Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

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k-chan
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Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

Message par k-chan »

Les grands compositeurs du cinéma japonais.



Avant de citer le premier grand compositeur du cinéma japonais qui soit réellement célèbre chez nous, Fumio Hayasaka, il convient de préciser qu'il reste toujours une part d'ombre importante sur le cinéma de ce pays. Si on ne cesse de (re)découvrir de grands films et de grands artistes du cinéma nippon des années 50, 60, 70 ou 80, ce qui est tout de même très loin d'être fini, ce n'est en revanche pas le cas de tout ce qui précède la réalisation du célèbre Rashomôn (1950), qui, rappelons-le, fut le premier film japonais à être vraiment vu en occident, en plus de recevoir les meilleures distinctions possibles. Certes, des spécialistes comme Tadao Sato ou Donald Richie nous ont offerts des livres passionnants sur le sujet, mais en dehors de travaux des célèbres Mizoguchi, Ozu et Kurosawa, et quelques autres classiques (pour les plus chanceux), nous n'avons pas vu grand chose de nos propres yeux. Il est donc évident, lorsqu'on aborde le cas des compositeurs de cette époque, que ce soit le mystère quasi total. Cependant, en fouillant un peu dans les filmographies des trois cinéastes cités avant, en plus de celle de Mikio Naruse, et grâce aujourd'hui à internet et le site imdb (qui reste loin d'être exhaustif), on peut parvenir à trouver des noms de compositeurs visiblement assez demandés. Le cinéma parlant étant arrivé très tard au Japon, il n'est peut-être pas très utile de chercher avant 1935 (environ) :



- Shiro Fukai a visiblement travaillé des années 30 jusqu'à la fin des années 50. Il aura notamment collaboré avec Hiroshi Inagaki, mais aussi Daisuke Ito, Tomu Uchida, et avec Mizoguchi (Les 47 Ronins et Contes des chrysanthème tardifs).

- Kyosuke Kami, qui a surtout travaillé avec un certain Sotoji Kimura, cinéaste des années 30.

- Nobuo Iida : de 35 à 56 (imdb) : avec entre autre Mansaku Itami, Masahiro Makino, Mikio Naruse (Avalanche - 1937 ; Hideko, receveuse d'autobus - 1941 ; Le printemps s'éveille - 1947), Kajiro Yamamoto (Quartier sans soleil - 1954), Kon Ichikawa (Sanshirô de Ginza - 1950)

- Ryoichi Hattori, surtout de 39 à 59 (imdb) avec de nombreux cinéastes, dont Osamu Fushimizu (Wind Currents of Youth - 1942 - écrit par Kurosawa), Mikio Naruse, Yasujiro Shimazu, Heinosuka Gosho, Tadashi Imai (Les montagnes vertes - 1949), Masahiro Makino, Kon Ichikawa (Tout sur moi - 1954), Shohei Imamura (Désir Inassouvi - 1958), avant de travailler à Hong-kong durant le long des années 60.

- Tadashi Hattori... de 38 à 56... Serait-il la même personne que le précédent ?? C'est probable. Il est en tout cas crédité sur des films de Satsuo Yamamoto, Tadashi Imai, Tomu Uchida, Teinosuke Kinugasa, Kon Ichikawa,
Kurosawa (Les hommes qui marchent sur la queue du tigre - 1945 ; Je ne regrette pas ma jeunesse - 1946 ; Un merveilleux dimanche - 1947) et Mikio Naruse (Sincérité - 1939 ; Ma mère ne mourra jamais - 1942 ; Rapport sur la conduite du professeur Ishinaka - 1950)

- Senji Ito : de 36 à 58, aura notamment signé les musiques de la plupart des films parlants d' Ozu qui précèdent Voyage à Tokyo : Le fils unique (1936) ; La Dame, qu'a-t-elle oublié ? (1937) ; Les frères et soeurs Toda (1941) ; Une poule dans le vent (1948) ; Printemps tardif (1949) et Eté précoce (1952).
Et quelques films de Mizoguchi : Le champs du camp (1938) ; La Femme de Naniwa (1940) ; La vie d'un acteur (1941) et Flamme de mon amour (1949).

- Seiichi Suzuki : Au moins 80 films entre 1938 et 1964. On lui doit les musiques des 3 premiers films de Kurosawa : La légende du grand judo ; Le plus beau et La légende du grand judo 2. Mais aussi pas mal de films de guerre des années 40 (semble t-il) dont certains de Kajiro Yamamoto. Ajoutons des films de Hiroshi Inagaki, Mikio Naruse (Les produits de beauté de Ginza - 1951), Kon Ichikawa, Nobuo Nakagawa, de nombreux films Masahiro Makino et pour finir Le grand attentat de Eiichi Kudo.



Il y en a sûrement beaucoup comme ça...
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k-chan
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Re: Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

Message par k-chan »

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Fumio Hayasaka (1914-1955)
Avant d'être compositeur pour le cinéma, Fumio Hayasaka était déjà reconnu en tant que compositeur de musique classique. Musicien autodidacte, il composa sa première oeuvre en 1935, et reçu déjà à cette époque des récompenses pour ses compositions.
C'est en 1939, alors qu'il vient de s'installer à Tokyo depuis peu, qu'il commencera à travailler pour le cinéma, sur un film de Satsuo Yamamoto. Mais il faudra attendre 9 ans, après des travaux pour Mikio Naruse, Nobuo Nakagawa, Yasujiro Shimazu, Tadashi Imai ou Teinosuke Kinugasa, et autres en dehors du cinéma, pour que Fumio Hayasaka rencontre le cinéaste auquel on l'associe toujours, Akira Kurosawa. Leur première collaboration aura lieu sur un film charnière dans l'oeuvre du cinéaste, L'ange ivre (1948), premier film de Kurosawa avec l'acteur Toshiro Mifune, et premier que le réalisateur considère comme une oeuvre personnelle. Un premier chef-d'oeuvre. Avec ce film, Kurosawa et Hayasaka utiliseront pour la première fois la technique du "contrepoint (ou distanciation), sur une idée de Kurosawa, et qu'ils appelleront "tireur d'élite" (faisant référence à un film russe qui utilisait cette technique). Il s'agit tout simplement d'utiliser une musique qui fasse contrepoint avec la scène sur laquelle elle est posée : une musique gaie dans un moment triste, par exemple. Dans une scène de L'ange ivre, la Valse du coucou retentit alors que Mifune marche seul, déjà très atteint par la maladie, et désemparé suite à un conflit avec son chef.
Tout en composant pour des films d'autres réalisateurs, ou en dehors du cinema, Fumio Hayasaka restera donc un collaborateur essentiel (et un ami proche) pour Kurosawa, puisqu'il signera de nouveau pour le formidable polar social qu'est Chien Enragé, en 1949, pour lequel les deux associés utilisent de nouveau le contrepoint lors du final : une musique douce au piano, puis des enfants qui passe en chantant, durant un duel violant entre le policier Mifune et le criminel. Suivent Scandale, et le superbe Rashomôn (avec un fameux clin d'oeil au boléro de Ravel) pour l'année 1950 ; le chef-d'oeuvre détruit L'idiot (1951), adapté de Dostoievski ; le boulversant Vivre, en 1952, dans lequel Takashi Shimura chante en pleurant ; et surtout le célébrissime Les sept samouraïs (1954), dont le thème principal est particulièrement difficile à oublier, et où la musique de Hayasaka se fait tour à tour épique, sombre, lumineuse, ou soulignant les pitreries du formidable Mifune.

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"Je ne peux expliquer pourquoi, mais à une musique donnée, ne peuvent aller que certaines images. Kurosawa a l'instinct pour trouver cette concordance. Quand je travaille avec lui, c'est lui qui dirige la musique. Moi je ne fais que la composer." (Fumio Hayasaka)
Parallèllement à cette collaboration, Hayasaka devient un compositeur fétiche pour un autre géant, Kenji Mizoguchi : Oyu Sama (1950), La dame de Musashino (1951), L'impératrice Yang Kwei-fei (1955), Le Héros sacrilège (1955), et les chefs-d'oeuvre que sont Les amants Crucifiés (1954), L'intendant Sansho (1954), et Les contes de la lune vague après la pluie (1953), film le plus célèbre du cineaste. Soit une grande partie des dernières oeuvres du maître.
Hayasaka incorporait à ses compositions classiques des influences de musique traditionnelle japonaise et ainu, mais cela est surtout vrai (ou largement perceptible) pour sa collaboration avec Mizoguchi. A l'époque où l'occident découvrait le cinéma japonais, cela a sans doute (bêtement ?) contribué au fait que le cinéma de Mizoguchi soit considéré, par la critique, comme étant plus authentiquement japonais que celui de Kurosawa, les musiques des films de ce dernier étant clairement d'influence occidentale. Les films d'époques que sont Rashomon et Les sept samouraïs (du saxophone pour le thème de Kikuchiyo) ne font pas exception. Sans doute une petite révolution à l'époque.
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Malheureusement, atteint de la tuberculose, et très affaiblit depuis le tournage des Sept samouraïs déjà, Fumio Hayasaka décèdera le 15 octobre 1955, à l'âge de 41 ans, avant de pouvoir terminer ses travaux sur Chronique d'un être vivant de Kurosawa, et Le Héros sacrilège de Mizoguchi. Son élève, le grand Masaru Satô, prendra le relais, et Toru Takemitsu, en hommage, composera ''Requiem for Strings' (1957).
Il aurait composé pour plus de 90 films, mais en dehors de ses collaborations avec Mizoguchi et Kurosawa, il est difficile de pouvoir apprécier ses travaux, et même de connaitre véritablement l'étendue de sa filmographie. Très souvent récompensé pour ses œuvres, Fumio Hayasaka reste considéré comme un génie, tout comme sa collaboration avec Kurosawa reste une des plus importantes de l'histoire du cinéma, même si son nom est bien moins connu que ceux de Bernard Hermann, Ennio Morricone, Nino Rota, Henri Mancini, Georges Delerue, ou même Masaru Satô et Tôru Takemitsu. Malgré mon premier paragraphe, il semblerait qu'il fut tout de même le premier compositeur réellement important du cinéma japonais, l'apport de sa collaboration avec Kurosawa étant apparemment unique à l'époque. Avant cela, la musique des films japonais était plus accessoire (d'après témoignage).

"C’était un homme vraiment bien. C'était comme si, avec ses lunettes, il était aveugle et que j'étais sourd. Nous avons travaillé si bien ensemble que la faiblesse de l'un était la force de l'autre. Nous avons été ensemble pendant dix ans, et il est mort. Ce n'était pas seulement une perte pour moi, mais pour la musique aussi bien. Vous ne rencontrerez pas une personne comme ça deux fois dans votre vie."
(Akira Kurosawa)

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"Ne t'inquiète pas pour ma santé. Sois sans pitié avec moi. Si je meurs à la tâche, ce sera par un retour de flammes de ma passion."
(Fumio Hayasaka à Kurosawa)


Fumio Hayasaka en cd :

- Akira Kurosawa - Before Seven Samurai (détails) bon courage pour le trouver :?
- Seven Samurai Soundtrack (détails)
- Ikiru Soundtrack + Record of Living Being Soundtrack(détails)

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Ps : j'enrichirai avec d'autres liens dès que possible.
Dernière modification par k-chan le 26 avr. 09, 18:40, modifié 1 fois.
julien
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Re: Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

Message par julien »

Superbe topic, que j'ai pris plaisir à lire. J'aime beaucoup la musique de l'Intendant Sancho. J'ai d'ailleurs essayé de la trouver en CD sans aucun résultat hélas. Dans le Cinéma plus récent, il y a aussi Toshirô MAYUZUMI (La Femme Insecte) et Toshi ICHIYANAGI. (Eros plus massacre). Je ne les connais que de nom mais je sais qu'ils ont une bonne réputation. La musique d'Ichiyanagi en particulier est assez expérimentale je crois. Il utilise notamment l'électronique.
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

Message par Strum »

Merci k-chan pour cette très intéressante contribution ! :)

J'ai toujours trouvé la musique de Hayasaka formidable dans les films de Kurosawa. Elle contribue beaucoup à leur donner cette atmosphère si particulière, cette espèce de vigueur physique qui les caractérise.
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-Kaonashi-
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Re: Cinéma et Musique - Compositeurs nippons

Message par -Kaonashi- »

Merci pour cette excellente participation, k-chan !
Je rêve de trouver un jour un CD des musiques de films de Mizoguchi (ne serait-ce que le thème bouleversant des Contes de la lune vague).
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