas un problème.
Le film est connu, c'est une des grandes réussites du réalisateur mais à chaque fois que je le regarde je le redécouvre, faisant plus attention à tel aspect plutôt qu'un autre. Cette fois c'est le personnage incarné par Teresa Wright qui m'a séduit. Le passage de l'adolescence à l'âge adulte, rupture marquée par ce beau travelling arrière dans la bibliothèque. Passage qui ne se fait pas sans douleur. Il est certainement difficile de quitter cette famille attachante mais "nous devons tous partir un jour". L'oncle Charlie va servir de déclencheur, il est à lui seul le symbole d'une réalité complexe où le mal peut se nicher dans une enveloppe séduisante. Pour grandir la nièce devra briser le charme et continuer à rêver mais moins naïvement. L'oncle lui permet également d'apprécier ces moments creux où il ne se passe rien, qu'elle se contente de ce bonheur, même tranquille. Bill Krohn aborde dans un paragraphe de son Hitchcock au travail la lecture vampirique de l'oncle, avec justesse. Le thème colle parfaitement à l'intrigue, cette façon de surgir alors que Charlie l'invoque (tous deux sont allongés pareillement sur leur lit et semblent communiquer par télépathie), la manière dont il échappe à ses poursuivants avant son départ, les pièces tamisées aux rideaux baissés dans lesquelles il se réfugie, l'isolement excessif de son voyage en train... Charlie aura besoin de cet être démoniaque pour se trouver. Entre le discours apocalyptique de l'oncle ("The world's hell") et le charisme faiblard de Graham, l'héroïne doit certainement trouver le juste milieu. La fin témoigne d'une impossibilité pour elle d'en finir totalement avec son oncle et nous peinons à croire qu'elle se satisfasse de policier trop terne. Qu'importe, elle n'est plus la même. Comme la Sandy Williams de Blue Velvet, elle a découvert ce "strange world". De nombreux travellings où Charlie avance vers la caméra soulignent ce mouvement qui la conduit à l'âge adulte.
Derrière cet "american way of life" se cache quelque chose de pourri : voir les premiers plans avec les immondices, la morbidité (certes amusante) des deux voisins qui s'amusent à se tuer efficacement, la détresse que laisse apercevoir Emma au détour de quelques répliques, le discours très dur de l'oncle Charlie sur ces veuves grasses et insouciantes qui s'amusent et le regard caméra qui interpelle le spectateur avec une certaine ambiguïté. N'oublions pas que c'est la guerre, ces veuves sont-elles coupables de valser pendant que le monde est en plein chaos ? Chaplin en fera le sujet de son Monsieur Verdoux. Une haine s'installe qui sera transmise à la jeune Charlie. Dans ce nouveau monde les maisons ne seront peut-être plus si accessibles car ce qui est inquiétant c'est que l'assassin qui traverse la demeure familiale est le plus vivant, le plus charismatique des personnages. Joseph Cotten le campe admirablement. Voici venu un monde étrange où l'on tue ce que l'on aime.

Lifeboat / 1944

Encore un Hitchcock qui aborde la Seconde guerre mondiale mais avec un défi technique de taille : toute l'action se passe sur un bateau de sauvetage. Pas de musique, pas de plan qui le montre de l'extérieur, un huis clos aquatique que les acteurs subiront sur le plateau pendant trois mois.
Le film commence juste après le double naufrage d'un navire marchand américain et du sous-marin allemand qui l'a torpillé. Une barque et quelques rescapés dont un allemand qui se trouve être le capitaine du sous-marin. Hitchcock dira à Truffaut que le film devait être un message sur la nécessité de s'unir pour affronter l'ennemi. Notre démocratie permet toutes les libertés individuelles mais aussi les antagonismes qui lui sont attachés, du sympathisant communiste au libéral capitaliste c'est autant de freins qui empêchent l'efficacité du collectif, surtout dans une guerre. L'Allemagne est incarnée par le capitaine, bien préparé, puissant avec un seul objectif, par conséquent plus dangereux. Il est intéressant de remarquer que l'écriture des personnages les entraîne dans un double mouvement contraire. Les passagers "alliés" sont d'abord montrés avec leurs défauts : matérialisme, colère, individualisme, préciosité et j'en passe... ils se révéleront néanmoins sous un jour meilleur au contraire de l'allemand, interprété avec chaleur et bonhomie par Walter Sezlak, qui, au fur et à mesure de la progression du récit, dévoilera sa véritable nature impitoyable. Hitchcock aborde ainsi son amour pour une Allemagne qui avait produit avant guerre des oeuvres admirables et son incompréhension devant l'Empire du Mal qu'elle est devenue. Incompréhension qui sera soulignée par les personnages.
McGilligan explique très bien comment l'idée de départ de Hitchcock, excité par la gageure du projet, a évolué. Steinbeck a écrit un traitement assez éloigné des préoccupations cinématographiques et de ses contraintes. Du coup, et comme à l'accoutumée, Hitchcock l'a retravaillé avec plusieurs auteurs et scénaristes. C'est Jo Swerling, le scénariste de It's a Wonderful Life, chef d'oeuvre de Capra, qui a mis la touche finale, aidé en cela par Hitchcock qui, comme l'indique McGilligan : "... choisissait les sujets, guidait les réunions de travail, définissait les personnages, visualisait les principales situations et corrigeait les ébauches de scénario. Quand c'était absolument nécessaire, il écrivait même les dialogues." Ceci pour signifier les écritures et réécritures des projets de départ, le film est une oeuvre collective qui évolue énormément.
Plusieurs scènes sont marquantes : d'abord celle qui est abordée par la capture ci-dessus où Jo se met à reprendre une prière que les autres n'arrivaient pas à dire correctement, sa voix douce, la lumière de la scène font penser au meilleur de John Ford. Celle ensuite du meurtre du capitaine, les passagers filmés de dos se ruent sur lui "comme une meute de chiens", nous sommes loin d'un angélisme primaire et cette chaussure (celle de la jambe amputée de Gus (the great William Bendix)) ramenée du premier plan pour frapper le nazi est d'une cruauté toute hitchcockienne.
Les acteurs sont très bons, la gouaille de Tallulah Bankhead fait merveille. Il est rapporté qu'elle ne portait pas de petite culotte et qu'elle aimait enjamber ostensiblement la barque du plateau en exposant son intimité, ce que les autres acteurs ne goûtaient guère. Le chef opérateur s'en plaignait également car dès que la diva écartait les jambes, la prise était à refaire. Hitchcock se dégageait de toute responsabilité et recommandait les bons soins de l'habilleuse, de la maquilleuse ou de la coiffeuse...

Bon Voyage / 1944

Premier film de propagande réalisé pour le ministère de l'Information britannique, ce court métrage devait apporter un soutien à la Résistance française et fut diffusé dans la France et la Belgique libérées.
Hitchcock était encore entre les mains de Selznick, il tenait à ce départ londonien, il en parle à Truffaut en ces termes : "je ressentais le besoin de partir, c'était important pour moi", il faut rappeler que Londres était en guerre, qu'Hitchcock avait été la cible de calomnies au début du conflit et que sa mère venait de décéder sans qu'il ait pu la voir ; "je sentais le besoin d'apporter une petite contribution à l'effort de guerre" dira-t-il encore.
C'est dans les studios Welwyn qu'il tournera rapidement Bon Voyage et Aventure Malgache, deux courts métrages réalisés en français avec des comédiens de la troupe Molière, acteurs réfugiés qui donnaient des spectacles aux soldats puisant la majeure partie de leurs prestations dans le répertoire de Molière.
Ce court raconte l'évasion hors de France d'un jeune soldat écossais aidé par son camarade polonais. Il raconte tout aux officiers anglais durant l'interrogatoire de routine. Suivent des flash backs qui viennent dévoiler au spectateur les péripéties du héros. Seulement les officiers anglais lui apprendront (re flash backs) que l'allié polonais était un agent nazi qui se servait de lui pour faire éliminer après son passage les braves résistants qui lui venaient en aide.
La touche Hitchcock est immédiatement reconnaissable dans la volonté de donner un récit complexe, d'apporter de l'humour dans les dialogues avec une insistance particulière (et historiquement légitime) sur la nourriture qui manque, dans le soin de la photographie (Hitchcock s'était adjugé pour se faire le talent d'un ancien chef opérateur de Murnau : Günther Krampf). Le meurtre de la demoiselle est d'une efficacité admirable, quelques plans montés avec brio suffisent. En dépit de la succession parfois rapide des scènes, de leur transition souvent abrupte, ce court est à découvrir. Disponible dans une édition dvd, aux Editions Montparnasse, non restaurée mais correcte sur un petit écran.

Aventure Malgache / 1944

Deuxième court métrage tourné par Hitchcock lors de son escapade britannique de 1944. Pour pouvoir soutenir la Résistance et quitter Selznick un instant, le réalisateur lui a promis de tourner Spellbound dès son retour mais c'est une autre histoire.
Celui-ci repose sur des éléments historiques, ce qui est souligné au début du récit. Nous sommes à Londres en 1944 et des acteurs s'apprêtent à jouer, l'un d'entre eux n'arrive pas à cerner son personnage, son camarade lui raconte alors une histoire vraie, celle de Michel, un opportuniste qui sera vichyssois avant de tourner sa veste. Ce retournement est d'ailleurs une référence explicite à Casablanca de Curtiz tourné quelques années avant, on y voit un personnage ranger un portrait de Laval puis une bouteille d'eau de Vichy (qui fait l'objet d'un insert) et enfin accrocher un tableau de la Reine Victoria. Tout comme Bon Voyage, Aventure Malgache repose essentiellement sur des flashbacks.
Le film ne fut visible qu'en 1993 car toujours interdit de projection par le Central Office of Information. Les raisons de cette interdiction sont, en partie, dévoilées par l'article passionnant d'Alain Kerzoncuf in senses of cinema, je vous invite à le lire. Y est dressé le portrait de Paul Clarus, le personnage de l'avocat malgache résistant polyglotte fort de caractère, qui se révèle être un agent des services secrets britannique. il avait, de plus, la particularité, de se méfier de Vichy et de la France de de Gaulle. Ce sont là des hypothèses possibles qui peuvent expliquer le souhait des autorités anglaises de ne pas avoir diffuser le film à l'époque. Il règne autour de la genèse de ce court métrage un certain mystère que l'article résout en partie.

Spellbound / 1945

"...je voulais seulement tourner le premier film de psychanalyse."
La sentence a l'allure d'une excuse confessée du bout des lèvres. Il faut bien dire que ce film n'a pas la fantaisie et le charme de ses films précédents. L'enrobage psychanalytique qui n'a rien de passionnant, l'alternance de scènes d'amour et de scènes de crises y sont pour beaucoup. Néanmoins subsistent de beaux moments. La rencontre de Constance et John dont Hitchcock déplore l'accompagnement musical grotesque, les déambulations de Constance avant de franchir le seuil de la chambre de John puis ce baiser et ces portes mentales qui s'ouvrent, la scène de la lame de rasoir, très hitchcockienne avec ce travail sur la lumière et ce gros plan, les répliques du Dr Brulov, le jeu sur le revolver final et les photogrammes rouges subliminaux. Quelques passages sont plus malheureux, notamment la descente à ski, très risible et pour finir je dois dire que la séquence du rêve n'est guère transcendante, Hitchcock aurait voulu la filmer en extérieur, en pleine lumière, dommage.
Bergman est assez parfaite dans ce film, Peck est souvent dénigré mais je ne le trouve pas si mauvais que cela, j'aime bien son visage et le son de sa voix aussi le voir est toujours un plaisir. les autres personnages, excepté Brulov ont moins d'épaisseur, ce qui est inhabituel chez Hitchcock.
Un Hitch mineur en ce qui me concerne.

Notorious / 1946

La formation d'un couple est un des motifs les plus répétés chez Hitchcock, il est en train de se former et finit par prendre forme à la fin du récit ou bien il préexiste et c'est alors une mise à l'épreuve qui le renforcera. Mais c'est dans ce film qu'il est le plus abouti, le plus intense, le plus émouvant. Je mets de côté celui de Vertigo qui est niché dans l'esprit de Scotty.
Après avoir tourmenté quelque temps Selznick avec ce projet, Hitchcock se retrouve entre les mains de la RKO pour le finaliser, il y gagnera en indépendance et peut alors s'y consacrer. Pour une fois il dispose du casting qu'il voulait, Ingrid Bergman avec qui il s'entend à merveille et Cary Grant.
L'histoire est celle d'Alicia, fille d'un homme condamné pour trahison avec les allemands, qui boit pour oublier la honte subie. Elle sera utilisée par les agents américains afin d'approcher des nazis qui complotent au Brésil. Cary Grant joue Devlin, son agent de liaison, Claude Rains, Alexander, sera le cheval de Troie, il est un ancien prétendant qu'Alicia n'aura aucun mal à séduire, c'est chez lui que se réunissent les conspirateurs.
Le scénario s'écrit à la fin de la Guerre Mondiale, le tournage commençant juste avant les bombardements atomiques au Japon. Il anticipe la fuite des anciens nazis en Amérique du Sud, l'enjeu de l'arme atomique (le fameux Pommard 1934) et dénonce clairement les activités d'IG Farben. Il règne un parfum d'avant guerre-froide en arrière-plan, des luttes souterraines qui deviendront plus soutenues par la suite.
Ceci pour l'aspect politique du film, Hitchcock est loin d'être l'amuseur hollywoodien uniquement intéressé par le box-office, ses films sont souvent en lien avec une actualité brûlante.
Or ces considérations politiques s'évanouissent devant l'histoire d'amour développée par le film. Devlin succombe assez vite aux charmes, à la fraîcheur d'Alicia. Habillée comme une gamine effrontée, un peu négligée, poil sur la langue enlevé sans gêne, Devlin la regarde sans mot dire, apparaissant au premier plan, de dos, dès la première séquence. Son étonnement d'abord, son amour ensuite. C'est le plan de l'avion où Alicia regarde à travers le hublot, se penchant au-dessus de ses jambes, il lui jette alors un regard qui en dit long sur l'emprise qu'elle a sur lui sauf qu'elle ne le sait pas, pas à ce point.
Lorsque Mata Hari doit séduire Alexander , elle sera amenée à se marier avec lui pour la cause.
S'opère alors un double retrait : Devlin s'écarte d'elle et Alicia, démasquée et lentement empoisonnée, s'isolera de plus en plus jusqu'à la scène finale.
Grant joue un homme blessé, amer de voir celle qu'il aime se donner à un autre. Une piste scénaristique antérieur en avait fait un homme déjà meurtri par une passion ancienne qui devait, de ce fait, se méfier des femmes. Alicia n'en sait rien, ne voyant que sa muflerie qui devient une réponse à ses anciennes beuveries et son infidélité présente. Les dialogues jouent sans cesse de cette incompréhension, de signes mal interprétés. La réalité est déformée, plusieurs plans subjectifs jouent de ce dispositif. Espionnage, double jeu mais aussi errements des sentiments. Bergman est magnifique d'abandon, lors du faux baiser près de la cave et lors de la scène finale où Grant vient la chercher. Jai vu le film plusieurs fois et à chaque fois je suis étonné de l'intensité qu'elle réussit à faire passer par son jeu. Le film lui doit beaucoup. Face à elle Claude Rains est tout aussi remarquable, il a le rôle du méchant mais ce dernier est de bonne foi, il est réellement amoureux et l'on prend plaisir à le voir se dresser contre sa mère (étonnante Leopoldine Konstantin), tyrannique et possessive. C'est le méchant et l'on a pitié de lui lorsqu'il gravit les marches qui le mènent à la mort. Je garde de lui cette attitude prostrée lorsqu'il finit par avouer sa méprise à sa mère, Rains compose un personnage qui fait date.
La mise en scène de ce film est parfaite, toute en souplesse, presque invisible sur la plupart du récit, presque car ponctuée de grands moments hitchcockiens, ces interventions que les mouvements de caméra font naître et qui font scintiller les séquences. Je pense à l'arrivée de la mère d'Alexander, surgissant de l'arrière-plan pour venir offrir son visage en gros plan. Je pense au mouvement qui vient chercher la clef dans les mains de Bergman, intensité dramatique redoutable souvent soulignée par des inserts, des gros plans, scènes vues en apnée comme la descente de l'escalier. Je pense aussi à l'assassin de service, Eric Mathis, que l'on redoute et qui traverse l'écran en jetant un regard attentif vers la caméra, prédateur en attente d'une faute pour fondre sur sa proie. Lisant les quelques pages que Bill Krohn consacre à ce film dans son Hitchcock au travail, apprenant qu'il tournera des scènes quelques jours seulement après les avoir écrites, l'on se dit qu'il devait maîtriser son art, Notorious en est une preuve incontestable.

The Paradine Case / 1947

C'est avec ce film que prend fin l'éprouvante collaboration entre Hitchcock et Selznick. Un film que le producteur sabotera pleinement en contestant les volontés du réalisateur.
C'est l'histoire d'une femme fortunée à la beauté troublante dont le mari aveugle vient d'être empoisonné. La police l'accuse, Keane, un grand avocat se charge de la défendre seulement il tombe amoureux de sa cliente.
Les données sont exposées durant la première heure puis vient le procès. Le film reste passionnant en l'état, il me plaît de voir les désirs contrariés des personnages. Tout est frustration sexuelle, le meurtre, le sadisme, le mépris en découlent. Le juge Horfield joué avec délice par Laughton, plus odieux que jamais, fait des avances à Gay (Ann Todd, froide/frigide qui s'en remet au temps et accepte les écarts de son mari pourvu qu'il lui revienne) qui l'ignore superbement ; L'avocat, Keane (Peck qui n'est pas si mauvais que cela, j'aime le timbre de sa voix et sa manière de timidement baisser les yeux) s'éprend de l'accusée et s'engouffre dans un combat perdu d'avance, cette dernière étant folle du valet qui lui ne jurait que par son maître décédé.
Selznick mit tout en oeuvre pour pousser le film vers le glamour alors que c'est vers une cruauté, une passion plus palpable qu'Hitchcock désirer aller. Le choix de l'acteur Louis Jourdan en est une parfaite illustration, Hitchcock désirait que ce personnage, simple valet d'écurie, "sente vraiment le fumier" accentuant ainsi la nymphomanie de Mrs. Paradine, l'on ne peut pas dire qu'Alida Valli soit vue sous cet aspect. McGilligan écrit : "Et Selznick en rajouta sur l'élégance de Jourdan, lui faisant mettre des couronnes à ses dents, porter des chaussures à semelles compensées et lui créant une nouvelle coiffure. "Un très joli garçon", dit Hitchcock dans une interview en levant les yeux au ciel." Hitch désirait Robert Newton à la place, c'est dire. Ce dernier aurait donné une bestialité au personnage qui aurait creusé un gouffre si Laurence Olivier (autre choix du réalisateur) avait obtenu le rôle. De là peut naître, chez le spectateur, une frustration manifeste.
Toutes ce hésitations, décisions prises puis repoussées par le producteur conduisirent le film à un budget équivalent à Gone With the Wind. A la vison du film cela paraît totalement invraisemblable.
Néanmoins, comme je l'ai dit ci-dessus, le film reste agréable à regarder, par ces frustrations sexuelles esquissées, par ces petites conversations privées qu'ont les personnages à propos de l'affaire, par ce couple hétéroclite formé par Laughton et Ethel Barrymore (dans le premier montage de trois heures son personnage était nettement une aliénée).

Rope / 1948

Hitchcock est libre, il s'apprête à tourner un film tout en étant son propre producteur, il vient de fonder pour cela la Transatlantic. Il y a une sorte d'excitation dans l'air, le joug de Selznick ayant disparu tout devient possible. Plusieurs projets germent mais c'est cette pièce écrite par Patrick Hamilton d'après un fait divers qui va permettre à la société de tourner ce premier film attendu.
Hitchcock a envie de frapper un grand coup, même si a posteriori il avouera à Truffaut avoir commis une erreur. En effet le projet va à l'encontre des idées du maître en ce qui concerne le récit cinématographique, c'est à dire le plein usage du montage. Il veut tourner ce huis clos en misant sur le plan séquence maximal, celui que lui autorise la durée du magasin de la caméra. Les raccords doivent être invisibles, le spectateur aura donc l'impression de continuité totale avec ce qui se passe à l'écran.
Un plan en plongée, une rue tranquille, quelques passants puis la caméra vient panoter jusqu'à une fenêtre dont les rideaux sont tirés. Un cri surgit, étouffé, cri poussé de l'intérieur. Cut. Le spectateur se retrouve alors face à un individu qui se fait étrangler. Léger mouvement arrière qui vient découvrir les deux assassins, le tout en plongée. Derrière les murs le meurtre se terre, scène que l'on retrouvera dans Frenzy, un autre grand film. Début tonitruant, agrémenté d'un technicolor qui surgit pour la première fois dans sa filmographie. L'on sent parfaitement une volonté d'en découdre, de montrer ce dont il est capable une fois libéré d'un producteur trop envahissant.
Pas de montage ou si peu néanmoins une présence constante et affichée du réalisateur, de la maîtrise de son sujet. Longtemps je me suis retrouvé devant ce film en faisant la moue, je n'en voyais que l'esbrouffe, que l'exploit un peu puéril du coup de force. Je me disais, oui...et alors ? Puis, au fur et à mesure, des visons multiples du film je me laissais séduire par la précision du placement des acteurs, par ce coffre en amorce, placé sous notre nez, par tant d'autres choses.
Le dialogue en premier lieu. La traduction ne laisse pas passer tous les jeux de mots et allusions faites autour de la mort. Comme ce passage où Rupert commence à se douter de quelque chose et vient interroger Phillip, ce dernier lui répond "Stop playing "Crime and Punishment"", Raskolnikov est convoqué avec justesse. Ou encore lorsqu'il répond à Brandon après des reproches sur l'alcool consommé : "At least if I have a hangover it will be all mine !" Ajoutons les nombreux passages où Rupert disserte sur les manières de tuer un homme, avec cet humour macabre propre à de nombreux personnages hitchcockiens. Janet qui étranglerait bien Brandon pour ses manigances, les prédicitons de Mrs Atwater sur les mains bientôt célèbres de Phillip, le "David" qu'elle lance dès son arrivée. Dans une séquence, celle des poulets étranglés par Phillip, le mot "strangle" et ses dérivés fonctionnent comme le "knife" de Blackmail. Stewart appuie certains mots plus que d'autres les faisant claquer à l'oreille de Phillip.
La mise en scène et l'usage précis de l'emplacement de la caméra sont deux autres éléments précieux du film. Ici la caméra est démiurgique, c'est elle qui indique la voie à suivre, les éléments narratifs sont souligner avant même qu'ils ne surgissent dans le récit (dans la diégèse pour être plus précis). Le panoramique du début anticipe le cri de l'étranglé, le couvert préparé est montré avant que la réception ne soit évoquée. c'est encore ce beau panoramique droite/gauche qui fait surgir James Stewart du cadre comme Mme Arnoux devant Frédéric. Mais plus beaux encore la manière dont Phillip voit Mrs Wilson racontait la bizarrerie des préparatifs de cette soirée à Rupert avec ce cri silencieux vers Brandon, moment sublime muet tout comme Mrs Wilson débarrassant le coffre et effectuant ces trajets où chaque pas augmente la tension dramatique de la scène. C'est pour ces moments que l'on revoit des films, sans jamais se lasser. Le parcours hypothétique du meurtre joué par la caméra en est un autre.
Il reste que les raccords ne sont pas toujours bienheureux, quelques cuts classiques sont effectués sans que le spectateur ne puisse les remarquer particulièrement en revanche les raccords vestons sont artificiels et nuisent à l'ensemble. C'est un détail.
La maquette de New-York, le jeu avec les lumières, la performance des acteurs contribuent à faire de cet opus hitchcockien un plaisir particulier.

Under Capricorn / 1949

Je n'avais jamais vu celui-ci et c'est avec enthousiasme que j'ai glissé le dvd dans le lecteur. Deuxième film de Hitchcock avec sa société de production et dernier vu l'échec retentissant de ce mélo filmé par Jack Cardiff dans un beau technicolor. J'aimerais le voir restauré pour l'apprécier à sa juste mesure.
Hitch reprend Bergman, très demandée par les studios, pour un sujet en costumes dont il n'a pas travaillé le scénario avec le même acharnement. Il dira plus tard sa déception quant à la distribution, la fin du film...
En ce qui me concerne ce fut un ravissement.
Charles Adare arrive à Sidney en 1831, sans argent. C'est le frère du gouverneur de cette colonie. Il rencontre rapidement Sam Flusky qui lui propose de l'argent en échange d'un service : acheter des terres pour les lui revendre. Flusky est un ancien condamné qui n'a pas le droit d'acquérir des terres. Adare se rend chez lui et découvre sa femme, Lady Henrietta, recluse et sombrant dans l'alcoolisme. Il n'a de cesse de lui rendre sa dignité. Cette intrigue est le premier triangle amoureux. La beauté du film tient en un renversement qui vient dévoiler un autre triangle, plus meurtrier, plus hitchcockien.
Cette colonie australienne est vue comme un refuge d'anciens malfrats qui tentent de s'amender et qui parfois réussissent. La question du passé est essentielle, on ne l'aborde pas parce que chacun a un secret. C'est un des moteurs du mélodrame. Il y a une peinture d'êtres misérables et vils, notamment les domestiques de Flusky dont Milly est la plus représentative, celle qui tient la maison et qui sera une pièce maîtresse de l'intrigue. Mais qui dit secret dit aveu. Les deux sont liés et soulignés dans la mise en scène par un très beau plan séquence où Bergman fait le sien avec une émotion remarquable. McGilligan dit d'elle qu'elle excelle dans une spécialité : "la souffrance noble".
Des forces souterraines se mettent en place pour empêcher le bonheur, l'équilibre. Bel usage de la tête réduite qui exprime une puissance cachée, ancienne qui vient perturber la vie des nobles. Le personngae de Milly est tout autant motivée par l'amour que par une haine de classe. La plus belle scène est celle de la découverte par Lady Henrietta du stratagème conçu par Milly. Le gros plan (peu nombreux chez Hitchcock mais tellement efficaces) sur l'objet terrifiant est le point de bascule des deux triangles amoureux, le film prend alors une autre direction, un ton plus mystique, plus noir que nous aurions aimé rencontrer bien plus tôt.
Il est étrange que ce film n'ait pas rencontré son public, il contient de nombreuses scènes intéressantes, certes certaines sont un peu bavardes mais elles ne nuisent pas à l'ensemble.
Une belle découverte.

Stage Fright / 1950

"Moi, je me suis amusé avec la fête de charité dans le jardin." dira Hitchcock à Truffaut. Hitch n'a pas une affection particulière pour ce film et nous ne pouvons pas vraiment le contredire. L'intrigue ne m'a pas longtemps intéressé, j'ai davantage préféré l'ancrage anglais du film et à chaque fois que cet aspect était abordé je désirais qu'il persiste un peu plus. Jane Wyman ne me séduit guère excepté lorsqu'elle se déguise réellement et s'amuse mais elle ne le fait pas souvent, c'était pourtant le souhait de Hotchcock mais l'actrice ne désirait pas s'enlaidir car Dietrich était là. Ne pouvant, en aucun cas, entrer en compétition avec elle, elle aurait du avoir l'intelligence de comprendre que c'était dans une veine comique qu'elle pouvait l'emporter, ou se démarquer. Ce qu'elle n'a pas fait aussi me donne-t-elle des envies de siestes prolongées dès qu'elle apparaît à l'écran. Je suis méchant mais elle le mérite. Pour être franc, le numéro de Dietrich me laisse froid, surtout sa chanson, je lis partout que c'est grandiose mais je n'y vois rien à admirer, même les scènes où elle est brillamment éclairée me paraissent nuire au film, elles sont trop hétérogènes et nuisent à l'ensemble.
Mon plaisir va absolument à Alastair Sim (que Truffaut n'aime pas ce qui explique son jugement ridicule sur le cinéma anglais), Wilding, Joyce Grenfell et Kay Walsh. J'oublie Sybil Thorndike. L'humour retrouvé, celui des films anglais du maître, fait mon bonheur. Le coup du "Safety Glass" lors de la fuite en auto, le vieil homme dans le café qui empêche Wyman d'entrer en contact avec Wilding, la séquence entière de la fête de charité qui culmine avec la scène du stand de tir, voilà le meilleur du film.
Todd en meurtrier pathologique ne s'en tire pas si mal et a de bons moments mais au final le film est trop entre deux à hésiter entre la comédie policière et le thriller.


Strangers on a Train / 1951

Un des sommets de la filmographie hitchcockienne qui en contient de nombreux. Il ne faut pas trop s'enthousiasmer à la vue du nom de Chandler au générique. L'écrivain a collaboré au film et écrit une version du scénario qui n'est pas hitchcockienne. Pour résumer Chandler travaillait beaucoup pour tirer le film vers une force littéraire, privilégiant les dialogues et les situations vraisemblables tandis que le réalisateur imaginait le film en un ensemble visuel laissant le réalisme en arrière-plan. Plusieurs séances de travail eurent lieu qui se passaient de plus en plus mal jusqu'à la rupture finale. Hitchcock laissa le scénario et le retravailla comme à son habitude à sa manière et avec d'autres plumes.
L'idée de départ provient du roman de Highsmith mais sera adaptée librement. Le sujet est séduisant : deux hommes qui ne se connaissent pas se rencontrent dans un train et arrivent à cette conclusion : si chacun réalise le meurtre dont l'autre rêve ils réaliseront le meurtre parfait (obsession fréquente chez les personnages hitchcockiens) puisque c'est un inconnu, sans mobile, qui en sera l'auteur. La séquence inaugurale est très belle : le parcours des deux personnages est filmé au ras du sol, ne laissant apercevoir que des chaussures qui finissent par se rencontrer ! Belle illustration du hasard même si la mise en scène précise vient l'annihiler. Cette idée du crime parfait est tellement inscrite chez ces personnages que Bruno (le détraqué interprété par Robert Walker, inquiétant à souhait, tourmenté, impulsif, dangereux, très belle interprétation qui en fait un méchant inoubliable) peut tranquillement bavarder avec des aristocrates parce qu'il aborde ce sujet, si excitant entre tous.
La dimension homosexuelle de Bruno n'est pas vraiment visible en dépit des choses lues ici et là (Truffaut, McGilligan, Krohn), certes il y a des indices ténus mais globalement je vois ce personnage comme l'ennemi intérieur, la part du mal tapie en chacun de nous, en l'occurence Guy (just a guy with some hate in him, Haines est son nom, dans un film où l'assassin maîtrise le français, langue parlée dans le cercle diplomatique de l'héroïne). Il y a le motif du double omniprésent, voir le montage de la scène avec le parcours double, les deux whisky doubles commandés dans le train et encore bien d'autres indices dont ceux-ci que je goûte particulièrement : il s'agit du moment où Bruno vient voir Guy près de chez lui, alors que ce dernier s'apprête à franchir le seuil de sa porte, une voix l'appelle. Un effet sonore lui donne une tonalité qui la fait provenir d'un espace lointain et vide, comme une conscience éloignée. Le cadre est désaxé, la musique spatiale de Tiomkin commence à jouer discrètement, Guy traverse alors la rue et rejoint Bruno, les deux se parlant à travers une grille telle un miroir où se refléterait un visage, une âme. C'est une scène assez anodine mais tellement pleine de sens et conçue avec une précision redoutable.
La pulsion de mort est incarnée par Bruno qui apparaît brutalement et vient contrer le désir de vie de Guy, celui de s'accomplir, d'intégrer une société que son mariage prévu avec Anne lui permet. Pulsion récurrente, Bruno sera présent, figure omnisciente et inquiétante qui empêche la réalisation de Guy. Bruno, par ailleurs, n'est pas marié (Guy l'est et le sera de nouveau), il est encore chez sa mère qui aime lui faire sa manicure. Il faut dire que nous avons là le plus beau couple hitchcockien : une mère ravagée par la folie qui s'occupe de son fils psychopathe. Marion Lorne est touchante jouant de son innocence et de son bon vouloir complètement inutiles.
Touchant, Bruno l'est aussi, passant de l'enthousiasme à la fureur ou encore à la folie pure, voir le discours qu'il tient au sénateur (Léo G. Carroll, fidèle acteur hitchcockien). Ses mains semblent ne pas vraiment lui obéïr, il a une façon de les présenter à son regard comme si elles étaient indépendantes, comme des outils (il usera de ce substantif dans le récit).
Les séquences de bravoure sont nombreuses dans le film. Nous évoquerons le meurtre de Miriam ("une vraie garce de femme" dira Hitch à Truffaut) vu à travers ses lunettes tombées au sol et qui viennent déformer la scène laissant voir une sorte de pince au lieu de la main de Bruno. Toute la séquence liée à ce meurtre est admirable, les plans qui montrent Bruno très différents, de la plongée où il attend sa victime à l'arrêt de bus aux contre-plongées lorsqu'il sort de l'écran. Sa façon d'intégrer le cadre ou d'en sortir en fait un fantôme, fantôme qui séduit sa proie pour mieux l'achever. L'aide apportée à l'aveugle en fin de séquence est une trouvaille qui insiste sur la dualité et le génie du tueur.
Hitchcock joue pleinement avec les contrastes dans ce film utilisant la lumière avec un brio épatant, voir le jeu des ombres dans le "Tunnel of Love", ou encore le travail sur la lumière lors de la rencontre qui suit le meurtre où Guy et Bruno ne sont pas éclairés de la même façon, l'un l'est, l'autre pas. Beau travail de Robert Burks que nous retrouverons par la suite.
Un autre moment à retenir est le moment où Anne découvre la dangerosité de Bruno, c'est à travers son regard et par le biais de plans sans dialogues que le tout s'effectue. Moments muets qu'apprécie Hitchcock, plaisir partagé.
Et l'humour ?
Il y a cette phrase : "I don't think it's a very nice way to make money". C'est Bruno qui la prononce en parlant de meurtres. J'aime à l'interpréter comme une blague du réalisateur sur cette façon de revenir à ce qu'il sait faire le mieux, surtout après deux échecs.
Celle-ci : "Where I go, Hennessy goes...". Hennessy est le policier qui est chargé de surveiller Guy après le meurtre de sa femme. C'est aussi une grande marque de Cognac, boisson qu'adore Hitchcock, que boivent nombre de ses personnages.
J'ajoute le gamin qui pointe son faux pistolet sur Bruno et la réaction de ce dernier ou encore la séquence magistrale finale où un autre gamin est en proie à l'ivresse de la vitesse puis se met à frapper Bruno, aidant Guy dans sa lutte, la réaction de Bruno étant en cohérence avec celle mentionnée précédemment.
La séquence du double suspense (la partie de tennis et l'épisode du briquet) est célèbre mais à chaque fois que je revois ce film ce sont celles qui m'impressionnent le moins, je préfère les moments mentionnés ci-dessus. C'est cela Hitchcock, un ensemble de merveilles où nous pouvons choisir.


I Confess / 1953

Un scénario qui épouse parfaitement les obsessions hitchcockiennes, le faux coupable, le chantage, l'amour secret interdit... Néanmoins le film court trop de lièvres à la fois et se perd un peu en rase campagne. Il est vrai que la trame de départ s'est considérablement calmée, devenue raisonnable sous les conseils avisés de la censure : le prêtre devait avoir un enfant illégitime et mourir à la fin. Dommage.
Le début commence sous les meilleurs auspices, ambiance de film noir, sombres ruelles, ombres portées sur les murs, pavés humides et démarrage en fanfare, direct sur le corps ensanglanté grâce aux panneaux indicateurs, la touche british du maître fait plaisir. Vient ensuite le duel Clift / Hasse, le prêtre qui se doit de taire le meurtre confessé par le second. Le fait même que le sacristain vive à ses côtés est générateur de tension, de heurts dramatiques jouissifs, d'autant plus que Malden est parfait en détective tenace. Il sait faire transparaître une urgence, une folie à son personnage qui ajoute au bouillon de culture une dose fatale. Vraiment, j'aurais bien aimé, en un délice sadique, assister à la mort du beau Clift. Hélas.
Hélas bis, l'amourette avec Baxter fait retomber l'électricité qui irradiait les premières scènes. Arrivé au procès l'on a guère envie d'en suivre le déroulement. C'est à sa fin que la vie reprend, la sortie du prêtre, la foule hideuse, manque la mort...
Un Hitchcock qui aurait pu être plus passionnant encore.

Dial M for Murder / 1954

Hitchcock dit à Truffaut qu'il n'a pas pas vraiment "grand chose à dire" sur ce film. Est-ce parce que durant sa conception il avait déjà en tête non seulement Rear Window, To Catch a Thief mais surtout North By Northwest ? Certainement. Le réalisateur détestait les moments creux où il cherchait désespérément un sujet pour tourner le film suivant, en revanche courir plusieurs lièvres à la fois et préparer le film prochain pendant la réalisation du précèdent était son modus operandi.
Celui-ci doit beaucoup aux circonstances, hésitation entre plusieurs projets, volonté de la Warner de tourner le film en 3D néanmoins la raison principale est que si Hitch aimait avoir des projets d'avance il ne se lançait pas non plus dans une voie mal préparée. Cette adaptation d'une pièce de Frederick Knott ayant obtenue beaucoup de succès à Londres (créée en 1952) et à Broadway lui permettait d'assurer ses arrières avec ce que le public aimait : une pièce où le meurtre et le suspens tenaient en haleine les spectateurs. tenir ses arrières et préparer le film suivant avec plus de temps, plus de soin.
Hitchcock préserve au maximum la théâtralité de la pièce ce qui ne l'empêche pas d'user de moyens cinématographiques pour l'adapter. Comme les premiers plans où Grace Kelly embrasse son mari puis son amant avec une rapidité réjouissante. La situation est plantée rapidement et le spectateur conquis.
L'histoire est passionnante et le huis-clos n'en est que plus prenant, l'on s'aperçoit à peine de ce lieu unique tellement l'intrigue suffit à nous le faire oublier.
Histoire d'une femme entre deux hommes, histoire du mari, de la femme et de l'amant. Schéma classique à partir duquel Hitch ajoute une épice particulière, le mari pense que la perfection existe, son meurtre en sera l'illustration, l'amant compose des romans, il pense que la réalité ne se laisse dompter que dans la fiction. Une réponse sera apportée dans le final.
Le film se déroule en plusieurs parties, d'abord la conception et la présentation du meurtre. Milland est parfait dans ce rôle, il joue d'une séduction naturelle, d'une minutie et d'un sang-froid qui nous rend le personnage fascinant, la sympathie que nous pouvions lui accorder, après tout c'est le mari trompé, ne peut résister à cette maîtrise affichée et démontrée à Dawson, elle est trop parfaite. Le moment où il joue à l'avance devant Dawson les différents moments du meurtre sont filmés en plongée, une plongée presque irréelle qui souligne le caractère hypothétique de sa réalisation.
La nuit du meurtre est doublement intéressante car nous suivons la tentative d'un double point de vue. Nous avons envie que Milland réalise son plan mais d'une manière où seule la réalisation d'une action nous importe, c'est pourquoi les détails (montre, homme qui téléphone...) qui retardent sa réalisation nous crispent, nous sommes alors avec Milland comme nous sommes avec Dawson lorsqu'il ne sait que faire en attendant cet appel qui ne vient pas. Et lorsque Kelly sort dans sa chemise de nuit, c'est avec elle que nous luttons, nous désirons alors son salut, qu'importe les sentiments qui nous animaient dans les scènes précédentes. Talent du cadrage et du montage minutieux du maître.
Il y a un aspect fascinant dans la travail en oeuvre, réaliser un meurtre en est un, aussi captivant qu'un autre.
C'est pourquoi, lorsque l'inspecteur anglais joué par l'excellent John Williams, entre en scène, la fascination joue encore, c'est son travail qui est le sujet de toute notre attention. Le voir à l'oeuvre, dérangé par l'écrivain américain est une trame scénaristique très efficace.
J'ai vu le film en 3D, il y a longtemps, lors d'un festival en plein air, je me souviens alors avoir été plus intéressé par l'installation des deux projecteurs que par le film lui-même. Aujourd'hui la disposition des objets au premier plan, le rôle majeur de la paire de ciseaux donnent envie de le revoir en 3D avec plus d'attention.
Les acteurs sont brillants, Kelly semble dépérir au fur et à mesure du film, d'une robe rouge passion elle passe par des tenues de plus en plus ternes. Sans compter la scène du procès que le réalisateur évacue de belle manière. L'actrice entre admirablement bien dans l'univers hitchcockien.
Un film qui, même en le connaissant bien, se laisse revoir avec énormément de plaisir.
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par daniel gregg »

Passionant tout çà, de la lecture jusqu'à la fin de l'année ! :D
Entièrement d'accord avec toi concernant la copie de Under Capricorn , qui mériterait un bien meilleur traitement ne serait ce qu'en hommage à la superbe phtographie de Jack Cardiff.
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Abronsius »

daniel gregg a écrit :Passionant tout çà, de la lecture jusqu'à la fin de l'année ! :D
Entièrement d'accord avec toi concernant la copie de Under Capricorn , qui mériterait un bien meilleur traitement ne serait ce qu'en hommage à la superbe phtographie de Jack Cardiff.
Tout comme The trouble With Harry, vu au cinéma avec des pastels superbes...
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Message par allen john »

Abronsius a écrit :Suite de mon périple hitchcockien...
...pas de mal à se faire du bien! :D
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Jeremy Fox
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par Jeremy Fox »

allen john a écrit :
Abronsius a écrit :Suite de mon périple hitchcockien...
...pas de mal à se faire du bien! :D
Oui ; seulement, j'attends la suite maintenant :wink: The Trouble with Harry sur grand écran ; je m'en souviens encore :)
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Re: Alfred Hitchcock (1899-1980)

Message par villag »

NORTH BY NORTHWEST ....voilà un film qui se déguste à chaque vision....la première fois que je l'ai vu, il y a fort longtemps, je me souviens avoir pensé : bof....;depuis, je le revois frequemment et sans jamais me lasser...Et si tu savais Jeremy quel beau BR.......! Ah , au fait, une petite curiosité assez drôle repérée dans les bonus : l'actrice qui joue la mère de Cary Grant, avait, en fait, le même âge que l'acteur...!
F d F ( Fan de Ford )
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