Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

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homerwell
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Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par homerwell »

Souvent, un film considéré comme mauvais est un film qui a perdu ses attributs, en quelque sorte un film qui oublie le langage de la caméra, du cadrage, de la science du découpage et qui donc se rapproche d'une pièce de théâtre filmée...
Néanmoins, certains films avec une caméra très statique et un scénario épais et plein de dialogues se révèlent tout de même des chefs d'œuvre.
Alors, ce qui différencie principalement le cinéma et le théâtre, c'est une histoire de direct pour l'un, et d'enregistrement pour l'autre. Finalement pas grand chose...
Non ! Je tourne en rond, mais les images restent primordiales à part égale avec le récit, et plus elles font appel à notre intellect, plus elles sont interactives avec notre pensée, mieux c'est. Et là, on peut retourner consulter les topics sur la peinture et le cinéma.
Bon le cinéma, c'est un grand espace de liberté avec un papa, le théâtre, et une maman, la peinture.
Strum
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Re: Cinéma - Le théâtre en héritage ?

Message par Strum »

homerwell a écrit :Non ! Je tourne en rond, mais les images restent primordiales à part égale avec le récit, et plus elles font appel à notre intellect, plus elles sont interactives avec notre pensée, mieux c'est. Et là, on peut retourner consulter les topics sur la peinture et le cinéma.
Merci beaucoup homerwell de t'être jeté à l'eau et d'avoir ouvert ce thème Cinéma et Théâtre ! :wink: C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire, mais il n'est pas facile de savoir par quel bout le prendre.

Il est certain comme tu le dis que les images sont primordiales, mais je crois pour ma part que le théâtre, qui met en scène des situations dramatiques ou comiques plus que des personnages, fait davantage appel à l'intellect que le cinéma, qui, grâce aux images, fait lui davantage appel à nos émotions et à notre aptitude à rêver, à voyager mentalement et à nous identifier aux personnnages des films.
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cinephage
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Re: Cinéma - Le théâtre en héritage ?

Message par cinephage »

homerwell a écrit : Alors, ce qui différencie principalement le cinéma et le théâtre, c'est une histoire de direct pour l'un, et d'enregistrement pour l'autre. Finalement pas grand chose...
Bien entendu, on ne peut réduire l'écart entre ces deux arts à cette seule différence. Le cadrage, l'espace, le son, multiplient les ressources du cinéma, là où le théâtre doit souvent convaincre avec bien peu de moyens.

Néanmoins, sur ce point, il faut tout de même noter que cette différence est très très lourde de conséquences :

- Au niveau de la continuité. Un film n'est pour ainsi dire jamais filmé dans la continuité. Même si bien des réalisateurs s'y efforcent, des contraintes d'emploi du temps, de budget, obligent à une optimisation de l'usage des ressources (décors, costumes & maquillage, présence des comédiens...). Le séquençage d'un film en fait un objet discontinu, construit au fil du temps (souvent des mois, en ne parlant que du tournage), là où une pièce de théâtre est homogène, filée du début à la fin de la représentation (bon, il y a parfois un entr'acte, mais on n'imagine pas de longues pauses de plusieurs jours entre deux actes, encore moins au sein d'une même scène).
Continuité contre discrétion, donc.

- Au niveau du jeu des comédiens. On n'insistera jamais assez sur la difficulté du comédien de cinéma à jouer lorsqu'il s'agit de jouer un haussement de sourcils, pour un plan de 3 secondes ou moins, mais qui a demandé une mise en place d'une à deux heures. Que cette très brève réaction soit mal jouée, et c'est toute la crédibilité du personnage qui s'effondre. Ce jeu qui demande au comédien d'être très juste, très brièvement, est très différent dans sa nature du jeu du comédien de théâtre, qui doit à l'inverse jouer non-stop pendant la totalité de la pièce. Il aura ses bons et ses mauvais moments, mais c'est la prestation d'ensemble qui déterminera l'adhésion ou non à son interprétation. De plus, sans découpage, c'est plus la position de son corps, de ses gestes, souvent amplifiés comme sa voix, qui doivent convaincre. Le cinéma s'approche plus des visages, du détail.
Inversement, une erreur dans la pièce, un trou de mémoire ou un lapsus, sont autant de pièges pour lesquels il n'existe pas de filet. Le cinéma, en revanche, permet de multiplier les prises pour ne prendre que la meilleure.
Le jeu est donc, contrairement à ce qu'on entend souvent, très différent, et un bon comédien de cinéma n'est pas forcément un bon comédien de théâtre (et inversement).
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cinephage
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Re: Cinéma - Le théâtre en héritage ?

Message par cinephage »

Ainsi, cette différence au niveau du jeu permet au cinéma de faire une chose qu'on ne peut que très difficilement reproduire au théâtre : faire tourner des comédiens qui n'en sont pas. Bien des films confient un rôle à un jeune qui n'a jamais joué, à des seconds rôles qui valent autant, pour ne pas dire plus, pour leur physique, leur naturel, leur physionomie, que pour leur capacité à jouer (un jeu faible peut se rattraper avec plusieurs prises). On y verra une grande volonté de réalisme, l'acteur non professionnel étant un des grands critères du cinéma naturaliste. Ce naturalisme d'accès "immédiat" est un atout du cinéma.

Une telle démarche parait absurde au théâtre : un acteur non professionnel serait impressionné par le public, la scène, l'artifice flagrant de la situation. Le naturel théâtral consiste plutôt à chercher à reproduire, à l'issue d'un solide travail d'étude et d'observation, la réalité. Le geste vise à reproduire le naturel, les décors et accessoires sont aussi "justes" que possibles... Au théâtre, le naturalisme est une construction difficile à obtenir (et d'ailleurs, le théâtre contemporain préfèrera les abstractions, les comédiens jouant, par exemple, avec des cubes qui seront un cheval ou une table selon les situations, sur un fonds théâtral noir, dont on imagine par convention (et par le dialogue et les gestes des comédiens) qu'il s'agit d'une ferme ou d'un chateau). Le théâtre a peut-être, comme la peinture avec la photographie, abandonné cette bataille du réalisme au cinéma.
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Re: Cinéma - Le théâtre en héritage ?

Message par homerwell »

Strum a écrit : Il est certain comme tu le dis que les images sont primordiales, mais je crois pour ma part que le théâtre, qui met en scène des situations dramatiques ou comiques plus que des personnages, fait davantage appel à l'intellect que le cinéma, qui, grâce aux images, fait lui davantage appel à nos émotions et à notre aptitude à rêver, à voyager mentalement et à nous identifier aux personnnages des films.
Sauf à penser que le théâtre est une composante du cinéma ; le théâtre tire sa force du livret, le texte, les dialogues, les mots sont le premier soutènement du cinéma, le deuxième est l'image. Et dans un bon film, l'image fait autant appel à l'intellect que le texte. L'image est comme un deuxième niveau de langage. Peut-être n'avons nous pas fini d'apprendre à "lire" les images. Nous nous contentons d'en faire une indigestion.
cinephage a écrit :Le théâtre a peut-être, comme la peinture avec la photographie, abandonné cette bataille du réalisme au cinéma.
Tout ce passe au théâtre comme si il y avait plusieurs niveaux de véracité. le premier niveau vient des acteurs, ils sont en chaire et en os devant nous, il n'y a pas la barrière de l'écran. Cette sensation directe semble donner un avantage au théâtre mais l'on doit tenir compte d'un deuxième niveau avec la scène, forcément réductrice, les décors, quand ils existent, forcément en carton pâte et les accessoires forcément présents à dessein.
C'est exactement l'inverse au cinéma, si la caméra est notre œil, ou plutôt comme le dit Bazin, si nous voyons par une sorte de fenêtre que le réalisateur promène, la volonté supposée des personnages ou le hasard des situations font que ce que nous voyons est la vérité.
Ainsi, la participation du spectateur requise pour le cinéma est tout aussi importante, mais le volet concernant une acceptation de fait d'une vérité, est beaucoup moins important qu'au théâtre.
Témoin, l'opéra, personne ne s'adresse la parole en chantant dans la vie, pourtant l'émotion est bien présente lors du spectacle.
Il faut aussi tenir compte de l'évolution du cinéma, qui est déjà passé par de nombreux stades, et dont la période du noir et blanc obligatoire, le rapprochait du théâtre. Puisque ce que nous voyons dans notre quotidien est en couleur, nous sommes bien obligé de faire preuve d'une certaine abstraction pour accepter un film en noir et blanc ; au même titre que nous acceptons la scène et son décor au théâtre. (il y a une citation à ce sujet, mais je ne l'ai plus sous la main)
Dans la foulée de cet héritage du théâtre, le cinéma des années 40 et 50 étaient très consistant du point de vue du texte, et ça n'empêchait pas les succès de films qui aujourd'hui seraient taxé de "film bavard". Un ami me faisait remarquer dernièrement qu'une tradition d'écoute radiophonique d'histoires racontées en épisodes facilitait les choses. La télé n'avait pas encore tout phagocyté.
Avec l'arrivée de la couleur, l'image prend le pas sur le texte. Mais si l'image cinématographique suit une évolution peu ou prou ressemblante au parcours de la peinture, on a intérêt à brancher nos neurones pour pouvoir suivre le mouvement ou en tout cas, profiter de notre passion.
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Watkinssien
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Watkinssien »

Je "copie-colle" mon avis sur le film de Laurence Olivier, qui trouvera peut-être un peu plus de succès ici, (jespère) que sur son topic "Classique Naphtalinés"!

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Si l'on devait faire un dossier sur le rapport théâtre/cinéma, il serait certain qu'il y aurait une évocation de Laurence Olivier, dont ses contributions furent toutes importantes.

Avec The Chronicle History of King Henry the Fift with his Battell Fought at Agincourt in France (promis c'est la dernière fois que je mets le titre original complet :o ), Laurence Olivier va proposer plusieurs films en un.

Tout d'abord, c'est un film de propagande à la gloire de l'Armée britannique. En effet, tout en respectant la trame de Shakespeare, le film raconte la bravoure du peuple anglais qui lutte avec fierté et justice contre les Français, à travers l'image d'un monarque respectueux et compréhensible. Ce résumé (très) réducteur se met immédiatement en parallèle avec la situation contextuelle de la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre Mondiale (le film est tourné en 1944).

Deuxièmement, le film rend hommage et valeur au texte de Shakespeare, ce qui signifie que les dialogues sont superbes et d'une force peu commune, que les acteurs sont géniaux, tour à tour cabotins et d'une extrême finesse. La trame originelle fourmille de détails sur la reconstitution d'époque (en témoigne la qualité des costumes et des décors et en particulier le plan d'ouverture complètement HALLUCINANT, qui demeure encore aujourd'hui un modèle de "maquettisation" d'un décor extérieur).

Et enfin, troisièmement, l'essentiel du film se trouve dans les rapports fascinants qu'Olivier entretient avec deux arts culturels, le théâtre et le cinéma. En effet, la puissance artistique du film vient d'une combinaison absolument passionnante qui aboutissent à une combinaison, dans laquelle, finalement, le cinéma règne en maître, tout en ne dédouanant jamais le médium originel. L'œuvre commence par une représentation de la pièce de Shakespeare, dans le Globe Theater, à l'époque où la trame a été écrite, où l'on voit les comédiens dans les coulisses ainsi que le public (avec ses émotions partagées). Olivier assume complètement l'esprit théâtral de la pièce et pourtant le spectateur sent déjà que le cinéma pointe son nez, grâce aux mouvements de caméra notamment. Et puis dès que la guerre est déclarée, la caméra fonce dans un des décors en toile peinte pour l'occasion, pour se retrouver dans un ton épique et totalement cinématographique, où la composition des cadres explosent en respectant avec brio la composition des miniatures de l'époque. Les décors deviennent "réels", et le spectaculaire commence à faire réellement sa place. Un "nouveau" film commence, des nouveaux personnages apparaissent, la psychologie fait corps et en plus de cela, nous avons droit à une superbe bataille, parfaitement réglée.

Finalement, l'œuvre se forge bel et bien comme un film historique entre deux courants artistiques majeurs, et trouve également une harmonie singulièrement puissante.

Il ne faut pas oublier que Laurence Olivier, qui interprète superbement le rôle-titre , signe ici son tout premier film, puisqu'à l'origine ce devait être William Wyler qui devait le mettre en scène, et que l'ensemble demeure extrêmement personnel et très surprenant.

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Crousti Crousta
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Crousti Crousta »

Ca c'est une belle idée un topic cinema/théâtre mais le titre est pour moi très confus : le théatre en héritage ? je ne comprends pas bien l'idée...
il me semble au contraire que tout oppose cinéma et théâtre contrairement à ce qui semblerait supposé ici. Il y a une sorte de paradoxe initial à comparer les deux puisqu'ils ne reposent pas du tout sur le même processus créatif. Dès l'origine le cinéma s'est donné comme but d'approcher une "réalité", ce que n'a jamais cherché le théâtre qui au contraire comme la philosophie via les grandes tragédies grecques recherchent une "vérité". C'est un peu comme si on cherchait à comparer la peinture et la photographie, sans sous entendre que l'un serait un art meilleur que l'autre (loin de moi l'idée qu'il y aurait des arts mineurs ou majeurs, pouah !! quelle idée idiote), mais ils n'ont pas les mêmes finalités ni les mêmes supports. On voit bien d'ailleurs que quand le cinéma veut se rapprocher du théâtre, il prend alors des allures qui s'éloignent de la réalité. Le dernier exemple en date de cela est pour moi par exemple Tetro de Coppola, très beau film qui flirte avec le théâtre, en ce sens où il donne une "figure" à la réalité, une persona, un masque. Celui qui représente le mieux ce pont cinéma-théatre est d'ailleurs pour moi Bergman (homme à la fois de théatre et de cinéma) pour lequel la forme cinéma est un outil d'expérience de la vérité, car la différence fondamentale me semble-t-il est celle que l'on évoque quand on parle de spectacle "vivant", le théâtre trouve en effet son ressort dans l'évènement, dans l'ici et maintenant et pas dans la reproduction (tout comme une peinture est unique et une photographie est une copie). Ainsi deux représentations théâtrales ne seront jamais les mêmes, le spectacle théâtral recherche la performance, le cinéma la fiabilité. Autre différence, le cinéma est construit sur l'idée du hors-champs, tout cineaste cherche à faire vivre ce qui se passe en dehors du champs pour donner vie à ce qui apparait à l'écran. Au théâtre, le hors champs n'existe pas car toute la "réalité" à travailler est présentée sur scène, le théâtre est donc focalisé sur la scène comme un monde en soi, un petit monde clos, et c'est la "réalité" du comédien qui permet d'aborder une forme de "vérité" (et je ne voudrais pas non plus laisser croire à l'idée dangereuse qu'il y aurait "une" vérité comme c'est pourtant ce que tente de nous faire croire à longueur de journées nos hommes politiques actuels "je vais vous dire moi la vérité c'est quoi ? ")...Par sa capacité à créer "des vérités", le théâtre s'oppose pour moi au cinéma qui cherche à créer "des réalités" (que certains prennent ensuite pour des vérités...)
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Watkinssien
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Watkinssien »

Dans le cas du film de Laurence Olivier dont j'ai posté l'avis ci-dessus, il s"agit d'un exemple rare où le théâtre sert de transcendance au cinéma ! Il y a donc inspiration totale et directe pour le processus de création cinématographique !

Le cinéma est la somme de tous les arts même s'il peut devenir, par moments, la négation de ces derniers, dans certains exemples précis.
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Strum »

Crousti Crousta a écrit :il me semble au contraire que tout oppose cinéma et théâtre contrairement à ce qui semblerait supposé ici. Il y a une sorte de paradoxe initial à comparer les deux puisqu'ils ne reposent pas du tout sur le même processus créatif.
Comme tu le dis, le paradoxe est seulement "initial". Car la comparaison permet in fine de mettre au jour les différences entre le théâtre et le cinéma, comme tu viens de le faire en les comparant et en soulignant justement leurs différences. Cette comparaison n'est ainsi pas seulement féconde, elle est nécessaire.

La comparaison peut d'ailleurs être faite dans deux sens et selon deux mouvement : soit en identifiant ce qui sépare le cinéma du théâtre comme tu viens de le faire, pour mieux saisir les spécificités du cinéma, soit en tâchant d'identifier ce qui rapproche le cinéma du théâtre, ce qui permet de rattacher le cinéma à l'idée générale et à la technique du récit. Les deux approches me semblent possibles et sont complémentaires. Dans tous les cas, dire que "tout oppose" cinéma et théâtre me parait bien trop fort.
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par cinephage »

Je pense qu'il faut mettre cette parenté supposée au compte des emprunts que le cinéma fait au théâtre. Plus précisément, au fait que ces emprunts se voient.
On se souvient comment Griffith, pour donner de la légitimité à ses films (imitant et imité par d'autres) faisait travailler de célèbres acteurs de théâtre pour parer du prestige du théâtre shakespearien son art (qui dans l'esprit des masses restait lié à ses origines foraines, encore très proches).

Mais, alors que le cinéma emprunte aussi des auteurs et des sujets à la littérature, ou des plans, des effets (lumière, perspective, styles vestimentaires et décors) à la peinture, on valide ou accepte tacitement ces emprunts pourtant flagrants. Sans doute que même si on peut comparer une adaptation des Misérables avec le roman de Hugo, la différence entre les deux oeuvres est trop flagrante pour qu'on pousse plus loin la critique (encore qu'on a vu dans une quinzaine précédente qu'il y avait sacrément matière à reflexion).

Avec le théâtre, les emprunts sont plus voyants : les talents qu'on emprunte sont des acteurs, ou des metteurs en scène (Guitry hier, Sam Mendes aujourd'hui). La caméra prend alors la place "du spectateur de théâtre". Le coté "théâtral" d'un film évoque immédiatement l'art d'à coté, là où son coté graphique ou littéraire n'est pas perçu comme affaiblissant sa richesse cinématographique. Sans doute que les analogies sont plus facilement perceptibles, elles sont plus immédiatement sensibles (Laurence Olivier, comme le signale Watkinssien, jouera justement de cette facilité de rapprochement, pour faire basculer son Henry V de la pièce jouée dans un théâtre à une vraie bataille de cinéma, dans un passage d'une fluidité qui ne choque absolument pas le spectateur).

Notons que la captation télévisuelle des pièces de théâtre démontre une réelle parenté entre les deux arts, dans certaines circonstances. Pour reprendre Olivier, son Hamlet reste totalement théâtral dans la forme, le cinéma n'ajoutant qu'un surcroit de cadrages, un jeu sur les voix off (en particulier sur les monologues), et une possibilité d'étendre la scène en multipliant les décors.

Pour accroitre la confusion, il y a une certaine porosité d'un univers à l'autre : un réalisateur mettra en scène une pièce de théâtre, puis retournera au cinéma. De même pour un comédien, dont la carrière passe du cinéma au théâtre ou inversement en toute liberté. Chez les techniciens, les costumiers et décorateurs passent indifféremment d'un univers à l'autre, sans difficulté majeure d'adaptation.

Donc, sans nier les différences majeures entre ces deux arts, je comprends aisément pourquoi on rapproche si souvent le cinéma du théâtre, bien plus que de tout autre art, alors qu'il emprunte à tous...
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par homerwell »

Crousti Crousta a écrit :Ca c'est une belle idée un topic cinema/théâtre mais le titre est pour moi très confus : le théatre en héritage ? je ne comprends pas bien l'idée...
C'est une question, pas une affirmation. :D
il me semble au contraire que tout oppose cinéma et théâtre contrairement à ce qui semblerait supposé ici. Il y a une sorte de paradoxe initial à comparer les deux puisqu'ils ne reposent pas du tout sur le même processus créatif.
Dès l'origine le cinéma s'est donné comme but d'approcher une "réalité", ce que n'a jamais cherché le théâtre qui au contraire comme la philosophie via les grandes tragédies grecques recherchent une "vérité".

Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation sur laquelle repose ton argumentation donc je reformule. Dès l'origine, le cinéma s'est donné le moyen d'approcher une réalité : la caméra. Puis le montage est intervenu et le cinéma est devenu un moyen d'expression, un art. Et il est plus juste de parler "des réalités", au pluriel, parce que suivant les œuvres, que l'on parle d'un Sautet ou d'un épisode de Star War, on distingue de nombreux degrés de réalité qui demandent tous une part plus ou moins active de complicité du spectateur. C'est là que je voulais en venir car si le théâtre propose une recherche de "vérité", il n'en demande pas moins une acceptation d'une forme de réalité aussi, à divers degrés.
Même si effectivement, les deux arts ne reposent pas sur le même processus créatif, ce genre de détail suffit à induire des "filiations".

C'est un peu comme si on cherchait à comparer la peinture et la photographie, sans sous entendre que l'un serait un art meilleur que l'autre (loin de moi l'idée qu'il y aurait des arts mineurs ou majeurs, pouah !! quelle idée idiote), mais ils n'ont pas les mêmes finalités ni les mêmes supports. On voit bien d'ailleurs que quand le cinéma veut se rapprocher du théâtre, il prend alors des allures qui s'éloignent de la réalité.
Donc, quand le cinéma s'éloigne de la réalité, il se rapproche du théâtre. La science fiction au cinéma aurait tout à voir avec le théâtre ! Quand David Lynch déconstruit son récit dans Mulholand Drive, qu'il prend toute liberté avec la logique et le réalisme, il crée pourtant bien une superbe œuvre cinématographique.
Le dernier exemple en date de cela est pour moi par exemple Tetro de Coppola, très beau film qui flirte avec le théâtre, en ce sens où il donne une "figure" à la réalité, une persona, un masque. Celui qui représente le mieux ce pont cinéma-théatre est d'ailleurs pour moi Bergman (homme à la fois de théatre et de cinéma) pour lequel la forme cinéma est un outil d'expérience de la vérité, car la différence fondamentale me semble-t-il est celle que l'on évoque quand on parle de spectacle "vivant", le théâtre trouve en effet son ressort dans l'évènement, dans l'ici et maintenant et pas dans la reproduction (tout comme une peinture est unique et une photographie est une copie). Ainsi deux représentations théâtrales ne seront jamais les mêmes, le spectacle théâtral recherche la performance, le cinéma la fiabilité.
C'est ici que tu as pour moi le bon argument. Le spectacle vivant et la performance, c'est ce qui différencie les deux arts de manière assez strict.

Autre différence, le cinéma est construit sur l'idée du hors-champs, tout cineaste cherche à faire vivre ce qui se passe en dehors du champs pour donner vie à ce qui apparait à l'écran.Au théâtre, le hors champs n'existe pas car toute la "réalité" à travailler est présentée sur scène, le théâtre est donc focalisé sur la scène comme un monde en soi, un petit monde clos, et c'est la "réalité" du comédien qui permet d'aborder une forme de "vérité"
Voilà une affirmation dont je voudrais bien discuter avec un metteur en scène de théâtre. Le cinéma ne vit et ne respire que par le hors champs, c'est un fait, mais il peut aussi bien s'appliquer au théâtre je pense.

Par sa capacité à créer "des vérités", le théâtre s'oppose pour moi au cinéma qui cherche à créer "des réalités" (que certains prennent ensuite pour des vérités...)
Non, tout le monde sait que c'est du "cinéma" ! :wink: à part peut être ceux qui regardent trop de documentaires... :lol:
Pour finir, une réponse de Godard dans une interview :
le point commun entre le cinéma et le théâtre: le souci du regard de l'autre, des conditions dans lesquelles il s'exerce. On n'a pas le droit de se moquer.
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Watkinssien »

cinephage a écrit : Pour reprendre Olivier, son Hamlet reste totalement théâtral dans la forme, le cinéma n'ajoutant qu'un surcroit de cadrages, un jeu sur les voix off (en particulier sur les monologues), et une possibilité d'étendre la scène en multipliant les décors.
Si je puis me permettre, le Hamlet de Laurence Olivier ne me semble aucunement théatral dans la forme. L'écriture cinématographique est trop importante pour affirmer cela. Toutes les émotions ressenties apparaissent systématiquement grâce au découpage technique, aux mouvements de caméra et au montage, trois éléments qui n'appartiennent qu'à l'art du cinéma.
Sans parler de la photographie extrêmement travaillée, surtout dans les contrastes.
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Crousti Crousta
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Crousti Crousta »

le point commun entre le cinéma et le théâtre: le souci du regard de l'autre, des conditions dans lesquelles il s'exerce. On n'a pas le droit de se moquer.
Jean Luc Godard[/quote]

Cette phrase est pour moi incompréhensible ! j'aimerais bien qu'on me l'explique
Donc, quand le cinéma s'éloigne de la réalité, il se rapproche du théâtre. La science fiction au cinéma aurait tout à voir avec le théâtre ! Quand David Lynch déconstruit son récit dans Mulholand Drive, qu'il prend toute liberté avec la logique et le réalisme, il crée pourtant bien une superbe œuvre cinématographique.
des films comme Avatar, Star wars, 2001, district 9... sont des films au contraire très réalistes, les films de Lynch sont différents mais utilisent aussi le réalisme comme base de création : c'est parce les images de lynch utilisent les codes du réel de manière détournée que l'espace du fantastique est créé (c'est très net dans mulholland drive puisque que tout le jeu du film repose sur l'incapacité du spectateur à déterminer le réel de l'irréel, et pour créer cet effet, il faut bien qu'au départ l'œuvre soit très réaliste.
Autre différence, le cinéma est construit sur l'idée du hors-champs, tout cineaste cherche à faire vivre ce qui se passe en dehors du champs pour donner vie à ce qui apparait à l'écran.Au théâtre, le hors champs n'existe pas car toute la "réalité" à travailler est présentée sur scène, le théâtre est donc focalisé sur la scène comme un monde en soi, un petit monde clos, et c'est la "réalité" du comédien qui permet d'aborder une forme de "vérité"
Voilà une affirmation dont je voudrais bien discuter avec un metteur en scène de théâtre. Le cinéma ne vit et ne respire que par le hors champs, c'est un fait, mais il peut aussi bien s'appliquer au théâtre je pense.
Il me semble que le hors champs (de vision) nécessite un cadre délimitant ce champ... qui rend une partie de la situation invisible mais présente, au théâtre, la possibilité qu'une partie de la scène échappe au regard du spectateur tout en participant de la situation me paraît moindre... Il dois bien exister des situations de ce type mais qui me semble bien plus rare et l'utilité pour la "performance théatrâle" me parait aussi limitée
Par sa capacité à créer "des vérités", le théâtre s'oppose pour moi au cinéma qui cherche à créer "des réalités" (que certains prennent ensuite pour des vérités...)
Non, tout le monde sait que c'est du "cinéma" ! :wink: à part peut être ceux qui regardent trop de documentaires... :lol:
et si le documentaire était finalement bien plus proche du théâtre que du cinéma ?
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par cinephage »

Watkinssien a écrit :
cinephage a écrit : Pour reprendre Olivier, son Hamlet reste totalement théâtral dans la forme, le cinéma n'ajoutant qu'un surcroit de cadrages, un jeu sur les voix off (en particulier sur les monologues), et une possibilité d'étendre la scène en multipliant les décors.
Si je puis me permettre, le Hamlet de Laurence Olivier ne me semble aucunement théatral dans la forme. L'écriture cinématographique est trop importante pour affirmer cela. Toutes les émotions ressenties apparaissent systématiquement grâce au découpage technique, aux mouvements de caméra et au montage, trois éléments qui n'appartiennent qu'à l'art du cinéma.
Sans parler de la photographie extrêmement travaillée, surtout dans les contrastes.
Tout en reconnaissant l'écriture cinématographique d'Hamlet, l'héritage théâtral y est quand même extrêmement présent.
Tant sur le plan du huis-clos que du décor (on n'est pas en extérieur, mais en studio, c'est visible et assumé), ou du traitement du son (très peu de musique hors-champs).
Après, il est certain que le cadrage et l'éclairage jouent un rôle majeur, et nuancent ou expriment beaucoup des sentiments des comédiens. Mais contrairement à Henry V, où le matériau théâtral finit par disparaître, dans Hamlet il reste présent tout au long du film, tant dans les entrées et sorties de champs, qui ressemblent à des entrées en scène, que dans le traitement du décor lui-même, dont le dépouillement exprime à mon sens une inspiration théâtrale. Bref, sans nier la nature cinématographique du film, sa parenté avec le théâtre est plus affirmée que pour d'autres films, y compris shakespeariens.
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Re: Cinéma et Théâtre - Le théâtre en héritage ?

Message par Watkinssien »

Oui, je suis quand même d'accord sur ce point, l'héritage théâtral est bien présent, dans la dramaturgie et dans les autres éléments que tu as justement mentionnés.

Mais l'écriture cinématographique formelle le transcende totalement, si bien que Olivier réussit magistralement un chef-d'oeuvre de cinéma à partir des forces du théâtre.
Le dépouillement des décors est un exemple de cette transcendance, ainsi c'est l'utilisation du décor dans un cadre de cinéma qui donne le ressenti du spectateur.
Il y a une séquence d'anthologie dans ce film qui allie le minimalisme décoratif (dû à l'art théâtral) et la réflexion émotionnelle par l'écriture (due au cinéma) :
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celle de la représentation théâtrale (mise en abîme) de la troupe d'Elseneur qui joue sans le savoir la reconstitution du fratricide, au moment où la caméra part en travelling circulaire en va-et-vient. La puissance absolument extraordinaire de ce climax vient plus du mouvement de caméra que de la dramaturgie orginelle de la pièce.
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Mother, I miss you :(
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