Un cinéaste à succès traverse une étrange crise...
Woody n'a jamais caché ses influences Bergmaniennes. Comme il le confiait à Stig Björkman (1), Monika (1953) fut l'un de ses plus grands chocs cinématographique, le convainquant d'une certaine mâturité européenne cinématographique qu'il ne retrouvait pas dans son pays. A de nombreuses reprises au cours de sa carrière, il payera différents tributs à l'univers du suédois (Intérieurs, September, Une autre femme...), aussi est-il étonnant avec Stardust Memories de le voir s'aventurer en territoire Fellinien. Pas n'importe lequel, puisque Stardust lorgne bien évidemment du côté de 8 et demi tout en se permettant de poser un premier bilan de l'univers Allenien à travers une narration audacieuse car pas si linéaire qu'on peut le penser. Ainsi, ce qui peut sembler un étrange déjà-vu malaisant (j'y viens juste après) peut aussi être compris comme une tentative d'écriture sensorielle du cinéaste qui se verra poussée dans ses retranchements avec Maris et Femmes : ce qui peut alors sembler une redite se termine à la fin du film par une mise en abîme bienvenue munie d'un discret et simple hommage au cinéma. La différence avec 8 et demi tient donc sur ce point primordial : la création en cours et la psyché du cinéaste. Chez Fellini, nous étions plongés dans les troubles de Guido (génial Mastroianni comme à son habitude) et naviguions alors avec lui entre souvenirs, visions, temps présent et idées, sans jamais voir le fameux film de SF fini. Chez Allen, la création est déjà finie, une rétrospective est en cours, mais nous ne comprenons que sur la scène finale la duperie d'avoir en fait vue une comédie déjà tournée, tout en ayant aussi assisté au quotidien d'un cinéaste fatigué qui essayait de faire un bilan.
A gauche, Stardust Memories, à droite, 8 et demi.
Stardust reprend le début onirique de huit et demi sans trop se forcer. Le moyen de transport change (un train et non plus une voiture bloquée sur un embouteillage), mais l'effet est le même. Woody comme Marcello finissent par étouffer et essayent de sortir. Marcello est amené ensuite à voler dans les cieux, Woody n'ayant pu s'échapper du train se retrouve dans une décharge...
Stardust reprend le début onirique de huit et demi sans trop se forcer. Le moyen de transport change (un train et non plus une voiture bloquée sur un embouteillage), mais l'effet est le même. Woody comme Marcello finissent par étouffer et essayent de sortir. Marcello est amené ensuite à voler dans les cieux, Woody n'ayant pu s'échapper du train se retrouve dans une décharge...
Bilan parce qu'Allen ne cache nullement sa vie privée qui lui inspire souvent des situations autobiographiques dans ses films et ici, Stardust ne fait que reprendre à l'univers d'Allen, personnage public comme cinéaste et acteur. Le film devenant à la fois un portrait instantané d'un tournant à la fois dans sa vie comme dans ses films. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Diane Keaton n'y figure pas, ni même Mia Farrow, son autre muse principale (pas encore rencontrée alors). Surtout, le cinéaste ne cache alors pas les remarques sourdes que le public américains comme les critiques semblent lui adresser constamment, fournissant dans le film la matière d'un excellent running-gag (hélas trop vrai de la réalité d'alors) : Toutes les personnes qui vont voir Sandy Bates (Allen) ne font que lui répéter "J'adore vos films. Surtout les premiers, ceux qui étaient rigolos, vous savez". Situation à peine tournée en métaphore d'un public ricain qui a alors décroché depuis Intérieurs (paradoxalement, avec Manhattan, l'Europe et surtout les français lui feront un triomphe certain qui durera longtemps. Si ça se trouve, c'est cela qui permet à Woody de livrer une sympathique réplique sur la cinéphilie des français à la fin d'Hollywood Ending !) et joyeusement boudé Manhattan. Le malaise d'un cinéaste harcelé par son public et les critiques influe pour beaucoup dans ce qu'on ressent de Stardust Memories, d'autant plus qu'Allen ne le cache nullement, l'amplifie même de plusieurs manières par une foule toujours présente ou un jeu inquiétant de photographies dans le background (captures suivantes).
Une foule... Fellinienne...
La photographie comme révélateur d'angoisse intégré au fond.
Bilan aussi parce qu'Allen en plus de reprendre à sa propre vie (citons aussi la rolls royce, l'avis sur les enfants, filmés ici comme des gnomes (pardon au forumeur ) grimaçants, témoignant d'une certaine aversion d'Allen pour les enfants dans la vraie vie (2)), n'hésite pas aussi à largement reciter des pans de ses films, quitte à remodifier quelques éléments. A la course finale dans Manhattan se substitue une course pour rattraper des extraterrestres (qui lui répondront aussi qu'ils préféraient ses premiers films. Ceux qui étaient drôles. ) et avoir vainement une réponse sur le sens de la vie. Une scène de trépanation expérimentale entre les deux corps des femmes qu'il aime fait écho une certaine scène de savant fou de Tout ce que vous avez toujours voulu sur le sexe (sans jamais oser le demander). A une séquence de fuite face au danger que représente une écrevisse dans Annie Hall, on substitue un personnage effrayé par les pigeons (ça aurait pu être un ignoble Harfang, c'est un pauvre pigeon (3). Voyons, Woody !) dans Stardust. Et j'en passe, ça frôle la caricature quand Allen ne reprend pas à Fellini (on retrouve une plage, pas de Saraghina ou d'énorme buraliste mais un éléphant. Sans compter les moments où le personnage se rappelle son enfance à faire de la magie qui fait écho à l'enfance de Guido/Marcello).
Le coup de l'écrevisse d'Annie Hall à gauche, le coup du pigeon de Stardust à droite.
Eh non Woody, même en cinéaste déprimé, tu n'arriveras pas à éclipser Marcello.
On pourrait presque penser que je dénigre le film mais en fait non, car Stardust memories à ses propres qualités. Plastiquement, le noir et blanc de Gordon Willis déjà sublime sur Manhattan est poussé encore plus loin. Dans sa narration et son humour, c'est un petit bijou. Au niveau des acteurs, c'est un régal. Si les performances de Marie-Christine Barreau et Jessica Harper (qui retrouve Allen --petit rôle dans Guerre et amour-- après la case Argento et les séries télé) sont plus qu'appréciable, il y a une actrice qui est plus que renversante ici, c'est Charlotte Rampling, fabuleuse, majestueuse. Tout le film peut se voir comme un festival Charlotte Rampling. On sent bien le cinéaste complètement fasciné par son actrice tel un Truffaut accroché au basques d'Adjani sur L'histoire d'Adèle H. Le New-Yorkais à grosses lunettes va même jusqu'à la filmer d'une manière totalement Godardienne dans un enchaînement de gros plans fixes étourdissants vers la fin, révélant la pleine mesure hallucinante du jeu de l'actrice. J'aurais même envie de dire qu'il faut voir ce film que pour Rampling à l'instar d'un certain Demi-Lune qui ne regarde du Truffaut que pour Adjani (ce qui est dommage au fond ). Mais non, car malgré les emprunts constants et un certain malaise voulu, on passe une fois de plus un agréable moment.
Woody et ses actrices (et oui, premier rôle de Sharon Stone aussi dans ce film. La jeune fille du train, c'est elle).
La conclusion du film, une mise en abîme, enjoint à se revoir le film une nouvelle fois pour encore mieux l'apprécier.
Et Woody de terminer, très logiquement et magnifiquement sur une salle de cinéma qu'il quitte et dont les lumières s'éteignent lentement...
4,5/6.
------------
(1). Woody Allen, Entretiens avec Stig Björkman, éditions des Cahiers du cinéma, 2002, p.17.
(2) "La famille nombreuse de Mia effraie Allen qui noue avec elle une relation fusionnelle sans jamais lui proposer de vivre sous le même toit. Les amants ont des appartements qui se font face, séparés seulement par Central Park." -- (Woody Allen, par Florence Colombani, éditions Le Monde/Cahiers du cinéma, collection Grands cinéastes, p. 51)
(3) Le pigeon est quand même un être particulièrement pervers et vicieux. Il faut s'en méfier. Absolument.
- Spoiler (cliquez pour afficher)