Un homme et une femme
Il est coureur automobile, elle est script-girl, tous les deux veufs et parents uniques. Ils se rencontrent par hasard, covoiturent, écoutent de la musique, vont au restaurant, se confient leurs vies et tombent amoureux. Lelouch ne cache pas la banalité de cette histoire simple et entraîne avec une nonchalance pleine d’élans éphémères dans une romance rêveuse, romanesque, quelque part entre
Les Parapluies de Cherbourg (les chansons en moins, malgré le chabadabada) et les libertés de la Nouvelle Vague. Cinéma naïf, sentimental, s’amusant à essayer des figures de style disparates, à les opposer, les combiner, avec la joie d’un jeune chien courant sur une plage deauvillaise. Le charme est là, mais si volatil et superficiel qu’il s’oublie sitôt que le mot Fin apparaît – sur un quai de gare, évidemment.
3/6
Un homme qui me plaît
C’est encore un homme et une femme, non plus deux veufs mais deux êtres mariés. Lui est un séducteur décontracté, mélange habituel de tendresse et de muflerie. Elle est actrice, un peu esseulée, un peu usée, un peu ébréchée. Brève rencontre à Hollywood, nuit d’amour à Las Vegas, ballade passionnée en Arizona. Bagnole, soleil, tourisme. Rupture difficile à New York, point final à Nice. Un aéroport chasse l’autre, les voyages forment le caractère. Le film témoigne d’un souci louable de cerner ce couple par approches successives, de traquer des gestes et des attitudes. Mais il se montre aussi incapable de recréer autour des héros un monde qui puisse les authentifier, de dépasser le placage, lisse et froid comme du formica, que forme le milieu creux (du pognon, de la facilité, des privilèges) où ils évoluent.
3/6
Le voyou
Il suffit à Lelouch de pratiquer le polar à sa manière, faussement dilettante, rigoureuse sans le montrer, ferme dans la décontraction, pour susciter un bonheur à peu près sans fausse note que relaie l’excellence des acteurs (Trintignant, Denner, Judith Magre). Entre l’hommage au genre, le parodie de comédie musicale dont les scènes enserrent le récit en lui donnant un air onirique, et le jeu purement formel façon pastiche de Robbe-Grillet, il livre ici un divertissement de première tenue, truffé d’idées judicieusement exploitées, dont l’intérêt est constamment relancé par une structure temporelle éclatée, et qui s’arrange pour glisser quelques piques bien senties à l’égard de la grande presse, de la haute finance, de la publicité, de la tragédie à la une. De l’art d’être intelligent sans se donner l’air de réfléchir.
5/6
L’aventure c’est l’aventure
Son talent incontestable, ses propensions à s’affirmer comme un véritable auteur, Lelouch les dissimule ici derrière une désinvolture qui se donne des airs de dilettantisme, et les fond dans un registre cocasse et burlesque que l’on pourrait définir comme un art de camelot. Dans cette farce pleine de dérapages incontrôlés, il raconte les aventures de cinq-pied-nickelés à la petite semaine qui décident de se lancer dans le seul fric-frac qui leur semble vraiment rentable : la politique. L’occasion de se moquer de tout ce qui finit en "iste", de courtiser l’absurde le plus échevelé en une joyeuse pantalonnade comique, de favoriser une anarchie narrative et stylistique donnant sa pleine latitude à une troupe d’acteurs désopilants. Brouillon certes, inégal sans doute, mais aussi et surtout parfaitement réjouissant.
4/6
La bonne année
On pourrait tirer de ce titre polysémique une réflexion d’astrologue : lorsque toutes les planètes sont bien alignées et que Lelouch s’en donne vraiment la peine, alors il pratique un cinéma absolument magique. Entre la rigueur d’une structure qui se joue des attentes et l’indolence d’une expression s’autorisant les apartés, les à-côtés, les aphorismes les plus exquis, entre le nerf vif d’un polar réglé au millimètre, ponctué de gageures formelles (le plan sidérant qui suit l’itinéraire chronométré des futurs braqueurs), et le feu doux d’une histoire d’amour ne cessant de prendre toujours plus d’ascendant sur le programme, le film impose un miracle permanent de surprise et de fraîcheur, d’élégance et de profondeur, de légèreté et d’émotion. Lino Ventura et Françoise Fabian, proprement alchimiques, sont à son image.
5/6
Top 10 Année 1973
Itinéraire d’un enfant gâté
Rôle en or pour Belmondo, en grande forme : celui de Sam Lion, enfant abandonné, élevé dans un cirque, reconverti dans les affaires, PDG d’une multinationale de nettoyage, dépressif, navigateur solitaire, disparu volontaire, globe-trotter puis safariman buriné en Afrique. Sa trajectoire, le film l’écrit d’abord à la faveur d’une lutte incessante entre la continuité et la discontinuité : la première partie l’illustre par sa postulation d’un présent balbutiant qui peine à se frayer son chemin, d’un futur incertain et d’un passé qui pose problème. Et si elle cède ensuite à un cinéma de comédie un peu plus vieillot, bon enfant et léger, Lelouch le naïf romantique témoigne d’un bout à l’autre d’un plaisir communicatif de voir vivre et agir des personnages, jouer des acteurs, se développer et rebondir des situations.
4/6
Il y a des jours… et des lunes
… et des chats et des chiens, des cochons, des couvées, de la barbe à papa, et chabadabada, ricaneront les cyniques. Parce qu’il n’aura pas assez d’une vie pour filmer tout ce qu’il voit, sent et repère autour de lui, l’auteur prend des risques, se plante, rebondit, s’éparpille sans jamais se disperser, bascule sans crier gare de l’anecdotique aux grands sentiments, saisit au vol des bribes de mouvements, de fuites, d’élans, embarque dans un tourbillon de quiproquos, de rendez-vous ratés, de coïncidences heureuses ou malheureuses, de rencontres de hasard modelant ensemble le des-tin de chacun. Dès qu’on flaire l’esbroufe, l’invention d’une scène, la verve d’un dialogue, le brio d’un acteur vient balayer la suspicion. Et ce
Short Cuts lelouchien d’imposer un charme persistant qui laisse vaguement éberlué.
5/6
Mon top :
1.
La bonne année (1973)
2.
Le voyou (1970)
3.
Il y a des jours… et des lunes (1990)
4.
Itinéraire d’un enfant gâté (1988)
5.
L’aventure c’est l’aventure (1972)
Seulement sept films, parmi la vaste et (paraît-il) très inégale carrière de Claude Lelouch : voici tout ce que je connais du bonhomme pour l’instant. Difficile donc d’infirmer ou de confirmer la réputation d’un auteur ayant creusé le fossé entre la critique et lui, réussi à trouver un large public tout en imposant l’ambition toute personnelle d’un cinéma populaire, romanesque et charmeur. Mais la séduction et le talent sont bien là, aussi indéniables que la griffe d’une personnalité sentimentale, avide de situations tendres et cocasses, de bons mots délivrés comme des flèches ou des caresses, de leçons de vie un tantinet démagogiques mais pleines de conviction.