Une soucoupe volante scintillante qui traverse l'écran et se meurt dans l'atmosphère terrestre, un titre qui s'affiche progressivement sous fond d'effets sonores étranges, les synthés répétitifs de Carpenter qui accompagnent les battements de coeur du spectateur et confèrent à ces plans enneigés d'ouverture une impression immédiate selon laquelle quelque chose de terrible va se produire, et que tout est joué d'avance... Quoi de plus déstabilisant que cette ouverture montrant la chasse entre un hélicoptère et un chien-loup dans les immenses plaines glacées de l'Antarctique. Toute la fin du monde vers laquelle tend le film semble être déjà contenue dans cette entame que, personnellement - et je saurai bien en peine d'expliquer pourquoi - je trouve particulièrement dérangeante. John Carpenter, qui se surpassait ici, nous embarque dès les premières images dans son chef-d'œuvre cauchemardesque sur lequel le temps n'a décidément pas de prise. Point culminant d'une phase créatrice exceptionnelle (
Assaut,
Halloween,
Fog,
NY 97),
The Thing constitue à mes yeux le travail le plus époustouflant de Big John. Jamais sa mise en scène ne sera plus parfaite ; chaque plan de ce film est un modèle de tempo, de cadrage, de tension. Il faut dire que le scénario est quand même une sacrée perle du genre. Une des forces majeures de cette oeuvre incontournable est de créer une ambiance insoutenable avec une économie d'effets, surtout dans sa première partie. Y a-t-il, en termes de suggestion, plus terrifiant que ce chien qui regarde fixement par la fenêtre ? Je crois que je serai toujours aussi secoué et mal à l'aise devant ces séquences silencieuses où Kurt Russell évolue dans la base des Norvégiens et prend conscience, en même temps que nous, de l'horreur absolue du drame qui a pu se produire, et sur lequel nous ne saurons jamais rien (un grand mystère jouissif du même ordre que la découverte du vaisseau alien dans
Alien). D'ailleurs, une grande partie de la terreur qu'inspire le film provient précisément de son talent à jouer sur le non-dit, sur le non-vu ; Carpenter invite le spectateur à laisser son imagination vagabonder sur ce qui a pu arriver aux Norvégiens, mais aussi, à la Chose elle-même. A quoi ressemblait-elle lorsque les Norvégiens l'ont découvert dans la glace ? CrankyMemory (euh pardon, the_thing
) a en outre raison de s'interroger sur le caractère maléfique de la Chose : dans un univers hostile où nous serions un étranger pourchassé, ne chercherions-nous pas à survivre coûte-que-coûte ? Ne serions-nous pas la Chose, aux yeux de ceux qui nous pourchassent ?
Tandis que les cordes stridentes, presque sur le point de rompre, d'Ennio Morricone enveloppent ces images cauchemardesques où la caméra de Carpenter se déplace lentement au-dessus de la créature incendiée, et invite le spectateur à déchiffrer la silhouette hideuse du monstre, un rare effroi parcourt l'échine. Et lorsque la Chose, n'ayant pas eu le temps d'achever son assimilation, s'agenouille dans la neige, avec ses mains difformes, et pousse un long cri surréaliste, le sang se glace. D'ailleurs, je rejoins Wagner pour dire que ce moment du film est le plus malaisant car c'est à ce moment-là que la Chose, coincée entre son apparence humaine et son "extra-terrestrialité", est la plus à même de communiquer avec l'Humain. Son cri, effrayant, peut alors être aussi bien perçu comme une menace que comme un message de détresse. Ce malaise palpable (que Big John avait bien su créer sur
Halloween mais qu'il sera incapable par la suite de reproduire -
Prince of Darkness en est la douloureuse preuve) ne lâchera jamais le pauvre hère, pour son plus grand bonheur. Car c'est à un festival de visions d'horreur que l'on a affaire. Pour ne pas trop spoiler, je dirais seulement que les trucages de
The Thing laissent encore pantois, et ce, trente après. Rob Bottin signe là de véritables tours miraculeux, dont l'efficacité n'a d'égale que le malaise qu'ils provoquent. Si Carpenter est inspiré comme jamais, le jeune responsable des SFX permet définitivement de faire rentrer
The Thing dans le panthéon du genre, ainsi que du cinéma tout court.
The Thing, maître-étalon du fantastique des 80's, conserve toute sa puissance et toute sa maestria, ainsi que son pouvoir hypnotique. Solitude et paranoïa n'auront peut-être jamais été aussi bien retranscrites au cinéma. Le finale est d'un pessimisme rare, complètement désespéré. Chef-d'œuvre !
Dumdumm...
Dumdumm...
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