Publié il y a un an, lors de la rentrée littéraire de septembre 2017, ce premier roman de l’américain Nathan Hill paraît aujourd’hui chez Folio, en édition de poche. C’est l’occasion de l’acquérir, de le lire et ainsi de faire la découverte d’un écrivain pour le moins prometteur car on a affaire à un roman de premier ordre, un de ces romans dont on sait, dès qu’on aborde les premières pages, qu’on sera tenu en haleine jusqu’à la fin. Et c’est bien ce qui se passe : malgré ses plus de 600 pages, on ne le lâche pas et l’on n’a pas une seconde de perte d’attention tant le livre est bien écrit (même en traduction), bien conçu et formidablement captivant. C’est un roman de grande ampleur, embrassant tout un large pan de l’histoire américaine (et pas seulement américaine d’ailleurs), c’est un roman très ambitieux, mais jamais prétentieux, car toujours au service de personnages auxquels on peut s’identifier, même lorsqu’ils sortent vraiment de l’ordinaire. Pour ce faire, pour éviter soigneusement toute impression de suffisance, l’auteur use largement d’un style subtilement teinté d’humour qui m’a rappelé (surtout pendant la première moitié de l’ouvrage) le ton adopté dans ses écrits par le romancier britannique David Lodge.
L’ouvrage de Nathan Hill s’ouvre sur un scandale dont s’emparent aussitôt tous les médias : le gouverneur Packer, candidat à la Présidentielle des Etats-Unis, réputé pour être un ultra-conservateur, a été agressé en public par une femme qui lui a lancé des cailloux. La femme en question se nomme Faye Andresen-Anderson et est aussitôt affublé du surnom de Calamity Packer ! Difficile de passer à côté de l’événement et pourtant le propre fils de l’attaquante, Samuel Anderson, professeur d’anglais à l’Université de Chicago, est un des rares à ne pas être aussitôt informé et ce, parce que, tout enseignant qu’il est, il se passionne pour un jeu vidéo, Le Monde d’Elfscape, auquel il est précisément en train de s’adonner. Il faut dire aussi qu’il a une bonne raison de ne rien savoir au sujet de sa mère, étant donné qu’elle l’a abandonné alors qu’il n’avait que onze ans. Une histoire de livre que Samuel a promis à un éditeur sans jamais remplir son contrat, puis la révélation, en fin de compte, que sa propre mère vient d’agresser un homme politique vont être les déclencheurs de tout ce qui va suivre. Samuel décide d’écrire un ouvrage accablant sur celle qui a déguerpi quand il était enfant et, pour mener à bien son projet, se lance dans une sorte d’enquête tout en se remémorant sa propre enfance.
Se basant sur le dessein que son propre personnage, Samuel, est résolu à accomplir, Nathan Hill entreprend de l’accompagner dans son travail de recherches et, donc, de revisiter toute une large part d’histoire, alternant, tout au long du roman, les chapitres se déroulant en 2011, l’année où tout se déclenche, et les chapitres s’aventurant du côté des événements du passé : la propre enfance de Samuel en 1988, les péripéties vécues par sa mère Faye à Chicago en 1968 et même l’évocation de Franck, le père de cette dernière, venu de Norvège pour faire sa vie en Amérique, ce qui d’ailleurs provoquera, vers la fin du roman, le récit d’un voyage de Faye à Hammerfest, sur les traces de son géniteur ayant quitté sa terre natale pour l’Amérique en emportant avec lui des fantômes (les « nisse » ou « nix » dont il est plusieurs fois question au cours du livre et dont on ne peut se débarrasser qu’en les ramenant chez eux).
Mais si le roman de Nathan Hill provoque l’intérêt persistant du lecteur, s’il tient en haleine, s’il passionne d’un bout à l’autre, c’est parce que, impliqués dans chacune des périodes visitées, les personnages non seulement abondent mais sont tous admirablement décrits par l’auteur. Aucun ne laisse indifférent : que ce soit Bishop, le camarade d’enfance de Samuel, et sa sœur Bethany, future grande violoniste, dont le jeune garçon est follement épris, que ce soit Henry, le prétendant de Faye, ou Alice, l’amie d’université de celle-ci, ou Sebastian, jeune garçon épris de Faye, ou encore l’agent Charlie Brown qui entretient une relation extra-conjugale avec Alice jusqu’à ce qu’il se rende malade de jalousie quand a lieu l’inévitable rupture. Des personnages dont je ne ferai pas l’inventaire complet mais que l’auteur a su intégrer et impliquer avec habileté dans les événements du temps, par exemple les manifestations qui ébranlèrent la ville de Chicago en 1968 (ce qui permet même à Nathan Hill de faire figurer dans son roman des personnages réels comme le poète Allen Ginsberg). Mais il est encore un personnage dont il faut faire mention, tant il est décrit de manière pathétique par l’auteur : il se fait nommer Pwnage et, comme Samuel, se passionne pour le jeu vidéo Le Monde d’Elfscape, mais au point d’en être totalement dépendant, de ne plus avoir d’autre vie que virtuelle, de ne plus vivre que par le biais de ses avatars.
On le comprend, même si ce roman est largement imprégné de l’histoire américaine, il n’en a pas moins la capacité de passionner, d’émouvoir, voire de bouleverser tous les lecteurs : les thèmes qu’il aborde ne sont pas l’apanage des Américains, ils nous concernent tous, qui que nous soyons, et nous interpellent de manière profonde et durable. Le roman terminé, le livre refermé, on ne sera pas près d’en oublier le contenu. 10/10