Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6180
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Thaddeus »

Je suis exactement sur la même ligne que toi, ed. J'ai aimé ce film pour des raisons très différentes que celles que défend à longueur d'interviews sa réalisatrice. On va dire alors que c'est un film que je n'ai pas compris, ça ne me dérange pas.
Sybille a écrit :elles préfèrent continuer de s'intéresser à outrance et uniquement (là est le problème) à ceux des femmes (et qui sont, me semble-t-il, souvent tout à fait dans les clous des critères de beauté qu'elles dénoncent par ailleurs).
S'il fallait désigner les deux films français de l'année 2019 qui m'ont semblé être les plus "complaisants", en tout cas les plus fascinés par la représentation érotique du corps féminin, en tant qu'objet de désir, et sans que ce constat sonne comme un reproche (contrairement à à l'idéologie breyenne), je citerais peut-être Sibyl et Une Fille Facile. Deux films réalisés par des femmes, donc.
Flol a écrit :Un début de réponse ici (en plus d'un débat salutaire sur cette notion qui veut tout et rien dire) :
https://www.transfuge.fr/billet-cinema- ... e,450.html
Excellent texte.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54817
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Flol »

ed a écrit :Je vais peut-être être complètement à côté de la plaque contemporaine, mais si j'ai adoré Portrait de la jeune fille en feu au point d'en faire mon film de l'année écoulée, ce n'est pas parce que c'est un film féministe ou un film qui "female gaze" ou un film politique ou un film qui je-sais-même-pas-comment-il-serait-de-bon-ton-de-le-voir. C'est parce que c'est un film brillant dans son écriture, superbement mis en forme, touchant dans son interprétation (je-fais-un-coeur-à-Noémie-Merlant) et qui au-delà des trompettes de l'actualité pose des problématiques stimulantes sur l'acte créatif, qui plus est quand il n'est pas totalement solitaire.
Autrement dit - et la discussion depuis une page me conforte dans cette idée - peut-être que le meilleur service à rendre au film, ce serait simplement de parler de ce qu'il est.
Merci de recadrer le sujet, Ed.
D'autant plus que j'ai l'impression que certains parlent du film de Sciamma sans l'avoir vu et lui collent des intentions qui n'étaient initialement même pas voulu par la cinéaste elle-même.
Portrait de la jeune fille en feu est pour moi avant tout un très grand film (j'étais même pas loin de penser avoir vu un chef-d'oeuvre en sortant de la salle), et qui n'a absolument rien de militant ou de simili tract politique.
Sciamma est surtout une cinéaste, une vraie et une grande, avant d'être une activiste.
Thaddeus a écrit :
Flol a écrit :Un début de réponse ici (en plus d'un débat salutaire sur cette notion qui veut tout et rien dire) :
https://www.transfuge.fr/billet-cinema- ... e,450.html
Excellent texte.
Qui a pourtant eu droit, en guise de réponse, à son paquet de "okay boomer !" ou de "comme par hasard les critiques viennent de vieux mâles blancs !?" par certaines militantes féministes sur les réseaux sociaux...
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22216
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Supfiction »

"okay boomer !"
Avec ça, on a gagné le gros lot. Le niveau zéro de l’argumentation doublé de transposition du dégagisme et de racisme anti vieux (blancs).
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 30873
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par tenia »

L'article me semble pourtant construit de façon plutôt argumentée et illustrée, même s'il aurait probablement gagné à construire quelque chose de spécifique plutôt qu'à essayer de déconstruire simplement la vision de quelqu'un d'autre. Cela me fait penser à un certain type de posture politique par exemple, qui ne consiste pas tant à dire "une bonne idée serait de faire ceci ou cela" mais "machin propose des aneries, voici point par point pourquoi", avec quelques raccourcis sophistes en passant (la défense de La vie d'Adèle vaut bien les amis arabes de Nadine Morano). Il aurait pu être intéressant de s'en affranchir un peu plus, ce qui aurait probablement permis d'éviter certains de ces écueils.

Il pose cependant une question qui me taraude à la lecture des échanges récents sur ces pages : "apparemment il n'existe que deux types de regard : le male et le female". Un peu comme si, finalement, le female gaze ne pouvait se définir que grâce à son opposition au male gaze, en réaction à celui-ci, voire en se construisant précisément comme son extrême opposé. En somme, il n'y aura pas de possibilité sémantique d'un équilibre, d'un juste milieu, d'une réconcialiation, d'une fluidité non genrée des interprétations, mais des hommes de leur côté et les femmes de l'autre.
En principe, la réponse au male gaze ne devrait-elle pas plutôt être le neutral gaze ? Balanced gaze ?
Supfiction a écrit :
"okay boomer !"
Avec ça, on a gagné le gros lot. Le niveau zéro de l’argumentation doublé de transposition du dégagisme et de racisme anti vieux (blancs).
"Des milliers d'années durant, les êtres humains avaient baisé, déversé leurs ordures et leur merde sur cette planète, et aujourd'hui, l'histoire attendait de moi que je nettoie après le passage de toute le monde. Il faut que je lave et que je raplatisse mes boîtes de soupe. Et que je justifie chaque goutte d'huile moteur usagée. Et il faut que je règle la note pour les déchets nucléaires et les réservoirs à essence enterrés et les boues toxiques étalées sur les champs d'épandage d'ordures une génération avant ma naissance."
Chuck Palahniuk, Fight Club, 1996.
Mais c'est plus long à exprimer.
Avatar de l’utilisateur
Rick Deckard
Assistant opérateur
Messages : 2345
Inscription : 6 janv. 08, 18:06
Localisation : Los Angeles, 2049

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Rick Deckard »

Justement, et contrairement à ce que certains pensent ici, le female gaze n’est pas l’opposé du male gaze, qui serait par effet miroir l’objectification des corps masculins (entre autres). Le female gaze est littéralement et tout simplement le point de vue féminin. Comme dans Titanic, le film étant construit sur un long flashback, il est entièrement du point de vue de Rose.
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14074
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Alexandre Angel »

tenia a écrit :L'article me semble pourtant construit de façon plutôt argumentée et illustrée, même s'il aurait probablement gagné à construire quelque chose de spécifique plutôt qu'à essayer de déconstruire simplement la vision de quelqu'un d'autre.
Oui, j'ai ressenti ça aussi. Mais je trouve surtout que Ferrari et Kaganski sont presque trop gentils, trop policés et en même temps légèrement pédants.
Je pense qu'à un moment, il faut un peu s'énerver. Et ce à quoi ils s'opposent me semble contenir (si j'en crois ce qu'ils disent vu que je n'ai pas lu, j'admets,les propos de la tribune d'Iris) matière à plus épidermique (même d'une manière argumentée) qu'une tranquille déconstruction.
Un peu de saine colère que diable!
Il y a actuellement tout un courant de pensée aussi attentif et respectueux de la complexité d'un débat que ne l'était le Comité de Salut Public en 1793.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6180
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Thaddeus »

Rick Deckard a écrit :Le female gaze est littéralement et tout simplement le point de vue féminin.
La Vie d'Adèle, par exemple, est donc un parangon de female gaze.
Et si le female gaze est le point de vue féminin, comment appelle-t-on le point de vue masculin ?
Alexandre Angel a écrit :Oui, j'ai ressenti ça aussi. Mais je trouve surtout que Ferrari et Kaganski sont presque trop gentils, trop policés et en même temps légèrement pédants. Je pense qu'à un moment, il faut un peu s'énerver.
L'idéologie de Brey répondant elle-même (elle le revendique suffisamment) à un principe de déconstruction, il me semble parfaitement légitime de réagir sur le même plan. C'est la réponse logique du berger à la bergère. Quant au fait de trouver ce texte trop timoré dans son expression, Flol a souligné ce qu'il peut en coûter : toute argumentation de ce type se verra automatiquement accusée de faire le jeu du patriarcat blanc oppressif et réactionnaire. Alors imagine si l'on s'énerve un peu...
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14074
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :Quant au fait de trouver ce texte trop timoré dans son expression, Flol a souligné ce qu'il peut en coûter : toute argumentation de ce type se verra automatiquement accusée de faire le jeu du patriarcat blanc oppressif et réactionnaire. Alors imagine si l'on s'énerve un peu.
Et bien justement, on est un peu en guerre, Thaddeus, puisque de toutes façons et quoiqu'on dise, on ne peut qu’avoir tort.
Mais, encore une fois, je reconnais ne pas avoir lu la tribune en question.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 30873
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par tenia »

Thaddeus a écrit :C'est la réponse logique du berger à la bergère.
Pourquoi pas, mais passé l'inventaire à la Prévert de pourquoi l'opposition a tort, ça n'offre pas particulièrement de proposition sur ce qui serait mieux. C'est un bon début, c'est analytiquement construit et intéressant, mais ça ne dépasse finalement jamais la seule déconstruction. On sait pourquoi ça, c'est nul, mais on n'est pas plus avancé sur ce qui serait bien.
Alexandre Angel a écrit :Mais je trouve surtout que Ferrari et Kaganski sont presque trop gentils, trop policés et en même temps légèrement pédants.
A titre personnel, je préfère largement une démonstration qu'on peut trouver gentille mais qui me parait surtout rigoureuse et méthodique. Alors que sortir les gros mots, c'est le plus souvent se retrouver très vite dans les raccourcis, les pentes savonneuses et autres comparaisons ou champs sémantiques discutables.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54817
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Flol »

Alexandre Angel a écrit :Mais, encore une fois, je reconnais ne pas avoir lu la tribune en question.
Plus qu'une tribune, Iris Brey a carrément écrit un bouquin sur le sujet :
https://livre.fnac.com/a13901058/Iris-B ... -a-l-ecran
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14074
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Alexandre Angel »

tenia a écrit :Alors que sortir les gros mots, c'est le plus souvent se retrouver très vite dans les raccourcis, les pentes savonneuses et autres comparaisons ou champs sémantiques discutables.
Je ne parle évidemment pas de gros mots mais de quelque chose de plus incisif que le simple fait de conclure sur la complexité des choses de l'art. A un moment donné, ce sont des évidences qu'on assassine, et sur lesquelles il faut rendre des comptes. C'est comme si tu te retrouvais en 1972 à essayer de défendre des films que tu aimes face à des gens qui te répondent que ton avis est de la merde parce que contraire à l'esprit de la Révolution.
Là où j'ai peut-être tort, c'est que mes propos ne sont pas forcément adaptés à ceux d'Iris Brey (merci, Flol, pour le lien) mais de ce que rapportent Kaganski et Ferrari, des trucs ont l'air gratinés.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54817
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Flol »

Bon sinon, ce sujet passionnant a désormais droit à son propre topic, ici c'est réservé aux avis sur le film de Céline Sciamma.
Merci bien.

Image
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6180
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Thaddeus »

tenia a écrit :On sait pourquoi ça, c'est nul, mais on n'est pas plus avancé sur ce qui serait bien.
Il me semble que, entre Mizoguchi, Claire Denis, Hou Hsiao-hsien, Wong Kar-wai, Nicholas Ray, Alain Resnais, entre la défense de l'alternance des points de vue, du flottement d'identification, de la métaphore poétique, du brouillage et de la porosité des frontières, de la dissociation entre le point de vue du cinéaste et celui du personnage et de pas mal d'autres choses encore, le texte de Ferrari/Kaganski propose de solides alternatives à la vision dogmatique de Brey.
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25416
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par AtCloseRange »

Flol a écrit :Bon sinon, ce sujet passionnant a désormais droit à son propre topic, ici c'est réservé aux avis sur le film de Céline Sciamma.
Merci bien.

Image
C'est vrai!
AtCloseRange a écrit :
Alexandre Angel a écrit : Ou est la vérité, merde! :mrgreen:
Une belle photo, quelques éclats rares dans la réalisation, une Noémie Merlant convaincante, voilà pour les points positifs. Pour le reste, scénario très convenu (et répétitif - le prix à Cannes est absurde), il y a bien 20-30 minutes de trop et Adèle Haenel est aussi crédible dans ce contexte que dans un Star Wars (en fait, elle y aurait sans doute plus sa place).
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99625
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma - 2019)

Message par Jeremy Fox »

Flol a écrit :ici c'est réservé aux avis sur le film de Céline Sciamma.
Tu veux vraiment ? :mrgreen:
Répondre