Le Dossier Noir est un quatrième tome un peu particulier. Celui-ci se compose d’une partie regroupant les travaux de Grant Morrison et d’une autre jouant les anthologies. Les deux s’avèrent croustillantes. Après les aventures plus "classiques" du troisième album, on retrouve ici le Morrison qui "te nique la tronche". Prisonnier sur Apokolips, Batman se fait torturer mentalement. A l’instar de Batman R.I.P., c’est l’occasion d’une vertigineuse plongée dans l’esprit du personnage. Là encore, Morrison déploie une narration d’une extrême densité. Avec la virtuosité qui le caractérise, le scénariste résume toute la vie du personnage y insérant au passage hallucinations (une sorte de Pour Celui Qui A Déjà Tout pour la chauve-souris) et associations d’idées diverses (Batman rapproché d’Hamlet). Le voyage est aussi fascinant qu’éprouvant, prolongeant ce que Morrison avait déjà brillamment mis en lumière précédemment. Pas trop fan par contre du Batman #700 où l’intrigue alambiquée à base de voyage dans le temps m’a laissé sur le carreau. Faut dire que je trouve en plus la représentation du futur de Gotham par Morrison pas franchement convaincante (le réputé Batman #666 m’avait déjà laissé de marbre).
La partie anthologie regroupe elle des épisodes des années 50/60 dont s’est inspiré Morrison. Pour peu de rentrer dans le ton enfantin (Bruce Wayne résolvant le meurtre de ses parents !!!) et les délires SF (Batman se la jouant Superman sur une autre planète), il est possible de prendre un certain plaisir à ces histoires. Bien sûr, il est également très intéressant de voir comment Morrison se les ait réapproprié. Cela montre l’acuité de l’auteur qui aura su mettre en évidence les bonnes idées de ces épisodes pour les amener à un tout autre niveau. Pour compléter le tout, Urban rajoute une histoire des 90’s Chevalier Noir Ville Ténébreuse qui devrait aider à la compréhension du prochain tome. C’est une super histoire où une enquête sur le Sphinx dérive vers un rituel satanique et convoque l’âme de Gotham. Même si je suis partagé sur la vision du Sphinx virant en sous-Joker, le résultat est un splendide et intense spectacle horrifique. Ça me donne clairement envie de voir ce que Morrison va faire avec le contenu sur son propre run.
Dans une préface, Rick Remender mentionne le plaisir qu’il prend à travailler sur une œuvre indépendante comme Deadly Class. Pas de restriction, pas d’impératif mais juste la liberté d’expérimenter et de surprendre son lecteur. Je dois admettre que le bonhomme fait fort. La réserve que j’émettais plus haut, il l’a littéralement atomisé. Plutôt que de laisser traîner les choses, Remender boucle très rapidement certains aspects pour en ouvrir de nouveaux. Il n’hésite ainsi pas à boucler la sous-intrigue sur Fuckface dès le second tome et a liquidé un personnage principal dans le troisième. Je ne parles même pas de la situation dans laquelle il laisse son héros à la fin de celui-ci (le titre Snake Pit est on ne peut plus indiqué). Et le tout d’être torché toujours en s’attachant à son principe de chroniques adolescentes et en offrant des dessins créatifs. Vraiment de la bonne.