Omohide Poroporo (Isao Takahata, 1991)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Brice Kantor
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Omohide Poroporo (Isao Takahata, 1991)

Message par Brice Kantor »

"Souvenirs Goutes à goutes" si ça vous dit de le traduire littéralement en français. Ce n'est pas le plus accessible des Ghibli, ce qui n'en fait pas un film forcément difficile à suivre, loin de là. Seulement les considérations sociales et économiques de la vie rurale japonaises occupent une place certaine, ainsi qu'un rapport ville/ campagne assez particulier.
Il n'en reste pas moin qu'on s'attache très rapidement à l'heroine, Taeko, célibataire citadine de 27 ans qui part travailler chez des agriculteurs pendant ses vacances. Dans sa tonalité et ses personnages, le film de Takahata peut rappeler Ozu, mème si ça diffère fortement question mise en scène.

On sait que Takahata est prioritairement metteur en scène et n'a pas les backgroud en dessin d'un Miyazaki, c'est donc sur ce plan que le film est particulièrement beau, pour retranscrire ces paysages ruraux, ces champs de fleur... Le réalisme des personnages et de cette mise en scène a souvent fait dire que Takahata aurait tout aussi bien pu faire ses films en live: autre doigt dans l'oeuil. Si dans "Le Tombeau des Lucioles", le dessin empèche au drame d'être trop insupportable et permet d'utiliser les fantômes des personnages, c'est ici la confrontation du passé et du présent qui se trouve renforçé. Takahata peut mettre sur le mème plan les deux niveaux, souvenirs et mouvements présent, confronter l'héroine à son double de CM2 dans le mème plan, supperposer les actions; la mémoire se trouve représenté comme une chose concrète, et l'abstraction de ces notions peuvent s'incarner avec la plus grande fluidité. La scène finale est à ce niveau un des chefs d'oeuvre du studio.

"Omohide Poroporo", c'est aussi un regard amusé vers une période de l'enfance, 11/12 ans, bourré de justesse et de nostalgie amusée. Que ce soit des tubes japonais des années 60 (la bande son du film est très exigeante, voir l'utilisation de chants hongrois) ou les moments de vie scolaires et fammilliaux: le prétendant caché, l'explication des règles, les caprices, les divisions de fractions ou le théâtre... D'un point de vus stylistique, ces souvenirs sont parfois associés à l'esthétique du shojo (manga pour fille) dans les moments de bonheur de la petite Taeko, ce qui permet quelques poussées un peu plus surréalistes. Takahata orchestre tout ça à la baguette, et délivre un film mature et foncièrement adulte.

5/6

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2501
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Message par 2501 »

Sublime film...

J'adore Miyazaki, mais si le public occidental avait accès à ce film et à Pompoko, il se rendrait compte qu'il y a deux génies au studio Ghibli.

Ca fait un moment que je l'ai pas vu.
Je le revois et je reviens donner mon avis ici. :wink:
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Bob Harris

Re: "Omohide Poroporo" (Isao Takahata, 1991)

Message par Bob Harris »

Vu y a deux ans. C'était superbe. J'aimerais bien le revoir.

L'oeuvre de Takahata mériterait vraiment d'être redécouverte.
ATcHoUm
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Message par ATcHoUm »

Je connais beaucoup trop peu Takahata, mais son oeuvre m'intéresse enormement... Après ton très agreable texte sur ce film, j'ai vraiment très envie de le voir.J'imagine que la seule possibilité est de le comandé en dvd japonais?? Merci :)
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Brice Kantor
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Message par Brice Kantor »

ATcHoUm a écrit :Je connais beaucoup trop peu Takahata, mais son oeuvre m'intéresse enormement... Après ton très agreable texte sur ce film, j'ai vraiment très envie de le voir.J'imagine que la seule possibilité est de le comandé en dvd japonais?? Merci :)
tu peus aussi "biiiiiiiiiiiiiiiiiiiip" :)
Requiem
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Message par Requiem »

J'ai hâte de voir Horus. 8)
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Bob Harris

Message par Bob Harris »

Requiem a écrit :J'ai hâte de voir Horus. 8)
As-tu vu Chie la Petite Peste ? Une merveille !
Requiem
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Message par Requiem »

Bob Harris a écrit :
Requiem a écrit :J'ai hâte de voir Horus. 8)
As-tu vu Chie la Petite Peste ? Une merveille !
Oui, une merveille, c'est le mot ! :D
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Bob Harris

Message par Bob Harris »

Requiem a écrit :
Bob Harris a écrit : As-tu vu Chie la Petite Peste ? Une merveille !
Oui, une merveille, c'est le mot ! :D
Par contre, Chie, c'est pas vraiment le mot... On ne s'y fait pas chier.

:arrow:
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Message par Requiem »

Bob Harris a écrit :
:arrow:
Tu peux, oui ! :lol:
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Message par ATcHoUm »

Mac Lean a écrit :
ATcHoUm a écrit :Je connais beaucoup trop peu Takahata, mais son oeuvre m'intéresse enormement... Après ton très agreable texte sur ce film, j'ai vraiment très envie de le voir.J'imagine que la seule possibilité est de le comandé en dvd japonais?? Merci :)
tu peus aussi "biiiiiiiiiiiiiiiiiiiip" :)
Pourquoi "bip"?? A part si c'est pour le dl sur le net, car de toute façon c'est non ;) Je veux découvrir ces oeuvres dans de bonnes conditions ( et puis avec un minimun de respect pour l'auteur ;) )
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Philip Marlowe
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Message par Philip Marlowe »

Typiquement le genre de films non événementiel où le drame repose sur des petits détails et auquel beaucoup risquent de s'ennuyer.
Mais pour peu qu'on ne soit pas rebuté par le genre, Omohide Poro Poro est un bonheur de tous les instants :) Un regard intelligent et fin sur la vie quotidienne japonaise et sur le thème des souvenirs. Pas des "grands souvenirs", mais des à priori insignifiants qui pourtant plusieurs années après restent des plaies non fermées, et qui déterminent notre vie. Les séquences du passé, dans un style beaucoup plus shojo manga, sont réjouissantes par leur humour emprunt de distance et de nostalgie (Taeko, l'héroine, met l'accent sur des petits détails qui ne sont devenus drôles à ses yeux qu'avec le recul des années), et dégagent un charme irrésistible et attachant. Mais Takahata parvient aussi à nous faire ressentir la souffrance qu'ils referment et qui est encore en Taeko.
Par moment, le film se transforme presque en documentaire sur les campagnes japonaises, avec les dialogues sur la situation des agriculteurs ou les détails de la culture du benibana, ce qui est assez déroutant dans un film d'animation, mais n'est pas déplaisant pour autant, loin de là. Et ces scènes qui ne font que montrer la vie rurale(soit toutes les scènes du présent ) sont vraiment très belles(remerciements au décorateur, mention spéciale pour le magnifique coucher de soleil). Et les 20 dernières minutes dégagent une grande émotion(ah le fameux générique!).
Enfin, il serait injuste de ne pas mentionner la BO, particulièrement élaborée et vraiment très réussie(j'aime beaucoup le thème principal).

Pour conclure, Omohide Poro Poro est un film simple et beau, peut être le plus beau des Takahata que j'ai vus(je considérais déjà Le Tombeau des Lucioles et Pompoko comme des chefs-d'oeuvre, mais bon à un tel niveau), qui touche juste et apaise.
Un Chef-d'oeuvre à voir pour tous ceux qui ne sont pas hermétiques à ce genre de films.
bruce randylan
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Message par bruce randylan »

Mon Ghibli Préféré !
D'une justesse de ton et d'une poétie qui m'a porté les larmes au yeux sans que je comprennent vraiment ce qui se passait ( la filette courrant dans le ciel ).
La fin ( et le générique de fin ) est le plus beau final jamais vu au cinéma. Ni plus ni moins.
Rien que voir le dessin sur le DVD, j'en ai encore les yeux qui sont sur le point de déborder.

Cet enfoiré de Takahata a fait le film que je voulais faire !

J'attends Mardi avec impatience où je verrais Chie, la petite peste.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: "Omohide Poroporo" (Isao Takahata, 1991)

Message par Gil Westrum »

Une très belle découverte, comme toujours avec le studio Ghibli.

Isao Takahata n'a peut-être pas la même aura par chez nous que son collègue Miyazaki, probablement en raison de l'absence de nouveau projet depuis des années et des oeuvres profondéement ancrées dans la culture japonaise. Alors que son illustre confrère n'hésite pas à puiser dans l'imagerie et la culture populaire occidentale, Takahata reste un auteur plus local. Les deux se complètent d'ailleurs plutôt bien, nous offrant à chaque fois de véritables joyaux en matière d'animation.

Le petit occidental que je suis n'aura certainement pas saisi toutes les subtilités présentes dans ce magnifique film, mais qu'importe. La magie est bien là, comme toujours dans les films du studio Ghibli. Il n'y a même pas besoin de nous montrer un univers féérique, peuplé de sorcières, de dragons, d'esprits ancestraux ou de créatures des bois. Ici nous sommes face à un film ancré dans la réalité. Takahata réussit tout de même à nous procurer de fabuleux moments d'évasion en ne nous montrant finalement qu'une "banale" histoire de jeune femme japonaise qui se laisse submerger par des souvenirs d'enfance à l'occasion de vacances à la campagne. Le souci de réalisme est poussé à l'extrême, de sorte que l'on se croirait devant une authentique chronique sociale du japon des années 60 et 80, qui tiendrait davantage du documentaire que du simple divertissement. Le film ne se destine d'ailleurs pas à un jeune public, mais bien aux adultes prioritairement. Ainsi, même s'il baigne profondément dans la culture nippone, le film ne m' a pas pour autant paru hermétique. Bien au contraire. A plusieurs reprises, je me suis reconnu dans certains traits de caractères ou certaines situations. La nostalgie du passé (monde de l'enfance, société rurale) est l'essence-même de cette oeuvre, au point de me plonger moi-même dans une petite torpeur nostalgique dès le générique final.

Même si certaines oeuvres d'animation occidentales sont de purs chef-d'oeuvres, aucune encore n'a réussi à me faire ressentir autant de sentations diverses que les films du studio Ghibli. Aucune n'a réussi à me procurer ce bonheur intense qui m'envahi lors de leur découverte, puis lors de chaque nouvelle vision postérieure. A chaque fois c'est pareil. Je m'imprègne immédiatement de l'histoire, puis me laisse dériver devant toute cette beauté onirique qui habite chacun des films de ce studio. Peut-être un jour finirai-je par être blasé, ou tomber inévitablement sur une oeuvre médiocre, tant le niveau est à chaque fois poussé à l'extrême. Mais cela n'est encore pas arrivé. Et avec Souvenirs goutte à goutte, j'ai là la preuve qu'il n'est pas nécessaire de se tourner vers l'imaginaire pour que la magie opère.
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Profondo Rosso
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Re: Omohide Poroporo (Isao Takahata, 1991)

Message par Profondo Rosso »

Il y avait donc un topic... Allez je remet mon avis récent ici aussi, mon film du mois de novembre ! Belle critique Gil !

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Taeko, une jeune citadine de 27 ans, part en vacances à la campagne dans la famille de son beau-frère. Laissant derrière elle ses préoccupations, elle se laisse submerger par ses souvenirs d'enfance, des anecdotes survenues en 1966 alors qu'elle n'avait que 11 ans.

Toujours un peu en retrait et dans l'ombre de Miyazaki, le discret Isao Takahata aura construit une oeuvre tout aussi brillante et personnelle presque toujours en réaction de celle du réalisateur du Voyage de Chihiro. Quand Miyazaki donne dans le grand récit épique sous haute influence de la littérature et l'imagerie occidentale (Le Château dans le Ciel, Nausicaa, Porco Rosso), Takahata s'oriente toujours vers les thèmes et cadre intimiste, profondément ancré dans la culture et l'histoire japonaise (Pompoko et ses tanuki, le drame d'Hiroshima avec Le Tombeau des Lucioles, le quotidien d'une famille japonaise dans Mes voisins les Yamada). Il y a bien sûr des exceptions (Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro sont imprégné du folklore fantastique japonais et Horus est le plus Miyazakien des films de Takahata) et les deux amis se rejoignent dans leurs préoccupations humanistes et écologiques même s'ils empruntent des voies différentes pour les exprimer.

Avec ce méconnu Omohide poro poro , Takahata réalisait là un de ses films les plus sensibles, touchants et subtils. On suit Taeko, jeune citadine qui décide pour l'été de partir en vacances à la campagne dans la famille de son beau-frère. Dès les premières secondes, la narration prend totalement le rythme et le ton de l'état d'esprit de son héroïne. Peu satisfaite par une existence rangée et morne, Taeko se réfugie dans une époque où celle ci était plus vibrante et passionnée, celle de ses 10 ans quand elle était en école primaire. Toute la première partie du film revient donc sur cette enfance exaltée fait de joie et de pleurs qui font le quotidien d'une petite fille : s'affirmer ace à ses deux soeurs aînée, les premiers changement morphologiques, les garçons qui commencent à susciter un certain intérêt, les notes scolaires... La Taeko enfant est autrement plus animée et vivante que son pendant adulte (la timidité étant le seul lien les unissant) et permet de constater tout le chemin à parcourir pour retrouver cette innocence et joie de vivre qui la caractérisait. Takahata prend un malin plaisir magnifier et rendre touchant ces épisodes enfantins par de belles idées (Taeko qui semble voler de la rue à sa maison après son premier échange avec son amoureux) alors que les retours au présent sont toujours plus ternes.

Ce bourdonnement intérieur qui lui manque désormais, c'est par le contact avec la vie rurale japonaise que Taeko va le retrouver. Takahata distille une animation lente et contemplative à l'ambiance envoûtante où la langueur de la campagne nous gagne bientôt par les décors somptueux, la bande son très fouillée autant dans les bruitages que dans la magnifique musique Hoshi Katsu digne de Joe Hisaichi. Les flashback dans le passé se font alors plus rare avec ce présent enfin exaltant et répondent toujours à une situation précise quand ils envahissaient toute la première partie. Le film est d'ailleurs étonnement documenté dans tout ce qui a trait aux travaux agricoles qu'effectue Taeko comme la cueillette des fleur de carthame expliquée dans le détail. Le manga dont est adapté le film (écrit en 3 volume par Hotaru Okamoto et Yūko Tone) étant issus des souvenirs personnels des auteurs, le tout es teinté d'un profond parfum de nostalgie où les références font autant appel à la culture populaire commune que japonaise : l'arrivée des beatles au Japon, l'émission de radio Rajio Taisoou sur lequelle Taeko enfant pratique sa gymnastique ou encore l'émission tv enfantine de marionnettes Hyokkori Hyoutanjima (Lîle de la calebasse) qu'elle regarde.

C'est incroyablement apaisant du début à la fin, sans dramaturgie trop marquée si ce n'est la vitalité retrouvée de son héroïne et même l'histoire d'amour qu'on devine dès le départ est amenée avec la même délicatesse. Jamais elle ne vient entraver le récit et se dessine avec sobriété en se fondant à l'accomplissement de Taeko, ne trouvant sa résolution que lors du magnifique générique de fin chanté par Harumi Miyako. Très beau moment, il ne faudrait surtout pas réduire Takahata au seul Tombeau des Lucioles. 6/6
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