« que toutes les lumières extérieures des façades de maison soient allumées »me dit que c'est la fin du jour, et que déjà l'on s'affaire, dans les bungalows, à préparer le repas du soir alors que l'air résonne encore des cris de la journée, et du vacarme de ceux qui ont plongé et sauté dans l'eau en en mettant partout. Petit coup de blues en songeant qu'il va falloir nettoyer avec la raclette, vérifier le PH de l'eau et ranger les chaises et les transats, sans parler des emballages et papiers oubliés, pour la nuit. Alors Naval de Tiersen peut accompagner ce moment de solitude. (C'est mon interprétation toute personnelle ).
« Cette folle sensation d’Amérique dans les rues torrides quand la musique sort du juke-box ou du funeral d’à côté, c’est ce que Robert Frank a capté dans ces clichés étonnants pris en parcourant les 48 États, pratiquement, au volant d’une vieille voiture d’occasion (grâce à une bourse du Guggenheim) ; il a photographié avec agilité, sens du mystère, génie, et avec la tristesse et l’étrange discrétion d’une ombre, des scènes qu’on n’avait encore jamais vues sur la pellicule. De quel grand art il fait preuve ici, on va le reconnaître une fois pour toutes. (…)
Le goût, la tristesse, le côté ça-ou-autre-chose, l’américanité, de ces images. Le grand cow-boy mince qui se roule un mégot devant Madison Square à New York à l’époque du rodéo, triste, interminable, incroyable – ce long coup de la route de nuit filant en flèche éperdue dans les immensités plates d’une Amérique à-ne-pas-le-croire au Nouveau-Mexique sous une lune pour prisonnier – sous les coups de guitare des étoiles. Ou la vieille bonne femme hagarde de Los Angeles, désoignée, se penchant à travers la vitre avant de la voiture de Grand’Pa’, curieuse, c’est dimanche, la bouche béante pleine de commentaires pour expliquer l’Amérik aux gosses sur la banquette arrière éclaboussée – Le gars tatoué qui dort sur l’herbe dans un parc de Cleveland, ronflant à mort au monde un dimanche après-midi rempli de ballons et de voiliers – Hoboken New-Jersey en hiver, une plate-forme bourrée de politiciens qui ont tous l’air convenu jusqu’à ce qu’au bout à droite vous en voyiez un la bouche en cul-de-poule mâchant une oraison politico (il réprime un bâillement sans doute) tout le monde s’en fiche – Un vieil homme debout hésitant sur une canne de vieux sous un vieil escalier depuis longtemps descendu – Un dingue siestant sous un drapeau housse sur un siège d’auto épave dans une fantastique arrière-cour à Venice Californie, je pourrais m’y asseoir et jeter 30.000 mots sur le papier (quand j’étais cheminot serre-frein, on frôlait des arrière-cours comme ça en se penchant depuis le vieux bastringue à vapeur) bouteilles de tokay vides dans l’herbe des palmiers. Robert ramasse deux stoppeurs et leur passe le volant, la nuit, et les gens regardent les deux visages, leur air sinistre tendu dans la nuit (ça me rappelle Allen Ginsberg : « Des anges visionnaires indiens qui étaient des anges visionnaires »), et les gens disent « Ooh, quelle sale gueule », mais, eux, tout ce qu’ils veulent, c’est s’enfiler la route et retourner au pieu – Robert est là pour nous le dire – Saint Petersburg Floride les vieux types à la retraite sur un banc dans le trafic de la grand-rue, appuyés sur leurs cannes, causant de sécurité sociale, et une espèce d’incroyable bonne femme Séminole, je dirais, à moitié négresse, tirant sur sa cigarette perdue dans ses pensées, elle est pure cette image comme du plus beau solo ténor de jazz … Des images aussi américaines … ! Ces figures ne font pas de proclamations ni de commentaires, ni ne disent autre chose que « Voilà notre façon d’être dans la vie réelle, et si vous n’aimez pas çà, je ne veux pas le savoir parce que je vis ma vie à moi, à ma manière et que Dieu nous bénisse, espérons » « si nous le méritons ».
Quel poème tout ça, et quels poèmes pourra écrire un jour avec ce livre d’images un jeune écrivain défoncé penché sur elles à la bougie pour en décrire chaque mystérieux détail noir et blanc, ce film gris qui a saisi à point le jus bien cuit de l’espèce humaine, si c’est le lait de l’humaine-ité ou de l’humaine bonté selon Shakespeare, aucune importance quand vous regardez ces images. Mieux qu’un show. »
Jack Kerouac - (extrait de la préface de The Americans de Robert Frank)
The Americans reste un gros classique vu, revu et rerevu jusqu'à plus soif, mais ça reste une oeuvre fascinante, magnifique, gothique, indispensable pour saisir l'évolution de la photographie américaine.
Je ne vois pas beaucoup d'autres oeuvres qui ait su capter si bien l'esprit d'une époque dans ce pays. L'autre qui me vienne immédiatement à l'esprit, ce serait le American Surfaces de Stephen Shore.
« The Americans reste un gros classique vu, revu et rerevu jusqu'à plus soif »
- Oui j'en avais eu connaissance, par Garnier, dans un Rock & Folk de la fin des années 70, puis en avais eu quelques échos de-ci de-là, de temps en temps, pour finalement le découvrir vraiment il n'y a que quelques jours en m'offrant ce superbe album. Comme quoi, tout vient à point . Merci de me signaler American Surfaces de Stephen Shore, que je découvre par la même occasion.
Alfred (Eisie) Eisenstaedt (1898-1995) Enfants regardant un spectacle de marionnettes (« Saint George et le Dragon ») au Jardin des Tuileries – 1963 -.
« Je vois des images tout le temps. Je pourrais rester des heures à regarder la pluie tomber. » (Eisenstaedt)
Et, pour clore cette série de « photographies qui me touchent, qui m'émeuvent, qui me font rire, bref, les clichés des autres (photographes connus ou non) qui ne me laissent pas indifférents » :
[center]Yale JOEL – Le cinéaste Jacques Tati, New-York, 1958.[/center]
Founious a écrit :« Le monde est plein de choses que l’œil ne remarque pas. L'appareil photo voit plus et souvent dix fois mieux » (Andreas Feininger 1906-1999)
[center]Route 66, Arizona, 1953 [/center]
« Je veux prendre en photo les choses qui m'intéressent. J'utilise la photographie comme moyen pour arriver à mes fins. »
Feininger est un pur génie, un de mes photographes préférés!
Quitte à être hors sujet (ou recouper le topic sur les pochettes d'albums, que je ne retrouve pas ), les photos qui me "touchent" sont souvent des couvertures de disques (j'achetais souvent un disque rien que pour la pochette et ça m'est arrivé presque toujours de ne pas avoir été déçu par le contenu , mais je le fais moins depuis l'avènement du cd ( miniature donc moins tentant) )...
En voici quelques exemples plus ou moins connus :
C'était dans les années 70 ; Rock & Folk organisait un concours où il fallait écrire un petit papier sur un concert récent. Quelques semaines plus tard je recevais par la Poste ce superbe 33 tours. Il est resté pour moi le meilleur de Jimi Hendrix. Même si ce dernier a pu déclarer par la suite : « Si ça n’avait tenu qu’à moi, je ne l’aurais jamais sorti. »
en songeant qu'il va falloir nettoyer avec la raclette, vérifier le PH de l'eau et ranger les chaises et les transats, sans parler des emballages et papiers oubliés, pour la nuit. Alors Naval de Tiersen peut accompagner ce moment de solitude. 
). 
. Merci de me signaler American Surfaces de Stephen Shore, que je découvre par la même occasion.
