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poet77
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Récemment, sur Arte, l’on a pu voir un documentaire saisissant intitulé Tous surveillés, qui montre comment, en prenant prétexte du besoin de sécurité des populations, l’on fait installer, un peu partout dans le monde, des systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués. Le monde tel que l’avait imaginé George Orwell dans 1984, son fameux roman d’anticipation, est bel et bien en cours de fabrication, si l’on peut dire. Certains pays, parce qu’ils sont contaminés plus que d’autres par la peur, se placent en leaders dans le domaine en question. En Israël, les caméras ne se comptent plus et l’on y est fort intéressé par les prouesses technologiques inventés par les Chinois, soucieux de contrôler en permanence les Ouïghours musulmans de la province du Xinjiang. Pour ce faire, ce territoire est couvert de caméras « intelligentes », c’est-à-dire capables de repérer les individus suspects qu’il convient d’arrêter et de placer dans des maisons de redressement. Autrement dit, ce ne sont plus des hommes qui décident, mais des machines fonctionnant selon de mystérieux algorithmes. Ce sont elles qui désignent les suspects. Big Brother est devenu un œil électronique.
Ces réalités, Alexandra Schwartzbrod les prend formidablement en compte dans son nouveau roman, dont l’action se situe en Israël, entre Jérusalem et Tel-Aviv, un pays qu’elle connaît à merveille pour y avoir séjourné longuement en tant que journaliste et correspondante de Libération. Ce pays, si obsédé précisément par la sécurité, elle l’imagine coupé en deux, un mur séparant les deux parties. D’un côté, du côté de Jérusalem, ce sont les ultra-religieux qui ont pris le pouvoir et fondé le Grand Israël, aidés en cela par des Russes omniprésents capables de mettre en place des systèmes de surveillance dernier cri, le fleuron en étant les drones tueurs qui, d’eux-mêmes, sans être guidés par une main humaine, repèrent et éliminent les individus suspects, en particulier à proximité du mur. De l’autre, du côté de Tel-Aviv, se sont repliés et réfugiés des rebelles qui, juifs et arabes, ont rejeté les diktats du Grand Israël et s’emploient à un retour aux origines, tentant de ranimer la flamme qui animait les premiers kibboutzim.
Bien évidemment, Alexandra Schwartzbrod ne se contente pas de décrire un monde qui est devenu « une succession de murs et de cloîtres » (au passage, elle indique que l’Europe a implosé et retrouvé ses frontières intérieures), mais elle introduit habilement une touchante galerie de six personnages, tous en quête d’une vie différente. Homme religieux, Haïm se décide pourtant à fuir Jérusalem, tant la pratique de la foi, avec ses nombreux interdits et son corollaire, la haine des autres, risque de le rendre fou. Or, il s’enfuit en emportant avec lui les plans du système de surveillance en cours de réalisation, équipé de robots tueurs. Sa femme Ana, qu’il a laissé derrière lui, faute de l’aimer vraiment, se prend à rêver de liberté, elle aussi. Quant à Isaac, ami d’Haïm, il se trouve que lui est réellement épris de la belle Ana. Il faut compter aussi avec Moussa et Malika, deux jeunes Palestiniens qui trouvent refuge, pendant un temps, dans une grotte, ainsi qu’avec Eli Bishara, un ex-commissaire de police, palestinien réfugié à Tel-Aviv, ville à la fois honnie et adorée.
Tous ces personnages, avides de changement, la romancière sait les rendre familiers au lecteur, passant des uns aux autres, au moyen de chapitres assez brefs. Ce roman choral, bien conçu, bien découpé, on l’imaginerait sans peine adapté au cinéma ou en série télévisée. Il semble presque déjà écrit dans cette intention, ce qui ne supprime en rien ses qualités, au contraire. L’écriture n’en est pas le moins du monde bâclée et l’on n’a aucune peine à se prendre d’intérêt, voire de passion, pour les divers protagonistes. Tout en espérant très fort de n’être pas en présence d’un roman prémonitoire. Car la réalité d’Israël et du monde, telle que l’entrevoit Alexandra Schwartzbrod, il ne faut la souhaiter pour personne. 8/10
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poet77
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Message par poet77 »

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Le roman policier nordique s’impose aujourd’hui incontestablement comme un sous-genre à part entière. Depuis quelques dizaines d’années, c’est une véritable floraison d’auteurs qui est apparue sur les étals des libraires. Henning Mankell, Arnaldur Indridasson, Stieg Larsson, Jo Nesbø, Arni Thorarinsson sont probablement les plus illustres d’entre eux. Mais sait-on que c’est un couple d’écrivains suédois qui, entre 1965 et 1975, a été l’initiateur de ce qui, par la suite, a connu et connaît toujours un engouement assez impressionnant ? Maj Sjöwall, qui vient de décéder le 29 avril dernier, et son mari Per Wahlöö (décédé dès 1975) écrivirent une dizaine de romans considérés aujourd’hui, à bon droit, comme des classiques.
Le premier d’entre eux porte pour titre le nom d’une jeune femme, Roseanna, dont on apprend, dès la première page, que le corps a été retrouvé, par hasard, du fait d’une opération de dragage, au fond des eaux d’un canal. Le corps est en bon état de conservation, il n’a pas séjourné longtemps dans l’eau et l’on suppose que la rapidité de cette découverte facilitera l’enquête. La suite du roman montre qu’il n’en est rien. Les enquêteurs chargés de cette affaire vont devoir s’armer de patience et mener un grand nombre d’investigations pour le moins fastidieuses.
Car c’est une des particularités des polars nordiques, à commencer par ceux de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, que de ne pas épargner aux lecteurs les lenteurs et les temps morts inhérents à une enquête criminelle de quelque importance. La jeune femme dont le corps a été retrouvé au fond du canal a été violée et assassinée, c’est sûr, mais par qui et dans quelles circonstances ? Et quand il apparaît que, très probablement, cela s’est passé sur un bateau effectuant la traversée d’un lac, les policiers comprennent qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines, car, sur le bateau en question, il y avait beaucoup de monde.
Cela étant, les deux auteurs du livre se sont gardés d’écrire un polar ordinaire, leur ambition ne se limitait pas à tenir le lecteur en haleine jusqu’à la résolution d’une énigme. Qui est l’assassin ? Certes, cette question est bien présente tout au long des pages, mais l’originalité du roman ne repose pas là-dessus. Maj Sjöwall et Per Wahlöö se soucient, bien davantage, de donner chair à leurs personnages et de faire ressentir ce que c’est que de mener une investigation de cette sorte. Ils savent également, par la mention de nombreux détails, situer parfaitement leur récit dans l’espace et dans le temps.
Comme le fait remarquer Henning Mankell dans sa préface à Roseanna, en 1965, les gens ne se baladaient pas avec un téléphone portable ni ne disposaient d’ordinateurs. C’est vrai. Pourtant, si, malgré son âge, le roman ne semble pas avoir beaucoup vieilli, s’il n’est pas besoin de faire un gros effort pour être captivé par sa lecture, c’est parce que ses qualités d’écriture restent résolument modernes. Elles ne sont aucunement dépassées. Les personnages y sont décrits avec un tel souci d’authenticité, une telle moisson de détails, qu’on a vite fait d’avoir le sentiment de les connaître. Ce qui ne signifie pas, d’ailleurs, même si les auteurs ne craignent pas de nous fournir une abondance de renseignements, que nous ayons le sentiment d’être submergés, en tant que lecteurs. Non, au contraire, il reste encore de la place pour faire fonctionner notre sensibilité et notre imagination.
Martin Beck et les autres policiers intervenant au cours du récit ont vite fait de devenir des personnages attachants, auxquels on peut sans trop de peine s’identifier. On n’a pas affaire à des individus hors du commun. Martin Beck n’est pas quelqu’un d’infaillible, il se sent souvent mal, que ce soit parce qu’il est enrhumé, parce qu’il ne dort pas suffisamment, ou parce qu’il manque du temps qu’il devrait consacrer à sa famille. L’enquête piétine puis, du fait d’un détail, connaît un rebond et avance comme ça, cahin-caha. Elle fait intervenir divers protagonistes, y compris en Amérique, dans le Nebraska. En fin de compte, sa résolution n’est pas accompagnée de gloriole. « Que ce soit à Motala, écrivent Maj Sjöwall et Per Wahlöö, à Stockholm, ou à Lincoln, dans le Nebraska, ils avaient tous travaillé depuis leurs bureaux et élucidé l’énigme en employant des moyens que l’on ne pourrait jamais rendre publics. Ils avaient résolu le problème. Ils s’en souviendraient toujours, mais rarement avec fierté. »
Dans sa préface, Henning Mankell rappelle que Maj Sjöwall et Per Wahlöö affirmaient volontiers avoir été influencés par les auteurs américains de romans noirs, en particulier Ed McBain. Mais, pour lui, pour Henning Mankell, on peut aussi bien se référer à Edgar Allan Poe et même remonter jusqu’aux drames de la Grèce antique en passant par Shakespeare. Je le crois volontiers, moi aussi. Les grands écrivains de polars s’inscrivent dans une tradition vieille comme le monde, chacun s’efforçant d’y apporter sa petite part d’originalité. Maj Sjöwall et Per Wahlöö comptent parmi ceux qui ont le mieux réussi à tenir cette gageure. 8,5/10
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Gallean
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Message par Gallean »

salut,
pour moi les Lances Dragons, première partie (enfin il me semble) Une âme bien trempé, un peu d'évasion par les temps actuel ce n'est pas plus mal :)
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Ikebukuro
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Message par Ikebukuro »

"Cloner le Christ ?" de Didier van Cauwelaert (2007).

Que dire? Je pensais que ce serait un roman mais non, c'est une enquête extrêmement poussée sur le suaire de Turin, avec des réflexions impertinentes et de très haut vol. Il croit à son authenticité et arrive à vous faire partager sa foi; bravo!
A noter qu'il existe en France la tunique d'Argenteuil, totalement inconnue du grand public et qui a vécue il y a vingt ans une affaire plus que rocambolesque.

A lire si on veut ouvrir ses horizons intellectuels :D

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"Le capitaine Fracasse" de Théophile Gautier.
Très bon roman de capes et d'épées, avec des rebondissements, des aventures, des traquenards etc etc
MAIS ATTENTION : ce livre déborde de longues descriptions, de mots inconnus de nos jours, c'est plus un tableau dans le style Rococo surchargé que dans le style Léonard de Vinci. En clair, vous pourrez vite vous lasser des descriptions sur plusieurs pages des personnages, des châteaux etc etc mais ce serait dommage car elles sont très souvent comiques, avec des termes ajoutant un cachet désuet de la Renaissance.

Si vous voulez du rythme encore et encore et encore, tournez-vous plutôt vers Dumas mais ce serait dommage, Le Capitaine Fracasse est un genre de roman de capes et d'épées à lui tout seul, très surprenant dans la façon dont Gautier déroule celui-ci.

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Bogus
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Message par Bogus »

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Le Schpountz
L’humour et l’émotion accompagnent du début à la fin cette belle histoire, la musicalité des magnifiques dialogues de Pagnol va droit au cœur et j’ai été plusieurs fois ému.
Une satire du monde du cinéma mais surtout un magnifique hommage aux artistes et au clowns.
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Jean-Pierre Festina
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Message par Jean-Pierre Festina »

Excellent, Le Schpountz !
Bogus a écrit :Une satire du monde du cinéma
Dans le même genre mais en plus cinglant, il y a aussi Travelingue de Marcel Aymé.
LU SUR FORUM A MONTRES : "(...) maintenant c'est clair que Festina c'est plus ce que c'était(...)"


Non mais ALLOOOO quoi
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poet77
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Message par poet77 »

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Commencée en 2013 avec Montaigne, la collection d’ouvrage consacrée à divers écrivains, philosophes, poètes avec qui l’on est invité à passer un été (collection reprenant d’ailleurs des émissions diffusées sur France Inter) s’est enrichie chaque année d’un nouveau volume. Après Montaigne donc, il y eut Proust, Baudelaire, Hugo, Machiavel, Homère, Valéry et, cette année, Pascal. Sans surprise, c’est Antoine Compagnon, qui écrivit le volume sur Montaigne, qui est également l’auteur de celui sur Pascal. On ne peut lire, en effet, ce dernier qu’en se référant au premier. Pascal fut un lecteur assidu de Montaigne, il le critiqua sévèrement, le railla à l’occasion (« le sot projet qu’il a de se peindre », écrivait-il), mais aussi, parfois, tout en condamnant son scepticisme et sa nonchalance, après réflexion, finit par « le rencontrer », autrement dit se trouver en accord avec lui.
Le grand intérêt du livre d’Antoine Compagnon, c’est, au moyen d’une quarantaine de chapitres très courts, de nous inciter à une lecture renouvelée de l’auteur des fameuses Pensées. Renouvelée mais aussi plus complète. Car ce que nous gardons en mémoire au sujet de Pascal n’est peut-être qu’une toute petite partie de son œuvre et de sa réflexion. Comme le note Antoine Compagnon, dans Ma nuit chez Maud (1969), film d’Éric Rohmer assez célèbre, à juste titre, deux des protagonistes dissertent longuement au sujet de Pascal, mais en limitant leurs propos au pari pascalien. Le fameux pari de Pascal ! Or, s’il a certes son importance, s’il trouve sa place dans le développement des réflexions de l’auteur des Pensées, il serait vraiment dommage de l’isoler d’un ensemble qui, même s’il ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments, n’en a pas moins sa cohérence propre.
Le projet initial de Pascal, ne l’oublions pas, était de rédiger un ouvrage apologétique destiné à convertir les libertins (entendons non pas des jouisseurs, mais ceux qui exercent leur pensée en dehors des contraintes du dogme). Pour ce faire, Pascal avait imaginé un livre en deux parties : une anthropologie (qui décrit la misère de l’homme sans Dieu) et une théologie (qui décrit la félicité de l’homme avec Dieu). Comme on le sait, du fait de sa mort à l’âge de 39 ans, il ne put achever cette œuvre. Nous n’en connaîtrons jamais que les fragments, que les notes prises par Pascal, que nous appelons ses Pensées. Aussi fractionnées soient-elles, elles n’en sont pas moins une œuvre incontournable, géniale dans sa formulation, dans la forme comme dans le fond, de la langue française.
Par le moyen de multiples voies d’accès, Antoine Compagnon nous propose une aide précieuse pour mieux appréhender les subtilités des réflexions de celui que Chateaubriand désignait comme un « effrayant génie ». Virtuose de la langue française, mathématicien, physicien, philosophe, théologien, Pascal fut tout cela et plus encore. Nombreux sont ceux qui furent impressionnés par la finesse de ses prodigieuses propositions dialectiques. Et l’on ne peut le lire sans être profondément marqué. Même ceux qui rejettent la foi chrétienne trouvent en Pascal des motifs d’admiration. Si Voltaire et les autres philosophes des Lumières déploraient sa foi rigoriste, ils n’en étaient pas moins émerveillés par son génie scientifique. D’une manière ou d’une autre, Pascal peut toucher ou rejoindre les préoccupations de tout un chacun, dans la mesure, évidemment, où l’on n’est pas quelqu’un de totalement superficiel. Et si nous craignons de nous aventurer dans une œuvre marquée par le rigorisme de son auteur, ou par un ton qui semble tragique au point d’être pesant, il nous faut corriger cette étiquette trop vite accolée au nom de Pascal. Certes, il y a de la tragédie chez lui, on ne peut le nier, mais il y a aussi son contraire : l’auteur des Pensées ne se prive pas, à l’occasion, de rédiger de petites paraboles, voire d’adopter un ton léger, presque primesautier, et teinté d’humour ! 9/10
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Message par poet77 »

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C’est une gageure que d’écrire sur une personnalité de l’histoire (celle des arts, en l’occurrence) en prétendant s’abstenir de romancer peu ou prou. Jean Echenoz, quant à lui, se garde d’une telle ambition, il préfère assumer frontalement ce qui reste, qu’on le veuille ou non, un impératif. Son ouvrage sur le compositeur Maurice Ravel (1875-1937) se présente donc comme un roman. En vérité, il faudrait écrire « biographie romancée » car, bien évidemment, si le romancier ne se prive pas de laisser place à son imagination, les faits rapportés, eux, n’en sont pas moins marqués du sceau du réel.
Léo Ferré, lui aussi, romançait, d’une certaine façon, lorsque, dans sa préface à son recueil Poètes, vos papiers !, il énumérait quelques-uns des malheurs dont furent frappés des musiciens et des poètes : « Ravel avait une tumeur qui lui suça d’un coup toute sa musique », écrivait-il. La vérité, telle que la rapporte Jean Echenoz, n’est pas moins tragique, puisque, dix jours avant sa mort, un chirurgien ouvrit le crâne du compositeur, mais sans y trouver de tumeur, contrairement à ce que prétend Ferré. Les derniers mois de Ravel furent néanmoins désolants, du fait d’un épuisement physique et mental qui non seulement l’empêcha de faire quoi que ce soit tout seul, mais lui fit tout oublier, y compris sa propre musique en effet.
Ravel souffrait depuis longue date, comme le résume Jean Echenoz à la fin de son ouvrage : « Il a toujours été fragile de toute façon. De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite chronique, son corps fatigué n’a jamais été vaillant même s’il se tient droit comme un i (…). Et son esprit non plus, noyé dans la tristesse et l’ennui, bien qu’il n’en laisse rien paraître, sans jamais pouvoir s’oublier dans un sommeil interdit de séjour. » Jean Echenoz insiste grandement sur ce dernier aspect, les insomnies persistantes de Ravel et le peu d’efficacité des méthodes essayées par celui-ci pour se soigner.
Ce sont les dix dernières années de la vie du compositeur que narre le romancier, à commencer par le voyage triomphal qu’il effectua, à l’âge de 52 ans, alors qu’il était au sommet de sa gloire, en Amérique du Nord. L’itinéraire conçu par les organisateurs fut aberrant et donc extrêmement fatigant, mais, partout, Ravel fut acclamé à la mesure de son génie. Plus intéressant encore pour qui aime ses œuvres musicales, Echenoz raconte la genèse de quelques-unes des plus célèbres d’entre elles, une fois le musicien de retour en Europe. C’est dans cette période, en effet, que Ravel eut l’idée de composer son célèbre Boléro qui, dès sa création, à la surprise de son auteur qui considérait cette œuvre comme secondaire, remporta un énorme succès.
Mais c’est aussi et surtout à cette époque-là que Ravel composa ses deux concertos pour piano, deux des œuvres majeures de son répertoire (bien plus importantes, à mon avis, que le Boléro), le Concerto pour la main gauche et le Concerto en sol. Il travailla sur les deux œuvres quasi en même temps, mais il peina beaucoup plus sur la deuxième. Le Concerto pour la main gauche, il l’écrivit à la demande du pianiste manchot Paul Wittgenstein et l’on est bien étonné d’apprendre que celui-ci reçut l’œuvre avec froideur, sans enthousiasme aucun, et qu’il se permit de la jouer en l’arrangeant à sa manière, ce qui, bien sûr, irrita grandement Ravel. Or ce Concerto, je le répète, tout comme le Concerto en sol que Ravel écrivit pour lui-même (bien qu’il fût, semble-t-il, un pianiste assez médiocre), est une œuvre bouleversante, qu’il n’est vraiment pas besoin de remanier de quelque manière que ce soit. On ne peut l’écouter sans être profondément ému.
Avec Jean Echenoz, grâce à son style à la fois simple et élégant, tout lecteur qui s’y aventure sera sans nul doute saisi, intrigué, interpellé par le récit des dix dernières années de la vie de Maurice Ravel. La lecture en est touchante et invite à écouter ou réécouter les œuvres d’un de nos grands génies de la musique. On aurait tort de s’en priver. 9/10
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Ikebukuro
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Message par Ikebukuro »

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Pas mal du tout, belle écriture, belles pensées mais, à un moment, le héros devient une insupportable tête à claques, geignard, pleurnichard etc etc
Mais mérite fortement d'être lu pour voir comment on pouvait écrire il y a 150 ans.
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Message par poet77 »

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Un jour, une femme qui séjourne dans un chalet des montagnes autrichiennes se retrouve prisonnière d’un mur invisible. Que s’est-il passé ? Y a-t-il eu une catastrophe planétaire ? C’est plus que probable puisque, de là où elle est, la femme peut distinguer, au-delà du mur qui l’encercle, des formes humaines qui semblent aussi figées que des statues. Mais, dans ce cas, pourquoi a-t-elle été épargnée ? Et d’où vient ce mur infranchissable qui, s’il la protège, fait d’elle une captive ? Pourquoi un territoire a-t-il été préservé du désastre, territoire assez vaste mais où, apparemment, il ne se trouve aucun autre humain que la femme ?
Au sujet de ces questions, le livre ne donne pas de réponses précises. Et il en donne d’autant moins qu’il se présente comme le journal de la femme sauvée. Or elle n’a aucun moyen de savoir ce qui s’est réellement passé. Elle n’a d’ailleurs pas le loisir de s’appesantir sur cette énigme. Le mur lui-même, si la femme s’interroge beaucoup à son sujet au début de ses écrits, finit par quasiment disparaître de ses préoccupations. Le plus important, en effet, ce qui l’accapare, c’est de trouver les moyens de survivre, toute seule, dans l’espace où elle peut se mouvoir.
Voilà de quoi il est question, le plus souvent, dans son récit. Elle raconte les jours, les semaines, les mois et les années de son combat pour sa survie, elle raconte ses peines, ses travaux incessants, ses maigres joies, ses peurs. De ce fait, obligatoirement, la chronique se présente sous une forme répétitive et assez monotone. Cependant, heureusement, Marlen Haushofer (1920-1970) réussit à trouver des moyens de réactiver l’intérêt du lecteur au long des pages. La lutte quotidienne de la femme l’oblige à prendre beaucoup de décisions très concrètes : économiser le peu qu’elle possède (des allumettes par exemple) afin de ne pas se trouver en état de pénurie avant longtemps, apprendre à cultiver la terre, à y planter des pommes de terre, à y faire pousser des haricots, se résigner à tuer des animaux sauvages pour s’en nourrir, etc.
Justement, ce sont les animaux, mais domestiques cette fois, qui occupent une bonne partie des pages du journal. Puisque la femme se trouve totalement privée de ses semblables, c’est à ses compagnons du règne animal que s’adressent ses soins, voire ses sentiments affectueux. À ses côtés, il y a, en effet, au fil du temps, une vache, un taureau, un chien, une chatte et bientôt des chatons. Ces animaux, s’ils l’obligent à une somme de travail supplémentaire, alors qu’elle est déjà contrainte à de nombreux labeurs éreintants, constituent aussi sa planche de salut. Ils contribuent fortement à la préservation de son humanité. Car, bien sûr, c’est cette question qui est sous-jacente à tout le roman. De temps à autre, d’ailleurs, alors que le récit reste le plus souvent prosaïque, il s’enrichit de réflexions à ce sujet. « Souvent, écrit par exemple la femme, j’essaie de me traiter comme un robot : fais ceci et va là-bas et n’oublie pas de faire cela. Mais je n’y parviens qu’un court instant. Je suis un mauvais robot. Je reste un être humain qui pense et qui sent et je ne pourrai pas perdre l’habitude de le faire. »
En fin de compte, tout au long de ma lecture, il me semblait avoir affaire à une sorte de variation moderne, postapocalyptique et féministe de Robinson Crusoé. Le territoire de survie de la femme n’est-il pas comparable à une île ? Ne s’agit-il pas de survivre à des conditions extrêmes et à la solitude tout en conservant son humanité ? À ce sujet, le héros de Daniel Defoe est d’ailleurs le plus chanceux puisqu’il finit par se trouver un compagnon en la personne du dénommé Vendredi. La femme du roman de Marlen Haushofer doit se contenter, quant à elle, de ses chers animaux, tant qu’ils vivent à ses côtés. 7,5/10
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Rockatansky
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Message par Rockatansky »

Digne du Nouvel Hollywood, Disney passé à la moulinette, spectaculaire Rise & fall pour Michael Eisner, sans qui sans doute Disney n'en serait pas là où il en est.
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« S’il est vrai que l’art commercial risque toujours de finir prostituée, il n’est pas moins vrai que l’art non commercial risque toujours de finir vieille fille ».
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Message par poet77 »

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Une nuit, le village anglais de Siddermorton est traversé d’un éclair lumineux, observé par quelques témoins. Le lendemain, le Pasteur de cette paisible bourgade, homme passionné d’ornithologie (il faut bien s’occuper, n’est-ce pas…), remarque un étrange oiseau dans le ciel et n’hésite pas à lui tirer dessus, dans le but de l’ajouter à sa collection. Or, quand le Pasteur Hilyer s’approche de l’animal, en fait d’oiseau, il se trouve nez à nez avec… un Ange !
Tel est le point de départ du deuxième roman qu’écrivit H. G. Wells, en 1895, tout de suite après La Machine à explorer le temps, beaucoup plus connu bien évidemment. En effet, si Wells est resté célèbre pour ses romans de science-fiction (L’île du Docteur Moreau en 1896, L’Homme invisible en 1897 et, bien sûr, La Guerre des Mondes en 1898), il fut aussi l’auteur d’un grand nombre d’autres ouvrages, moins réputés mais pas forcément moins intéressants, à l’exemple de cette Merveilleuse Visite, que viennent de rééditer les éditions Terre de Brume.
Dans ce roman, bien qu’il soit question d’un Ange devant demeurer, malgré lui, chez les hommes, ce n’est pas tant l’aspect fantastique qui prédomine que celui de la satire, mâtinée d’un humour typiquement anglais. On pourrait dire qu’il s’agit d’une sorte de récit voltairien, mais agrémenté façon britannique. Disons qu’au moyen d’une histoire qui peut paraître farfelue, Wells se délecte à éreinter la bonne société autant qu’à dire ses quatre vérités à l’Eglise d’Angleterre.
La présence d’un Ange chez le Pasteur provoque, en effet, de multiples réactions, à commencer par celles du vicaire Mendham, de sa femme et de ses enfants, choqués par la tenue vestimentaire, trop légère à leurs yeux, de cet hôte encombrant. Pour le vicaire, d’ailleurs, « les Anges n’existent pas » et il ne peut être question d’accepter les explications du Pasteur.
Comme on peut l’imaginer, c’est tout le village qui se trouve bientôt en effervescence. Les enfants eux-mêmes conspuent l’hôte céleste en lui chantant « Va t’ faire couper les ch’veux ! ». Le médecin du bourg, le docteur Crump, ne tarde pas à se convaincre que l’Ange est un individu atteint de maladie mentale. Invité à exercer ses talents de violoniste pour la bonne société, l’être céleste a beau le faire divinement, il se discrédite lorsqu’on s’aperçoit qu’il ne sait pas jouer autrement qu’à l’oreille, sans partition. Mais, pire que tout, scandale des scandales, l’Ange met en colère un gros propriétaire en proférant devant lui des idées jugées « socialistes » : « Tous les hommes devraient avoir droit à une même éducation », ose-t-il estimer.
Dans le même temps, de son côté, l’Ange apprend, jusque dans sa chair, puisqu’il a été blessé, à se comporter en humain et à éprouver ce qu’éprouvent les hommes. Cela se concrétise, tout particulièrement, par deux expériences complémentaires. L’une, comme je viens de l’indiquer, c’est de ressentir la douleur. L’autre, c’est de se mettre à aimer à la manière des hommes, ce qui provoque, d’ailleurs, un scandale supplémentaire, l’Ange s’étant épris de Delia, la servante du Pasteur, la seule à apprécier vraiment sa musique. Et, bien sûr, il est incapable de comprendre les barrières sociales qu’érigent les humains. Tomber amoureux d’une domestique, pour lui, ce n’est pas un problème. Mais, même amoureux, un Ange peut-il trouver sa place dans le monde des humains et peut-il le faire sans déchoir? Le jour où il apprend la colère, il est bien obligé de le constater amèrement : « Venir dans ce monde, c’est chuter. » 8,5/10

N.B : le roman de Wells fut adapté au cinéma par Marcel Carné en 1973.
Dernière modification par poet77 le 8 août 20, 16:08, modifié 1 fois.
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Message par Ballard73 »

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L'histoire d'un galeriste d'art, de sa vie amoureuse dissolue et de son voyage à la recherche d'oeuvres d'art inuit contenues dans un bateau qui a fait naufrage quelque part dans l'Arctique.

Jean Echenoz, dont c'est le premier livre que je lis, parvient ici à entremêler habilement vie sentimentale et polar, sans que l'on ne tombe jamais vraiment ni dans l'un ni dans l'autre, comme en témoigne
Spoiler (cliquez pour afficher)
la rencontre entre l'auteur du vol d'oeuvres d'art et le héros de l'histoire, dont il ne ressort aucune scène d'action, seulement un court dialogue et quelques menues explications
. La narration d'Echenoz est très cinématographique, à mon sens, en ce que l'écrivain décrit à la fois ce que voit l'oeil et ce qu'entend l'oreille, dans chaque scène. Les descriptions sont brèves, laissant la place au déroulement du récit.
La lecture est rendue fluide grâce au procédé d'Echenoz qui permet d'inclure le lecteur dans son récit au travers d'expressions qui lui sont directement adressées. On pourrait parler de narration inclusive (je ne sais pas si ça se dit). L'écrivain, qui a reçu le Goncourt pour ce roman en 1999, possède un style fin, avec beaucoup d'ironie, voire du cynisme. J'ai beaucoup apprécié ce livre et je vous le recommande !
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Re: Vos dernières lectures

Message par Phnom&Penh »

Ikebukuro a écrit : 15 avr. 20, 11:44 Image

Les Quarante-cinq d'Alexandre Dumas, dernier tome de sa superbe trilogie des Valois.
Dans l'ordre :
1 - La reine Margot : très bien, superbe style, personnages charismatiques mais justement un peu trop de personnages et d’événements historiques qui font qu'on n'approfondi pas assez les situations; MAIS à lire absolument!
2 - La Dame de Montsoreau : le plus beau de la trilogie, avec le personnage mythique de Bussy d'Amboise, qui peut sans problème tenir tête à d'Artagnan comme meilleur personnage créé par Dumas
3 - Les Quarante-cinq : peut-être le tome le plus faible de la série j’yTV je in mais aussi le plus gros (1 000 pages :shock: ) avec pourtant de grand moments de bravoure
Je n’avais même pas remarqué que tu avais cité les 45, un de mes romans préférés.Et connais tu La guerre des femmes ? C’est de l’immense Dumas.

Pour finir, une citation, mais pas de lui :
« Les femmes...Ah, les femmes ! C’est comme l’argent,on aimerait les jeter par la fenêtre. »
Boni de Castellane. Rigole, et si tu ne connais pas, découvre 8)

Je reconnais que la citation n’est pas Meetoo. Mais Boni nous a quitté bien avant tout ça :lol:
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Re: Vos dernières lectures

Message par Ikebukuro »

"La guerre des femmes" de Dumas? Totalement inconnu au bataillon... En cherchant sur le net, je découvre que Dumas a écrit aussi un livre sur la Régence.. mais il était infatigable nom de diou! En tout cas j'ai acheté, mais pas encore lu, "La belle Gabrielle" d'Auguste Maquet qui serait la suite non officielle de "Les quarante-cinq"; en effet ce roman s'arrête quand même sur deux moments historiques, l'un concernant la mort de Henri III, l'autre celle du Duc de Guise; on sent bien qu'il devait y avoir une suite.
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