Vos dernières lectures

Pour parler de toute l'actualité des livres, de la musique et de l'art en général.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Hitchcock
Electro
Messages : 967
Inscription : 9 déc. 13, 13:34
Localisation : Londres

Re: Vos dernières lectures

Message par Hitchcock »

Image Image

Après un spectacle de Carlotta Adams, la célèbre imitatrice, Hercule Poirot et Hastings vont au restaurant où ils rencontrent Jane Wilkinson, une grande actrice, qui leur demande de la suivre dans sa suite. Elle leur explique qu'elle veut se "débarrasser" de son mari pour épouser le duc de Merton, mais que celui-ci refuse le divorce. Elle va même jusqu'à dire qu'elle serait prête à prendre un taxi pour le tuer. Poirot décide de prendre rendez-vous avec Lord Edgware (le mari de Jane Wilkinson). Celui-ci, étrangement, leur dit qu'il est d'accord pour un divorce et qu'il a même envoyé, il y a 6 mois, un lettre à sa femme où il le lui expliquait. Ils vont annoncer la bonne nouvelle à l'actrice, qui dit ne pas avoir reçu de lettre. Le lendemain, Lord Edgware est retrouvé mort chez lui, poignardé à la nuque.

Commencé jeudi soir et je ne pensais pas le finir en si peu temps, il est encore une fois étonnant de constater à quel point les intrigues de Christie sont addictives, son écriture fluide et extrêmement rapide et facile à lire.
Septième roman mettant en scène Poirot, le cadre n'est ici aucunement exceptionnel : le milieu londonien de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie en plein mois de juin, avec ses réceptions huppés et ses dîners mondains, et surtout ses représentations théâtrales et ses spectacles. C'est ce dernier élément qui est important pour l'auteur, et on sait que les artistes, et particulièrement les acteurs, sont souvent présentés comme dénués de tout sens moral, prêts à tout pour satisfaire leurs intérêts. Le point de départ de l'intrigue se fait donc de manière assez simple, lors d'un spectacle très en vogue à Londres à cette époque. Ces deux premiers chapitres, écrits avec toujours autant de fluidité, présentent de manière efficace les principaux personnages qui vont être mêlés au drame dans les pages suivantes et commencent à distiller les petits indices précieux au lecteur qui se veut se prêter au jeu du détective. Dès lors, et c'est la règle chez Christie, aucun détail n'est inutile, tout est important voir essentiel à la résolution de l'intrigue (ainsi, à la relecture, on s'aperçoit qu'il est possible, pour les esprits les plus perspicaces, de deviner certains aspects du drame rien qu'avec les vingt premières pages). Après l'apparente légèreté des premières scènes, animés par la fascinante Jane Wilkinson (qui n'a, comme on va le comprendre rapidement, qu'une seule préoccupation : elle-même et la façon dont elle va parvenir à ses objectifs - voir le topic des citations à ce sujet) qui sollicite Poirot au sujet d'une simple affaire de... divorce, l'intrigue prend une autre dimension avec l'assassinat de Lord Edgware, un homme cruel, antipathique et cynique détesté de son entourage. Dès sa première visite à Regent Gate, Hastings remarque que le baron a des goûts plutôt spéciaux ; habitant dans un manoir sombre, à l'architecture sobre et sévère avec son majordome d'une beauté comparable à un dieu grec, une bibliothèque peuplée des oeuvres du marquis de Sade, des Mémoires de Casanova ou des tortures médiévales, à la décoration austère et composée d'objets plutôt macabres ; ses deux femmes l'ont quitté, dont une pour aller mourir en exil. De toute évidence, de sa secrétaire à sa fille, Lord Edgware ne sera pas beaucoup pleuré, et Christie semble suggérer que sa mort n'est pas une grande perte pour l'humanité.
Mais un meurtre reste un meurtre, et Poirot se doit d'enquêter dessus, d'autant plus que dans un premier temps tout semble suggérer la culpabilité de Jane Wilkinson qui, comme elle l'avait affirmé elle-même lors des premiers chapitres, serait allé tranquillement poignarder son mari sans aucun souci de discrétion. Or, il va s'avérer que, au moment du meurtre, la dame se trouvait à un dîner mondain face à douze personnes éminentes dont il serait évidemment improbable de mettre en cause les témoignages avisés. De plus, comme Poirot l'a lui-même constaté lors de son rendez-vous avec Lord Edgware, Jane n'avait aucune raison de tuer son mari, puisque celui-ci était d'accord pour lui accorder le divorce suite à un brusque et incompréhensible changement d'avis. C'est lorsqu'on va découvrir le corps inanimé de Carlotta Adams (l'imitatrice américaine du premier chapitre) que l'affaire va prendre un tournant décisif et proposer aux cellules grises du détective belge une redoutable énigme...
C'est dès lors l'occasion pour Agatha Christie de développer une riche galerie de personnages, tous nuancés et échappant aux stéréotypes : Ronald Marsh, l'héritier sans le sou de Lord Edgware et dont la nonchalance insolente rappelle celle de Peter Wimsey ; Miss Carroll, la secrétaire, une femme à l'intelligence remarquable mais parfois enfermée dans ses convictions ; Geraldine Marsh, la fille de Lord Edgware et de sa première femme, profondément malheureuse à cause d'une enfance passée à supporter le caractère tyrannique de son père ; Bryan Martin, un séduisant acteur qui ne digère pas sa rupture avec Jane Wilkinson ; Jenny Driver, la meilleure ami de Carlotta, une des femmes fortes de Christie et probablement le personnage le plus attachant du roman ; le duc de Merton, un homme froid, rigide au pied pour lequel « un grand détective se situe plus bas qu'un cafard » et sa mère la duchesse douairière, prête à tout pour empêcher le mariage de son fils avec Jane Wilkinson.
L'humour est également un facteur important de la réussite du livre, la narration à la première personne par le capitaine Hastings accentuant l'aspect ironique de certains passages. De nombreuses piques sont échangées entre le petit détective et son « faire-valoir », parfois extrêmement vexantes pour ce dernier (et donc pour le lecteur). On retrouve également l'inspecteur Japp de Scotland Yard, le modèle même du détective efficace et plein d'énergie mais peu enclin à la réflexion et donc souvent sceptique face aux « petites théories » de Poirot. Les échanges entre ces personnages ne peuvent que renforcer le plaisir de lecture déjà important.
Tout en décrivant ces personnages charismatiques et en développant une intrigue véritablement passionnante, Christie n'en oublie pas de disséminer les indices à l'intention du lecteur, que l'on peut trouver au détour d'une phrase lancée au hasard, d'une remarque apparemment innocente ou même d'une petite déchirure sur une feuille de papier apparemment due à la négligence. A la relecture, on s'aperçoit qu'il est parfaitement possible de trouver le coupable en même temps, voir avant que Poirot, mais seulement pour les esprits les plus perspicaces, car il s'agit d'une des intrigues les plus ingénieuses et piégeuses de Christie. Poirot lui-même aurait peut-être laissé la solution lui échapper, s'il n'avait pas entendue une remarque par hasard dans la rue (la série ITV a eu l'idée de remplacer celle-ci par une remarque d'Hastings, ce qui est encore plus ironique). Le dénouement est parfaitement crédible et surprenant, d'autant qu'il échappe aux clichés habituels du roman policier, et le déroulement de l'intrigue est fluide, passionnant et rarement encombré par d'ennuyeuses fausses pistes, faisant preuve d'un admirable fair-play avec le lecteur. Quant à Jane Wilkinson, elle reste l'un des personnages féminins les plus fascinants jamais mis en scène par l'auteur, ce qui classe facilement ce Couteau sur la nuque dans les vingt ou vingt-cinq meilleurs romans de l'écrivain, pour ma part.
Avatar de l’utilisateur
poet77
Assistant opérateur
Messages : 2641
Inscription : 12 août 11, 13:31
Contact :

Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

Image

C'est un roman, mais qui se fonde essentiellement sur des faits bien réels, sur une affaire qui défraya la chronique dans la Hongrie de 1882 comme l'affaire Dreyfus le fit un peu plus tard en France. Eszter Solymosi est une petite servante de 14 ans qui, alors qu'elle avait été envoyée par sa patronne faire une course, disparaît mystérieusement. Sur les accusations inconsidérées d'un gamin et parce que, ce même jour, se tient à la synagogue de Tiszaeszlar , le bourg où vivait la servante, une réunion ayant pour but de désigner un abatteur rituel, on en vient très vite à accuser les juifs d'avoir perpétré un crime. C'est le déclenchement d'une vague d'antisémitisme absurde et irraisonné dans tout le pays, d'autant plus qu'on finit par trouver un corps féminin flottant dans le fleuve local. "Ce sont les Juifs qui, après l'avoir tuée selon leurs rites, y ont jeté son corps!", affirme-t-on. Treize accusés finiront par comparaître dans un procès, et il faudra le courage et la clairvoyance de quelques-uns pour s'opposer à la haine du Juif et pour confondre les ignorants. Un grand roman qui suscite encore aujourd'hui, paraît-il, des polémiques en Hongrie!
Avatar de l’utilisateur
poet77
Assistant opérateur
Messages : 2641
Inscription : 12 août 11, 13:31
Contact :

Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

Image

C'est en se basant sur une annonce parue dans un journal daté du 31 décembre 1941 que Patrick Modiano a construit ce court récit. Une annonce comme il devait en paraître tant à cette époque dans le Paris de l'occupation. Des parents qui recherchent leur fille disparue, Dora Bruder. Modiano se met en quête, lui aussi, si longtemps après les événements. Qu'est-il advenu de cette adolescente de 15 ans, de famille juive, dans un temps et dans un lieu où le seul fait d'être juif était un motif de condamnation? Le peu que Modiano découvre suffit à construire ce livre - et ce livre, même s'il ne s'appuie que sur peu de faits avérés, est un document poignant.
Beck
Mytho Boy sans spoiler
Messages : 5016
Inscription : 23 févr. 07, 11:54
Localisation : alif-lam-mim

Re: Vos dernières lectures

Message par Beck »

ImageImage

Je les ai dévoré. Je pense les relire assez régulièrement car il me semble important pour moi d'y revenenir. La réflexion/l'étude liée aux épisodes de vie du prophète Muhammad me semble infiniment riche. Là je les ai lu sans trop d'effort de réflexion, pour ce qui est de comprendre certaines paraboles et autres métaphores. Je me suis surtout plongé dans l'histoire qui m'a été raconté. J'ai été touché par la sagesse débordante de certaines paroles, parfois choqué par la violence de certaines autres. Il est vrai que les moments de passages à l'acte "sanguinaires" ne manquent pas. C'est d'ailleurs plus après lecture de ces derniers que je me suis posé quelques instants pour digérer et tenter de mettre du sens.
C'est bien un des particularités de ce prophète, il semble qu'il est été aussi "clément" que "miséricordieux", sévère et aimant.
Pour parler un peu plus des livres, les auteurs Bahgat Elnadi et Adel Rifaat (les deux hommes écrivent sous le même pseudo -- Mahmoud Hussein) ont, pour résumer, fait un travail de recherches important, remontant les chaînes des transmissions écrites et orales concernant les épisodes de la vie du prophète Muhammad, de ses paroles et de ses actes jusqu'à parvenir à celles qui paraissent les plus authentiques. C'est donc au travers du regard de ses compagnons mais aussi de celui de ses opposants que nous ai raconté sa vie.
Le récit commence donc par une présention des coutumes/moeurs et du contexte socio-politique (emplacements des carrefours commerciaux importants, alliance de tel pays avec un autre, guerres tribales, etc) qu'était celui de l'orient avant l'arrivée de l'islam.
Viennent ensuite certains haddith (paroles du prophète) concernant la création du monde et des Hommes etc (la genèse quoi). Enfin, arrive la vie du prophète: enfance, jeunesse, arrivée des premières révélations par l'intermédiaire de l'ange Gabriel, puis celles des versets de façon progressive en lien avec les évènements que vivaient le prophète et la communauté des "premiers" musulmans (opposition de Quraish face à Muhammad et son Message, exil de celui-ci et installation à Médine, batailles/conquêtes des musulmans face aux idolâtres, etc). On apprend des choses sur le prophète bien sûr, mais également sur ses compagnons et beaucoup de personnages ayant joué un rôle dans cette histoire.

Les deux tomes coûtent à eux deux 22 euros et 40 centimes aux éditions pluriel.
Image
Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1590
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Vos dernières lectures

Message par Mama Grande! »

poet77 a écrit :Image

Fabuleuse immersion dans le monde étrange, onirique et fascinant imaginé par le japonais Haruki Murakami. Ici, un personnage nommé Toru Okada dont la femme disparaît mystérieusement et qui, la recherchant, rencontre plein de personnages plus étonnants les uns que les autres. Et si tout cet univers était guidé par un oiseau à ressort?...
L'apogée de Murakami en ce qui me concerne, le livre où il atteint le meilleur équilibre entre onirisme et critique sociale, où son univers se révèle de la manière la plus riche.
Avatar de l’utilisateur
poet77
Assistant opérateur
Messages : 2641
Inscription : 12 août 11, 13:31
Contact :

Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

Image

Pour ceux qui aiment Paris, pour tous ceux qui voudraient la découvrir sous l'angle de l'érudition, mais aussi du simple plaisir de s'y promener en comprenant un peu mieux ce qu'on a sous les yeux, voici un livre indispensable. Au fil des pages, on apprend une multitude de choses sur les différents quartiers de Paris; l'auteur a dû y déambuler des centaines de fois et il en parle avec passion. En se référant à toutes sortes de faits historiques, il nous fait comprendre comment Paris s'est fabriqué, constitué, inventé au cours du temps. Le livre terminé, on n'a qu'une envie: arpenter à son tour les rues de Paris, flâner et flâner encore sur les deux rives de la Seine!
Avatar de l’utilisateur
poet77
Assistant opérateur
Messages : 2641
Inscription : 12 août 11, 13:31
Contact :

Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

Image

Très court récit ayant pour sous-titre "Un conte gothique". Gothique et horrifique à souhait en effet! Josie, une fillette de 11 ans, est emmenée par sa mère chez une grand-tante. Là réside également Jared, un cousin, qui révèlera, au fil des pages, sa nature sombre de prédateur! Un cauchemar écrit de main de maître!
Avatar de l’utilisateur
poet77
Assistant opérateur
Messages : 2641
Inscription : 12 août 11, 13:31
Contact :

Re: Vos dernières lectures

Message par poet77 »

Image

Dans "Dora Bruder" de Patrick Modiano, que j'ai lu récemment, une ou deux pages sont consacrées à ce poète méconnu, proche d'Antonin Artaud, mort du tétanos en 1943 à l'âge de 36 ans. Ma curiosité ayant ainsi été attisée, j'ai donc lu cet ouvrage mais, je dois l'admettre, j'ai été fort déçu. Les poèmes de Gilbert-Lecomte, très hermétiques, souvent construits sur des jeux de mots, m'ont laissé complètement de marbre. Je n'aime pas du tout cette poésie qui me semble résonner dans le vide (le mot est dans le titre!). Seuls les textes en prose de la fin de l'ouvrage ont suscité un peu mon intérêt.
jonathan271190
Stagiaire
Messages : 58
Inscription : 27 janv. 15, 15:04

Re: Vos dernières lectures

Message par jonathan271190 »

Histoires de détective vol.1 de Dashiell Hammett


Image

C'est un recueil de nouvelles,écrites dans les années 20, dans lequel on suit la plupart du temps un détective sans nom, le fameux Continental Op de San Fransisco. Les intrigues sans assez variées: on a des règlements de comptes entre gangsters, des crimes crapuleux, du chantage, des escroqueries. A chaque fois, on rentre rapidement dans le vif du sujet, les dialogues sont percutants, la chute est souvent inattendue. Hammett manie aussi très bien l'humour, souvent par le biais de son héros , un héros sans illusion mais pas cynique comme peut l'être Sam Spade, l'autre détective récurrent de Hammett. On s'attache d'ailleurs facilement à lui même si on ne connaîtra rien de sa vie privée, c'est peut-être dû à la narration à la première personne qui nous permet de connaître ses réflexions sur son métier, sur les vices humaines.
Les longues filatures à travers San Fransisco à pied ou en tramway nous permettent parfois d'entrevoir le côté cosmopolite de la ville avec des immigrés philippins ou italiens, certaines histoires ont pour cadre des évènements importants de l'Histoire américaine comme le séisme de 1906, la Prohibition, les chercheurs d'or, la construction de ville nouvelle. Ces nouvelles sont surtout le témoignage des techniques d'investigation d'une époque,la description réaliste du métier de privé( ancien métier de Hammett). Hâte de lire volume 2!
Tom Peeping
Assistant opérateur
Messages : 2365
Inscription : 10 mai 03, 10:20

Re: Vos dernières lectures

Message par Tom Peeping »

Image
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

Pour continuer sur le cinéma de genre, visitez mon blog : http://sniffandpuff.blogspot.com/
Sudena
Stagiaire
Messages : 67
Inscription : 7 mars 15, 04:04

Re: Vos dernières lectures

Message par Sudena »

Image

Enfin! enfin un livre qui permet de voir l'ensemble des discours, essais, ordres divers de l'Archange de la Révolution. Occasion pour ceux que ce personnage passionne (et ils sont nombreux, que ce soit positivement ou négativement) de découvrir ce qu'il a vraiment fait, dit, ordonné...

Car Saint-Just pose depuis toujours un problème, problème qu'avec lui partagent Robespierre voire Couthon: c'est un pur... Il dit ce qu'il pense, il fait ce qu'il dit. Or un tel personnage est dangereux, déroute les historiens, fascine le citoyen, excède la classe dirigeante. Saint-Just fait peur. Saint-Just fascine. Saint-Just dérange... Et nombreux ont été les articles, essais ou paroles d'historiens tendant à "rationaliser" ce personnage, à trouver une forme de "consensus"...ou purement et simplement prouver par A+B qu'il était un monstre sanguinaire. Nombreux furent aussi ses défenseurs mais ils se firent d plus en plus rares avec le temps: l'Histoire, écrite par soit les vainqueurs, soit par des scientifiques voulant se tenir loin des passions, ne supporte que peu ce genre de personnage trop "flamboyant", trop romantique, trop idéaliste...et force est de reconnaître qu'il n'y a pas eu de vainqueurs pour défendre la mémoire de la Terreur: Saint-Just et Robespierre ont succombé à thermidor et leurs vainqueurs écrivirent avec cynisme la légende noire qui tient encore aujourd'hui... Leur premier défenseur fut Napoléon, mais il fut vaincu et son aura trop légendaire cache son jugement sur l'Histoire; la Commune se revendiqua robespierriste, mais elle fut écrasée par les royalistes versaillais; Jaurès, enfin, fut assassiné. Et depuis les gauches dites modérées ont lâché l'image par calcul politique, préférant les figures plus rassurantes et "humaines" de Danton et Desmoulins, en oubliant soigneusement leurs propres crimes et le fait qu'ils étaient l'un comme l'autre des fripouilles finies... Mais cela se comprend aussi par un autre fait, fait que ce recueil nous laisse (c'est une première) libre de prendre pour nous: comment parler de Sant-Just sans passion?.. Un tel personnage peut-il être autre-chose qu'adoré ou haï, même (surtout) par des personnes intelligentes? Et si ceux qui avaient le mieux compris, cerné, le révolutionnaire étaient les artistes?.. Les portraits modernes de Saint-Just le font souvent bigrement ressembler à Jim Morrison, et Hugo a créé totalement à son image le personnage d'Enjolras dans Les Misérables...
Dans ce livre il ne m'a manqué qu'une chose: la relation du ton ou de l'ambiance de la Convention dans ses discours, ainsi que ses interventions verbales en réaction aux autres discours (en particulier pendant la lutte sans merci entre la Montagne et la Gironde), mais les idéaux sont bien présents, la grandeur des phrases est souvent divine, et en fouillant quelques on voit des anecdotes fort comiques durant les missions dans les armées... On peut avoir son opinion sur Saint-Just, mais en lisant ce livre elles seront fondées, car avec lui pas question de dire qu'il ne disait pas ce qu'il pensait. Le discours du 9 thermidor, qu'il n'a jamais pu prononcer, en sciera plus d'un, et que dire d'Organt, poème écrit en 1789, de ses discours sur le procès de Capet et de certaines phrases comme celle-ci: "Chez les peuples vraiment libres les femmes sont libres et adorées"?..
Anorya
Laughing Ring
Messages : 11846
Inscription : 24 juin 06, 02:21
Localisation : LV426

Re: Vos dernières lectures

Message par Anorya »

MONK - Laurent De Wilde

Image

4ème de couverture : Parmi les génies que compte la musique négro-américaine, Thelonious Sphere Monk est certainement le plus étrange, le plus singulier. Il se dresse dans le paysage du jazz comme un mégalithe énigmatique. L'homme et la musique sont ici clos sur eux-mêmes. Il faut, pour pénétrer cet univers si particulier, avoir la sensibilité de l'artiste et la rigueur de l'analyste. C'est ce qu'a réussi Laurent de Wilde.Seul un musicien doublé d'un écrivain pouvait, de la façon la plus vivante, nous décrire un univers de psychopathe protégé, tout autant qu'analyser tel thème, tel solo, telle conclusion paradoxale. En connaisseur du terrain, il nous fait visiter les lieux, dévoile des passages secrets et nous remet la clef, une fois qu'on est entré.



Dans mes nouvelles découvertes musicales de l'an passé, Thelonious Monk fut au même titre que Grant Green, un sacré choc. Il ne faut pas se le cacher mais bon, déjà, il faut aimer un peu le jazz pour pénétrer en ces lieux (ce livre) et surtout aimer le piano. La manière dont Monk joue le piano est assez spéciale la première fois puisqu'on réalise d'emblée la dissonance, les notes décalées, les silences qui déparent pas mal aux côtés d'autres musiciens. Dire que Monk a été un continent à lui tout seul n'est donc pas ici un cliché vu qu'on est en face de quelque chose de nouveau qui, paradoxalement a des airs de déjà vus et pour cause. Déjà, le pianiste va livrer une tripotée de standards qui seront rejoués par nombres de musiciens tous aussi talentueux et prolixes. Citons Straight, no chaser; Round midnight, voire Ruby my dear. Et puis surtout le pianiste va constamment livrer des variations de ses titres. Jamais un morceau ne sonnera pareil d'un album à l'autre. Par exemple le Sweet and lovely du Mulligan meets Monk (1957), l'album de la rencontre entre Thelonious Monk et Gerry Mulligan au saxophone ne ressemble que par ses tons à celui de Monk's dream (1963) chez Columbia. Les notes sont différentes et quand on apprend dans le livre de De Wilde que le pianiste pouvait enclencher des notes en les jouant du coude (ouais, du coude, carrément !), on comprend bien toute l'originalité et le prix de la musique de Monk.


Du coup, à qui s'adresse ce livre ?
J'aurais envie de dire, en premier lieu, aux fans de Monk qui aimeraient en savoir plus sur leur idole et ils seront plus que servis. Car De Wilde sait de quoi il parle (les anecdotes sont légion) et a l'avantage d'expliciter considérablement pour son lecteur de nombreux termes de musique et plus particulièrement de jazz, ce qui m'amène à dire en second lieu que le livre est aussi parfait pour le profane (et je peux aussi m'en réclamer). D'autant plus qu'il donne vraiment envie d'écouter la musique de Monk, titres et albums cités directement. Une coffret peu onéreux de ce genre (ou bien celui-ci) pour accompagner la lecture ne sera pas de trop. Enfin, le romancier-pianiste a le bon goût de ne pas oblitérer la folie, les "fausses notes" et la fin (tragique on peut le dire... Comme beaucoup de musiciens de jazz je m'en aperçois. On fait pas de vieux os dans ce milieu, pas plus que dans le rock) de Monk, les gardant en toute logique pour la fin. Conclusion parfaite et inévitable en somme d'un vrai livre de passionné qui se savoure du début à la fin.


Je ne résiste pas à vous placer un extrait totalement pris au hasard (j'insiste sur ce point) qui, je l'espère, saura vous allécher suffisamment :



" (...) Pourtant le concept est simple. En 1996, le morceau ne poserait pas trop de problèmes, on a vu plus tordu. Seulement voilà : on est en 1956 (le 15 octobre pour être précis, des jours comme ceux-là, ça se remarque). Monk, confie Keepnews, quitta la séance excédé de ne pas trouver des musiciens qui pouvaient jouer un morceau aussi évident. Aujourd'hui, quarante ans plus tard, on le comprend. Mais c'est dire l'avance qu'il avait sur son temps : véritable pionnière en la matière, cette composition ne trouvera d'équivalent conceptuel que bien plus tard, chez des Charlie Mingus ou des Ornette Coleman. Et encore. Car il s'agit d'un prédicat élémentaire dont l'exécution est tout simplement irrecevable. C'est pas de la musique, c'est de l'obstination. C'est ça qui est génial. On entend presque une voix off qui dirait : abandonne, Thelonious, ça ne va jamais marcher ! Mais Monk va jusqu'au bout de son idée, et le résultat est étonnant.

Car il faut être complètement cinglé pour écrire un morceau comme ça. Il ne faut douter de rien. Rollins (*) à la rame, dans un océan de tempos changeants, avec comme cadre à son improvisation des harmonies pas du tout contigües, ou bien trop lentes ou bien trop rapides. Ernie Henry, terrorisé à l'idée de louper un rendez-vous, qui se contente de regarder passer les trains, l'oeil rivé sur sa montre. Max Roach qui n'arrive pas à se faire à l'idée d'un pont de sept mesures, et qui en rajoute une dans son solo, avec l'air de savoir ce qu'il fait. Et pourtant tous les trois, comme Monk, sont de vrais New-Yorkais... on est en famille, ça devrait être plus simple pour faire de la musique. Reste Oscar Pettiford en éclaireur, le sang-mêlé indien de l'Oklahoma, qui agite les bras pour tenter de regrouper la colo. Et Monk, imperturbable, fend la bise avec sa sûreté habituelle, et donne un petit coup de volant quand la machine est sur le point de verser... L'équipée fantastique ! On s'étonne qu'il n'y en ait pas un qui soit resté sur le carreau de l'aventure... un seul faux mouvement, et c'est l'accident... Jamais on ne comprendra mieux qu'à la lumière de ce morceau ce que Trane (**) disait de la musique de Monk : si on rate un accord, c'est comme si on tombait dans une cage d'ascenseur vide... Et les musiciens de la séance qui s'efforcent, tout en crissant des pneus, de ne pas quitter la route ! Ça sent la gomme brûlée dans le studio... Le pauvre Orrin Keepnews, dans sa cabine, il devait s'arracher les cheveux ! Jusqu'à présent tout allait si bien ! Erreur système ! Calamitas ! Ai-je vraiment bien fait de signer ce type ? Pourquoi suis-je encore vivant ? Dans son livret d'introduction à la compilation Riverside, il commence ainsi, très british, son évocation de la séance : "A bien des égards, ceci fut le vrai début de mon travail avec Monk." Ha ha ! Le travail ! Comme dit Hegel, le travail, la patience et la douleur du négatif ! Avec en plus Monk et Pettiford qui s'engueulent (à l'issue de cette session, ils ne joueront plus jamais ensemble), quel bordel ! Thelonious qui le premier soir repère un célesta dans un coin du studio, et qui exige de jouer Pannonica dessus ! Max Roach qui quelques jours plus tard découvre à son tour des timbales, et les matraque furieusement tout au long de Bemsha Swing ! Qu'est-ce que c'est que cette maison de fous ? Vous appelez ça un disque de jazz ? (...)
"

(p. 166 à 169)



Suivant les sensibilités, on pourra trouver le style de De Wilde trop exubérant ou dans le ton juste, lyrique et chaleureux de celui qui semble commenter chaque session d'entregistrement comme on commenterait un match de boxe, les anecdotes racontées comme si l'on avait son pote plus vu depuis un moment en face de lui dans un bar fort gouailleur, l'humour pince-sans-rire qui varierait souvent dans l'ironie tendre.


On pourra aussi apprécier finalement une biographie agencée comme une bonne fiction, ce qu'elle est en quelque sorte, la vie de Monk et ses coins secrets (ses brillants coins secrets) étant tellement riche à tout, même ce qu'on ne sait pas et qui est sujet à extrapolations et recherches diverses (la jeunesse de Monk par exemple) auprès de la famille... quand elle veut bien parler un peu plutôt que de respecter le souhait tacite de ne rien dire. Déjà que Monk n'était pas des plus loquaces de son vivant, on imagine sans mal ses proches qui avaient un immense respect pour lui, avec ses bons comme ses mauvais côtés. De par sa facilité d'approche et l'amour qu'il porte à la musique du pianiste mais aussi du jazz tout bonnement, je ne vous étonnerais pas en disant que ce livre est directement entré dans mes petits indispensables.





(*) Sonny Rollins.
(**) John Coltrane.
Image
bronski
Touchez pas au grisbi
Messages : 17373
Inscription : 23 févr. 05, 19:05
Localisation : location

Re: Vos dernières lectures

Message par bronski »

Image

Maigret et le clochard

Un bon Maigret.

J'enchaîne avec Maigret à New York, un des derniers Maigret (il est à la retraite), qui me paraît plus intéressant et plus touffu. Miam.
bronski
Touchez pas au grisbi
Messages : 17373
Inscription : 23 févr. 05, 19:05
Localisation : location

Re: Vos dernières lectures

Message par bronski »

Image

Maigret à New York (Simenon)

Moui. Ça commence et ça finit très bien, mais il y a un ventre mou au milieu du roman où l'on ne comprend rien à rien. Pas trop aimé, donc.

Image

La Dame aux œillets (Cronin)

Mon premier roman "à l'eau de rose". Ça se lit vite et c'est agréable, mais ça s'oublie vite aussi.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18488
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Vos dernières lectures

Message par Profondo Rosso »

Suite française de Irène Nemirovski

Image

Un instantané fulgurant et juste de la France de la défaite et de l'Occupation par une Irène Nemirovski qui vivait alors elle même une situation personelle dramatique - elle mourra en déportation et l'ouvrage retrouvé par hasard ne paraitra qu'en 2004 à titre posthume. D’abord le chaos de l’exode alors que les allemands approchent, où l’on capture une France divisée par les conflits de classe avec le portrait de petite gens courageux, d’une bourgeoisie tenace et accrochée à ses privilèges, d’une jeunesse corrompue. L’humour le plus mordant se dispute à la tragédie, l’ironie la plus acerbe alterne avec l’émotion la plus sincère. La seconde partie confrontait cette France divisée et brisée à l’envahisseur avec la cohabitation entre allemands et français dans un petit village. Là aussi la description est fort subtile, les allemands n’étant jamais dépeint comme des tyrans (tous n’étant pas des nazis sanguinaires mais de simple soldats contraint de suivre les ordres) mais comme un peuple pétri de contradictions au même titre que les français. La coexistence semble presque possible à travers quelques visions fraternelles que le contexte de guerre vient balayer, tout comme l’histoire d’amour entre un officier allemand et une jeune française. Romanesque, cinglant et toujours juste c'est captivant de bout en bout. On en dira pas autant de la ridicule adaptation ciné récente, le Bon Voyage de Jean-Paul Rappeneau se rapproche bien plus de l'atmosphère du livre par exemple.

Pimp de Iceberg Slim

Image

Sûrement une des oeuvre qui façonne la mythologie du mac qui perdure jusqu'à aujourd'hui à travers le gangsta rap. C'est donc l'autobiographie plus ou moins romancée de Iceberg Slim qui fut un des plus grands proxénètes de Chicago des années 40. Un style fulgurant, truffé de bons mots et de langage imagé de la rue où Slim nous narre son parcours. Trop ambitieux pour mener une existence modeste, pas assez téméraire pour embrasser un vrai destin de gangster, il ne lui reste donc qu'à endosser une existence de mac. Tout en dressant le contexte de l'Amérique d'alors et la vie dans le ghetto qui l'à amené à ce chemin, Slim ne se cherche pas d'excuse non plus et nous dépeint les arcanes du "métier" dans le détail : art de la séduction pour convaincre n'importe quelle fille d'aller sur le trottoir pour soi, froideur impitoyable et violence pour mater les plus impudentes (on découvre un usage tout particulier du cintre comme instrument de châtiment dans un passage bien douloureux) et bling bling de tout les instants. C'est cru, choquant et souvent très drôle aussi (la rencontre avec une belle jeune femme blanche qui s'avère être... autre chose :lol: ) tout juste regrettera la rédemption finale un peu expédiée même si réelle puisque Slim est réellement devenu écrivain par la suite et a abandonné ce milieu. Bonne découverte je vais enchaîner avec son Trick Baby qui a l'air très sympa aussi.
Répondre