Breakfast Club (John Hughes - 1985)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Ender
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Ender »

AtCloseRange a écrit :Je n'avais pas voulu partager cet article vu ce que j'en pense.

Elle n'existerait peut-être pas sans John Hughes (elle n'a d'ailleurs quasiment rien fait d'autre d'identifiable) et de ce point de vue c'est indéfendable.
Elle a le droit de le penser (et d'être en partie dans le vrai) mais pas de cracher dans la soupe.
"Cracher dans la soupe", c'est comme pour les "prises d'otage" par les grévistes, un élément de langage de droite pour qualifier l'action de personnes qui ne font que faire usage de leur liberté, en l'occurence pour Molly Ringwald, celle d'exercer son esprit critique.

Dans son article elle rend plusieurs hommages appuyés à John Hughes, son apport au cinéma et son importance dans sa vie à elle. En même temps elle n'est pas simplement la bénéficiaire du casting de Hughes et du succès des films, elle est une contributrice de ces œuvres qui sans elle n'existeraient pas telles que nous les connaissons, et pour certaines n'existeraient pas du tout. Rien de plus normal que de faire retour sur une œuvre sur laquelle on a travaillé, qu'on a aidé à façonner.

Je suis loin de partager toutes les orientations du, disons, "néo-féminisme à l'américaine" et notamment les tendances à la normalisation culturelle, à la limite on en trouve trace dans l'article de Ringwald avec des qualificatifs comme "appropriate/inappropriate" pour désigner non seulement des comportements mais aussi de sujets traités dans des œuvres. En même temps dans l'analyse des films de Hughes en question, elle est rigoureuse. On dirait pour certains d'entre vous que le simple fait de se pencher sur des films avec des outils critiques féministes revient à faire du révisionnisme, à mutiler les films.

Au terme de son propos Molly Ringwald a parfaitement raison de regretter un "blind spot" dans la sensibilité du cinéaste. Reproduire des clichés sexistes et racistes dans une œuvre n'est pas avant tout affaire de faute morale, citoyenne ou que sais-je, mais d'art et de rétrecissement de la vision artistique. Typiquement dans Sixteen Candles, Hughes ne voit pas le personnage du correspondant asiatique, il n'est qu'un ressort comique ambulant (à base de clichés racistes grossiers). A comparer avec la densité des personnages de Molly Ringwald ou Anthony Michael Hall. Dans leurs cas il parvient à malmener les clichés, en jouer, les retourner, etc. Il faut bien des personnages secondaires, mais leur caractérisation compte.

Il me semblait que la nullité raciste et sexiste de certains passages de Sixteen Candles est évidente, que cet avis est largement partagé aujourd'hui. Il faut vraiment une réaction épidermique pour reprocher à Molly Ringwald de s'emparer du sujet.

Pour élargir, je me réjouis de la nouvelle vague globale du féminisme. Elle engendre nécessairement des contradictions, part dans des courants contraires etc. Le dépassement des contractions passe par des solutions elles-mêmes féministes, pas je-ne-sais-quel contre-courant fantasmé et réactionnaire.

PS : excuse l'entrée en matière brutale, je me trouve moi-même malpoli de te qualifier de droite (au passage bisous à yaplusdsaisons si tu passes encore par ici) ! Je n'ai pas posté sur ce forum depuis très longtemps, mais ça fait quelques mois je vous relis régulièrement et les différents topics qui discutent féminisme me donnent depuis un moment envie d'intervenir.
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par la_vie_en_blueray »

davidhofer a écrit :En plus, si on doit se formaliser pour le coup de la fille un peu pimbèche et méprisante qui se fait un peu ramener les pieds sur terre par un petit voyou pas si méchant que ça et finit par tomber amoureuse de lui, il y a pas mal de classiques qui vont être revus à la baisse.
Je n'ai pas trouvé son argumentaire choquant, elle reconnait les qualités et les défauts du film.

le film a des problèmes qui sont symptomatiques d'une époque en terme d'image cinema. Et effectivement, le syndrome de la jolie et du voyou, c'est un fond de commerce du cinema.

Après, il ne fallait pas être très brillant, à l'époque qui était aussi la mienne,
pour comprendre que dans la vraie vie, les jolies filles en pincent pour les voyoux qui le sont mais pas trop. Même ces féministes qui nous en font des tartines 30 ans après.

Je serais étonné que ca ait foncièrement changé.
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MJ
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par MJ »

Ender a écrit :Je n'ai pas posté sur ce forum depuis très longtemps, mais ça fait quelques mois je vous relis régulièrement et les différents topics qui discutent féminisme me donnent depuis un moment envie d'intervenir.
Tu n'es pas seul à les lire avec... circonspection?, donc merci de le faire!
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
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Michel2
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Michel2 »

Je le trouve bien, ce papier de Molly Ringwald, et pour le coup absolument pas moralisateur ou bien pensant.

Intellectuellement, l'argumentaire est parfaitement honnête et Ringwald est la première à souligner les paradoxes et les contradictions potentiellement inhérentes à sa démarche. Elle se sert de son vécu et de son ressenti personnels pour soulever un certain nombre de questions pertinentes sans pour autant s'ériger en grande inquisitrice ou en mère-la-morale, et le portrait qu'elle brosse de sa relation de travail avec John Hughes me semble sincère et totalement étranger à toute forme de règlement de compte. Je n'ai pas du tout le sentiment qu'elle crache dans la soupe : il est clair qu'elle a eu et a toujours beaucoup de respect et d'admiration pour Hughes, qui était un individu complexe et apparemment pas toujours facile à vivre, mais elle s'efforce de comprendre les contradictions du bonhomme tout en admettant qu'il y aura toujours une part de lui qui lui échappera. Je ne vois rien de choquant là-dedans

Et puisque le papier tourne principalement autour du personnage de Bender, je trouve que c'est effectivement lui le point faible du film, moins parce qu'il incarne un possible inconscient machiste que parce qu'il est au fond assez mal écrit et peine à aller au-delà de la caricature du mauvais garçon pour pièce de théâtre de boulevard : sa violence comme sa supposée souffrance intérieure sonnent constamment faux (et Judd Nelson n'arrange pas vraiment les choses en en faisant des caisses), peut-être parce que Hughes était au fond plus doué pour croquer des enfants sages en crise passagère que pour proposer une véritable transgression (et pour préempter les réponses de type "quoi, Ferris Bueller n'est pas un rebelle transgressif ?", je dis d'emblée "Ben non, c'est juste un gosse de riches qui joue au rebelle").
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Major Tom
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Major Tom »

Dirk Diggler a écrit :Honnêtement y en a un peu marre de ce genre de retours en arrière du type "et si...". Oui, "Naissance d'une nation" aurait été meilleur si ça avait pas été un film raciste...
Ah non, on ne va pas recommencer avec ce film ! :mrgreen:

Plus sérieusement, je comprends plutôt le point de vue de Molly Ringwald qui pour le coup est un point de vue sincère et qui se défend plutôt bien. Il est vrai qu'en cette période de farouches empoignades et déballages en tout genre sur des questions féministes (y compris sur des forums à forte concentration masculine :fiou: ), tout débat sur n'importe quel film -forcément en phase avec son époque- serait vain et l'issue connue d'avance. Cependant, et même s'il est vrai que ces révisions sont lassantes, Ringwald ne milite pas du tout contre ces films (elle ne "crache pas dans la soupe") et ce serait une erreur de la confondre avec les tarés comme ceux qui ne font pas la part des choses entre l'individu et son œuvre, ou voudraient aseptiser le cinéma, interdire les diffusions/rétrospectives (hier Antonioni, Polanski ou Woody Allen, vivement demain où on s'attaquera à Hitchcock).
Notons que ceux-là, au lieu de chercher à descendre de leur piédestal les réussites du passé pour des questions idéologiques contemporaines, devraient se pencher sur les navets hollywoodiens bien actuels (ou comme chez nous les comédies françaises crétinisantes) devant lesquels les générations futures se demanderont, elles aussi, comment on a pu laisser passer des merdes pareilles (l'Histoire a une fâcheuse tendance à se repasser les plats à l'infini). :)

Re-plus sérieusement, Ringwald a du bon sens et dit elle-même en s'adressant au public qu'il faut continuer de voir ces films, simplement en les rangeant dans le contexte de leur époque (ce que nous, cinéphiles, faisions déjà automatiquement), rien de méchant. Tous les films sont effectivement amenés à vieillir plus ou moins bien, et ceux de Hugues (de mémoire surtout Sixteen Candles) ont des "petits points faibles" dirons-nous. Mais ce ne sont pas ces points faibles qui doivent égarer notre vision sur ces films, ou devenir des éléments à charge comme dans un tribunal, ou même amener à croire que c'est de l'apologie machiste. Ce n'est pas parce que je jouais aux G.I. Joe étant enfant que je suis devenu militariste. C'est en lisant tenia et pol gornek. :mrgreen: Allez, reparlons plus généralement de cinéma sur DVDClassik, bordel. :D
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Ender
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Ender »

MJ a écrit :
Ender a écrit :Je n'ai pas posté sur ce forum depuis très longtemps, mais ça fait quelques mois je vous relis régulièrement et les différents topics qui discutent féminisme me donnent depuis un moment envie d'intervenir.
Tu n'es pas seul à les lire avec... circonspection?, donc merci de le faire!
Au plaisir ! Let's feminazi-up this men's dorm!
Michel2 a écrit :Et puisque le papier tourne principalement autour du personnage de Bender, je trouve que c'est effectivement lui le point faible du film, moins parce qu'il incarne un possible inconscient machiste que parce qu'il est au fond assez mal écrit et peine à aller au-delà de la caricature du mauvais garçon pour pièce de théâtre de boulevard : sa violence comme sa supposée souffrance intérieure sonnent constamment faux (et Judd Nelson n'arrange pas vraiment les choses en en faisant des caisses)
Je trouve Bender/Judd Nelson plutôt dans le ton du film, on part de la caricature pour la creuser tant soit peu. Nelson hérite du personnage le plus exubérant, d'où le cabotinage, mais aussi l'énergie qu'il insuffle à l'ensemble. A mon avis son défaut d'écriture provient bien de l'inconscient et le conscient machistes qu'il exprime, comme le décrit Ringwald dans son texte. La dynamique bad boy-prom queen fonctionne jusqu'à un point, mais c'est vrai que leur alchimie et le propos souffrent de la misogynie goguenarde et du côté harceleur que Hughes prête à Bender. Je n'oublie pas pour autant qu'une analyse seulement centrée sur des enjeux de violence sexuelle omettrait une chose que Breafkast Club réussit par ailleurs superbement à montrer à travers tous ses personnages : que la rencontre authentique avec autrui produit une forme de violence salutaire, de nature à tirer l'individu de son cocon/carcan, à sortir de la zone de faux confort. En soi une belle réponse par anticipation au culte américain du politiquement correct.
Michel2 a écrit :peut-être parce que Hughes était au fond plus doué pour croquer des enfants sages en crise passagère que pour proposer une véritable transgression (et pour préempter les réponses de type "quoi, Ferris Bueller n'est pas un rebelle transgressif ?", je dis d'emblée "Ben non, c'est juste un gosse de riches qui joue au rebelle").
C'est aussi une limite dans Sixteen Candles. Le triomphe du geek via Anthony Michael Hall a pu apporter un vrai vent frais dans les représentations de l'époque (je ne reviens pas sur la mise en scène déplorable du triomphe final via apologie du viol) et cette réhabilitation reste touchante. N'empêche qu'AMH n'est pas le geek terminal, c'est un baratineur de talent et qui sait jouer au bonhomme à défaut d'en être un. A force de le jouer, il saura s'assimiler à la norme. Ses potes geeks réellement marginaux et barges eux sont cantonnés au rôle de sidekicks comiques et ridiculisés du début à la fin. Mettons qu'ils profitent un peu par procuration de la réhabilitation symbolique du perso d'AMH, mais enfin ils restent des victimes expiatoires au sort peu enviable !
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Michel2
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Michel2 »

J'ai revu Breakfast Club il y a quelques mois et je n'ai pas eu le sentiment que l'improbable happy end dont se voient gratifiés Claire et Bender récompensait le machisme de ce dernier. Sans doute parce que je n'arrive pas à croire à ce personnage, dont l'agressivité et les manières de bad boy sonnent complètement faux à mes yeux.

C'est un peu ce que j'écrivais plus haut, et je l'entends comme un constat plutôt que comme une critique : John Hughes avait un réel talent pour saisir la sensibilité et les tourments des adolescents plutôt sages (ce qui explique en bonne partie le succès et la pérennité de ses films) mais la rage véritable des ados broyés pour de bon par la vie n'entrait pas dans son propos. Du coup, son Bender est plus un voyou d'opérette qu'autre chose, ce qui désamorce chez moi tout ce que son agressivité sexuelle pourrait avoir de déplaisant si j'arrivais à prendre son personnage au sérieux. Partant de là, la déconstruction du stéréotype du mauvais garçon apparaît essentiellement comme une ficelle de scénario puisqu'on sent venir gros comme une maison le cliché du petit coeur sensible qui bat sous la carapace de la brute. J'en veux pour preuve le fait que Hughes se contente de suggérer l'éventualité de violences que le personnage subirait de son père alcoolique pour surtout ne rien en faire ensuite.

Le seul moment un peu intéressant concernant Bender est ironiquement dû à un accident de tournage. L'instant où il se recroqueville de peur lorsqu'il pense que le principal adjoint va le frapper n'était pas scénarisé, et Judd Nelson a juste réagi instinctivement pour se protéger lorsque Paul Gleason a levé la main sur lui sans le prévenir. L'idée que derrière le bully se cache un trouillard qui a en réalité peur de tout aurait mérité d'être développée davantage, mais on sent bien que Hughes était trop malin et trop soucieux des attentes de son public pour faire de son personnage le plus spectaculaire une baudruche prête à se dégonfler à la première occasion. Il n'allait quand même pas maltraiter son leading man à ce point-là.

Ce que j'ai trouvé par contre assez contestable dans le film, et cela va dans le sens de ce que tu écris sur le personnage d'Anthony Michael Hall dans le précédent opus de Hughes, c'est le fait de ramener Allison dans la norme d'une certaine féminité standardisée grâce à un relooking qui évacue toute la singularité qui fait son identité : vive la différence, mais à condition que la différence accepte in fine de rentrer dans le rang.

Quant à 16 Candles, je ne l'ai pas vu depuis la nuit des temps, ce qui fait que j'en ai un souvenir très flou. Le Blu-ray me regarde du haut d'une étagère, ceci dit.
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Truffaut Chocolat
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Truffaut Chocolat »

Ender a écrit :
AtCloseRange a écrit :Je n'avais pas voulu partager cet article vu ce que j'en pense.

Elle n'existerait peut-être pas sans John Hughes (elle n'a d'ailleurs quasiment rien fait d'autre d'identifiable) et de ce point de vue c'est indéfendable.
Elle a le droit de le penser (et d'être en partie dans le vrai) mais pas de cracher dans la soupe.
"Cracher dans la soupe", c'est comme pour les "prises d'otage" par les grévistes, un élément de langage de droite pour qualifier l'action de personnes qui ne font que faire usage de leur liberté, en l'occurence pour Molly Ringwald, celle d'exercer son esprit critique.
Je m'engageais pas sur le côté "élément de langage de droite", en revanche je suis totalement en phase avec le reste.
Michel2 a écrit :Je le trouve bien, ce papier de Molly Ringwald, et pour le coup absolument pas moralisateur ou bien pensant.

Intellectuellement, l'argumentaire est parfaitement honnête et Ringwald est la première à souligner les paradoxes et les contradictions potentiellement inhérentes à sa démarche. Elle se sert de son vécu et de son ressenti personnels pour soulever un certain nombre de questions pertinentes sans pour autant s'ériger en grande inquisitrice ou en mère-la-morale, et le portrait qu'elle brosse de sa relation de travail avec John Hughes me semble sincère et totalement étranger à toute forme de règlement de compte. Je n'ai pas du tout le sentiment qu'elle crache dans la soupe : il est clair qu'elle a eu et a toujours beaucoup de respect et d'admiration pour Hughes, qui était un individu complexe et apparemment pas toujours facile à vivre, mais elle s'efforce de comprendre les contradictions du bonhomme tout en admettant qu'il y aura toujours une part de lui qui lui échappera. Je ne vois rien de choquant là-dedans.
Pas mieux.
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par tenia »

Major Tom a écrit :C'est en lisant tenia et pol gornek. :mrgreen:
:mrgreen:
Nan mais sur le papier de Ringwald, je trouve juste surprenant d'estimer qu'elle est une sorte d'idiote crachant dans la soupe des années plus tard (un peu à la façon de ces gens qui, une fois les contrats promos expirés, balancent sur le film ou le réal') alors que son papier est suffisamment nuancé pour dépasser cette seule impression. Ender résume parfaitement cela, que Ringwald avait déjà bien formulé : les films de Hughes sont généralement fins, mais il y a des éléments qui posent problème de façon assez objective (et, dans certains cas, ce n'est même pas nouveau). Et visiblement, on est à peu près d'accord sur ce point.

Pour le reste, j'ai déjà amplement expliqué que je ne m'inquiétais pas trop pour les films d'Antonioni, Polanski ou Allen, qui semblent se porter plutôt bien et ne pas avoir besoin de nous pour survivre (faut que je me mate The Passenger, d'ailleurs. :mrgreen:), tout comme je ne crois pas en le rejet-réflexe de toute relecture contemporaine d'un film plus ancien comme étant forcément profondément problématique et aberrante (voire pire qualificatif encore).
Major Tom a écrit :Notons que ceux-là, au lieu de chercher à descendre de leur piédestal les réussites du passé pour des questions idéologiques contemporaines, devraient se pencher sur les navets hollywoodiens bien actuels (ou comme chez nous les comédies françaises crétinisantes) devant lesquels les générations futures se demanderont, elles aussi, comment on a pu laisser passer des merdes pareilles.
Sophisme de la solution parfaite : ces gens sont cons, la preuve, ils laissent passer les merdes actuelles.
Ah bah oui, arrêtons tout alors, ça ne sert à rien, même si ça n'a rien à voir.
Cela étant dit, RAID Dingue, Épouse moi mon pote, Gangsterdam ou Si j'étais un homme ont bien pris pour leur grade. Après, on n'empêchera pas plus Les Tuche d'avoir du succès que Baby Boss ou Pirates des Caraibes 5.
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Major Tom »

On fonce à nouveau droit vers un dialogue de sourds et, surtout, ce n'est pas le bon topic pour ça : mon propos était simplement de dire qu'il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, les gens pertinents et les extrémistes, le papier de Molly Ringwald et par exemple celui sur Blow-up (qui confondait le personnage principal et son cinéaste, soit un exemple de relecture contemporaine ratée). Comme tu recommences précisément à tout mélanger :mrgreen: (en faisant resurgir le refrain des "films d'Antonioni se portent bien", le rapport avec la choucroute ?) et que de toute façon, mieux que toi et moi, Ender et Michel2 ont brillamment fait le tour, je passe le mien. ;)
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tenia
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par tenia »

Je pense qu'on est dans le fond d'accord sur cet article, je regrette juste que systématiquement, à chaque parution d'article du genre, c'est toujours par ici le même réflexe qui sert d'accueil.
Mais oui, Ender et Michel2 ont déjà fait le tour d'une meilleure façon que je ne l'aurais fait (et pas qu'un peu).
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Ender
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par Ender »

Michel2 a écrit :C'est un peu ce que j'écrivais plus haut, et je l'entends comme un constat plutôt que comme une critique : John Hughes avait un réel talent pour saisir la sensibilité et les tourments des adolescents plutôt sages (ce qui explique en bonne partie le succès et la pérennité de ses films) mais la rage véritable des ados broyés pour de bon par la vie n'entrait pas dans son propos.
Je partage dans une certaine mesure ce constat, il recoupe des biais qu'on discute dans plusieurs de ses films, de Candles à Bueller.

Partant de là, je tente néanmoins encore un détour sur le véritable apport de Hughes... pour essayer de justifier la relative réussite, à mon goût, du Bender de Breakfast Club.

Hughes produit un cinéma dans lequel la division qui informe tout ce qui se passe n'est pas de classe (Bender contre les petits-bourgeois) ni d'ordre psychologique (Bender animal blessé vs. ados mondains en crise identitaire). Ces contradictions sont explorées et même exacerbées par l'instabilité adolescente, mais sont dominées par une contradiction plus fondamentale qui intéresse Hughes : l'adolescence justement, opposée au monde des adultes.

Cette vision du monde est criticable bien entendu et produit des impensés. C'est une vision elle-même adolescente des choses, une vision à hauteur d'adolescence, grâce à quoi Hughes a plus ou moins inventé le teen movie contemporain, une sensibilité nouvelle pour représenter les ados au cinéma. D'autres films évidemment et avant Hughes ont tenté de trouver cet angle, mais beaucoup d'entre eux tentaient deux choses à la fois, traitaient l'adolescence comme sujet et comme objet, se placent à la fois dans l'angle ado et dans le commentaire adulte (social ou autre).

Dans l'univers de Hughes, les divisions entre ados sont sauvages (par la classe, mais aussi la meute, l'individualité mal dégrossie, le genre, la sexualité, les hiérarchies d'âge internes aux teen years etc.) et en même temps, tous se trouvent d'un côté d'une même et imposante frontière , au-delà de laquelle se trouve l'autorité et la fixité des adultes.

L'adolescence est saisie comme mouvement accéléré dans la vie, et opposée au devenir adulte qui serait le stade de la glaciation éternelle. Par exemple, un idéalisme naïf est encore capable de conjurer des divisions que le monde adulte sanctionne lui de manière pérenne (la solidarité du Breakfast Club, opposée à la division immuable du travail chez les adultes : d'un côté le principal, de l'autre l'agent d'entretien).

C'est dans cette perspective que je trouve le portrait de Bender réussi. Tu mentionnes deux de ses moments-clés dans le film. Celui où il laisse apparaitre les comportements abusifs de son père et celui de son face à face avec le principal. Ses blessures familiales n'ont beau apparaitre qu'au détour d'un dialogue, elles sont explicites et intéressantes si on relie la scène avec celle du principal. Je trouve le ton de sa confidence plutôt juste : elle est agressive pour une raison, il la jette au nez des autres lycéens comme un reproche. Son père étant une figure de l'abus des adultes, le principal représente lui une figure d'autorité a priori légitime, légitimée par l'institution et Bender passe son temps à la provoquer, la narguer, la ridiculiser, en gros à la tester. Dans la séquence de face à face dans le bureau, la réaction de Bender a plus de conséquences que ce que tu dis. Il y a son moment de peur, mais aussi la fixité de son regard sur le principal ensuite. C'est le moment pivot du film pour lui. Jusque-là devant le principal il s'efforçait d'éprouver et contrarier la soldité de son autorité, c'était sa manière, en négatif, de la reconnaitre. Dans le bureau, soumis à des menaces et des sournoiseries, le masque tombe, il comprend que l'autorité institutionnelle n'était rien d'autre que le masque d'une obscenité, une autorité finalement aussi arbitraire et abusive que celle du père. Les adultes en général se trouvent disqualifiés comme figures d'autorité. C'est à partir de ce moment qu'il cesse de se contenter de reproduire sur ses camarades de colle les abus dont il est victime et que son alliance avec eux devient possible. Il cesse progressivement d'avoir un comportement symptomatique, de bully avec ses semblables et de faux-rebelle envers les adultes. Il est guéri de l'illusion de croire et chercher une autorité adulte fiable.

Les tourments qui affectent Bender sont a priori incommensurables avec ceux des autres protagonistes et appellent un traitement pour lequel Hughes, par affinités, n'est pas le mieux doué. Il a au moins su se rendre compte de la singularité du personnage et en faire le vrai facteur de changement pour toute la faune du film. Et eu l'intelligence de ne pas le cantonner non plus à ça, à jouer le prolo qui sert à revigorer les bourgeois, dans la mesure où il lui construit une trajectoire personnelle aussi dynamique que les autres. D'autres biais parasitent aussi le "roman d'apprentissage" d'Allison oui : le mérite est de ne pas la cantonner à l'identité de freak qu'elle se fabrique, la faute comme tu le soulignes c'est de présenter son évolution comme une transformation de sorcière en princesse commode.

La jointure réussit pourtant entre tous ces portraits disparates et plus ou moins adroits si on les rapporte à la morale de Hughes, qui oppose le pouvoir de transformation propre à la jeunesse et la malfaisance totémique des adultes.

Pour moi c'est une morale à double tranchant. D'un côté elle permet un cinéma de la jeunesse lui-même rajeuni qui célèbre l'adolescence à sa hauteur, en épousant ses imperfections et sa puissance intrinsèque de dérangement de l'ordre des choses. D'un autre côté, elle produit un regard sur les adultes comme repoussoir absolu. Incarner l'obscenité de cet ordre des choses est le destin immuable des adultes, c'est une étape de la vie qui n'est jamais montrée comme le prolongement possible, muri, de ce que le teenage contient d'expériences, de désordres, de passions... Les adultes méritent donc d'être contestés de toute force par les héros ados, mais l'être-adulte est immanquablent l'ère-fossile, le régiment de la conformité. D'où qu'on devine dans certains de ses ados agités de futurs winners très rangés. Quant à Bender, sa malédiction que le film ne remarque peut-être pas vraiment, est d'être celui, d'entre tous, qui sera sommé le premier et le plus sèchement de rentrer dans le rang des adultes immobiles.

C'est un plaisir d'être forcé de réfléchir un peu au contenu de ces films trop souvent cantonnés aux célébrations nostalgiques, alors merci à toi (et à la grande Molly Ringwald) !
Dernière modification par Ender le 10 avr. 18, 17:18, modifié 3 fois.
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AtCloseRange
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Re: Breakfast Club (John Hugues - 1985)

Message par AtCloseRange »

Si seulement Hughes (faudrait corriger le titre un jour) avait imaginé qu'on ferait des pages sur ses films, je pense que ça l'aurait bien fait marrer.
Mais qu'est-ce que je fais encore ici?
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tenia
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Re: Breakfast Club (John Hughes - 1985)

Message par tenia »

Armond White est contre. Comme une horloge suisse. :mrgreen:
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