Joker (Todd Phillips - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
G.T.O
Egal à lui-même
Messages : 4839
Inscription : 1 févr. 07, 13:11

Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

Image

Première image. Un clown se regarde, effondré, dans une glace. De dépit, il écrase la pointe de son pinceau au coin de la bouche, tandis que la caméra remonte jusqu’à son œil, qui vient de relâcher une larme. Glissant ses doigts dans la bouche, l’homme s’efforce d’esquisser un sourire. Évidemment forcé, légèrement monstrueux. Ouverture étrange s’il en est et signe avant coureur que le film ne sera pas une énième relecture mythologique et positif sur l’un des plus beaux méchants de Batman. Mais la confirmation d’une plongée sans fard dans une détresse, où d’une chute va naître une ascension.
Au rire défensif d’Arthur Fleck répond celui colérique du double Joker face au monde. Gronde vis à vis de la mère, idole de la TV, ennemi familial - Wayne père. Intéressante variation que de faire du père de Batman l’objet de la fixation délirante de la mère du Joker. Oedipe tordu venant sceller intimement le destin de Joker et de Batman, frères ennemis, unis autour d’une liaison parentale. Le délire ne tenant pas à la lumière de faits, les liens et fixations, quant à eux, resteront. Pour longtemps. Mais loin de s’appesantir sur ce fatum, le film apporte des nuances. Fleck est aussi un homme qui tient bon, qui résiste. Lutte pour ne pas sombrer. C’est aussi l’une des subtilités du film que d’échapper au déterminisme et misérabilisme faciles, en montrant un personnage qui marche sur un fil, quelque temps, en funambule. Transformation au sens plein de terme, voilà ce qu’est Joker. Pas le constat ravi d’une négativité. Le film se hasardant même à lui imaginer une vie affective, une romance. Mais une romance conditionnée par la soudaine assurance de son double Joker, grisé par l’assassinat dans le métro de trois fachos en cols blancs (scène à la violence, comme toutes les autres, effrayante).
Une trêve donc, mais au goût de sang, ralentissant momentanément les envies de suicide ( il y a longtemps qu’on avait pas vu film pareillement travaillé par le suicide, la pulsion de mort). Bref interlude immoral que le film confisque définitivement, puisque les circonstances se chargeant de jouer contre le personnage, en le précipiter plus avant vers un destin, qu’il n’a pas cherché. Victime de la contagion de la folie de sa mère, Joker deviendra, à son tour, propos insurrectionnel, conscience du mépris de classe. Autre beauté du film: celle qui voit récupérer politiquement les forfaits de Joker, faisant d’une souffrance et d’une colère individuelle d’un homme brisé, un symbole de lutte. Erigé, à son insu, en héros insurrectionnel. Un « malgré lui » qui lui fait dévaler plus vite la pente, et qui le fait « remonter ». Avec l’idée forte que le monde rend fou: poids du quotidien sans avenir, hostilité ambiante, écho lointain d’un « dehors» violent que l’on évoque dans les conversations. Les décors, HLM, hôpital, métro, escalier notamment, traduisent quelque chose de cet abandon et effondrement. Il y a là, dans ce mélange très efficient d’hyper sensibilité, de désespoir et d’univers hostile, en proie au vice et à la ruine, peinture de la folie, solitude et isolement, le rappel à un cinéma new-yorkais des années 80: de William Lustig, notamment Vigilante, à Abel Ferrara, L’Ange de la vengeance, en passant par certains Scorsese. Et si les quelques maladresses dû au mauvais dosage de la réalisation, la pompe inévitable causée par le recours au lyrisme, et à quelques redondances inutiles, le film reste malgré tout une proposition unique de divertissement adulte. Pas forcément plaisant. Mais sans concession, incarnée, ambigu, et et retors. L’anti héros dont on avait besoin.
Avatar de l’utilisateur
G.T.O
Egal à lui-même
Messages : 4839
Inscription : 1 févr. 07, 13:11

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

nobody smith a écrit :Joker 7.5/10
Pas une tuerie, le film peinant à générer de véritables surprises (les moments se voulant choquant se voient arriver à des kilomètres). Mais une œuvre clairement appréciable dans sa façon d’aller au bout de ses idées et de proposer un passionnant spectacle d’inconfort.
Spongebob a écrit :Joker : 8/10

Pas le chef-d'oeuvre annoncé un peu partout mais tout de même un très bon film. La faute à des influences trop évidentes, à la limite du pastiche : notamment Taxi Driver, La Valse des pantins et Fight Club. La faute aussi à un réalisateur qui se regarde un peu trop filmer et qui enchaîne les plans au ralentis parce que... c'est joli ? Joaquin Phoenix est, comme attendu, parfait même si je trouve qu'il souffre également de ce côté "show off". Le genre d'interprétation outrancière qui plaira assurément à l'académie les Oscars. ll y a également un problème de rythme avec une sous-intrigue qui tire en longueur. On aimerait que l'histoire avance un peu plus vite et , paradoxalement, qu'elle se termine un peu plus tôt. Voila pour les principaux défauts. Reste un film hors norme, très audacieux dans sa forme, inhabituelle et ambitieuse pour le genre, et dans son discours, qu'on pourrait qualifier de nihiliste. Il nous questionne sur la violence et la folie de notre société qui peut, parfois, engendrer des monstres tout aussi fous et violents. On peut ainsi comprendre et même ressentir de l'empathie pour ce type de personn(ag)e. C'est en ça que Joker sonne juste. Certains passages ultra-violents sont tétanisants dans leur soudaineté et leur froideur. Je retiendrai particulièrement une scène dans le métro que j'ai trouvé absolument glaçante et parfaitement mise en scène. Le genre de film "coup de poing" qui attrape instantanément le spectateur et ne le lâche plus durant deux heures. Un geste radical et beau, qui, je l'espère, fera des émules chez la concurrence.
Avatar de l’utilisateur
Bens1912
Machino
Messages : 1287
Inscription : 9 juil. 19, 15:03

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Bens1912 »

Le film que j'attends le plus cette année. Hâte d'aller le voir ce week-end !
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14052
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Même si je verrais bien car le film m'attire, y-a-t-il une connexion plastique, visuelle avec l'univers de Batman? Et le film nous fait-il sentir esthétiquement (c'est un peu le prolongement de la question précédente) qu'il est aussi un "film de super-héros" même à l'envers? (un film de super-vilain, quoi, tout simplement)
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Spongebob
David O. Selznick
Messages : 12859
Inscription : 21 août 03, 22:20
Last.fm
Liste DVD
Localisation : Pathé Beaugrenelle

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Spongebob »

Alexandre Angel a écrit :Même si je verrais bien car le film m'attire, y-a-t-il une connexion plastique, visuelle avec l'univers de Batman? Et le film nous fait-il sentir esthétiquement (c'est un peu le prolongement de la question précédente) qu'il est aussi un "film de super-héros" même à l'envers? (un film de super-vilain, quoi, tout simplement)
Il y a des connections avec l'univers de Batman mais elles ne sont pas plastiques ou visuelles. Et ce n'est clairement pas un film de super-héros classique mais avant tout un drame psychologique et social très (très) noir.
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52278
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Boubakar »

Spongebob a écrit :un drame psychologique et social très (très) noir.
J'irais voir le film, mais quand tu vas jusqu'à (très) pour dire à quel point ça a l'air sombre, j'ai l'impression d'aller voir Schizophrenia ou du Haneke.
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22179
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Supfiction »

Boubakar a écrit :
Spongebob a écrit :un drame psychologique et social très (très) noir.
J'irais voir le film, mais quand tu vas jusqu'à (très) pour dire à quel point ça a l'air sombre, j'ai l'impression d'aller voir Schizophrenia ou du Haneke.
Pas inquiet à ce niveau là. Quand on a vu Requiem pour un massacre, tout ressemble à l'île aux enfants.
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52278
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Boubakar »

Supfiction a écrit :Pas inquiet à ce niveau là. Quand on a vu Requiem pour un massacre, tout ressemble à l'île aux enfants.
Oui, c'est bien ce qui m'inquiète un peu en surélevant autant la noirceur du film. Mais bon, je verrais dans la salle.
Avatar de l’utilisateur
Spongebob
David O. Selznick
Messages : 12859
Inscription : 21 août 03, 22:20
Last.fm
Liste DVD
Localisation : Pathé Beaugrenelle

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Spongebob »

Boubakar a écrit :
Spongebob a écrit :un drame psychologique et social très (très) noir.
J'irais voir le film, mais quand tu vas jusqu'à (très) pour dire à quel point ça a l'air sombre, j'ai l'impression d'aller voir Schizophrenia ou du Haneke.
Ce que je voulais souligner c'est que le film va très loin dans la noirceur, au point que ça en devient parfois excessif. C'est d'ailleurs le principal défaut du film selon moi : il en fait souvent trop.
Mais on est pas non plus dans Schizophrenia ou dans un Haneke. Ça reste dans les limites d'un film grand public (averti).
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14052
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Spongebob a écrit :Ce que je voulais souligner c'est que le film va très loin dans la noirceur, au point que ça en devient parfois excessif. C'est d'ailleurs le principal défaut du film selon moi : il en fait souvent trop.
Ça me fait aussi un peu peur ça.
(merci pour ta réponse, plus haut, à mes questions).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Spongebob
David O. Selznick
Messages : 12859
Inscription : 21 août 03, 22:20
Last.fm
Liste DVD
Localisation : Pathé Beaugrenelle

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Spongebob »

Beau texte de Jean-Michel Frodon écrit pour Slate :

http://www.slate.fr/story/182508/cinema ... 1570453096
Avatar de l’utilisateur
Farnaby
Doublure lumière
Messages : 516
Inscription : 5 août 17, 22:14

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par Farnaby »

Merci pour le lien. J'étais curieux de la critique de Frodon. J'ai cliqué. J'ai dû d'abord accepter ou refuser leur vol de données. Ensuite une fenêtre noire est apparue (notifications ???) : j'ai cliqué pour la faire disparaître. Ensuite j'ai lu ceci, en tête de l'article : "Temps de lecture : 6 minutes". C'est la première fois de ma vie que je vois ça, et je dois dire que ça m'a ébranlé. J'ai pris sur moi et j'ai continué... mais trois lignes plus bas j'ai lu une chose comme "dépendant.e.s"... et là j'ai craqué. Adieu Slate. Je rentre à la maison, comme dit Oliveira.
Avatar de l’utilisateur
G.T.O
Egal à lui-même
Messages : 4839
Inscription : 1 févr. 07, 13:11

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

Boubakar a écrit :
Spongebob a écrit :un drame psychologique et social très (très) noir.
J'irais voir le film, mais quand tu vas jusqu'à (très) pour dire à quel point ça a l'air sombre, j'ai l'impression d'aller voir Schizophrenia ou du Haneke.
C'est souvent glauque, parfois gênant, voire inconfortable...D'où la référence en terme de sentiments, que je faisais au cinéma de Lustig et à celui de Ferrara des années 80, à la fois dans le portrait sans fard de leurs "héros" mais aussi le monde sordide dans lequel ces personnages évoluaient. On est très loin de l'approche "réaliste" plutôt désaffecté de Nolan sur The Dark Knight. D'ailleurs, plus que l'aspect graphique, néanmoins bien présent (certains meurtres surprennent par leur méchanceté et imprévisibilité), l'une des choses les plus surprenantes dans ce film reste je trouve l'absence d'atténuation dans ce qu'il donne à ressentir de la détresse, de la rage. C'est extrêmement bien rendu.
7swans
Nuits de Sheen...
Messages : 7694
Inscription : 17 févr. 06, 18:50

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par 7swans »

Farnaby a écrit :mais trois lignes plus bas j'ai lu une chose comme "dépendant.e.s"... et là j'ai craqué. Adieu Slate. Je rentre à la maison, comme dit Oliveira.
Tu viens de me faire gagner 6 minutes.
Comme les Notting Hillbillies : "Missing...Presumed Having a Good Time (on Letterboxd : https://letterboxd.com/ishenryfool/)"
Avatar de l’utilisateur
G.T.O
Egal à lui-même
Messages : 4839
Inscription : 1 févr. 07, 13:11

Re: Joker (Todd Phillips - 2019)

Message par G.T.O »

Spongebob a écrit :Beau texte de Jean-Michel Frodon écrit pour Slate :

http://www.slate.fr/story/182508/cinema ... 1570453096
Frodon a aimé, pincez -moi je rêve ! :shock: Intéressante notule. Notamment parce qu'il souligne, à juste titre, l'aspect rugueux, hétéroclite, non standardisé du film. Parfois, on a du mal à croire que c'est la Warner, et une adaptation de DC comics par le réalisateur de Hangover. Et puis la prestation de Phoenix, il a raison, est au-dessus de tout. Peut être son plus beau rôle ! En tout cas, l'un des plus impressionnants.
Répondre