rodoliv a écrit :ça à l'air bien, un avis après lecture serait sympa.moonfleet a écrit :
Hello, tout d'abord je connais peu les écrits de Nik Cohn hormis les deux superbes "dream books" dont il a légendé (c'est le cas de le dire) les peintures/collages de Guy Peellaert: Rock Dreams et Rêves du 20e Siècle.
Je n'ai lu que les premières pages d'Anarchie au Royaume-Uni, et c'est déjà passionant, il relate le tour du pays qu'il a effectué au début des années 90, sous les gouvernements Thatcher puis Blair, à la recherche de personnes "mises de côté" par le système, et il y en a beaucoup. Des gens "vivants" comme il le dit, "Downtown Abbey" n'étant qu'une couverture touristique (on s'en doutait).
Ci-dessous un extrait de l'introduction, pour te faire une idée ======>
" L'Angleterre, telle que je l'imaginais alors, était un sanctuaire. Mais ce n'est pas ce pays-là que j'ai trouvé quand je suis allé y vivre, au milieu de mon adolescence. Au lieu de m'accueillir en fanfare, elle m'a tendu une main froide et distante. Ce n'était pas entièrement sa faute, cependant. J'étais indiscipliné et désordonné, tout en arrogance affichée et en souffrances rentrées. Ce que je désirais, par-dessus tout, c'était une réponse. Mais l'Angleterre est restée muette. Pour seule réaction, elle m'avait balayé du regard de la tête aux pieds et elle avait fait la moue.
Cette indifférence me mit en rage. A cette époque, au début des années soixante, l'Angleterre transpirait une assurance écrasante. Certes, la guerre était finie, mais elle répandait ses dernières lueurs. Les gens croyaient encore que sueur et cran anglais, ces vraies valeurs, l'emporteraient sur les artifices étrangers; continuaient à croire, globalement, en leur droit divin. Look Back in Anger et les Jeunes gens en colère n'étaient que des tempêtes isolées. Loin de Soho et de quelques avant-postes de la bohème, régnaient les chocolats chauds, les couvres-théières, les Dixon of Dock Green*, les Gilbert Harding** et les terrains de boules; une nation chaussée de souliers confortables.
Certains mots clefs -- sportivité, pudeur, tolérance, savoir-vivre -- revenaient sans cesse, brandis dès que le sujet de l'anglicité venait sur le tapis. L'art de vivre anglais -- telle était le formule magique. Mais nul ne ressentait le besoin de faire le fanfaron à cette époque. Un de mes premiers employeurs, un agent de voyages à la moustache rousse et au port militaire, qui désirait qu'on l'appelât major, aimait répéter: " Un Anglais ne prétend jamais être le meilleur. Il suffit qu'il le sache."
Ce sentiment de supériorité était étouffant. Quand je sortais dans le monde, jeune romantique parmi les étrangers, je recherchais les rebelles et les inadaptés. Mes mentors se comptaient surtout parmi ceux qui vivaient dans les marges: les rockeurs, les beats, les marchands forains, les catcheurs, les gays et quelques criminels. Tous des raconteurs d'histoires obsessionnels; des faiseurs de mythes, comme moi. Quand j'ai commencé à écrire, à dix-sept ans, mon thème de prédilection était la beauté enfouie.
Et puis il est arrivé quelque chose d'étrange -- les rebelles et les inadaptés sont devenus à la mode. Dick Rowe, l'homme qui refusa se signer les Beatles chez Decca, ouvrit par inadvertance les vannes à une marée de jeunes chiots arrogants de toutes confessions. Du jour au lendemain, les agents se plièrent en quatre pour engager du sang frais. Mieux valait se retrouver avec une bande de bons à rien sans talent sur les bras et des régiments entiers de dégénérés et de monstres de foire que de voir les prochains John Lennon ou Joe Orton vous passer sous le nez. "
* Série TV sentimentale très populaire en Angleterre dans les années cinquante.
** Personnalité de la télévision, célèbre pour sa moustache géante.
Traduction d'Elisabeth Peellaert
©Editions de l'Olivier