Photographie : ces images qui nous touchent

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feb
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par feb »

Ahhh les jambes de Marlene Dietrich :oops: ...dans le même style j'adore la série réalisée en 1952 par Milton Greene.
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Founious
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

« série réalisée en 1952 par Milton Greene » : magnifique ! :shock: Nom de Dieu. (Ceci dit avec la voix de Jean-Pierre Marielle) Oh Bon Dieu.
feb
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par feb »

Founious a écrit :(...)magnifique ! :shock: Nom de Dieu.
:mrgreen: Pas mieux !
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

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Non seulement cette photographie terrible de John Olson, prise à Hué le 8 mars 1968, me fait immanquablement songer au Radeau de la Méduse de Géricault, mais selon moi elle illustre parfaitement ce que fut la guerre du Vietnam. Un incommensurable gaspillage de vies humaines, de moyens gigantesques, de matériel et de technologie, utilisés ailleurs que dans les programmes sociaux d'aide ou d'éducation, dans le seul et unique but d'enrichir le complexe militaro-industriel américain. Pour, au final, se retrouver à utiliser ce matériel de combat comme simple ambulance. Dérisoire. Ce colossal gâchis ne s'est pas arrêté avec la guerre du Vietnam mais perdure en Irak et en Afghanistan.
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

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C'est pour moi l'une des plus belles photos et aussi l'une des plus terribles qui soit. On la doit à W Eugene Smith qui a vécu quatre années au sud-ouest du Japon à Minamata, petit village de pêcheurs pollué par l'usine pétrochimique Chisso laquelle a rejeté dans la baie environ 400 tonnes de mercure et de résidus de métaux lourds, entre 1932 et 1966. Comme les habitants se nourrissaient principalement de poissons, on a dénombré près de 900 décès de 1949 à 1965 et, après un long combat, Chisso a du dédommager près de 10 000 personnes afin qu'elles suspendent leurs poursuites juridiques. De nombreuses mères ont mis au monde des enfants gravement atteints, et, sur cette photographie extrêmement émouvante de W E Smith, l'on voit la jeune Tomoko Uemura couvée du regard par sa mère. Si l'état japonais et Chisso ont reconnu aujourd'hui 13 000 malades, plus de 25 000 sont toujours en attente d'une décision.
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par homerwell »

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Je connais cette photo.
Je suis d'accord avec toi pour dire combien cette photo est touchante. D'ailleurs elle se suffit à elle même. Elle fonctionne sans que l'on connaisse l'histoire qui va avec. Quelle tendresse dans les gestes et le regard. C'est le regard de la maman qui enlève toute dimension de voyeurisme à la photo. L'attitude bienveillante et rassurante. Le cliché est capable de faire évoluer le regard de l'homme de la rue sur les handicapés.
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

« D'ailleurs elle se suffit à elle même. Elle fonctionne sans que l'on connaisse l'histoire qui va avec ». Exactement. Et c'est pour cela que je la place aussi haut que pourrait l'être un tableau de maître, un chef d’œuvre de la peinture. « Le cliché est capable de faire évoluer le regard de l'homme de la rue sur les handicapés. » Oui, et l'émotion qu'il contient et qu'il véhicule est stupéfiante.
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

Difficile de ne pas se laisser envahir par l'émotion à la lecture du reportage d'Annick Cojean pour le journal 'Le Monde' à propos de cette photographie de Kim Phuc, prise en juin 1972 par Nick Ut pour l'agence Associated Press :
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Le Monde – Mardi 19 Août 1997

L'enfant symbole du Vietnam

Elle vit !...Avec de l'asthme, du diabète, des migraines, de multiples allergies. Avec des cicatrices qui lui gondolent la peau et s'enflamment parfois, souvent, quand le temps est capricieux, quand il fait trop chaud, trop froid, trop humide. Sa peau brûlée a perdu tout système de défense et ne respire jamais.« Mais quelle chance a mon visage ! Pas une marque ! Merci mon Dieu ! »

Elle vit ! Et même elle a donné la vie. Un petit garçon de trois ans à la peau lisse et douce ne cesse de se lover contre elle, et cherche à l'embrasser, perplexe parfois, inquiet, devant les crevasses de sa peau. « Mon corps était si dévasté, je ne pensais pas être désirable. Et voilà que l'homme le plus gentil, le plus compréhensif du monde - il s'appelle Toan - a eu envie de m'épouser. Et voilà que j'ai créé une famille ! Tant de chance, vraiment ! » Elle vit, oui. Et lire son nom - Kim Phuc – au-dessus d'une boîte aux lettres, avant de la rencontrer ici, dans ce petit appartement de deux pièces, au cœur d'un quartier chinois de Toronto, vingt cinq ans après le fameux cliché, a quelque chose d'irréel. Comment dire ? L'impression d'approcher une icône et de la voir glisser de son cadre, exposée soudain au grand souffle de la vie.

Elle rit. Une cascade de notes aiguës qui ravit l'enfant mais énerve le colosse à cervelle d'oiseau qu'un centre de handicapés, moyennant rémunération, confie à la surveillance de Toan quelques heures par jour. Kim lui sourit, pose un doigt sur ses lèvres et dit avec assurance :« Ici, au Canada, je construis une belle vie. » Elle tend la robe légère qui lui tombe aux chevilles afin de mouler un petit ventre rond « Bientôt, nous serons quatre ! » Toan, jusqu'alors en retrait dans la cuisine, passe une tête radieuse. Puis, discrètement, il emmène en promenade le géant et l'enfant. Kim a besoin d'être sereine pour changer de continent et plonger dans le temps.

Assise sur le canapé, les pieds nus, la pose décontractée, la photo devant elle, la petite Vietnamienne, devenue une jeune femme de trente-quatre ans qui s'exprime en anglais, entame alors son incroyable récit. C'est un film, semble-t-il, qui défile dans sa tête, comme un cours d'eau limpide dont elle sait chaque mouvement. Sa voix est un murmure, et son rythme suit le fleuve. « C'était un après-midi étouffant du mois de juin 1972, en pleine guerre, en plein tourment. Depuis trois jours, le village subissait d'intenses bombardements d'avions sud-vietnamiens, et la population s'était réfugiée dans la pagode, endroit sacré par excellence, qu'aucun soldat, fût-il américain, ne devait jamais viser. Soudain, à l'heure du déjeuner, la situation a semblé empirer, le feu s'étendre. Quelqu'un a surpris un signal de couleur lancé du ciel vers la pagode pour désigner une mire. Il a hurlé : " Sortons ! Nous sommes morts si nous restons ici ! " Et la fuite s'est organisée: les enfants en premier, qui devaient courir vite ; et puis les gens âgés, avec la nourriture ; les adultes avec les bébés... »

Kim Phuc a détalé. Elle a remarqué l’avion qui volait lentement, et compté quatre bombes juste au-dessus de sa tête. Il n'y eut guère de bruit. Juste une immense flamme orange. Kim était plongée dans le feu du napalm. Encore quelques minutes de course, et elle perdrait connaissance, anéantie par la douleur, brûlée jusque dans ses os. Mais son destin aura entre-temps croisé la route de Nick Ut, ce photographe de l’agence AP dont le cliché, publié dès le lendemain, rapportera à son auteur le fameux prix Pulitzer et transformera Kim en symbole. Symbole de la barbarie des guerriers. Pendant deux jours, la famille ignora tout du sort de la petite fille. Deux de ses cousins étaient morts sur la route. Kim, trop grièvement atteinte pour être soignée sur place, avait été transportée en urgence à l’hôpital de Saïgon. Elle y restera quatorze mois. Son corps n'était que plaie. « Le matin, on m'immergeait dans une baignoire pour me débarrasser de la peau qui, toujours, s'infectait. Elle se détachait par morceaux, il fallait la couper. Les plaies étaient à vif. C'était si douloureux que je m'évanouissais. Un jour, la visite de ma sœur a coïncidé avec l'heure de mon bain. Elle n'a pu supporter de voir et s'est évanouie à son tour. L'infirmière était furieuse ! »


Quand Kim repartira enfin vers son village, où l'attendent ses parents et ses huit frères et sœurs, dix-sept greffes et opérations diverses auront remodelé son corps. Kim alors veut devenir médecin et s'accroche à l’école. La famille est pauvre, la maison dévastée, la mère absorbée dans la cuisine d'un minuscule restaurant de plein air. Mais pour prendre son bain, faire ses exercices, porter ses affaires, chacun lui vient en aide. La vie serait donc acceptable si de violentes migraines ne l’anéantissaient et si sa peau, sans protection, n'avait parfois l'aspect d'une « viande cuite ». Kim, devenue adolescente, pleure devant les miroirs. Plus jamais elle n'expose aux regards ni son dos ni ses bras.

La guerre depuis longtemps est finie. Le cliché de Nick Ut a fait le tour du monde et, après avoir bouleversé l’opinion publique américaine, suscité débats, invectives, polémiques et précipité, aime à penser Kim Phuc, la fin du conflit, elle continue de hanter les esprits. C'est « la » photo du Vietnam. En 1982, un journaliste allemand veut savoir ce qu'est devenue son « héroïne ». Il adresse la photo au gouvernement vietnamien, le sommant de lui dire si l’enfant oui ou non est en vie. La réponse ne lui parvient qu'un an et demi plus tard. Mais elle donne des idées aux autorités vietnamiennes, qui, soudain, prennent la mesure de ce que représente Kim Phuc aux yeux de la planète. Comment imaginer meilleur instrument de propagande ? Kim perd sa liberté. On l’exhibe, on l’interviewe, on l’utilise. Elle doit interrompre ses études, affronter les caméras, sillonner le pays. Ses espoirs d'être médecin s'effondrent. Elle supplie qu'on la laisse tranquille. On l’envoie étudier à Cuba.

Alors le monde l’oublie. Et Kim, pendant sept ans, restera sur son île. Elle étudie l’espagnol et l’anglais, et tente de réapprendre à vivre. Elle a de multiples amies et même un amoureux, Toan, qui n'ose se déclarer et qu'elle n'encourage guère. A personne elle ne parle de son désir de fuir. « Le climat ne me convenait pas, j'avais des allergies, du diabète, maintes douleurs. Mais j'avais surtout l'impression de vivre sous contrôle. Je haïssais ce régime. C'était comme au Vietnam. » Un soir, dans un des rares hôtels de l’île doté de l’électricité où se retrouvent les étudiants, quelqu'un lance à la cantonade: « Mais pourquoi Kim n'épouse-t-elle pas Toan ? » La jeune femme est stupéfaite. Toan, souriant au bout de la table, ose à peine la regarder. L'idée, apparemment, excite tout le monde. On échafaude des plans. De l’amour de Toan personne ne peut douter. Kim en est étourdie. Trois jours plus tard, elle a dit oui. Dix jours plus tard, elle est mariée. Les amis ont tout organisé. Jusqu'à la lune de miel. A Moscou.

A ce moment du récit, Kim fait une petite pause, met ses jambes en tailleur, ménage son suspense. Et même elle rit d'avance des surprises qu'elle réserve. Car le fleuve, maintenant, se transforme en rapides. Sa vie va changer de cours. « C'est dans l'avion du retour que j'ai révélé à Toan ce que je lui cachais depuis plusieurs semaines. Je n'avais que trop tardé, il fallait que je me jette. » Il était temps en effet : Kim ne rentrait pas à Cuba. A l’escale de ravitaillement en carburant, prévue sur le territoire canadien, elle prévoyait de quitter le groupe de passagers et de demander l'asile politique. Sa décision était irréversible.

Toan fut abasourdi. Cela faisait des mois qu'il rêvait de retrouver sa famille au Vietnam. Et c'est avec sa femme qu'il entendait rentrer. Kim, bien sûr, comprenait. Mais jouait toutes ses cartes. « Tu as le choix, je ne veux rien t'imposer, disait-elle. Mais nous sommes une famille maintenant. De quoi aurais-tu l'air en rentrant seul de ton voyage de noces ! » Le mot était cruel, même dit avec humour. « Au fond de mon cœur, j'étais sûr qu'il ne me quitterait pas. »

L'avion se rapprochait de Gander. Toan se tassait sur son siège. Ils n'avaient pas d'argent, pas de vêtements, pas d'adresse. Mais la jeune Vietnamienne avait un sentiment d'urgence. C'était ce jour-là ou jamais. Alors, quand l'avion fut posé, quand les portes enfin s'ouvrirent, elle fila vers un militaire canadien, tendit les deux passeports et, le cœur battant, rejoignit la file des aspirants au statut de réfugiés. Toan, bien sûr, à son côté.

« Il était si nerveux qu'il n'a pas pu dormir pendant une bonne semaine ! Mais on nous a logés, nourris, aidés. C'était une surprise délicieuse. Maintenant, Toan a deux jobs à mi-temps. Ce n'est pas sa qualification, mais je suis si confiante ! » Son visage affiche un sourire permanent, sa voix est enjouée, et son rire, ah !, son rire... « Ce doit être ma nature. Dieu m'a fait don du bonheur. » Encore sa fameuse « chance » ! Que comprendre, sinon constater en effet son ardeur à saisir, cultiver son bonheur ; admirer sa soif de construire, sa curiosité impatiente pour l'avenir. Et discrètement observer ses yeux gris.

Car parfois, et alors même qu'elle rit, ils deviennent si brillants qu'on jurerait voir des larmes. « Je ne les laisse pas venir ! corrige-t-elle. De quoi pourrais-je me plaindre ? Jamais, même aux pires moments, je n'ai surpris de la colère, de la haine, de la rancune dans les yeux de mes parents. On ne peut changer le passé. Alors à quoi bon s'y noyer? II n'est utile que pour s'élever. »

La photo de Nick Ut n'est exposée nulle part, dans le petit appartement de Kim. Sa vue lui est infiniment douloureuse. Mais comment l'oublier ? On ne se soustrait pas au destin de symbole. La course de Kim sous le feu du napalm touche à l’universel.

L'an passé, Kim fut invitée à Washington à la cérémonie commémorative de la guerre du Vietnam. Et devant un parterre de plusieurs milliers de vétérans médusés elle a pris timidement la parole pour évoquer l’espoir. Et le pardon. « Si je pouvais me trouver face à face avec le pilote de l'avion qui a lancé la bombe, je lui dirais : on ne peut pas changer l'histoire, mais au moins peut-on essayer de faire de notre mieux dans le présent et le futur pour promouvoir la paix. » Et puis elle a disparu durant la plus longue et la plus respectueuse des standing ovations.

Au milieu de l'assistance, John Plummer était foudroyé. C'est à lui qu'elle venait de s'adresser. Lui qui avait eu la responsabilité de coordonner le bombardement de Trang Bang, le 8 juin 1972. Lui qui, devenu pasteur, après mille errances, portait toujours sur lui la photo de la petite fille, découverte dès le 9 au matin et lestée de remords. II se rua vers un policier, le suppliant de remettre à la jeune femme un message. Déjà, elle quittait le mémorial, soucieuse d'éviter la foule. Elle s'engouffrait dans un escalier, elle allait disparaître. Le billet lui parvint juste à temps : « Kim, je suis cet homme. » Alors elle s'arrêta, se retourna. Il attendait, tremblant au haut des marches. Et elle ouvrit ses bras.


Annick Cojean
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Founious
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

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Elliott Erwin - (Marilyn Monroe - New York City 1956).
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« Marilyn ? Juste de la terre d’argile, vraiment ; une divinité pas très nette — dans le sens où un banana split, ou un cherry jubilee, est une chose pas très nette — mais divine.
Des lèvres scabreuses, une chevelure inondante, des pattes de soutien-gorge glissantes, le tortillement rythmique de volumes toujours en mouvement qui luttent pour plus d’espace dans l’infini de son décolleté, tels sont ses emblèmes, ses attributs, si propices à la caricature qu’on était en droit de supposer qu’ils l’auraient rendue aussitôt identifiable dans le monde entier ; or, dans ce qu’on appelle la vie réelle, Marilyn n’est pas facile à identifier. Elle évolue dans les rues de New-York sans être en butte aux regards, fait signe à des taxis qui passent leur chemin, se fait servir un jus d’orange à la terrasse d’un café Nedick’s, et le serveur ne se doute aucunement que sa cliente fait l’objet de quelques-unes des plus ambitieuses ambitions. En fait, plus souvent qu’en mainte autre circonstance, il faut que l’on nous dise que c’est bien Marilyn, car elle a l’air, pour qui la voit fortuitement, d’un simple spécimen, entre tant, de la geisha américaine, de la chérie tarifée, de la mignonne de boîtes de nuit, dont la carrière s’étend des cheveux décolorés à douze ans jusqu’à un homme marié ou trois, confisqués aux épouses quand elle aura vingt ans.
Mais si conforme au « type » que soit Marilyn par certains cotés, elle n’y appartient pas véritablement : elle manque trop de dureté ; et puis elle est capable d’une grande concentration en matière de sensibilité, le vrai secret pour qu’un talent quelconque puisse agir. Ce qui est le cas chez elle. Le personnage qu’elle joue, silhouette de petite abandonnée à la gaminerie pathétique, est d’une santé et d’un charme convaincants, faciles à comprendre, en raison du très faible écart entre son image cinématographique et l’impression qu’elle donne en privé. Or l’une et l’autre de ces personnalités tirent leur séduction d’une même circonstance : sa nature d’orpheline, en effet ; tant en esprit qu’à la lettre. Elle a reçu la souillure et aussi l’illumination, les stigmates de la mentalité orpheline : ne se fiant à personne, ou si peu, elle trime comme une paysanne pour plaire à tous ; elle veut faire de chacun de nous son cher protecteur. Et nous, par conséquent, nous, son public et les gens qu’elle connaît, sommes flattés, apitoyés, excités. Cette anxiété profonde qui lui est propre (quiconque n’arrive jamais moins d’une heure en retard aux rendez-vous, c’est qu’il est empêché de partir par l’incertitude et l’angoisse, non par la vanité ; et c’est l’angoisse, encore, la tension due à l’incessant besoin de plaire, qui pour une large part occasionne les fréquents maux de gorge dont elle est incommodée, ses ongles rongés, ses paumes moites, ses petits accès de rires gloussantes à la japonaise), c’est cela même qui nous incite à une chaleureuse et fondante sympathie, que ne fait rien pour abolir l’éclat de son attitude, pour le reste si flamboyante : peut-on imaginer rien de plus puissant, et de plus désarmant, de plus enjôleur qu’une personne trompetée en tous lieux et pour qui nous sommes suppliés d’être compatissants. Et nous sommes tout disposés à l’être : dans une telle situation, chaque participant peut dévorer à belles dents sa part, et tout le monde est content.
Sans cesse, on nous répète que Marilyn est une « institution », un « symbole » ; et son mari lui-même, l’auteur dramatique Arthur Miller, a écrit un article pour nous en informer. Mais les institutions tendent vers les ténèbres ; et les symboles sont choses plus dénuées de vie encore, et de sang : oui, ce sera un jour bien morne que celui où cette fille charmante, et vivante, acceptera avec le plus grand sérieux un emprisonnement verbal aussi glacé. »

Truman Capote (Portraits et impressions de voyages - Gallimard)

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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

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Bob Willoughby - « Chet Baker after a Los Angeles recording session » - 1953


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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par homerwell »

Founious a écrit :Image
Bob Willoughby - « Chet Baker after a Los Angeles recording session » - 1953


« Don't Change A Hair For Me
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Je ne serai dire ce qui me plait le plus, la photogénie de Chat Baker ou le cliché de Willoughby ! J'ai l'impression qu'il y a tellement de bon portrait de lui.
Founious
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

- « Je ne serai dire ce qui me plaît le plus, la photogénie de Chet Baker ou le cliché de Willoughby ! J'ai l'impression qu'il y a tellement de bon portrait de lui. »

- C'est vrai que Baker y est pour beaucoup. Mais il y a une magie dans le travail de Willoughby, une douceur, une clarté impressionnantes.

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Bob Willoughby, Audrey Hepburn getting into Studio car, 1953.
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Je suis toujours ramené vers les lieux où j’ai vécu; les maisons et leur voisinage. Ainsi par exemple cette maison brune dans le quartier des Est-Soixante-Dix, où, pendant les premières années de la guerre, j’eus mon premier appartement new-yorkais. Il consistait en une pièce encombrée d’un mobilier de grenier: sofa et chaises bouffies, recouvertes de ce velours râpeux et d’un rouge particulier que l’on associe aux voyages en été dans un train. Les murs étaient revêtus de stuc et d’une couleur assez analogue au jus de chique. Partout, même dans la salle de bain, ils s’ornaient de gravures représentant des ruines romaines tavelées par l’âge. L’unique fenêtre s’ouvrait sur l’échelle d’incendie. Malgré cela, je me sentais ragaillardi lorsque je tâtais dans ma poche la clef de cet appartement. En dépit de sa mélancolie c’était tout de même un endroit à moi, le premier, et j’y avais mes livres et des pots pleins de crayons à aiguiser, tout ce dont j’avais besoin — je le sentais — pour devenir l’écrivain que je voulais être.
Il ne me serait jamais venu à l’esprit, à cette époque, d’écrire au sujet de Holly Golightly, et encore maintenant je n’y aurais pas pensé, si une conversation que j’eus avec Joe Bell, n’avait remis en marche les rouages du souvenir qu’elle m’avait laissé.
Holly Golightly avait été une des locataires de la vieille maison brune. Elle occupait l’appartement au-dessous du mien. Quant à Joe Bell, il tenait un bar au coin de Lexington Avenue. Il y est encore. Holly et moi nous avions l’habitude de nous y rendre six ou sept fois par jour, pas pour boire, du moins pas toujours, mais pour téléphoner. Pendant la guerre ce n’était pas facile d’avoir un téléphone particulier. Qui plus est, Joe Bell avait la gentillesse de prendre les communications, ce qui, dans le cas de Holly, n’était pas une mince faveur, car elle en recevait une fameuse quantité.
Bien entendu cela remonte loin. Et jusqu’à la semaine dernière j’étais resté des années sans revoir Joe Bell. Par-ci, par-là nous avions gardé le contact, et à l’occasion je m’arrêtais à son bar quand je passais dans le quartier, mais en fait, nous n’avions jamais été de grands amis, sauf dans la mesure où nous étions l’un et l’autre des amis de Holly Golightly. Joe Bell n’a pas un caractère facile, il le reconnaît lui-même. Il dit que c’est parce qu’il est célibataire, et sensible de l’estomac. N’importe qui, le connaissant bien, vous dira qu’il n’est pas d’un abord commode, et qu’il est même franchement impossible pour qui ne partage pas ses manies dont Holly fait partie. Parmi les autres il ya le hockey sur glace, les chiens de Weimaraner, « La fille du dimanche », série offerte par une marque de savon et qu’il écoute depuis quinze ans, et Gilbert et Sullivan. Il prétend qu’il est parent d’un des deux mais je ne me souviens pas duquel.
Et c’est pourquoi, lorsque le téléphone sonna en fin d’après-midi mardi dernier et que j’entendis « Ici, Joe Bell », je sus qu’il s’agissait de Holly. Il ne me le dit pas, mais simplement : « Pouvez-vous vous amener en vitesse? C’est important.» Une raucité d’excitation faisait vibrer sa voix de crapaud.
J’arrêtai un taxi dans un déluge de pluie d’octobre et le long du chemin je me demandai si elle ne serait pas là-bas et si je n’allais pas revoir encore Holly.
Mais il n’y avait personne dans l’établissement que son propriétaire. Le bar de Joe Bell est tranquille si on le compare à la plupart des bars de Lexington. Il ne se pique ni de néon ni de télévision. Deux vieux miroirs reflètent le temps qu’il fait dehors, et derrière le bar, dans un renfoncement entouré de photographies de champions de hockey sur glace, il y a toujours un grand vase de fleurs fraîches que Joe lui-même arrange avec un soin de mère. C’est ce qu’il était en train de faire lorsque j’entrai.
« Bien entendu, dit-il, plantant à fond un glaïeul dans le vase, bien entendu je ne vous aurais pas dérangé si ce n’est que j’avais besoin de votre avis. Il est arrivé quelque chose de bizarre.
—Vous avez des nouvelles de Holly? »

Il tripota une feuille comme s’il ne savait quoi me répondre.

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Colqhoun
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Message par Colqhoun »

Mon photographe préféré:

Alec Soth - Niagara

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La série complète ici: http://alecsoth.com/photography/projects/niagra/
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par Founious »

Je regarde la seconde photographie d'Alec Soth (que je ne connaissais pas), ces nuages qui se reflètent dans l'eau de la piscine désertée à la fin du jour, tout en écoutant Naval de Yann Tiersen et ça va très bien ensemble. Très bien ensemble. La série Niagara vaut le détour.
homerwell
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Re: Photographie : ces images qui nous touchent

Message par homerwell »

Founious a écrit :Je regarde la seconde photographie d'Alec Soth (que je ne connaissais pas), ces nuages qui se reflètent dans l'eau de la piscine désertée à la fin du jour, tout en écoutant Naval de Yann Tiersen et ça va très bien ensemble. Très bien ensemble. La série Niagara vaut le détour.
Je suis au boulot, je cliquerai sur le lien plus tard, mais pour les trois photos présentes, je me demande si l'auteur ne cherche pas à instaurer une certaine inquiétude par une toute petite touche de déséquilibre. Par exemple, sur la photo que tu évoques, le fait que toute les lumières extérieurs des façades de maison soient allumées est presque angoissant. C'est en opposition avec la quiétude du reste de la composition. En tout cas si j'essaie d'accoler une musique à cette photo, je ne pense pas à une petite ritournelle qui va bien.
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