Jim Jarmusch
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Merci pour ce rappel ! Comme quoi Jarmusch nous livre la clef du concept avant de passer à la pratique avec son subtile flashback.harry callahan a écrit :Ghost Dog et Pearline ont une discussion sur le livre Rashômon, ce recueuil de nouvelles, la petite fille lui donne son avis comme à chaque fois, précise qu'elle a particulièrement aimé la nouvelle "où c'est la même histoire, mais chacun des personnages la raconte à sa manière" ( si je me souviens bien, cette nouvelle s'apelle Dans la forêt de bambous ).
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Si mes souvenirs sont bons, on voit d'abord le flashback vu par Ghost Dog, puis la discussion à propos du livre, puis le flashback vécu par par son "maître".
[...]But being this a .44 magnum, the most powerful handgun in the world, and would blow your head clean off, you have to ask yourself one question : "Do I feel lucky ?". Well, do you, punk ?
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Le Samouraï theme est dans ma playlist matinale quotidienne.Ratatouille a écrit :Beaucoup aimé aussi. Et énorme musique de RZA.
Sinon, quelle édition DVD pour ce film vaut le coup ?
J'ai vu qu'il y a une édition Studio Canal bien plus chère qu'une autre sortie sous le label "Kulte" dans les bacs d'occaz. Quelle différence entre les deux ?
The gospel was told, some souls it swallowed whole
Mentally they fold, and they eventually sold
Their life and times, deadly like the virus design
But too, minute to dilute, the scientist mind.
Wu.
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Re: Notez les films de mai 2009
Permanent Vacation de Jim Jarmusch (1980).
Que dire ? Œuvre fondatrice de JJ, on y retrouve les thèmes qui lui sont chers (errance, solitude, voyages et rencontres, etc...).
Petite spécificité, il me semble que c'est le seul film où le personnage principal explique son état d'esprit.
Le film est parfaitement accompagné par la musique pesante de John Lurie et même si l'on ressent quelque peu le manque de moyens, on sait maintenant ce qu'il est capable de réaliser avec plus de tune.
Year of the horse de Jim Jarmusch et Neil Young (1997).
Docu/Concert sur le groupe Neil Young & Crazy Horse. Ça aurait mérité plus d'images de coulisses, d'intreviews, etc... mais tant pis.
Le passage où Jim et Neil commentent la bible m'a beaucoup fait rire.
Que dire ? Œuvre fondatrice de JJ, on y retrouve les thèmes qui lui sont chers (errance, solitude, voyages et rencontres, etc...).
Petite spécificité, il me semble que c'est le seul film où le personnage principal explique son état d'esprit.
Le film est parfaitement accompagné par la musique pesante de John Lurie et même si l'on ressent quelque peu le manque de moyens, on sait maintenant ce qu'il est capable de réaliser avec plus de tune.
Year of the horse de Jim Jarmusch et Neil Young (1997).
Docu/Concert sur le groupe Neil Young & Crazy Horse. Ça aurait mérité plus d'images de coulisses, d'intreviews, etc... mais tant pis.
Le passage où Jim et Neil commentent la bible m'a beaucoup fait rire.
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Re: Jim Jarmusch
On a faillit s'impatienter, mais le montage du doc "Gimme Danger" que Jarmusch a consacré a Iggy Pop touche a sa fin...
(Cannes ?)
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Re: Jim Jarmusch
Permanent vacation
C’est un univers morbide, hystérique (la visite en hôpital psychiatrique) et sous-prolétarisé que dépeint Jarmusch dans ce premier long-métrage. Quelque chose comme l’enfer domestique glauque et absurde du Eraserhead lynchien revu et corrigé par une esthétique européenne à la Chantal Akerman. Le New York dans lequel déambule le héros est une ville déserte, fantôme, morte, hantée par des habitants zombiesques. Scène après scène se dessine le tableau sinistre et démoralisant de l’envers fragile du décor américain à l’aube des années Reagan. La composition austère des plans, le rythme languide de leur montage, le grain flou de l’image, la musique toute en syncopes participent d’une même impression de morsure froide. La chaleur et la tendresse des films suivants feront beaucoup de bien à ce cinéma. 3/6
Stranger than paradise
C’est d’emblée aux marginaux du rêve américain, vagabonds volontaires et orphelins de leurs illusions, que s’intéresse ici Jarmusch. Ses deux héros à la recherche d’un soleil hypothétique ne quittent jamais leurs galurins, sifflent bières et plateaux-repas devant les matchs de foot, parient aux courses comme de vrais américains. La petite cousine qui débarque de Budapest découvre avec d’autres yeux ce nouveau pays, la cité dortoir de Cleveland enfouie sous la neige et la résignation, la Floride vendue comme un paradis mais balayée par un vent hivernal. Pourtant nulle sinistrose n’est à l’œuvre, seulement des liens fragiles qui se tissent entre ces trois attachants candidats à l’intégration, une drôlerie pince-sans-rire, un goût de l’errance très personnels. Beaux débuts et complète réussite. 5/6
Down by law
C’est un blues, bien épais, bien poisseux, mais un blues qui nous colle la peau, avec le sourire en plus. Devant la caméra, la dégaine indolente et la voix rocailleuse de Tom Waits et John Lurie, bientôt rejoints par le naïf et fantasque Roberto Benigni. Jarmusch filme leur cavale avec une sympathie grinçante et le style contemporain et très particulier qui est le sien, fait de désœuvrement, de vagabondage et de dérision, établissant un pont entre une sensibilité américaine hétéroclite (une sorte de neo-beat-noir-comedy, comme il la qualifie) et la culture européenne (on pense à Wenders, dont le chef-op’ Robby Müller cisèle d’ailleurs une belle esthétique en noir et blanc). Par son humour à froid, sa poésie nonchalante qui recèle une tendresse pudique, le film délivre un charme persistant. 4/6
Mystery train
Memphis, ville-fantôme où presque rien ne circule, espace déchu superbement photographié, parcouru par quatre étrangers (un couple craquant de jeunes Japonais, une Italienne rapatriant son défunt mari, un Anglais en rupture amoureuse) qui dressent un diagnostic de l’imagerie américaine. Faux film à sketchs, l’œuvre est une miniature à trois étages constamment permutés entre eux, dont l’architecture d’horloger et les chevauchement spatio-temporels annoncent quelques pulpeuses fictions à venir. Opérant sur les registres de la douceur amoureuse, du mystère puis de la cocasserie, elle génère une tendresse désinvolte, une mélancolie charmeuse, une drôlerie exquise personnifiée par le gardien de nuit philosophe et le groom apprenti, Laurel et Hardy des temps modernes. On s’y sent follement bien. 5/6
Night on earth
La nuit sur Terre, c’est celle qui recouvre les courses de cinq taxis entre Los Angeles et Helsinki, en passant par New York, Paris et Rome. Le postulat est tentant : vagabonder sur la planète, au même moment, et décrire l’intimité provisoire qui unit chauffeur et passager. Parce que le cinéaste adore raconter des historiettes peuplées de paumés, de dériveurs et de glandus, parce qu’il ne cesse de répéter qu’on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre, un tel programme était fait pour lui. Mais la construction du film à sketches se double ici d’un procédé répétitif aboutissant à une sorte de pléonasme stylistique. D’où la platitude de l’ensemble, qui accumule dialogues poussifs de café-théâtre et confessions vaguement ennuyeuses pour s’achever dans le blues des aubes blêmes et des bitures existentielles. 3/6
Dead man
Périple étrange, mystérieux, magique, peuplé d’Indiens férus de poésie anglaise et de silhouettes qui tournent en rond, vers le grand fleuve qui emportera à jamais le héros ahuri. Icônisé par des décennies de western, l’Ouest américain est transformé en vaste cimetière dans cette chanson de geste envoûtante qui dessine au son de la guitare hypnotique de Neil Young une spectrale élégie, une errance hallucinée et déréalisante, une promenade lancinante avec la mort. Pris d’une inspiration spirituelle tenant à la fois de l’animisme et du bouddhisme, Jarmusch fait le grand écart entre Mizoguchi et Keaton, et élabore un poème vaporeux, à la temporalité ralentie, autour de l’ironie de l’existence et du passage dans l’autre monde, dont l’onirisme rimbaldien se drape d’un humour noir et désenchanté. Une œuvre unique. 6/6
Top 10 Année 1995
Ghost dog
Même principe de déplacement des stéréotypes appliqué cette fois au film noir melvillien – terrains vagues, caïds racés, mafieux cacochymes et bedonnants, immeubles lépreux. Se faisant le chantre des tribus condamnées, le cinéaste suit les traces d’un autre mort en sursis, qui a la silhouette lourde et gracieuse à la fois de Forest Whitaker, ange exterminateur et tueur à gages zen nourri de philosophie orientale. Une fois de plus, Jarmusch joue des genres et des contrastes, s’impose comme un virtuose créateur d’atmosphère (hip-hop et gangsta rap jumelé à l’esprit samouraï, sur le pouls sensuel et tranchant de RZA), inscrivant l’itinéraire du héros dans un mélange de drôlerie pince-sans-rire, de mélancolie rêveuse, de violence ouatée, presque dérisoire, et de calme serein. 4/6
Coffee and cigarettes
Case blanche, case noire : motif du damier reconduit tout au long d’une série de sketches en forme de vignettes loufoques, drôles et mélancoliques, où une flopée de stars et d’habitués de l’univers jarmushien viennent défiler, deviser et s’amuser, en rappelant que la cigarette et le café sont deux plaisirs indissociables. Le ton est assez anecdotique, visant une légèreté de bon aloi qui dispense une certaine séduction. L’unité de l’ensemble est l’unique souci de l’auteur, l’humour distant sa qualité majeure. Et si les prétextes sont variés, on peut se réjouir d’une cohérence assurée par un regard toujours original, par une capacité tranquille à dénicher la poésie dans le quotidien et la banalité des conversations, avec toujours la même ironie détachée dans le propos. 4/6
Broken flowers
Jarmusch a toujours affiché une prédilection pour la segmentation, les films à épisodes, les structures ludiques. Avec ce voyage dans l’intimité obscure d’un homme sans qualités, Don Juan fatigué de tout et confronté à l’heure du bilan à une paternité qu’il n’avait jamais soupçonné, il atteint la belle plénitude d’un style qui fait de lui un idéal Ozu américain, et charge chaque scène d’une émotion ténue, sans en rajouter dans l’effet, sans la moindre scorie. Servi par l’économie de jeu assez stupéfiante de Bill Murray et son air de clown triste, il signe un portrait mélancolique mais jamais dépressif, doublé d’un voyage dans l’Amérique profonde, qui médite sur le temps passé, le poids des actes accomplis et le regret qui en découle, et sur la prise de conscience tardive de l’image laissée aux autres. 5/6
Only lovers left alive
Les vampires de Jarmusch sont de tels dandys aristocratiques qu’on se demande bien pourquoi il ne s’y est pas confronté plus tôt. Son cinéma a toujours secrété quelque chose de sorcellaire, et sa puissance d’envoûtement opère ici sans donner la moindre impression de performance. Cette balade nocturne agit comme une installation lounge qui interroge le passage du temps, la transformation des choses, l’inactualité obstinée d’un état au monde. Son ironique lucidité convertit ce qui pourrait n’être qu’une geignardise passéiste en éloge du renouvellement, ses images fauves et somnambuliques donnent envie de déménager fissa à Detroit ou Tanger, et l’agréable torpeur dans laquelle on en émerge rappelle que s’il est un poète désabusé, le cinéaste est avant tout un styliste de première classe. 4/6
Paterson
Plus essai que fiction hantée, pièce d’orfèvrerie que rêverie baudelairienne, cette chronique de l’ordinaire constitue l’un des films les plus théoriques de l’auteur qui, en sérialisant le train-train routinier des jours, cherche à y déceler des répétitions, des rimes, des variations, des saillies riches ou pauvres. Son inframonde duveteux et multiethnique, sans heurt ni dispute, est comme un univers réduit à une liste de courses culturelles dans un notebook, un inventaire de petits machins, petits objets, petites anecdotes, petits clins d’œil déposés comme autant de cailloux charmants sur un chemin parfaitement linéaire, et dont la réaction chimique procède d’un mélange lancinant de sérénité et d’étrangeté inquiète. Reste qu’à toujours flirter avec la ténuité, on verse un peu dans l’inconsistance désincarnée. 4/6
Mon top :
1. Dead man (1995)
2. Stranger than paradise (1984)
3. Broken flowers (2005)
4. Mystery train (1989)
5. Only lovers left alive (2013)
J’aime beaucoup le ton décalé et nonchalant de cette figure de proue du cinéma indépendant américain. Son regard poétique sur les marginaux, son jeu avec les codes et les genres, son ironie légère et charmeuse distillent un charme tenace – et il a quand même réalisé au moins un film magistral.
C’est un univers morbide, hystérique (la visite en hôpital psychiatrique) et sous-prolétarisé que dépeint Jarmusch dans ce premier long-métrage. Quelque chose comme l’enfer domestique glauque et absurde du Eraserhead lynchien revu et corrigé par une esthétique européenne à la Chantal Akerman. Le New York dans lequel déambule le héros est une ville déserte, fantôme, morte, hantée par des habitants zombiesques. Scène après scène se dessine le tableau sinistre et démoralisant de l’envers fragile du décor américain à l’aube des années Reagan. La composition austère des plans, le rythme languide de leur montage, le grain flou de l’image, la musique toute en syncopes participent d’une même impression de morsure froide. La chaleur et la tendresse des films suivants feront beaucoup de bien à ce cinéma. 3/6
Stranger than paradise
C’est d’emblée aux marginaux du rêve américain, vagabonds volontaires et orphelins de leurs illusions, que s’intéresse ici Jarmusch. Ses deux héros à la recherche d’un soleil hypothétique ne quittent jamais leurs galurins, sifflent bières et plateaux-repas devant les matchs de foot, parient aux courses comme de vrais américains. La petite cousine qui débarque de Budapest découvre avec d’autres yeux ce nouveau pays, la cité dortoir de Cleveland enfouie sous la neige et la résignation, la Floride vendue comme un paradis mais balayée par un vent hivernal. Pourtant nulle sinistrose n’est à l’œuvre, seulement des liens fragiles qui se tissent entre ces trois attachants candidats à l’intégration, une drôlerie pince-sans-rire, un goût de l’errance très personnels. Beaux débuts et complète réussite. 5/6
Down by law
C’est un blues, bien épais, bien poisseux, mais un blues qui nous colle la peau, avec le sourire en plus. Devant la caméra, la dégaine indolente et la voix rocailleuse de Tom Waits et John Lurie, bientôt rejoints par le naïf et fantasque Roberto Benigni. Jarmusch filme leur cavale avec une sympathie grinçante et le style contemporain et très particulier qui est le sien, fait de désœuvrement, de vagabondage et de dérision, établissant un pont entre une sensibilité américaine hétéroclite (une sorte de neo-beat-noir-comedy, comme il la qualifie) et la culture européenne (on pense à Wenders, dont le chef-op’ Robby Müller cisèle d’ailleurs une belle esthétique en noir et blanc). Par son humour à froid, sa poésie nonchalante qui recèle une tendresse pudique, le film délivre un charme persistant. 4/6
Mystery train
Memphis, ville-fantôme où presque rien ne circule, espace déchu superbement photographié, parcouru par quatre étrangers (un couple craquant de jeunes Japonais, une Italienne rapatriant son défunt mari, un Anglais en rupture amoureuse) qui dressent un diagnostic de l’imagerie américaine. Faux film à sketchs, l’œuvre est une miniature à trois étages constamment permutés entre eux, dont l’architecture d’horloger et les chevauchement spatio-temporels annoncent quelques pulpeuses fictions à venir. Opérant sur les registres de la douceur amoureuse, du mystère puis de la cocasserie, elle génère une tendresse désinvolte, une mélancolie charmeuse, une drôlerie exquise personnifiée par le gardien de nuit philosophe et le groom apprenti, Laurel et Hardy des temps modernes. On s’y sent follement bien. 5/6
Night on earth
La nuit sur Terre, c’est celle qui recouvre les courses de cinq taxis entre Los Angeles et Helsinki, en passant par New York, Paris et Rome. Le postulat est tentant : vagabonder sur la planète, au même moment, et décrire l’intimité provisoire qui unit chauffeur et passager. Parce que le cinéaste adore raconter des historiettes peuplées de paumés, de dériveurs et de glandus, parce qu’il ne cesse de répéter qu’on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre, un tel programme était fait pour lui. Mais la construction du film à sketches se double ici d’un procédé répétitif aboutissant à une sorte de pléonasme stylistique. D’où la platitude de l’ensemble, qui accumule dialogues poussifs de café-théâtre et confessions vaguement ennuyeuses pour s’achever dans le blues des aubes blêmes et des bitures existentielles. 3/6
Dead man
Périple étrange, mystérieux, magique, peuplé d’Indiens férus de poésie anglaise et de silhouettes qui tournent en rond, vers le grand fleuve qui emportera à jamais le héros ahuri. Icônisé par des décennies de western, l’Ouest américain est transformé en vaste cimetière dans cette chanson de geste envoûtante qui dessine au son de la guitare hypnotique de Neil Young une spectrale élégie, une errance hallucinée et déréalisante, une promenade lancinante avec la mort. Pris d’une inspiration spirituelle tenant à la fois de l’animisme et du bouddhisme, Jarmusch fait le grand écart entre Mizoguchi et Keaton, et élabore un poème vaporeux, à la temporalité ralentie, autour de l’ironie de l’existence et du passage dans l’autre monde, dont l’onirisme rimbaldien se drape d’un humour noir et désenchanté. Une œuvre unique. 6/6
Top 10 Année 1995
Ghost dog
Même principe de déplacement des stéréotypes appliqué cette fois au film noir melvillien – terrains vagues, caïds racés, mafieux cacochymes et bedonnants, immeubles lépreux. Se faisant le chantre des tribus condamnées, le cinéaste suit les traces d’un autre mort en sursis, qui a la silhouette lourde et gracieuse à la fois de Forest Whitaker, ange exterminateur et tueur à gages zen nourri de philosophie orientale. Une fois de plus, Jarmusch joue des genres et des contrastes, s’impose comme un virtuose créateur d’atmosphère (hip-hop et gangsta rap jumelé à l’esprit samouraï, sur le pouls sensuel et tranchant de RZA), inscrivant l’itinéraire du héros dans un mélange de drôlerie pince-sans-rire, de mélancolie rêveuse, de violence ouatée, presque dérisoire, et de calme serein. 4/6
Coffee and cigarettes
Case blanche, case noire : motif du damier reconduit tout au long d’une série de sketches en forme de vignettes loufoques, drôles et mélancoliques, où une flopée de stars et d’habitués de l’univers jarmushien viennent défiler, deviser et s’amuser, en rappelant que la cigarette et le café sont deux plaisirs indissociables. Le ton est assez anecdotique, visant une légèreté de bon aloi qui dispense une certaine séduction. L’unité de l’ensemble est l’unique souci de l’auteur, l’humour distant sa qualité majeure. Et si les prétextes sont variés, on peut se réjouir d’une cohérence assurée par un regard toujours original, par une capacité tranquille à dénicher la poésie dans le quotidien et la banalité des conversations, avec toujours la même ironie détachée dans le propos. 4/6
Broken flowers
Jarmusch a toujours affiché une prédilection pour la segmentation, les films à épisodes, les structures ludiques. Avec ce voyage dans l’intimité obscure d’un homme sans qualités, Don Juan fatigué de tout et confronté à l’heure du bilan à une paternité qu’il n’avait jamais soupçonné, il atteint la belle plénitude d’un style qui fait de lui un idéal Ozu américain, et charge chaque scène d’une émotion ténue, sans en rajouter dans l’effet, sans la moindre scorie. Servi par l’économie de jeu assez stupéfiante de Bill Murray et son air de clown triste, il signe un portrait mélancolique mais jamais dépressif, doublé d’un voyage dans l’Amérique profonde, qui médite sur le temps passé, le poids des actes accomplis et le regret qui en découle, et sur la prise de conscience tardive de l’image laissée aux autres. 5/6
Only lovers left alive
Les vampires de Jarmusch sont de tels dandys aristocratiques qu’on se demande bien pourquoi il ne s’y est pas confronté plus tôt. Son cinéma a toujours secrété quelque chose de sorcellaire, et sa puissance d’envoûtement opère ici sans donner la moindre impression de performance. Cette balade nocturne agit comme une installation lounge qui interroge le passage du temps, la transformation des choses, l’inactualité obstinée d’un état au monde. Son ironique lucidité convertit ce qui pourrait n’être qu’une geignardise passéiste en éloge du renouvellement, ses images fauves et somnambuliques donnent envie de déménager fissa à Detroit ou Tanger, et l’agréable torpeur dans laquelle on en émerge rappelle que s’il est un poète désabusé, le cinéaste est avant tout un styliste de première classe. 4/6
Paterson
Plus essai que fiction hantée, pièce d’orfèvrerie que rêverie baudelairienne, cette chronique de l’ordinaire constitue l’un des films les plus théoriques de l’auteur qui, en sérialisant le train-train routinier des jours, cherche à y déceler des répétitions, des rimes, des variations, des saillies riches ou pauvres. Son inframonde duveteux et multiethnique, sans heurt ni dispute, est comme un univers réduit à une liste de courses culturelles dans un notebook, un inventaire de petits machins, petits objets, petites anecdotes, petits clins d’œil déposés comme autant de cailloux charmants sur un chemin parfaitement linéaire, et dont la réaction chimique procède d’un mélange lancinant de sérénité et d’étrangeté inquiète. Reste qu’à toujours flirter avec la ténuité, on verse un peu dans l’inconsistance désincarnée. 4/6
Mon top :
1. Dead man (1995)
2. Stranger than paradise (1984)
3. Broken flowers (2005)
4. Mystery train (1989)
5. Only lovers left alive (2013)
J’aime beaucoup le ton décalé et nonchalant de cette figure de proue du cinéma indépendant américain. Son regard poétique sur les marginaux, son jeu avec les codes et les genres, son ironie légère et charmeuse distillent un charme tenace – et il a quand même réalisé au moins un film magistral.
Dernière modification par Thaddeus le 1 août 23, 20:13, modifié 8 fois.