Joseph Conrad

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Jeremy Fox
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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

1897 : Inquiétude : recueil de nouvelles d'un bon niveau mais plombé par sa "nouvelle de chambre", la très pénible 'le retour' et la seconde partie de 'Les Idiots'


1897 : Karain : un souvenir

Chronologiquement, la troisième nouvelle écrite de ce recueil, elle est néanmoins placée en tête. D'une longueur d'environ 60 pages, son intrigue se situe dans une région perdue des Philippines et est en gros divisée en deux parties : la première est la description de Karain, un Raja et chef de guerre de la région, adulé par son peuple par respect et par crainte. Seulement, alors qu'aux yeux des malais il passe pour une sorte de Dieu à qui ne faut qu'obéir, dès la nuit tombée, alors qu'il retrouve la solitude, il redevient humain, allant confier ses doutes et ses peurs aux blancs qui lui vendent les armes. La seconde moitié de la nouvelle est consacrée à une histoire que Karain vient raconter à ses amis blancs alors qu'après la mort de son bras droit, il semble totalement apeuré et psychiquement perturbé. La nouvelle aborde cette fois les thèmes des croyances et des fantômes sans que je ne vous en dise plus. Une histoire intrigante de vengeance et de folie, simplement racontée, sans trop d’esbroufe dans le style. A nouveau une réussite qui se termine à Londres, Conrad arrivant en quelques pages à brosser une ambiance de la ville d'une belle vitalité.

1897 : Un Avant poste du progrès

Deuxième nouvelle de ce recueil, Conrad écrivait en préambule qu'en changeant de Continent (ici l'Afrique Noire), il avait un peu changé son style d'écriture. Ce qui s'avère facile à vérifier, l'auteur ne s'intéressant ici qu'à ses trois personnages principaux, ne s’appesantissant jamais vraiment sur le décor où ils évoluent comme c'était le cas pour sa 'trilogie malaise'. Et surtout, il ne cherche plus du tout à nous faire ressentir un soupçon d'empathie pour ses protagonistes, ne semblant avoir plus aucun espoir en ses congénères, témoin déjà le titre très ironique de sa nouvelle : cet avant poste du progrès est un comptoir en pleine Afrique Noire où sont envoyés deux fonctionnaires idiots pour le diriger ; ceux-ci pensent par cette nomination avoir été récompensés de leurs bons et loyaux services alors qu'on s'en est plus ou moins débarrassés, le comptoir créé s'avérant sans plus d'intérêt que ses dirigeants. S'estimant au dessus des noirs qui les entourent, ils n'arrivent cependant pas à les faire travailler et le comptoir va en se désagrégeant de plus en plus, fréquenté seulement par des trafiquants d'ivoire qui tombent comme des mouches autour d'eux. La chaleur, la faim et l'environnement hostile ne faciliteront pas la vie de nos deux Bouvard et Péchuchet africains. Assez étonnant par sa noirceur mais le manque total d'humanité des deux personnages principaux fait qu'à l'instar de tous ceux qui les entourent, on n'éprouve aucune pitié lorsque cette comédie noire vire à la tragédie. C'est un peu le point faible de cette nouvelle sinon très réussie.

1897 : Les Idiots

Nouvelle très courte et dont l'intrigue se situe en Bretagne. C'est l'histoire d'un paysan qui, prenant épouse pour avoir des descendants capables de s'occuper de ses terres une fois qu'il serait vieux, arrive à n'avoir que quatre enfants idiots de naissance. La religion, la politique et la folie s'en mêlant, le sort du couple sera tragique. Impitoyablement cruelle (notamment envers la religion), la nouvelle n'en est pourtant qu'à demi réussie, Conrad s'en sortant parfaitement bien durant toute la première moitié très réaliste, bien moins convaincant lorsqu'une tendance fantastique se fait jour, le fait d'adopter alors le point de vue du personnage ayant des visions n'étant pas des plus heureux. La précédente nouvelle, Karain, qui adoptait un point de vue assez similaire, le personnage hanté lui aussi par des fantômes, était d'une toute autre trempe.

1897 : Le retour

Un homme apprend que sa femme a voulu le quitter mais celle-ci revient. Scène de ménage interminable et absolument imbuvable d"autant que Conrad nous a présenté d'emblée son couple comme de sombres fats. Heureusement que l'auteur n'a jamais poursuivi dans cette veine car ces 70 pages semblent durer une éternité.


1897 : La Lagune

La Lagune (The Lagoon), écrite juste quelques jours après les dernières pages de Le Paria des iles, retrouve la fluidité et le lyrisme que j'avais tant aimé dans les deux premiers romans. Il s'agit d'une nouvelle très courte d'à peine 30 pages et qui se situe à nouveau en Malaisie. Conrad lui-même dans son introduction au recueil disait qu'il l'avait écrite dans la continuité de ses romans précédents et c'est effectivement facile à constater ici. Une très belle histoire qui va à l'encontre de ce que je disais quelques semaines plus tôt comme quoi le format court n'était pas ma tasse de thé. Il est vrai que ça m'est toujours frustrant de ne pas pouvoir accompagner plus longtemps des personnages auxquels on s'attache, mais force est de constater qu'en l'occurrence cette nouvelle m'a vraiment touché. Et quel beau style !



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Re: Joseph Conrad

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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

1898 : Jeunesse

Longue nouvelle (ou court récit au choix) qui narre l'une des premières expériences d'un jeune homme en mer lors d'une traversée de l'Angleterre vers l'Orient au large de Singapour, le trois-mâts sur lequel il est engagé allant subir tempête, contretemps et incendie. C'est la première fois que Joseph Conrad prend pour narrateur un certain Marlow (qui n'est autre que son double en fait) que l'on retrouvera par exemple en tant que personnage principal du célèbre Au Cœur des ténèbres, sa longue nouvelle suivante. On retrouve d'ailleurs dans cette nouvelle quelques situations ou 'images' déjà décrites dans son premier roman maritime, Le Nègre du Narcisse, comme ce cambusier coincé dans sa cuisine lors d'une tempête. Mais, au contraire de ce dernier roman, trop verbeux et ampoulé, le style de Jeunesse est à l'inverse d'un dépouillement qui touche souvent au sublime. Le calvaire enduré à la lecture de sa précédente nouvelle, Le Retour, est désormais oublié devant ce petit chef-d’œuvre de simplicité qui n'empêche pas la beauté des descriptions et la justesse des émotions de ce vieux marin qui raconte avec ferveur ses premières impressions de fougueuse jeunesse. Un récit d’apprentissage (et de voyage) magnifiquement écrit, peut-être le plus facile à lire de l'auteur ; donc une éventuelle bonne entrée en matière à condition de ne pas s'attendre à une intrigue quelconque. Les dernières pages sont tout simplement géniales. Pour l'instant le sommet de l'auteur avec Un Paria des îles.


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NB : ne pouvant me refaire, je rajoute dans le premier post la liste des livres dont j'ai parlé avec une note, histoire de me rappeler plus tard sans avoir à me relire les meilleurs œuvres de l'auteur.
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Mama Grande!
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Re: Joseph Conrad

Message par Mama Grande! »

J'ai relu mon ancien post sur Jeunesse posté il y a déjà 9 ans. Ca m'a donné envie de me remettre à Conrad, et j'ai donc lu Au coeur des ténèbres qui trainait sur ma pile depuis plusieurs années :)
Tout en reconnaissant la grandeur du texte, je suis moins enthousiaste que pour Jeunesse. Cette fois, je n'avais à disposition qu'une édition anglaise et si le style de Conrad dans le texte est absolument sublime, le niveau littéraire du texte rend sa lecture difficile pour qui n'a pas une licence d'anglais. L'effort en vaut la peine, mais la lecture est parfois laborieuse et pénible comme la remontée du fleuve par Marlow :o . Contrairement à Jeunesse où le même Marlow découvre émerveillé la mer et les contrées lointaines d'Orient, le héros est ici plus cynique, sans illusions, et exécute sa mission beaucoup plus froidement. Dans cet univers hostile et sombre, le lecteur n'a que peu de repères auxquels se raccrocher, ce qui donne envie d'achever la lecture au plus vite pour en sortir. Mais malgré le peu de plaisir que j'ai pu prendre à la lecture, Au coeur des ténèbres laisse une forte impression. Le style très visuel de Conrad lui fait peindre des images suggérant une sauvagerie inouie, loin du vernis de la civilisation. En remontant le fleuve, Marlow remonte à une sorte de barbarie originelle, qui reste au fond de chaque homme, qu'il soit poli par la civilisation ou non. J'ai en ce sens été surpris par la relative fidélité de l'adaptation de Coppola. Les images du film me revenaient souvent à la lecture, ou bien est-ce celle-ci qui a ravivé mon souvenir du film. Une lecture peu divertissante donc, mais utile, forte. Je ne relis jamais les romans, mais je relirai peut-être celui-ci dans quelques années, car j'ai le sentiment que je pourrai en comprendre de nouveaux aspects.

Je profite de la remontée de ce sujet pour demander ce que vaut Agent Secret. Quelqu'un l'a lu? :o
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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Mama Grande = Marlowe !!! Je viens seulement de m'en rendre compte :o :oops: :)

J'ai lu agent secret qui dans mon souvenir était vraiment du grand Conrad ; oublions l'adaptation cinématographique catastrophique.

J'en suis à la moitié de Au coeur des ténèbres et j'aime au moins tout autant que Jeunesse même si le ton est totalement différent, même en totale opposition.
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Mama Grande!
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Re: Joseph Conrad

Message par Mama Grande! »

Jeremy Fox a écrit :Mama Grande = Marlowe !!! Je viens seulement de m'en rendre compte :o :oops: :)

J'ai lu agent secret qui dans mon souvenir était vraiment du grand Conrad ; oublions l'adaptation cinématographique catastrophique.

J'en suis à la moitié de Au coeur des ténèbres et j'aime au moins tout autant que Jeunesse même si le ton est totalement différent, même en totale opposition.
Oui :oops: :wink:
Je rajoute donc Agent Secret sur ma pile de livres à lire! Et j'attends ton avis sur Au coeur des ténèbres :wink:
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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Au Cœur des ténèbres : 1899

L'on retrouve après Jeunesse le narrateur Marlow conter une autre de ses aventures, cette fois au fin fond du Congo, parti à la recherche du directeur d'un des multiples comptoirs disséminés le long du fleuve, qui aurait d'après les rumeurs déserté son poste pour se transformer en trafiquant d'ivoire. Tout le monde connait à peu près l’histoire puisque Coppola en a fait la transposition au 20ème siècle et au Vietnam dans Apocalypse Now. Il est d'ailleurs étonnant à postériori de constater à quel point le cinéaste a su transposer en images les descriptions de Conrad tellement la lecture de la dernière partie de cette longue nouvelle fait remonter les séquences du film. Sinon, comme Mama Grande, la déception et la frustration auront finalement emporté le morceau après une superbe et intrigante première partie. Car paradoxalement, au fur et à mesure que l'on se rapproche de ces contrées profondes et inexplorées et de ce mystérieux Kurtz, l'histoire devient de moins en moins captivante et l'intrigue perd de son pouvoir de fascination. Car, au contraire du film de Coppola, le gros point faible du roman me semble être Kurtz. Alors que Brando réussissait à en faire l'un des personnages les plus captivants du cinéma, le héros de Conrad perd tout intérêt une fois qu'il arrive sur scène, Conrad ne le faisant même pas parler, ses motivations et actions demeurant toujours aussi mystérieuses, ne comprenant pas vraiment l'horreur qu'il suscite et la fascination qu'il exerce sur Marlow.

Et Mama Grande a raison de parler de difficulté, car si le lire en anglais lui a semblé malaisé, la traduction n'est guère plus confortable, me faisant un peu penser au style touffu et parfois assez laborieux qu'il avait déjà utilisé dans Le Nègre du Narcisse. Attention, ça reste d'un excellent niveau (les descriptions de la jungle sont impressionnantes de "réalisme lyrique") mais il est également difficile de se raccrocher aux personnages car Conrad me semble plus avoir voulu faire un exercice de style dont l'épilogue me semble également très peu satisfaisant. Les ténèbres et l'horreur tapies dans ce coin de l'Afrique et dans l'âme humaine, je les ai plus ressenties par exemple dans son précédent Un avant poste du progrès.


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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Lord Jim : 1900


Un homme dévoré par sa mauvaise conscience pour un geste de lâcheté essaie de se racheter ; pour se faire, il se rend dans une région de la Malaisie totalement perdue où aucun blanc n'aura entendu parler se son histoire et où il espère avoir l'occasion d'effectuer des actions héroïques. Après avoir réussi à se débarrasser des hommes faisant ployer les habitants sous leurs jougs, il deviendra effectivement une sorte de Dieu aux yeux des indigènes mais sa fin sera tragique...

Au tournant du siècle, le romancier livre peut-être son livre qui reste encore aujourd'hui son plus célèbre. Lord Jim est tout d'abord un pur chef-d’œuvre du point de vue de la construction. Celle-ci est hallucinante : en effet l'intrigue reste toujours d'une fluidité remarquable alors même que les couches de narration sont multiples et imbriquées les unes dans les autres que ce soit au niveau de la temporalité que par le nombre de narrateurs différents invoqués. Toute la longue première partie évoquant le drame qui a conduit Jim a devenir une loque humaine est ainsi absolument magistrale que ce soit humainement ou stylistiquement sans que ce ne soit jamais difficile à lire (contrairement au Nègre du Narcisse par exemple, trop verbeux et ampoulé). La dernière partie, avec Brown, met en scène un homme encore plus inhumain que le Kurtz de Au coeur des ténèbres ; sa description est fabuleuse de monstruosité. Mais que ceux qui s'attendent à un livre d'aventure soient prévenus une fois encore : il se passe bien plus de choses dans la tête de Jim qu'il n'y a de scènes mouvementées dans le roman. L'attaque finale de Brown (Eli Wallach dans le film de Brooks) sur le village malais ne dure en tout et pour tout qu'à peine 3 ou 4 pages par exemple ! Petite déception néanmoins en ce qui me concerne : toute la dernière partie perd trop longtemps de vue son personnage principal, l'histoire d'amour n'est pas assez mise en avant et tout se termine beaucoup trop abruptement, la tragédie finale manquant un peu d'émotion à mon goût. Ceci étant dit, il s'agit d'un roman remarquable, d'une éblouissante richesse aussi bien dans la forme que dans le fond.

NB : On ne peut pas trouver adaptation plus éloignée du roman que celle de Richard Brooks.



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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Au bout du rouleau : 1902

Paru dans le recueil de nouvelles Youth, Au bout du rouleau est en fait plutôt un court roman de quelques 150 pages. Il narre l'histoire d'un vieux loup de mer qui continue à travailler dans le seul but de subvenir aux besoins de sa fille adorée, cachant même à ses employeurs son début de cécité afin de ne pas perdre son commandement. Il devra faire avec la jalousie de certains des membres de son équipage qui pensent utiliser la découverte de ce secret pour pouvoir s'emparer de sa place... Le syndrome Le Nègre du Narcisse a encore frappé : une intrigue qui aurait pu tenir en 10 pages et qui se trouve délayée en 150 sans que ce ne soit jamais vraiment utile ni passionnant. On finit par se lasser assez vite même si le personnage principal s'avère assez touchant. De belles idées, de belles pages mais un ensemble bien décevant et surtout bien trop long, pas assez bien charpenté.



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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Typhon : 1903

Ce court roman (150 pages à nouveau) narre le récit d'un navire pris dans un typhon dans les mers de Chine. Il a été traduit par André Gide et demeure l'une des oeuvres les plus appréciées de l'auteur. Me concernant, sa lecture fut néanmoins une nouvelle fois une forte déception. Après une superbe mise en place brossant le portrait psychologique des trois personnages principaux, Conrad nous plonge immédiatement dans la tempête avant un épilogue aussi frustrant qu'avait été captivant le prologue. Moins imagée et lyrique que dans Le Nègre du Narcisse, moins dépouillée que dans le magnifique Jeunesse, se situant en gros entre les deux, la description de ce morceau de bravoure qu'est la tempête dans Typhon s'avère assez quelconque et finalement plutôt ennuyeuse, Conrad oubliant au passage de nous rendre ses protagonistes attachants et de nous passionner par ce qui leur arrive. Bien évidemment, non pas que ce soit mal écrit, mais disons que ce récit m'a semblé peu palpitant et surtout assez froid dans l'ensemble.


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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Amy Foster : 1903

Parue en 1901 dans une revue anglaise, Amy Foster sera publié dans un recueil de nouvelles intitulé Typhon et autres récits en 1903. C'est l'histoire toute simple d'un naufragé des Carpates parti pour l'Amérique sans jamais avoir connu autre chose que son propre village et qui atterri, seul rescapé d'une catastrophe maritime, dans une contrée anglaise reculée. La barrière de la langue et le fait de se retrouver dans un monde totalement différent du sien à tous points de vue fera qu'il sera recueilli dans le village comme une bête sauvage, les habitants l'utilisant comme domestique, seule l'innocente et un peu retardée Amy Foster lui témoignant de la compassion. Ils tomberont amoureux, se marieront contre l'avis de tous mais leur différence de culture et d'éducation sera un frein à la continuation de cette belle histoire d'amour... 50 pages pour narrer cette histoire touchante dont le personnage principal n'est pas Amy Foster comme le titre pourrait nous le laisser croire mais le naufragé. Les plus belles pages de cette nouvelle sont celles narrant son aventure vue par ses propres yeux d'homme simple n'ayant jamais rien connu d'autre que son propre village, partie qui constitue une bonne moitié du récit. Le reste est également très bon mais un peu frustrant, ayant l'impression que tout le reste a été précipité comme si Conrad nous livrait le début et la fin d'un roman sans nous conter tout ce qui s'est passé entre les deux. Bref, contrairement à Typhon ou Au bout du rouleau, une nouvelle qui m'a semblé beaucoup trop courte pour tout ce qu'il y avait à raconter et à creuser psychologiquement parlant. Néanmoins, une de ses nouvelles les plus réussies, écrites dans un style très simple et très fluide.


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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

L'Aventure : 1903

Que j'aurais voulu faire reporter la faute du monumental ennui ressenti à la lecture de ce roman sur les épaules de Ford Madox avec qui Conrad cosigna son livre ! Cependant, il n'en est rien car Ford Madox n'est l'auteur que du squelette de l'intrigue dont il fit une nouvelle que Conrad réécrit entièrement sous forme de roman : l'histoire d'un jeune anglais qui ne rêve que de devenir un héros de roman et qui va pouvoir exaucer une partie de ses désirs suite à une succession de situations rocambolesques qui vont le conduire dans les Caraïbes où il ne va cesser d'être poursuivi par les uns et les autres, les soldats et les pirates... Bref, si la première partie pouvait nous faire penser au meilleur d'Alexandre Dumas, il a fallu vite faire le deuil de cette superbe entrée en matière romanesque et mouvementée à souhait. Faute à une totale inconsistance de tous les personnages (dont notre héros totalement transparent) et à une stagnation subite de l'action qui s'enlise de plus en plus puis qui ne captive plus par manque de substance. 500 pages au cours desquelles on ne reconnait même plus du tout le style imagé et lyrique de l'auteur qui semble ne pas du tout s'être intéressé à ce qu'il écrivait, ayant même oublié sa faculté à décrire les lieux de l'action. C'est flou, mal construit, parfois incompréhensible, terne et pour tout dire laborieux. Même l'histoire d'amour est totalement ratée. Faire l'impasse sur ce pénible naufrage sous peine de ne plus avoir envie de lire du Conrad. On rame comme le personnage de la couverture de cette édition pour arriver à aller au bout.


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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Nostromo : 1904


Au 19ème siècle dans un pays d'Amérique du Sud inventé par Conrad, l'histoire de la mise en place d'une révolution dans cette région où règne une grande confusion par la succession à la tête de l'état de dictateurs de tous bords. Une mine d'argent, un trésor caché sur une île, des bandits rejoints par un prêtre, des femmes d'une grande probité, des hommes qui pensent pouvoir améliorer le monde, d'autres qui ne souhaitent que le dominer, des intérêts étrangers pour une région qui regorge de richesses, la valse des pouvoirs...

Ce livre assez touffu et irracontable est celui qui a demandé à l'auteur le plus d'efforts ; mais le lecteur est largement récompensé, se trouvant devant rien moins que l'un des plus grands romans de la littérature mondiale, encore plus culotté, riche et harmonieux que le superbe Lord Jim. Au moins 15 personnages traités sur un pied d'égalité, des changements de registres radicaux et impressionnants (alors que durant 400 pages Conrad prépare le lecteur à une pharaonique séquence de bataille, le suspense est brutalement interrompu et le fameux combat est purement et simplement liquidé, se trouvant raconté plusieurs années plus tard par un protagoniste qui y a pris part de loin, faisant visiter la région à un homme de passage, lui narrant rapidement et dans un ordre décousu ce qui s'est déroulé ce jour-là : du pur génie que cette idée !), une richesse thématique qui l'est tout autant (impressionnante), une construction en puzzle avec "flash-back" et "flash forward"... tout ceci maîtrisé à la perfection, le lecteur ne se sentant jamais perdu mais au contraire constamment captivé.

Et puis, alors que ce qui semblait manquer le plus à cette intrigue était une belle histoire d'amour, les deux derniers chapitres viennent magistralement finir de nous contenter par la plus belle que Conrad n'ait jamais écrite. Une œuvre immense à propos de laquelle je ne pourrais dire plus auquel cas contraire il faudrait lui consacrer plusieurs pages. Le mieux pour moi est de vous en conseiller la lecture qui n'est pas aussi difficile qu'on a bien voulu le faire croire. Au contraire, tout a l'air de couler de source malgré cette étonnante construction. Un chef-d’œuvre !



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Re: Joseph Conrad

Message par Johnny Doe »

Le conseillerais-tu, où quels Conrad conseillerais-tu, à quelqu'un pour qui Au cœur des ténèbres avait été un grand moment d'ennui? :oops:
- Errm. Do you want to put another meeting in?
- Any point?
- May as well. Errm. And then when nothing comes in, just phone you up and cancel it.
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Re: Joseph Conrad

Message par Jeremy Fox »

Johnny Doe a écrit :Le conseillerais-tu, où quels Conrad conseillerais-tu, à quelqu'un pour qui Au cœur des ténèbres avait été un grand moment d'ennui? :oops:

Et bien justement : Lord Jim et Nostromo, Au coeur des ténèbres m'ayant quand même pas mal déçu également.
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