Dorothy L. Sayers

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hellrick
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par hellrick »

Il faudrait que je tente aussi, celà devrait me plaire.
Je connais depuis longtemps mais jamais essayé.

Sinon elle fait partie des auteurs parodiées / pastichées dans le recueil de Boileau-Narcejac "Usurpation d'identité" :wink:
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Hitchcock
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Re: Dorothy L. Sayers

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Un cadavre vêtu 'un seul pince-nez est retrouvé dans la baignoire de l'insignifiant Mr. Thipps, qui est rapidement arrêté par la police. Pour aider la mère de Thipps, et aussi, pour tromper son ennui, Lord Peter Wimsey, un aristocrate dilettante décide de mener l'enquête avec son ami l'inspecteur Parker. Il fait bientôt le lien avec la disparition d'un financier, Sir Reuben Levy, volatilisé mystérieusement après un dîner d'affaires...

Pour son premier roman, Sayers s'éloigne des conventions du genre et échappe aux clichés (malgré quelques éléments "roman à quatre sous" comme le brouillard ou la lettre de confession du criminel) en choisissant un personnage d'aristocrate fantaisiste et célibataire, et entretenant des rapports pour le moins inhabituels avec son valet, Bunter ou sa mère la duchesse douairière. Les dialogues sont ainsi truffés d'humour et de dérision, à travers Lord Peter, son goût des livres anciens et sa fascination dans le crime. Certains passages peuvent faire rire, comme le très amusant passage de l'enquête officielle. Sayers en fait un personnage résolument moderne et ancré dans sa génération, puisque les stigmates de la Première Guerre Mondiale sont toujours présents, entraînant des névroses et des insomnies chez l'aristocrate. On peut dire que l'auteur introduit aussi la vie quotidienne d'après guerre dans son roman.

A l'inverse d'une Agatha Christie toujours très prude, Sayers n'hésite pas à faire des allusions au sexe où à introduire des éléments scabreux (l'affaire en elle-même est assez sordide) ou débuter son roman par un juron ! Cette insolence rejoint celle du personnage de Lord Peter qui s'amuse souvent à agacer les gens.
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A ce propos, on peut noter que sur la demande de l'éditeur, Sayers a dû changer son texte, car dans la première version Lord Peter concluait que le cadavre ne pouvait être celui de Sir Reuben Levy, juif, n'était pas circoncis. Dans la version définitive, on se contente d'un « Le témoignage de mes yeux m'a affirmé le contraire ».
L'écrivaine s'éloigne également des conventions du genre et des fameuses « 20 Règles » de Van Dine en révélant le coupable tôt dans le roman (dès le chapitre 8). Et d'ailleurs, il est assez facile de deviner son identité, vu la façon dont s'oriente l'enquête de Lord Peter. Ainsi, Sayers met en avant le fair-play et l'honnêteté avant tout, puisqu'elle déploie tous les indices connus par les personnages et fait les comptes-rendus de toutes les actions des enquêteurs. Pour autant l'ingéniosité n'est pas en reste : il serait en effet bien difficile de connaître tous les tenants et aboutissements de l'intrigue, d'une pureté rigoureuse et « christienne », avant les dernières pages. L'originalité de ce premier roman ne réside pas seulement dans l'excentricité du personnage de Lord Peter ou dans son intrigue exemplaire, mais dans son style d'écriture résolument moderne. Ainsi le passage dans le brouillard est d'une justesse et d'une modernité éclatantes, permettant de nous faire ressentir les sentiments des personnages et leurs confusions. Néanmoins, c'est surtout dans sa conception du roman policier, qui doit selon elle, être lu pour autre chose que son intrigue, que son aspect novateur se fait le plus ressentir. Le meilleur exemple est la scène morale et philosophique où Wimsey s'interroge sur l'utilité de son passe-temps : « Mais quand les choses se précisent, qu'il s'agit en fait de traquer une personne réelle, de l'envoyer à la potence ou même simplement en prison, le pauvre bougre, il me semble tout à coup que rien ne justifie cette activité puisque je n'en vis pas ». Tous ces éléments font de Lord Peter et l'Inconnu un roman qui propose plusieurs niveaux de lecture. L'aspect religieux est bien sûr présent (le combat habituel de Dieu contre les Forces du Mal). De plus Parker lit des traités de théologie et wimsey se plonge régulièrement dans Dante. L'assassin, dans toute sa monstruosité, peut être également vu comme une incarnation du mal.

En conclusion, je dirais que, dès son premier roman, Sayers se détache des conventions et affiche sa différence. Sans considérer l'intrigue comme un prétexte en accordant une place importante à l'ingéniosité, elle ne veut exclure du roman policier aucun des thèmes de la littérature générale. Ceci trouvera son apogée dans ce qui est peut-être son chef d'oeuvre, Le Cœur et la Raison. Ce sont des écrivains comme elle qui permettent d'élever le genre policier au delà d'un simple divertissement.
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Jeremy Fox
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Jeremy Fox »

Hop, dans mon panier Amazon :wink:
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Hitchcock »

Jeremy Fox a écrit :Hop, dans mon panier Amazon :wink:
:D
Je te remercie pour ton intérêt ;)
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par hellrick »

Je vais essayer de trouver Lord Peter et le mort du 18 juin qui comprend un de mes dadas dans le roman policier à savoir un crime impossible parait il particulièrement réussi :wink:
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Hitchcock »

hellrick a écrit :Je vais essayer de trouver Lord Peter et le mort du 18 juin qui comprend un de mes dadas dans le roman policier à savoir un crime impossible parait il particulièrement réussi :wink:
Pas le meilleur de Sayers à mon avis ; mais pas relu depuis un moment
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Re: Dorothy L. Sayers

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Le capitaine Denis Cathcart, fiancé de la soeur de Peter, Mary, est retrouvé mort, assassiné, et leur propre frère le duc de Denver est accusé du meurtre. Plusieurs témoins affirment en effet que les deux hommes s'étaient querellés au sujet d'une partie de cartes où le capitaine aurait triché. Lord Peter, en vacances en Corse, regagne l'Angleterre, décidé à faire toute la lumière sur cette sombre affaire. Cependant, les témoignages s'entremêlent et se contredisent, formant un ensemble confus qui déconcerte l'aristocrate, d'autant que sa sœur et son frère semblent vouloir lui cacher des choses.

Trop de témoins pour Lord Peter, le deuxième roman de Sayers, marque le retour à un cadre d'enquête plus classique (un pavillon de chasse dans la campagne anglaise) après l'urbain Lord Peter et l'inconnu. On retrouve les personnages de la famille entrevus dans l'opus précédent : l'excentrique mais attachante duchesse douairière, le fade Gerald Wimsey, et nous faisons connaissance avec Helen, l'austère épouse de Gerald et l'étonnante lady Mary, féministe et sympathisante socialiste. La romancière introduit et oppose également de nouveaux lieux dans ce roman : Riddlesale Lodge (pavillon de chasse du duc), l'appartement de Mubles (avoué de la famille) à Staple Inn, l'hôtel de Wimsey lors de son passage à Paris et; véritable apothéose, la chambre des Lords où se déroule le procès de Gerald. D'autre part, Dorothy Sayers nous plonge dans des lieux sordides comme la ferme des Grimethorpe (un des lieux importants de l'intrigue) et le Soviet Club (lieu de réunion des sympathisants communistes). L'auteur fait d'ailleurs un portrait peu flatteur de ses occupants, avec le fermier grossier, jaloux et brutal ; le socialiste lâche et égoïste. Si elle égratigne au passage les aristocrates pris dans un tourbillon de convenances leur empêchant toute réelle communication, ils restent à ses yeux les plus hauts garants des valeurs morales : prêts à se dévouer pour les autres, à garder le silence pour les protéger au péril de leur vie ou de leur honneur. On a d'ailleurs tendance à comparer - de manière assez manichéenne - le roman policier et le roman noir en faisant de l'un un genre réactionnaire et de l'autre un genre progressiste. Si cette vision ne se vérifie pas toujours, il faut bien avouer qu'avec Sayers, la balance penche réellement d'un côté plus que l'autre !

Heureusement, le plaisir de lecture n'en est jamais atténuée et on suit l'intrigue sans ennui et avec un enthousiasme croissant. Comme le souligne le titre, le mélange des témoignages est parfois un peu confus et le but n'est pas tellement de découvrir « qui a tué » mais plutôt de reconstituer tous les événements, d'assembler toutes les pièces du puzzle, afin d'obtenir le déroulement complet de cette nuit fertile : « que nous nous trouvions, encore et toujours, confrontés à deux séries d'événements, absolument sans aucun rapport l'une avec l'autre, mais convergeant vers le même point dans le temps, ce qui provoque une confusion sans fin. » (chapitre 18) permettant à Trop de témoins pour Lord Peter de tenir toutes ses promesses, jusqu'au bout, même si l'intrigue n'est peut être pas aussi maîtrisée et fluide que dans l'opus précédent. De plus, la solution finale peut paraître assez décevante, quoique innovante, car elle va à l'encontre d'une des 20 « règles » du roman policier établies par S.S. Van Dine (je vous laisse découvrir laquelle).

Avec ce deuxième roman, Sayers amplifie le rôle de l'allusion littéraire qui, dans Lord Peter et l'inconnu, n'avait qu'un rôle décoratif au travers de citations et de descriptifs de livres rares. Ici, elle apparaît en tant qu'élément organisateur de l'intrigue, avec le roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut, qui sert de fil conducteur au récit. En effet, il rappelle tout d'abord à Lord Peter les souvenirs douloureux d'une liaison d'avant-guerre, puis fournit, dans la dernière partie du récit, l'explication finale de l'intrigue. Je n'en dis pas plus au risque de dévoiler la solution. Si le roman baigne dans une atmosphère de passion violente et d'«appel du sang », Sayers s'ingénie à multiplier les scènes d'action, comme la tourbière de Grinder's Hole, la fusillade aux abords du Soviet Club ou la tempête lors de la traversée de l'Atlantique. L'arrivée de Lord Peter au procès en grande pompe peut faire penser à celle de Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune.

Trop de témoins pour Lord Peter mêle donc littérature classique et policière, mais on peut le voir aussi comme une sorte de manifeste. Sayers en profite pour railler, dans l'épisode du Soviet Club, les tenants des lettres nouvelles, D.H. Lawrence et Joyce, elle revendique en revanche au travers des exergues ouvrant chaque chapitre sur une citation de littérature classique ou policière (Shakespeare, John Donne, Bunyan ou Dickens côtoient Conan Doyle ou Harry Blyth, créateur de Sexton Blake). Ainsi, selon Sayers, le roman policier doit réconcilier la grande littérature et la littérature d'évasion, complexe programme qui n'atteindra la perfection que dans Gaudy Night (Le Coeur et la Raison) une des rares œuvres policières qui peuvent prétendre figurer parmi les meilleurs romans du XXe siècle.
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Jeremy Fox
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Jeremy Fox »

Je l'attendais cet avis. Toujours aussi chaud pour découvrir cet auteur. Ca viendra même si ça prend du temps car le premier est toujours dans mon panier Amazon :wink:
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Hitchcock »

Jeremy Fox a écrit :Je l'attendais cet avis. Toujours aussi chaud pour découvrir cet auteur. Ca viendra même si ça prend du temps car le premier est toujours dans mon panier Amazon :wink:
J'ai hâte de découvrir tes impressions en tout cas ;)
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par joe-ernst »

Hitchcock a écrit :Image
Fini hier soir. J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cet auteur et son héros. C'est assez mordant et si l'intrigue n'est pas géniale, la description pleine d'humour de la société anglaise vaut largement le détour. Merci à Hitchcock pour cette découverte ! :)
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Jeremy Fox
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Jeremy Fox »

Jeremy Fox a écrit :Je l'attendais cet avis. Toujours aussi chaud pour découvrir cet auteur. Ca viendra même si ça prend du temps car le premier est toujours dans mon panier Amazon :wink:
Je viens de le recevoir. Je le lis une fois terminé mon Conrad en cours :wink:
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Hitchcock »

joe-ernst a écrit :
Hitchcock a écrit :Image
Fini hier soir. J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cet auteur et son héros. C'est assez mordant et si l'intrigue n'est pas géniale, la description pleine d'humour de la société anglaise vaut largement le détour. Merci à Hitchcock pour cette découverte ! :)
De rien et merci à toi ! ;)
J'attends ton avis avec impatience Jeremy. :)
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Jeremy Fox »

D'ici environ 3 semaines un mois, au rythme où je lis en ce moment :oops:
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Re: Dorothy L. Sayers

Message par Jeremy Fox »

Randolph Carter a écrit :Un écrivain encore plus vieillot que la chère Agatha (et c'est pas peu dire.) :fiou:

Alors là je ne comprend pas. Je viens de finir son premier roman, Lord Peter et l'inconnu (Who's Body) et il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman policier aussi insolent, ludique, drôle et savoureux (avec innombrables sous entendus sexuels), que l'on pourrait croire avoir été écrit de nos jours. La gravité et les passionnantes réflexions 'philosophico-morales' qui arrivent aux 3/4 du livre n'en sont que plus inattendues et tout à fait efficaces. Bref, j'ai adoré tout aussi bien le style très fluide de l'écrivain, son humour ainsi que les relations entre ses personnages principaux que sont Lord Peter et son serviteur, et ne peut qu'approuver tout ce que Hitchcock a écrit ci-dessous. Pour vous donner un aperçu, je trouve que la nouvelle série Sherlock Holmes avec Benedict Cumberbach (dont je ne suis d'ailleurs pas très fan) a plus de ressemblances avec Dorothy L. Sayers qu'avec Conan Doyle ; mais je peux me tromper. En tout cas, je vais de ce pas aller mettre les suivants dans mon panier. Merci pour cette superbe découverte :)

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Un cadavre vêtu 'un seul pince-nez est retrouvé dans la baignoire de l'insignifiant Mr. Thipps, qui est rapidement arrêté par la police. Pour aider la mère de Thipps, et aussi, pour tromper son ennui, Lord Peter Wimsey, un aristocrate dilettante décide de mener l'enquête avec son ami l'inspecteur Parker. Il fait bientôt le lien avec la disparition d'un financier, Sir Reuben Levy, volatilisé mystérieusement après un dîner d'affaires...

Pour son premier roman, Sayers s'éloigne des conventions du genre et échappe aux clichés (malgré quelques éléments "roman à quatre sous" comme le brouillard ou la lettre de confession du criminel) en choisissant un personnage d'aristocrate fantaisiste et célibataire, et entretenant des rapports pour le moins inhabituels avec son valet, Bunter ou sa mère la duchesse douairière. Les dialogues sont ainsi truffés d'humour et de dérision, à travers Lord Peter, son goût des livres anciens et sa fascination dans le crime. Certains passages peuvent faire rire, comme le très amusant passage de l'enquête officielle. Sayers en fait un personnage résolument moderne et ancré dans sa génération, puisque les stigmates de la Première Guerre Mondiale sont toujours présents, entraînant des névroses et des insomnies chez l'aristocrate. On peut dire que l'auteur introduit aussi la vie quotidienne d'après guerre dans son roman.

A l'inverse d'une Agatha Christie toujours très prude, Sayers n'hésite pas à faire des allusions au sexe où à introduire des éléments scabreux (l'affaire en elle-même est assez sordide) ou débuter son roman par un juron ! Cette insolence rejoint celle du personnage de Lord Peter qui s'amuse souvent à agacer les gens. A ce propos, on peut noter que sur la demande de l'éditeur, Sayers a dû changer son texte, car dans la première version Lord Peter concluait que le cadavre ne pouvait être celui de Sir Reuben Levy, juif, n'était pas circoncis. Dans la version définitive, on se contente d'un « Le témoignage de mes yeux m'a affirmé le contraire ». L'écrivaine s'éloigne également des conventions du genre et des fameuses « 20 Règles » de Van Dine en révélant le coupable tôt dans le roman (dès le chapitre 8). Et d'ailleurs, il est assez facile de deviner son identité, vu la façon dont s'oriente l'enquête de Lord Peter. Ainsi, Sayers met en avant le fair-play et l'honnêteté avant tout, puisqu'elle déploie tous les indices connus par les personnages et fait les comptes-rendus de toutes les actions des enquêteurs. Pour autant l'ingéniosité n'est pas en reste : il serait en effet bien difficile de connaître tous les tenants et aboutissements de l'intrigue, d'une pureté rigoureuse et « christienne », avant les dernières pages. L'originalité de ce premier roman ne réside pas seulement dans l'excentricité du personnage de Lord Peter ou dans son intrigue exemplaire, mais dans son style d'écriture résolument moderne. Ainsi le passage dans le brouillard est d'une justesse et d'une modernité éclatantes, permettant de nous faire ressentir les sentiments des personnages et leurs confusions. Néanmoins, c'est surtout dans sa conception du roman policier, qui doit selon elle, être lu pour autre chose que son intrigue, que son aspect novateur se fait le plus ressentir. Le meilleur exemple est la scène morale et philosophique où Wimsey s'interroge sur l'utilité de son passe-temps : « Mais quand les choses se précisent, qu'il s'agit en fait de traquer une personne réelle, de l'envoyer à la potence ou même simplement en prison, le pauvre bougre, il me semble tout à coup que rien ne justifie cette activité puisque je n'en vis pas ». Tous ces éléments font de Lord Peter et l'Inconnu un roman qui propose plusieurs niveaux de lecture. L'aspect religieux est bien sûr présent (le combat habituel de Dieu contre les Forces du Mal). De plus Parker lit des traités de théologie et wimsey se plonge régulièrement dans Dante. L'assassin, dans toute sa monstruosité, peut être également vu comme une incarnation du mal.

En conclusion, je dirais que, dès son premier roman, Sayers se détache des conventions et affiche sa différence. Sans considérer l'intrigue comme un prétexte en accordant une place importante à l'ingéniosité, elle ne veut exclure du roman policier aucun des thèmes de la littérature générale. Ceci trouvera son apogée dans ce qui est peut-être son chef d'oeuvre, Le Cœur et la Raison. Ce sont des écrivains comme elle qui permettent d'élever le genre policier au delà d'un simple divertissement.
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Re: Dorothy L. Sayers

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Jeremy Fox a écrit : Alors là je ne comprend pas. Je viens de finir son premier roman, Lord Peter et l'inconnu (Who's Body) et il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman policier aussi insolent, ludique, drôle et savoureux (avec innombrables sous entendus sexuels), que l'on pourrait croire avoir été écrit de nos jours. La gravité et les passionnantes réflexions 'philosophico-morales' qui arrivent aux 3/4 du livre n'en sont que plus inattendues et tout à fait efficaces. Bref, j'ai adoré tout aussi bien le style très fluide de l'écrivain, son humour ainsi que les relations entre ses personnages principaux que sont Lord Peter et son serviteur, et ne peut qu'approuver tout ce que Hitchcock a écrit ci-dessous. Pour vous donner un aperçu, je trouve que la nouvelle série Sherlock Holmes avec Benedict Cumberbach (dont je ne suis d'ailleurs pas très fan) a plus de ressemblances avec Dorothy L. Sayers qu'avec Conan Doyle ; mais je peux me tromper. En tout cas, je vais de ce pas aller mettre les suivants dans mon panier. Merci pour cette superbe découverte :)
:cool:
Merci encore une fois à toi pour ta motivation pour découvrir cet auteur ! Vraiment content que tu aies apprécié. :D
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