Merci pour cet avis qui me permet d'identifier un peu mieux les enjeux profonds d'un film que j'ai peut-être appréhendé partiellement. Je l'ai trouvé pour ma part un peu inférieur à Hérédité, qui me semblait concilier de façon plus convaincante l'allégorie sur l'apocalypse familiale et la stricte efficacité du film d'épouvante (je trouve la dernière demi-heure réellement terrifiante), mais Aster s'est incontestablement imposé en deux films comme un auteur perclus de préoccupations récurrentes (les gouffres de l'intime, les conséquences d'un trauma indicible), et doté d'une griffe stylistique très identifiable.LordAsriel a écrit :Parabole brillante sur la quête d'empathie et le manque d'amour, Midsommar transpose un banal récit d'enrôlement sectaire en apologue aussi limpide qu'une nuit boréale. Plastiquement splendide et contondante comme un maillet, la fable se déploie dans un cadre qui oscille entre éden bucolique et cirque grotesque, théâtre glaçant des errances humaines.
Le film pourrait être plus fin dans son étude psychologique, on peut par exemple regretter la façon dont il expédie le sort de certains personnages secondaires, mais on va dire que le parti-pris du genre excuse quelque peu les facilités de caractérisation et les raccourcis dramaturgiques.
Surtout, le deuxième long-métrage d'Ari Aster met en évidence avec force la capacité d'aveuglement des êtres, à travers une narration programmatique maligne et quelques choix de mise en scène assez enthousiasmants, jouant notamment sur la composition des plans, le hors-champ et l'utilisation du son pour creuser l'écart entre la perception du spectateur et celle des personnages. Un exemple : ce son lointain mais clairement identifiable que personne ne manque, et que tout le monde feint de ne pas avoir vraiment entendu parce qu'il implique quelque chose qu'on ne veut pas concevoir...
Au contraire de plusieurs personnes ici, j'ai trouvé ce film bien plus maîtrisé et meilleur qu'Hérédité, que j'ai découvert dans la foulée. Les quelques soucis dramaturgiques relevés ici étaient largement plus présents dans le premier film d'Ari Aster (où rien ne justifie cette conduite un peu autiste du récit, faisant que les conséquences de certains événements ou actes semblent semblent ne se projeter que sur des personnages et des environnements restreints, sans toucher le reste du monde). Surtout, Midsommar lâche la petite complaisance d'Hérédité, qui n'en finissait pas de balancer des horreurs à ses protagonistes avec une espèce de fascination morbide. Ici, tout, à commencer par le décor oxymorique, se conjugue sur le mode de l'ambivalence, et c'est ce qui rend le glissement progressif de Dani très fort. Des scènes comme celles de la danse de mai sont vraiment très fortes, parce que le cinéaste y traduit plastiquement le pouvoir de séduction et d'hypnose de la communauté. Pour moi c'est vraiment un film sur l'emprise psychologique, morale, systémique qui accompagne l'apparente prise en charge de soi par la communauté (ou simplement par l'autre - c'est aussi, d'une autre manière, un mécanisme associable aux pervers narcissiques par exemple). Au-delà, j'y vois fondamentalement un film sur le manque affectif et sur la difficulté à voir et à entendre autrui. Ici, la structure communautaire est un placebo à ce manque et un remède pervers à la faillite des individus qui entourent le personnage principal.
Midsommar (Ari Aster - 2019)
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Certainement ce que j'ai vu de plus fort en 2019. Ça va être difficile à déloger.aurelien86 a écrit :Mais sérieusement, le plus monstrueux du film, ne serait ce pas ce pré générique ?! En terme de montée d'angoisse, d'ambiance, de musique, et ces cadrages (!)... le gros plan s'enfonçant dans la fenêtre et la nuit, sur les cris en fonds sonore...
Et je vois que G.T.O. lui a mis 8/10, ça fait plaisir.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Clairement un très bon moment, où on s'accroche dans son fauteuil, en n'étant pas préparé à ça. Il faut dire que c'est tellement fort qu'il est un peu dommage que le film ne soit pas tout le temps de ce niveau.Flol a écrit :Certainement ce que j'ai vu de plus fort en 2019. Ça va être difficile à déloger.aurelien86 a écrit :Mais sérieusement, le plus monstrueux du film, ne serait ce pas ce pré générique ?! En terme de montée d'angoisse, d'ambiance, de musique, et ces cadrages (!)... le gros plan s'enfonçant dans la fenêtre et la nuit, sur les cris en fonds sonore...
Et je vois que G.T.O. lui a mis 8/10, ça fait plaisir.
Mais je chipote car Midsommar se bonifie dans mon esprit depuis la séance et confirme vraiment Aster comme un cinéaste à suivre de très, très près.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Comme pour "Hérédité", j'ai eu l'impression de voir 2 films, un premier qui me subjugue la première heure, puis qui m'abandonne totalement la seconde heure.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Oui, je peux comprendre qu'on préfère Hérédité, qui navigue plus franchement dans les eaux de l'épouvante. Mais je crois que précisément, étant très peu sensible au phénomène d'angoisse au cinéma (je pense que les films qui m'ont terrifié doivent se compter sur les doigts d'une seule main), j'ai tendance à être davantage captivé par d'autres choses, et ces choses m'ont davantage parlé dans Midsommar. Quoi qu'il en soit, évidemment Ari Aster est clairement un auteur à suivre.Thaddeus a écrit :Merci pour cet avis qui me permet d'identifier un peu mieux les enjeux profonds d'un film que j'ai peut-être appréhendé partiellement. Je l'ai trouvé pour ma part un peu inférieur à Hérédité, qui me semblait concilier de façon plus convaincante l'allégorie sur l'apocalypse familiale et la stricte efficacité du film d'épouvante (je trouve la dernière demi-heure réellement terrifiante), mais Aster s'est incontestablement imposé en deux films comme un auteur perclus de préoccupations récurrentes (les gouffres de l'intime, les conséquences d'un trauma indicible), et doté d'une griffe stylistique très identifiable.LordAsriel a écrit :Parabole brillante sur la quête d'empathie et le manque d'amour, Midsommar transpose un banal récit d'enrôlement sectaire en apologue aussi limpide qu'une nuit boréale. Plastiquement splendide et contondante comme un maillet, la fable se déploie dans un cadre qui oscille entre éden bucolique et cirque grotesque, théâtre glaçant des errances humaines.
Le film pourrait être plus fin dans son étude psychologique, on peut par exemple regretter la façon dont il expédie le sort de certains personnages secondaires, mais on va dire que le parti-pris du genre excuse quelque peu les facilités de caractérisation et les raccourcis dramaturgiques.
Surtout, le deuxième long-métrage d'Ari Aster met en évidence avec force la capacité d'aveuglement des êtres, à travers une narration programmatique maligne et quelques choix de mise en scène assez enthousiasmants, jouant notamment sur la composition des plans, le hors-champ et l'utilisation du son pour creuser l'écart entre la perception du spectateur et celle des personnages. Un exemple : ce son lointain mais clairement identifiable que personne ne manque, et que tout le monde feint de ne pas avoir vraiment entendu parce qu'il implique quelque chose qu'on ne veut pas concevoir...
Au contraire de plusieurs personnes ici, j'ai trouvé ce film bien plus maîtrisé et meilleur qu'Hérédité, que j'ai découvert dans la foulée. Les quelques soucis dramaturgiques relevés ici étaient largement plus présents dans le premier film d'Ari Aster (où rien ne justifie cette conduite un peu autiste du récit, faisant que les conséquences de certains événements ou actes semblent semblent ne se projeter que sur des personnages et des environnements restreints, sans toucher le reste du monde). Surtout, Midsommar lâche la petite complaisance d'Hérédité, qui n'en finissait pas de balancer des horreurs à ses protagonistes avec une espèce de fascination morbide. Ici, tout, à commencer par le décor oxymorique, se conjugue sur le mode de l'ambivalence, et c'est ce qui rend le glissement progressif de Dani très fort. Des scènes comme celles de la danse de mai sont vraiment très fortes, parce que le cinéaste y traduit plastiquement le pouvoir de séduction et d'hypnose de la communauté. Pour moi c'est vraiment un film sur l'emprise psychologique, morale, systémique qui accompagne l'apparente prise en charge de soi par la communauté (ou simplement par l'autre - c'est aussi, d'une autre manière, un mécanisme associable aux pervers narcissiques par exemple). Au-delà, j'y vois fondamentalement un film sur le manque affectif et sur la difficulté à voir et à entendre autrui. Ici, la structure communautaire est un placebo à ce manque et un remède pervers à la faillite des individus qui entourent le personnage principal.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Midsommar n'est en fait pas du tout un film d'horreur, et c'est surtout ça qui le rend perturbant.
Dans la salle où j'étais (Max Linder, donc), je sentais que les gens autour de moi étaient chauds comme la braise, prêts à jouer à se faire peur avec rien et avec l'envie de sursauter au moindre bruit de porte qui grince, comme devant n'importe quelle production Blumhouse.
J'imagine leur déception.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Pour faire suite à ce que je disais juste avant :
(déso, il semblerait qu'il soit impossible d'intégrer les tweets direct dans les messages)
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
S'il faut chercher en dehors du film, à sa "non appartenance" au genre horrifique, pour le trouver perturbant..le côté horrifique est plutôt secondaire dans le film oui, mais il reste présent à mon sens (l'intro, les disparitions successives et mystérieuses, des morts parfois très graphiques, l'imagerie générale)Flol a écrit :Midsommar n'est en fait pas du tout un film d'horreur, et c'est surtout ça qui le rend perturbant.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Midsommar commence de la même manière qu’Hérédité. Même esthétique poisseuse, douleur trop vive du deuil, relation agonisante entre Dani ( remarquable Florence Pugh ) et Christian. Alors que tout semble prolonger le geste du prédécesseur, le film change de braquet: troquant ténèbres et cris pour des sourires et du soleil. Sans avoir régler quoique ce soit, le film déplace son action au fin fond de la Suède, au sein d’une secte aux pratiques séculaires, oubliant momentanément la douleur de Dani; et sa dette.
Très vite, les choses se gâtent. Des indices suggèrent le pire. Les images paraissent mentir, pire elles sonnent faux. L’esthétique nous dit que quelque chose ne va pas. Le groupe prend des drogues. Dani fait un bad trip, son angoisse est toujours là. L’esthétique doucereuse trahit une volonté trop apparente d’anesthésie. L’histoire que prend le temps de raconter le film, c’est d’abord celui d'un choc culturel. Et la désorientation qui en procède liée cette stupéfaction face aux moeurs étrangères et à ses rituels mystérieux. Le film, dans un premier temps, accompagne ce regard ethnocentrique. Il releve, non sans malice, les différences, cette naïveté mêlée de fascination, étonnement des observateurs déboussolés. L’image mystérieuse des moeurs de la secte y est même partiellement commentée par le biais d’un guide, Pelle, seul lien entre les étudiants américains et les suédois. Puis, le groupe d’étrangers se fissure. Le récit, voisin de Cannibal Holocaust, devient alors récit d’anthropophagie. De malaise en malaise, en incertitudes, tension sexuelle, le groupe explose. Dévoré par la communauté, qui n’est autre que l’étrange relais de leurs perplexités, fantasmes, peurs. Au fond, Hérédité décrivait déjà le même mouvement: une famille explosait, puis, une fois absorbée, assignée à des fonctions, elle se recomposait en une nouvelle mais ancienne famille démoniaque. La menace dans Midsommar n’y est jamais frontale ni directe. Mais cachée dans les plis de l'histoire. À la façon des murs du dortoir de la communauté d’Hárga, représentant des scènes entières dessinées du futur cérémonial. Car, chez Ari Aster, l’image est signe. Codes à interpréter. Comme l’inscription runique furtivement entraperçu sur le fameux pylone meurtrier ne dupait pas le spectateur dans Hérédité, désignait d’un x, le lieu du futur autel du sacrifice. Les espaces familiers possèdent un autre fonction: un rôle caché ne pouvant être lu sans codes.
Mais le film ne se laisse pas enfermer dans cette logique de double découverte: découverte d’une culture étrangère et découverte des fonctions des personnages. Ici, les rituels païens et leur sens établissent un lien étroit avec l’inconscient et le mal-être de Dani. En jouant le rôle de catalyseur, les rituels accompagnent l’indignation et la colère de Dani. Vis à vis de son mec, des autres. L’apathie et l’opportunisme choquent Dani. L’indifférence, leur égoïsme sourd à la disparition de certains membres l’accable. Ce spectacle moral, ces comportements, renforce l’idée d’un film mental. Visions ou hallucinations, on ne sait plus.
L’apathie d’autrui suscite l’émoi de Dani (remarque très juste de Lord Asriel ) Comme il constitue un problème pour Christian, lui qui lui reproche sans cesse de tout « dramatiser ». En un mot, d’être une "drama queen". La rétention contrainte de Dani, la honte de s’épancher, et sa volonté de maîtrise, annonce sa future effusion et rôle, celui de la May Queen. Sidérante scène de communion, pantomime à la limite de la transe, entre Dani et ses "demoiselles". De drama Queen, Dani deviendra l’élue « May Queen », comme Peter dans Hérédité, devenait l’élu: l’hermaphrodite « King Paimon ». Etrange constat d’Aster, qui semble dire que la communauté est intolérante vis à vis de certains affects. Les larmes ne doivent pas trop couler. La peine ne doit pas être trop significative ou importante. L’absence de lieux, où recueillir nos épanchements, nous dissocient. Et cette dissociation dessine, en creux, les contours d’un drame parallèle, pointant des espaces symboliques, à même de déverser ce pathos.
Aussi, est-ce pourquoi l’initiation douloureuse des héros asteriens aboutit au surgissement d’une scène primitive. Hautement symbolique. Une scène ancienne, aux accents religieux: c’est la fin de Hérédité, sorte de crèche revisitée avec le roi Paimon, célébration païenne à la fin de Midsommar. Derrière les péripéties, le pathos du deuil creuse le film. D’où aussi l’aspect fabulaire des films d’Aster, qui sur-cadrent leur récit avec un deuxième. Deux histoires pour le prix d’un: un micro récit enchâssé dans un récit plus large, structuré comme un conte. A l'image de la maison familiale qui, dans Hérédité, intégrait sa réplique miniaturisée fabriquée par Annie (Tony Collette), et où la mise en scène organisait un va et vient. Arrive enfin le moment tant attendue de l’union, célébration de la May Queen. Parade mystique, volontiers théâtrale, quasi merveilleuse, retrouvant la magie des récits des origines. Monstrueuse, à même d’enfanter une progéniture fictionnelle revitalisant les peintures murales du dortoir. Le film s’ouvrait sur des images de paysages enneigés, puis, d'une pluie de neige, où l’on pouvait entendre un cri. Loin d’être étouffé, malgré les longs silences dont se composent le film, ce cri s'est transformé en souffle, en transe. En coulée musicale. Final apocalyptique, entre satisfaction et libération, une horde ivre, devant une reine fontaine recouverte de fleurs, titubante. Derrière, un feu, offrande aux dieux. Le divin prenant enfin possession de l'individu. Dionysiaque. La frise murale disait vrai. Aster en vrai cinéaste primitif parlant du sort des affects, qui l'eut cru !
Marquant.
Très vite, les choses se gâtent. Des indices suggèrent le pire. Les images paraissent mentir, pire elles sonnent faux. L’esthétique nous dit que quelque chose ne va pas. Le groupe prend des drogues. Dani fait un bad trip, son angoisse est toujours là. L’esthétique doucereuse trahit une volonté trop apparente d’anesthésie. L’histoire que prend le temps de raconter le film, c’est d’abord celui d'un choc culturel. Et la désorientation qui en procède liée cette stupéfaction face aux moeurs étrangères et à ses rituels mystérieux. Le film, dans un premier temps, accompagne ce regard ethnocentrique. Il releve, non sans malice, les différences, cette naïveté mêlée de fascination, étonnement des observateurs déboussolés. L’image mystérieuse des moeurs de la secte y est même partiellement commentée par le biais d’un guide, Pelle, seul lien entre les étudiants américains et les suédois. Puis, le groupe d’étrangers se fissure. Le récit, voisin de Cannibal Holocaust, devient alors récit d’anthropophagie. De malaise en malaise, en incertitudes, tension sexuelle, le groupe explose. Dévoré par la communauté, qui n’est autre que l’étrange relais de leurs perplexités, fantasmes, peurs. Au fond, Hérédité décrivait déjà le même mouvement: une famille explosait, puis, une fois absorbée, assignée à des fonctions, elle se recomposait en une nouvelle mais ancienne famille démoniaque. La menace dans Midsommar n’y est jamais frontale ni directe. Mais cachée dans les plis de l'histoire. À la façon des murs du dortoir de la communauté d’Hárga, représentant des scènes entières dessinées du futur cérémonial. Car, chez Ari Aster, l’image est signe. Codes à interpréter. Comme l’inscription runique furtivement entraperçu sur le fameux pylone meurtrier ne dupait pas le spectateur dans Hérédité, désignait d’un x, le lieu du futur autel du sacrifice. Les espaces familiers possèdent un autre fonction: un rôle caché ne pouvant être lu sans codes.
Mais le film ne se laisse pas enfermer dans cette logique de double découverte: découverte d’une culture étrangère et découverte des fonctions des personnages. Ici, les rituels païens et leur sens établissent un lien étroit avec l’inconscient et le mal-être de Dani. En jouant le rôle de catalyseur, les rituels accompagnent l’indignation et la colère de Dani. Vis à vis de son mec, des autres. L’apathie et l’opportunisme choquent Dani. L’indifférence, leur égoïsme sourd à la disparition de certains membres l’accable. Ce spectacle moral, ces comportements, renforce l’idée d’un film mental. Visions ou hallucinations, on ne sait plus.
L’apathie d’autrui suscite l’émoi de Dani (remarque très juste de Lord Asriel ) Comme il constitue un problème pour Christian, lui qui lui reproche sans cesse de tout « dramatiser ». En un mot, d’être une "drama queen". La rétention contrainte de Dani, la honte de s’épancher, et sa volonté de maîtrise, annonce sa future effusion et rôle, celui de la May Queen. Sidérante scène de communion, pantomime à la limite de la transe, entre Dani et ses "demoiselles". De drama Queen, Dani deviendra l’élue « May Queen », comme Peter dans Hérédité, devenait l’élu: l’hermaphrodite « King Paimon ». Etrange constat d’Aster, qui semble dire que la communauté est intolérante vis à vis de certains affects. Les larmes ne doivent pas trop couler. La peine ne doit pas être trop significative ou importante. L’absence de lieux, où recueillir nos épanchements, nous dissocient. Et cette dissociation dessine, en creux, les contours d’un drame parallèle, pointant des espaces symboliques, à même de déverser ce pathos.
Aussi, est-ce pourquoi l’initiation douloureuse des héros asteriens aboutit au surgissement d’une scène primitive. Hautement symbolique. Une scène ancienne, aux accents religieux: c’est la fin de Hérédité, sorte de crèche revisitée avec le roi Paimon, célébration païenne à la fin de Midsommar. Derrière les péripéties, le pathos du deuil creuse le film. D’où aussi l’aspect fabulaire des films d’Aster, qui sur-cadrent leur récit avec un deuxième. Deux histoires pour le prix d’un: un micro récit enchâssé dans un récit plus large, structuré comme un conte. A l'image de la maison familiale qui, dans Hérédité, intégrait sa réplique miniaturisée fabriquée par Annie (Tony Collette), et où la mise en scène organisait un va et vient. Arrive enfin le moment tant attendue de l’union, célébration de la May Queen. Parade mystique, volontiers théâtrale, quasi merveilleuse, retrouvant la magie des récits des origines. Monstrueuse, à même d’enfanter une progéniture fictionnelle revitalisant les peintures murales du dortoir. Le film s’ouvrait sur des images de paysages enneigés, puis, d'une pluie de neige, où l’on pouvait entendre un cri. Loin d’être étouffé, malgré les longs silences dont se composent le film, ce cri s'est transformé en souffle, en transe. En coulée musicale. Final apocalyptique, entre satisfaction et libération, une horde ivre, devant une reine fontaine recouverte de fleurs, titubante. Derrière, un feu, offrande aux dieux. Le divin prenant enfin possession de l'individu. Dionysiaque. La frise murale disait vrai. Aster en vrai cinéaste primitif parlant du sort des affects, qui l'eut cru !
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Bah, quel film! Son originalité est telle qu'il est difficile de parler de la mise en scène (il faudrait le voir plusieurs fois pour en parler correctement), tant le scénario, les personnages, l'univers, sont impressionnants.
Difficile aussi d'en parler sans mettre tout en spoilers. J'en parlerai donc en spoiler principalement, tout en mettant en clair certaines remarques qui, je l'espère, donneront envie d'aller le voir.
D'abord, ce film n'est absolument pas un film d'horreur (genre qui me met très mal à l'aise dès que les images sont réellement d'horreur. Le dernier que j'ai vu c'est Hellraiser en 1988 si je me souviens bien, et je suis sorti au bout d'une demi-heure parce que cela m'était absolument insupportable). C'est un film cauchemardesque avec certaines images un peu gore, rien de plus.
Au contraire, ce film m'a rappelé un de mes films d'enfance préféré, L’île sur le toit du monde, un Disney très gentil, mais ou des explorateurs en dirigeable retrouvaient une civilisation viking oubliée et sans contact avec le monde extérieur depuis leur installation dans l’Arctique. Très gentil, mais quand même un peu terrifiant (pour un gamin) notamment parce qu'il se pratiquait des sacrifices humains et parce que ça chauffait fort, malgré le climat, avant que les héros ne s'en sortent. A noter que le scénario de ce film avait été inspiré par deux livres de Ian Cameron (totalement oublié aujourd'hui), The Lost Ones (Le cimetière des cachalots, principale inspiration), mais aussi Kingdom of the Sun God (je ne suis pas sûr du titre du livre) ou des explorateurs, cette fois à pied, retrouvaient sur un plateau très élevé de la Terre de feu une civilisation préhistorique adoratrice du soleil. Ian Cameron est complètement oublié, en plus il a eu un homonyme postérieur dans la même veine, bref, c'est surtout le film qui reste (même si j'ai eu les deux livres en traduction française et aimerait les retrouver, sauf qu'ils doivent être au plus profond d'un grenier).
Et merci à GTO parce que malgré les chaleurs d'été, je pense que sans lui, je n'aurai jamais été voir ce film
Difficile aussi d'en parler sans mettre tout en spoilers. J'en parlerai donc en spoiler principalement, tout en mettant en clair certaines remarques qui, je l'espère, donneront envie d'aller le voir.
D'abord, ce film n'est absolument pas un film d'horreur (genre qui me met très mal à l'aise dès que les images sont réellement d'horreur. Le dernier que j'ai vu c'est Hellraiser en 1988 si je me souviens bien, et je suis sorti au bout d'une demi-heure parce que cela m'était absolument insupportable). C'est un film cauchemardesque avec certaines images un peu gore, rien de plus.
Au contraire, ce film m'a rappelé un de mes films d'enfance préféré, L’île sur le toit du monde, un Disney très gentil, mais ou des explorateurs en dirigeable retrouvaient une civilisation viking oubliée et sans contact avec le monde extérieur depuis leur installation dans l’Arctique. Très gentil, mais quand même un peu terrifiant (pour un gamin) notamment parce qu'il se pratiquait des sacrifices humains et parce que ça chauffait fort, malgré le climat, avant que les héros ne s'en sortent. A noter que le scénario de ce film avait été inspiré par deux livres de Ian Cameron (totalement oublié aujourd'hui), The Lost Ones (Le cimetière des cachalots, principale inspiration), mais aussi Kingdom of the Sun God (je ne suis pas sûr du titre du livre) ou des explorateurs, cette fois à pied, retrouvaient sur un plateau très élevé de la Terre de feu une civilisation préhistorique adoratrice du soleil. Ian Cameron est complètement oublié, en plus il a eu un homonyme postérieur dans la même veine, bref, c'est surtout le film qui reste (même si j'ai eu les deux livres en traduction française et aimerait les retrouver, sauf qu'ils doivent être au plus profond d'un grenier).
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"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Sans forcément lancer de débats anodins, car je suis d'accord avec les avis positifs postés précédemment, il est cependant assez drôle d'affirmer que le film n'est pas un film d'horreur alors qu'Ari Aster lui-même a déclaré qu'il considérait réellement Midsommar comme son véritable film d'horreur là où Hérédité était, toujours selon lui, plus un drame familial.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Watkinssien a écrit :Sans forcément lancer de débats anodins, car je suis d'accord avec les avis positifs postés précédemment, il est cependant assez drôle d'affirmer que le film n'est pas un film d'horreur alors qu'Ari Aster lui-même a déclaré qu'il considérait réellement Midsommar comme son véritable film d'horreur là où Hérédité était, toujours selon lui, plus un drame familial.
Il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas que ce qu’il est. Est-il un drame horrifique ? Un film d’horreur folk ? Un trip hallucinogène ? Un conte surréaliste ? Un documentaire sur une pratique sectaire ? Ce qu’il n’est pas: un film fantastique. Pour moi, un film d’horreur psychanalytico-ethnologique unique en son genre. Une définition pas si éloignée de ce que dit Aster. Après, beaucoup d’ auteurs se méfient des definitions trop commodes ou réductrices. Michael Mann dit ainsi de ses films qu’ils sont des drames et non des films policiers. Carpenter des westerns...C’est presque une tradition chez les grands .
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
J'entendais film d'horreur au sens de film de genre avec suspens, images immondes et insupportables.Watkinssien a écrit :Sans forcément lancer de débats anodins, car je suis d'accord avec les avis positifs postés précédemment, il est cependant assez drôle d'affirmer que le film n'est pas un film d'horreur alors qu'Ari Aster lui-même a déclaré qu'il considérait réellement Midsommar comme son véritable film d'horreur là où Hérédité était, toujours selon lui, plus un drame familial.
Celui-ci ne joue pas sur la peur et le dégoût mais au contraire sur le malaise et la fascination. Surtout la fascination d'ailleurs.
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Et s'il y a horreur dans ce film, elle est peut-être plus dans la bêtise et l'individualisme du groupe d'amis du départ, ainsi que dans la fascination et le rassurant de trouver une nouvelle famille, que dans les quelques images gore qui parsèment le film.
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Re: Midsommar (Ari Aster - 2019)
Mann disait ça de "Heat" mais de ses autres films je ne sais pas, Carpenter c'est surtout qu'il voulait réaliser des westerns à la base...mais il me semble qu'il a lâché le terme en effet, pour "Vampires" et/ou "Ghosts of Mars".G.T.O a écrit :Michael Mann dit ainsi de ses films qu’ils sont des drames et non des films policiers. Carpenter des westerns...