Musique et Cinéma Muet

Rubrique consacrée aux contributions et aux discussions relatives aux Quinzaines Thématiques.

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Ann Harding
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Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Musique et Cinéma Muet
Suite aux différentes discussions qui ont eu lieu sur le forum dans différents topics, je pense qu’un article sur le sujet pourrait intéresser certaines personnes.

Il y a encore quelques années, j’aurais bien été incapable de dire quoi que ce soit sur le sujet. Bien que mélomane, je ne connaissais pratiquement rien de l’accompagnement musical des films muets alors que je collectionnais les disques des ‘scores’ de Miklos Rozsa ou Erich Wolfgang Korngold. Mais, maintenant, je me rends compte à quel point la musique est importante pour un film muet. J’ai vu des films sans accompagnement (cela ne pose pas de problèmes), avec des accompagnements modernes, traditionnels, des partitions originales ou de nouvelles compositions. J’en ai tiré la conclusion que les très bonnes musiques sont rares. Mais, quand on en trouve une, alors soudain le plaisir que l’on éprouve en voyant un film s’en trouve décuplé.

Dans les premières années, un film muet n’avait de partition originale sauf pour des films prestigieux comme La Naissance d’une Nation (musique de Joseph Breil) ou pour Le Lys Brisé (Louis-Ferdinand Gottschalk), tous deux de Griffith. Mais, ces deux partitions, en particulier celle de Breil n’est en fait qu’une compilation de musique classique (La chevauchée des Walkyries de Die Walküre de R. Wagner) et traditionnelle (chansons populaires). La partition n’a pas vraiment de cohésion interne. De même, celle de The Hunchback of Notre-Dame (1923) de Donald Hunsberger, qui a été diffusée sur Arte l’année dernière. On a la désagréable impression d’écouter une compilation décousue, bien qu’elle ait été enregistrée par un musicien aussi prestigieux que Robert Israel.
Les autres films étaient accompagnés par des pianistes, des organistes ou des petits ensemble de chambre dans les cinémas en suivant ‘un conducteur’ [cue sheet] qui donnait la liste des chansons ou autres mélodies populaires à jouer sur le film.

Alors que faire ? Il y a deux écoles. Celle de Gillian Anderson (rien à voir avec la Scully des X-Files ! :mrgreen: ) qui travaille au MoMA et restaure les partitions originales avec leurs défauts. Je me souviens d’avoir assisté à une projection de Way Down East (A travers l’orage) en 1990 avec une telle partition. Elle utilisait beaucoup la musique traditionnelle américaine et c’était la partie la plus réussie du film. Mais pour le sauvetage final, nous avons entendu l’inévitable final de l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini. C’est maintenant un poncif alors qu’à l’époque cela devait avoir un effet formidable sur le public de 1921.
L’autre école, celle de Carl Davis, est de s’inspirer de la partition originale en la modifiant profondemment pour lui donner un style qui l’unifie. Il a travaillé ainsi sur Le Lys Brisé. Il a remodelé complètement les thèmes de Gottschalk qui sont souvent sirupeux. Le résultat est étonnant. J’ai vu pour la première fois Le Lys Brisé vers 1985 lors du Ciné-Club de C.-J. Philipe sur Antenne 2. A l’époque, je n’avais pas fait attention à la musique, mais le film m’avait totalement bouleversé. Je l’ai revu bien des années après dans différentes versions dont une avec la musique originale de Gottschalk. Bizarre… je ne retrouvais pas le film qui m’avait tant ému. Puis, par chance, j’ai réussi à trouver la version avec la musique de Davis. Et là, j’ai compris. C’était cette version-là que j’avais vue. (elle n’est malheureusement disponible qu’en laser disc) La même expérience n’est arrivé également pour The Thief of Bagdad (Le voleur de Bagdad) également découvert lors d’un Ciné-Club. La partition de Davis inspirée de Rimsky-Korsakov (Shéhérazade et Sadko en particulier) donne au film des ailes. (J'ai rencontré néanmoins un archiviste distingué qui m'a dit avoir détesté la partition de Davis sur ce film! :o )

Plus tard, des musiciens classiques furent embauchés pour composer des partitions originales. Mais, nous sommes là vers la fin des années 20. Chez les russes, il y a bien sûr les musiques formidables de Chostakovitch, Prokofiev et Edmund Meisel. En France, je pense à des exemples fort intéressants. René Clair avec son Entr'acte détonnant et surréaliste demande une partition à Erik Satie (quelle idée de génie !). Abel Gance travaille avec Honegger sur La Roue et Napoléon. Et Raymond Bernard utilise les services d’Henri Rabaud pour ses deux grands films historiques épiques : Le Miracle des Loups et Le Joueur d’Echecs.

En Amérique, les films muets commencent à être sonorisés dans les dernières années du muet. Si vous avez acheté le DVD de Seventh Heaven (L’heure suprême) de Borzage, vous avez entendu le ‘Movietone score’ original. Il contient en général une chanson qui était vendue sous forme de ‘sheet music’. Je ne suis que rarement convaincue par ces musiques qui restent toujours des compilations et sont souvent très sirupeuses. Un bon exemple est Evangeline d’Edwin Carewe avec la belle Dolores del Rio. Ces bandes-sons comportent parfois également des bruitages qui ne sont pas vraiment nécessaires. Hollywood en général ne faisait pas appel à de grands musiciens comme en Europe. (Cela ne viendra que plus tard, au milieu des années 30.)

Donc, de nos jours, on cherche rarement à reprendre une musique originale sauf si elle est exceptionnellement bonne comme celle du Joueur d’Echecs ou d’Entr’acte ou du Cuirassé Potemkine. Les musiciens de film peuvent laisser libre cour à leur imagination et créer une nouvelle partition. Je voudrais juste évoquer quelques partitions que j’ai trouvé particulièrement remarquables dans les DVD publiés ces dernières années. (la suite bientôt!)

Quelques DVD et CD:

Le Cuirassé Potemkine (musique Edmund Meisel) sur DVD Z1 Kino International.
Le Joueur d’Echecs (musique Henri Rabaud) sur DVD Z1 Milestone Films/Image Entertainment.
Napoléon (fragments de la musique d’Arthur Honegger) sur CD Melodiya (A. Honegger/Orch. Symph. D’URSS/G. Rozhdestvensky/ MCD212).
El Dorado de Marcel L'Herbier (musique de François-Marie Gaillard) DVD Z2 Gaumont.

The Hunchback of Notre-Dame (musique Donald Hunsberger) sur DVD Z1 Image Entertainment (the Ultimate Edition).
The Birth of a Nation (musique Joseph Breil) sur DVD Z1 Kino International.
Sunrise (bande-son originale ‘Movietone’ de Hugo Riesenfeld) sur DVD Z1 Fox.

Diffusés sur Arte récemment :

Markens Grøde (L’éveil de la glèbe, 1921) de G. Sommerfeldt. Musique originale de Leif Halvorsen.
Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la rose 1925) de R. Wiene. Musique originale de Richard Strauss.
Entr'acte (1924) de René Clair. Musique originale d'Erik Satie.
Rapsodia Satanica (1916) de Nino Oxilia. Musique originale de Pietro Mascagni.

Autres films avec leurs partitions originales:

La Nouvelle Babylone (L.Trauberg & G. Kozintsev, 1929) musique de Dimitri Chostakovitch
L'assassinat du Duc de Guise (1908) Camille Saint-Saëns
Ballet mécanique (F. Léger, 1924) George Antheil
Seule (L.Trauberg & G. Kozintsev, 1931) Dimitri Chostakovitch
Le Petit Chaperon Rouge (A. Cavalcanti, 1929) Maurice Jaubert
Montagnes d'or (Youtkevitch, 1931) Dimitri Chostakovitch
Carmen (J. Feyder, 1926) Ernesto Halffter Escriche
Dernière modification par Ann Harding le 18 déc. 09, 09:43, modifié 5 fois.
Strum
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Strum »

Merci Ann, très bonne idée que ce fuseau. :D

La musique a pour moi beaucoup d'importance dans les films muets, où elle agit comme une caisse de résonance amplifiant les émotions du film. Si j'ai beaucoup aimé Les Nibelungen de Lang, c'est notamment grâce à la musique de Gottfried Huppertz. D'ailleurs, un film muet accompagné de musique n'est pas pour moi véritablement "muet" au sens où la musique est comme une voix du film (je ne pourrais d'ailleurs pas regarder un film exclusivement "silencieux", c'est-à-dire sans aucun accompagnement musical). Si la scène d'Alexandre Nevski où les chevaliers teutoniques jettent au feu les bébés a sur moi un impact extraordinaire c'est grâce à la musique funèbre de Prokofiev. D'ailleurs, pour élargir la discussion, les scènes muettes de films parlant (le début de Rio Bravo par exemple) sont elles aussi scandées par la musique. Et c'est bien normal car le cinéma est affaire de rythme comme la musique. Le cinéma silencieux n'existe pas.
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Ann Harding
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Oh oui! Strum, tu as bien raison, la musique fait le film. Mais, cela m'arrive de voir des muets sans musique (à la cinémathèque par exemple) sans trop de problème. Mais, je dois avouer que bien accompagné le film gagne au moins 100% d'émotions supplémentaires. :)

Je continue avec une présentation d'un sérial de Feuillade dans une édition DVD absolument remarquable:
Image
Cette édition Flicker Alley (Z1) présente le film avec une nouvelle partition orchestrale de Robert Israel. Ce formidable compositeur de musique de film a réussi le tour de force de composer une partition remarquable de couleurs, de rythme, de suspense et d'humour sur les 5h15 de ce sérial.
Il a trouvé son inspiration dans une oeuvre d'un compositeur français Charles-Valentin Alkan (1813-1888) qui a écrit un Concerto pour piano seul. Il a orchestré ce morceau pour piano seul en utilisant le thème principal pour définir le personnage de Judex. Dans une petite 'featurette' de 15 min, il explique en détail son travail sur le film. Comment il a sélectionné les thèmes pour chaque personnage, comment il a évité d'être trop répétitif le long des 12 épisodes. le résultat est entrainant, plein de suspense et une fois que vous vous lancez dans ce sérial vous ne pouvez plus le lacher. Le film m'a donné envie de découvrir la musique d'Alkan, un compositeur oublié.
Deux extraits video sont disponibles sur site Flicker Alley:
http://www.flickeralley.com/fa_screening_room.html

Image
Autre partition monumentale de Robert Israel pour l'édition de La Roue de Gance. Il a composé 260 min de musique et a réussi à capturer l'atmosphère du film de Gance aussi bien dans la première partie sur les trains que dans la deuxième sur le Mont-Blanc. C'est certainement une des meilleures partitions que j'ai jamais entendue sur un film. Sur le site de Flicker alley, il parle de son travail sur le film:
http://www.flickeralley.com/fat_laroue_01.html (cliquez à droite sur Composing for La Roue).
Il y a également un extrait vidéo comme pour Judex.
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Sybille
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Sybille »

Très intéressant, Ann ! :wink:

Je n'ai pas grand chose à dire, si ce n'est que moi aussi, je trouve essentiel que le film soit accompagné de musique. A cet égard, je me souviens encore de mon visionnage de La lettre écarlate en mode complètement silencieux. Cela ne m'avait pas empêché d'apprécier le film, malgré mon étonnement au début, car je n'avais pas encore l'habitude, en plus je ne m'y attendais pas (il y a une scène où on voit des cloches remuer... et bien sûr on n'entend rien, ça m'avait choqué :mrgreen: ).

Sur Arte il y a deux ans, j'avais bien aimé la partition de Intolérance, j'avais trouvé qu'elle contribuait bien à la grandeur du film. Il y a quelques mois j'ai tenté de revoir le film sur une vieille VHS, la musique était différente et à mon goût mauvaise, eh bien ça affadissait considérablement la puissance du film. Certaines scènes n'en avaient du coup plus vraiment la même signification, ou en tous cas la même ampleur.

Au cinéma en 2007, j'avais assisté à un ciné-concert du Vent, la musique était superbe, le seul problème, c'est que je m'efforçais de me concentrer sur l'écran et de ne pas jeter un oeil sur les musiciens qui jouaient en dessous. :roll: (d'ailleurs je me souviens qu'il y avait beaucoup de gens qui étaient venus à la séance en premier lieu pour la musique, et pas du tout pour le film, dont ils n'avaient aucune idée et qu'ils n'avaient au final pas tellement apprécié. J'avais trouvé ça bizarre comme démarche, mais bon).
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Ann Harding
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

La musique d'Intolérance sur Arte était de Pierre Jansen et Antoine Duhamel. Elle donnait effectivement au film un élan, mais, je trouve qu'elle était trop uniformément noire sur tout le film même pendant les moments plus légers. Alors que celle de Carl Davis offre des contrastes entre les différentes époques et dans la définition des personnages.

De qui était la musique du Vent que tu as vu ?
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Sybille
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Sybille »

Ann Harding a écrit :De qui était la musique du Vent que tu as vu ?
Je viens de retrouver ça (après avoir exhumé le prospectus), c'était donc une composition de Cyrille Aufort avec l'ensemble de Basse-Normandie (23 musiciens).
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Ann Harding
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Je ne connais pas ce musicien, mais d'après ce que tu dis cela devait être intéressant. :wink:

Carl Davis (1ère partie)

Je voudrais consacrer un chapitre entier à ce musicien car il a une grande importance dans la renaissance des partitions symphoniques sur les films muets. Il a commencé à travailler avec David Gill et Kevin Brownlow en 1980. Leur première collaboration ensemble fut pour Napoléon. J’ai lu récemment une interview fascinante (de 1990) de Davis qui explique son travail sur les différents films dont il a composé la musique. J’en utiliserai de larges extraits (traduits en français).
Carl Davis est né à Brooklyn. Mais, il vit en Grande-Bretagne depuis fort longtemps. Il a composé les musiques de nombreux documentaires (dont Hollywood), de téléfilms et de films contemporains. Mais, son travail prend un nouveau tournant quand il commence à composer la musique pour le Napoléon d’Abel Gance.

Il parle des règles qu’il se fixe dans les choix musicaux pour un film:

« Un principe important est de rester dans l’époque du film. Vous commencez par vous demander ce que le public des années 10 et 20 aimait ? Et vous découvrez qu’ils aimaient surtout les compositeurs classiques populaires : Wagner, Verdi, Massenet, Dvorak, Tchaïkovski, Chopin et un peu de Beethoven. C’était l’étendue de leur goût. Et vous construisez à partir de cela.
Et vous regardez aussi la musique qui était écrite dans les années 10 et 20. Et cela inclus beaucoup de musique d’avant-garde. Dès les années 20, il y avait de la dissonance et l’atonalité avec Prokofiev et les débuts de Chostakovitch. Des mélomanes écoutaient Webern, Schoenberg, Berg et Stravinsky. Ce n’était pas le même public qui allait au cinéma, mais un public qui aimait l’avant-garde. Ce qui est important c’est que cette musique était dans l’air du temps. Et selon mes règles, si cela c’est passé durant cette période, alors, cette musique est aussi disponible pour moi.
Par exemple pour Greed (Les Rapaces), un film qui recherche délibérément la laideur et cruauté, il est tout à fait valable d’écrire une partition très dissonante dans le style d’Alban Berg, basé sur son concerto. Pour The Wind (Le Vent), j’ai écrit dans le style de Bartok, qui dans les années vingt aurait été extrêmement abstrus.
Un autre principe pour moi est que le film doit avoir son propre son distinctif, sa propre orchestration. Etant donné que je ne travaille pas comme pour un studio dans les années 20, je peux traiter chaque film comme une œuvre d’art unique. Doit-il avoir un énorme orchestre romantique comme dans Ben-Hur ? Ou juste des percussions et des cordes comme dans The Wind ? Ou est-ce que ce sera une luxueuse boîte de chocolats comme The Thief of Bagdad, basé sur Rimsky-Korsakov ? Ou dois-je créer une partition de chambre, comme pour A Woman of Affairs, où j’ai pensé à Poulenc et à tous ces compositeurs de chambre français ? Dans Safety Last (Monte là-dessus !), j’ai basé la musique sur une orchestration originale pour jazz-band de Rhapsody in Blue avec juste des violons et des violoncelles. Quant au Kid Brother d’Harold Lloyd, un film pastoral charmant, la partition est basée sur l’orchestration originale d’ Appalachian Spring de Copland.
»*

Il raconte comment il a enregistré la partition d’Henri Rabaud pour Le Joueur d’Echecs. Ce qui semblait à priori aisé s’est révélé un casse-tête.

« La partition que nous faisons maintenant, la musique d’Henri Rabaud sur le Joueur d’Echecs nous rend fous avec les tempos. Il y a bien des notations pour le tempo mais elles ne collent pas. D’ailleurs demain après-midi nous avons une répétition pour essayer de trouver les bons tempos. La plupart sont totalement subjectifs. Je suis souvent dans la situation où je dis : ‘Voici un morceau de musique avec une indication au métronome par le compositeur qui est clairement mentionné. Mais, je dois le couper pour pouvoir arriver au prochain morceau au bon moment. Je dois couper huit mesures.’ D’un autre côté, David [Gill] peut dire : ‘Bien, et si nous gardions les huit mesures et nous ralentissions un peu le film.’ Ce type de chose. Totalement subjective.
J’ai cette partition complète de Rabaud, superbement écrite. Il y a une énorme quantité de notations de métronomes et de plans sur le film de la main du compositeur. Et j’ai pensé : ‘Ça va être du gâteau. Ça ne prendra pas plus de trois jours. Ça va être formidable.’ Et en fait, c’est un cauchemar, un vrai cauchemar.
»*

Les partitions de Carl Davis

Napoléon d’Abel Gance (extraits sur CD The Silents)
The Crowd (La Foule) de King Vidor (VHS US)
Flesh and the Devil (La Chair et le Diable) de Clarence Brown (DVD TCM/Warner Z1 et 2)
Show People (Mirages) de King Vidor (VHS US)
Broken Blossoms (Le Lys Brisé) de DW Griffith (VHS UK/US et LD US)
The Wind (Le vent) de V. Sjöström (VHS US)
A Woman of Affairs (Intrigues) de Clarence Brown
The Student Prince (le prince étudiant) d’Ernst Lubitsch (VHS US)
Our Hospitality (Les lois de l’hospitalité) de Buster Keaton (VHS US et LD US)
The Thief of Bagdad (Le voleur de Bagdad) de Raoul Walsh (VHS UK, LD US)
The Eagle (L’aigle noir) de Clarence Brown (VHS US et LD US)
The Strong Man (L’athlète incomplet) de Frank Capra (VHS US et LD US)
The Big Parade (La Grande Parade) de King Vidor (VHS US/UK et LD US)
Greed (Les rapaces) d’Erich von Stroheim (VHS US et LD US)
The General (Le mécano de la Générale) de Buster Keaton (DVD Z1 Kino Ultimate Edition)
Ben-Hur de Fred Niblo (DVD Z1 Warner/supplément sur Ben-Hur Special Edition)
The Mysterious Lady (La belle ténébreuse) de Fred Niblo
Intolerance (Intolérance) de DW Griffith (VHS US)
The Kid Brother (Le petit frère) d’Harold Lloyd (DVD Lloyd collection Z2 UK)
Safety Last (Monte là-dessus !) d’Harold Lloyd (DVD Lloyd collection Z2 UK)
The Four Horsemen of the Apocalypse (Les 4 cavaliers de l’apocalypse) de Rex Ingram (LD US)
Wings (Les Ailes) de W. A. Wellman
The Wedding March (La symphonie nuptiale) d’Erich von Stroheim
The Iron mask (La masque de fer) d’Allan Dwan (DVD KINO Z1)
The Phantom of the Opera (Le fantôme de l’Opéra) de R. Julian (DVD Kino Z1)
The Freshman (Vive le sport !) d’Harold Lloyd
The Godless Girl (Les damnés du cœur) de Cecil B. De Mille

*[Réf: Interview de Russell Merritt dans Griffithiana N°41-42, Octobre 1991 (Revue de la Cinémathèque du Friule) p. 168-177.]
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Ann Harding
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Carl Davis (fin)

Il explique comment il utilise les partitions originales pour sa propre musique:
Notre version du Lys Brisé, bien qu’elle ne soit pas une reconstruction, utilise 90% de la partition originale. Mais, même celle-là, moi et mes arrangeurs l’ont réorchestré et nous avons mis notre empreinte stylistique dessus.
Je me sens parfaitement libre de prendre et de choisir. Par exemple, nous avions la partition originale de La Grande Parade. J’ai coupé et remplacé toute la musique écrite par les tâcherons de studio qui écrivaient de la musique d’ambiance au kilomètre. Mais, tout ce que j’ai gardé, c’est la partie documentaire de la musique : les chansons populaires, les rengaines militaires, le son du clairon et deux chansons françaises formidables qui sont indiquées dans la partition originale.
Comment je tisse ces éléments ensemble pour en faire un tout symphonique fait partie de mon travail et de ce que je peux apporter à ces films.
Mais, pour ce qui est de Joseph Breil pour Intolérance, je vous le dis franchement, c’est un compositeur très médiocre. Et quand j’ai vu Intolérance, j’ai vu que le challenge était de ne pas ressembler à Breil – mais de trouver un moyen d’engager le public dans ce film à la structure très complexe et que le spectateur sente qu’il est en train de voir un seul film et non pas quatre films différents. Je voulais que la musique fasse sentir au public que Griffith avait conçu le film comme un tout.


La remarque suivante a été formulée par D. Gill lors de l'interview. Je l'inclue car elle me semble incroyablement importante.

David Gill : Quand vous regardez n’importe quelle séquence d’un film muet, vous avez trois choix musicalement. Vous pouvez suivre l’action, la narration ou l’émotion. Et la chose évidente est de suivre l’action. C’est ce que les improvisateurs font, parce que c’est la première chose qui vous frappe. Mais, ce que nous avons appris c’est qu’il fallait éviter de tomber dans ce piège, éviter la narration et l’action où c’est possible et aller vers les émotions sous-jacentes.

Carl Davis parle de la différence entre la musique d'un film muet et celle d'un film de nos jours.

La différence entre la musique d’un film contemporain et celle d’un film muet est considérable. Dans le cinéma muet, la musique fait tout le spectacle. On est plus proche de l’écriture d’une sorte d’opéra comme Puccini, l’opéra vériste ou les drames Wagnériens où toutes les pensées et les désirs des personnages, l’ambiance, le style, le rythme, tout cela doit être dans la musique. En plus, vous devez présenter une partition qui tienne debout toute seule. La musique doit avoir une intégrité en elle-même, comme lorsqu’on va à l’opéra ou voir un ballet.

Pourquoi y-a-t-il une telle différence entre les compositeurs des années 20 (des arrangeurs qui compilent des musiques) et celle des années 30 avec Steiner, Korngold, etc. ?
Je n’ai jamais eu à répondre à une telle question auparavant. Mais vous avez raison, la musique des films des années 30 est très différente. Elle est plus évoluée. Ce n’est plus un pastiche composé de fragments de Saint-Saëns, de Beethoven, de Wagner etc.
Dès le milieu des années 30, l’éclectisme disparaît à Hollywood. C’est probablement parce qu’auparavant, il était très rare de rencontrer un compositeur qui écrivait un morceau à 100% lui-même. Et aussi, parce que les films étaient parlants, la partition était sensiblement plus courte.
Il y a aussi le problème de temps. Dans les années muettes, la MGM sortait un film par semaine. Il est impossible d’écrire une partition pour un long métrage à cette vitesse. Je veux dire, nous faisons peut-être deux films par an, peut-être un. Nous en avons produit jusqu’à trois par an au milieu des années 80. Mais, comment pouvez-vous produire de la musique pour un film par semaine si vous n'avez pas une bibliothèque de morceaux musicaux prêts à l'emploi ?


J'espère que ces quelques remarques vous ferons réfléchir à votre propre expérience avec le cinéma muet.
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par homerwell »

Ann Harding a écrit : La remarque suivante a été formulée par D. Gill lors de l'interview. Je l'inclue car elle me semble incroyablement importante.

David Gill : Quand vous regardez n’importe quelle séquence d’un film muet, vous avez trois choix musicalement. Vous pouvez suivre l’action, la narration ou l’émotion. Et la chose évidente est de suivre l’action. C’est ce que les improvisateurs font, parce que c’est la première chose qui vous frappe. Mais, ce que nous avons appris c’est qu’il fallait éviter de tomber dans ce piège, éviter la narration et l’action où c’est possible et aller vers les émotions sous-jacentes.

Carl Davis parle de la différence entre la musique d'un film muet et celle d'un film de nos jours.

La différence entre la musique d’un film contemporain et celle d’un film muet est considérable. Dans le cinéma muet, la musique fait tout le spectacle. On est plus proche de l’écriture d’une sorte d’opéra comme Puccini, l’opéra vériste ou les drames Wagnériens où toutes les pensées et les désirs des personnages, l’ambiance, le style, le rythme, tout cela doit être dans la musique. En plus, vous devez présenter une partition qui tienne debout toute seule. La musique doit avoir une intégrité en elle-même, comme lorsqu’on va à l’opéra ou voir un ballet.
Ces deux remarques permettent plusieurs réflexions de la part du béotien que je suis : concernant celle de Carl Davis, le parallèle avec l'opéra ne doit pas nous égarer. La musique d'opéra est écrite d'après le livret, chose qui parait impossible pour le cinéma muet pour lequel il faudrait écrire d'après le scénario et les dialogues pour respecter le même contrat de départ. Puccini reste libre dans sa partition quant un musicien qui écrit pour le cinéma muet devra respecter au moins le découpage du réalisateur.

Pour David Gill, c'est pareil, je suis un peu réservé car dans son affirmation du suivi de l'émotion sous-jacente, le musicien fait une interprétation qui selon son degré de complicité ou de compréhension du réalisateur, peut dénaturer ou transformer le récit. Remarquez bien autant que le travail d'un directeur photo ou d'un ingénieur du son.
J'espère que ces quelques remarques vous ferons réfléchir à votre propre expérience avec le cinéma muet.
Pour sur, comme à chaque fois que tu interviens sur le sujet d'ailleurs. :wink:
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Je crois que si Davis fait un parallèle avec l'opéra, c'est plus pour parler de la structure de la partition. Pour un film muet, il faut une musique continue sur tout le film alors que pour les parlants, la quantité de musique est nettement plus limitée. Et en plus elle est en compétition avec les bruits, le brouhaha et la voix des acteurs, etc. Sur un muet, il n'y a que la musique pour porter le film. Sa manière de concevoir la partition est assez proche somme toute d'un Miklos Rozsa ou d'un Korngold avec l'utilisation des leitmotives pour les personnages et de thèmes pour décrire une atmosphère. Il est tout droit dans la tradition post-romantique de ces compositeurs. D'ailleurs Korngold avant de devenir compositeur de film était un compositeur d'opéra reconnu. Sa musique avait conservée cette spécificité de 'faire chanter les personnages' sans la voix humaine.

La remarque de Gill m'interpelle parce que je trouve qu'il a tout à fait raison en parlant des 'émotions sous-jacentes'. Les meilleurs musiciens ou accompagnateurs arrivent à dépasser le premier degré de l'action pour entrer dans les personnages. C'est difficile à expliquer sans voir le film avec la musique. Mais, c'est quelque chose que j'ai ressenti plusieurs fois en comparant la musique de Davis avec d'autre partitions sur un même film. Cela suppose bien-sûr une grande familiarité avec le film. Je n'ai pas traduit toute l'interview qui est vraiment très longue, mais, j'ai réalisé que son travail de compositeur n'était pas solitaire. Il collabore activement avec les deux restaurateurs des films (Gill & Brownlow). Il propose un thème et ensuite ils discutent du morceau. Est-il approprié ? Quelle autre option peut-on utiliser ?
La musique d'un film sera toujours une interprétation de celui-ci. Mais, si elle est réalisée en prenant la peine d'étudier le film, le résultat est souvent captivant.
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

J'ai passé un peu de temps sur les partitions symphoniques pour films muets ; maintenant, je vais essayer de parler un peu des accompagnateurs au piano. C'est souvent l'option choisie par les cinémas ou pour les DVDs car elle est nettement moins coûteuse qu'une musique avec orchestre. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'un accompagnement au rabais. Loin de là ! J'ai entendu des pianistes qui faisaient un travail vraiment formidables sur certains films. J'ai été vraiment gâtée au festival de Pordenone qui a une équipe d'une demi-douzaine de pianistes pour accompagner les films. Ils font tous un travail remarquable et probablement assez épuisant. Parmi ceux que j'ai entendu, j'ai beaucoup apprécié le travail de Gabriel Thibaudeau qui est Québecois et qui le musicien attitré de la cinémathèque du Québec. Il a accompagné La Merveilleuse Vie de Bernadette (1929), un film sur B. Soubirous qui aurait pu facilement sombrer dans le mélo larmoyant avec une grande subtilité. Il a réussi à émouvoir le public. Il a enregistré plusieurs de ses partitions en particulier pour les deux films muets de Duvivier (Poil de Carotte et Au Bonheur des Dames) parus chez Arte Video. Deux DVD que je recommande chaudement. J'ai trouvé sur Youtube, une petite interview où il explique son travail. Certaines de ses remarques sont vraiment intéressantes.

Un autre pianiste dont le travail m'a vraiment emballé est Stephen Horne qui joue au National Film Theatre et au Barbican Centre. Sa partition sur J'accuse était vraiment incroyable. Il a reçu une ovation debout méritée. Mais, il était également très à l'aise dans la comédie pour Ce Cochon de Morin. J'ai aussi trouvé cette petite interview sur Youtube où il explique son parcours de pianiste classique et qui est devenu accompagnateur de film muet, de chanteurs et de danseurs.


Sur le site de DVDClassik, il y aussi un pianiste spécialisé dans l'accompagnement de films muets, c'est Xavier! :wink: peut-être pourrait-il venir nous parler un peu de son travail ? Nous dire comment il se prépare ?
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Xavier »

:D

Tout d'abord j'ai expliqué beaucoup de choses ici: http://www.cinetudes.com/L-improvisatio ... s_a66.html
Il y a notamment des extraits en bas de page, mais vous en trouverez plus sur Youtube, dont l'intégralité d'une séance du Cabinet du Dr Caligari, qui a été enregistrée, puis accolée à l'image du DVD: http://www.youtube.com/results?search_q ... type=&aq=f

Pour moi, le travail essentiel est de trouver le ton, le style, l'atmosphère de chaque scène et de l'ensemble du film, il faut aussi une cohérence d'ensemble.
Bref, il faut s'adapter.
Mon travail c'est d'être capable de faire correctement n'importe quel style tant que c'est celui qui me semble être le bon pour le film. Evidemment je ne dis pas qu'il n'y a qu'une seule solution de valable...
Je ne sais pas quoi dire d'autre, il y a tant à dire... Mais je peux répondre aux questions. :)
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Ann Harding
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Ann Harding »

Merci Xavier! Je viens de lire ton interview sur Cinétudes, et je dois dire que j'ai bu du petit lait en la lisant. :) Je suis vraiment à 100% sur la même longueur d'onde. J'ai entendu tant d'accompagnateurs qui semblaient ignorer le film qu'ils accompagnent que de te lire, ça m'a fait du bien au moral. 8)
Une citation:
Il y a un autre aspect des choses à surveiller qui est la place qu’occupe la musique par rapport à l’image. Faut-il forcément illustrer ce qu’on voit à l’écran ? Les événements qui s’y déroulent ? Doit-on appuyer par exemple d’un glissando bruyant la chute d’un personnage ? Cela peut s’avérer efficace dans le cadre d’un film burlesque, mais au contraire friser le ridicule dans un autre contexte. Il faut bien sûr veiller à ne pas "noyer" l’image par une musique trop pleine, trop envahissante. L’image, à l’instar d’un chanteur, dit déjà quelque chose, nous parle ; l’accompagnateur se doit donc de veiller à ne pas faire doublon avec l’image, à ne pas la surcharger, mais au contraire à lui apporter tantôt un contrepoint, tantôt un écrin qui lui permette de libérer tout son contenu. Le silence peut d’ailleurs parfois être plus évocateur que n’importe quelle autre musique. Si l’image est forte, elle peut se contenter de peu de choses.
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Commissaire Juve
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par Commissaire Juve »

2 ans après la guerre...

Eh bien, à titre perso, l'accompagnement musical des films muets me gêne énormément. Là, je suis devant Metropolis (qui passe sur ARTE) et j'ai fini par couper le son. Je n'en pouvais plus de cette agression sonore permanente.

Rien à voir avec la musique : je suis parfaitement mélomane.

J'ajoute que cela m'a fait le même effet avec Verdun, vision d'Histoire (que je n'ai jamais pu terminer... mais ça, c'est un autre problème).

Bref : Pas glop ! de ce point de vue-là, le cinéma muet et moi... cela fait quand même "deux". :?

EDIT :
... Il faut bien sûr veiller à ne pas "noyer" l’image par une musique trop pleine, trop envahissante...
Le silence peut d’ailleurs parfois être plus évocateur que n’importe quelle autre musique. Si l’image est forte, elle peut se contenter de peu de choses...
Voilà.
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Re: Musique et Cinéma Muet

Message par LDL »

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bonjour a tous,
je prends le train en marche comme on dit et me permet de upper l'article de Ann.

Je cherche des infos sur les deux versions musicales réalisées a l'occasion de la restauration de Nosferatu,
par l'Immagine Ritrovata de Bologne. Apparemment toutes les deux ont été réalisées par Galeshka Moravioff.
(Une version pour video, une autre pour le cinema, l'une contempraine, l'autre classique, laquelle pour la video,
et pour le cinema, j'en sais pas plus que cela).

Y a t'il eu que deux versions ?

Merci pour vos infos....
;)


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