Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Strum
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Strum »

Demi-Lune, Parasite, qui relie la comédie à l'italienne et Kafka n'a pour moi strictement rien à voir avec The Strangers qui parle de tout autre chose et l'usage des ralentis chez Bong, cinéaste bienveillant malgré son goût de la satire sociale, n'a rien à voir non plus avec Park, cinéaste sadique que je n'aime guère. S'agissant de la soit-disante "fausse fin", je n'aime pas les fins multiples en générale, mais ici, l'épilogue est si beau et émouvant que je pardonne volontiers à Bong. Sinon, le fils ne prend qu'un seul coup sur le crâne, et non plusieurs. Tu donnes trop d'importance à des détails à mon avis.
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Demi-Lune
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Demi-Lune »

Strum a écrit :Sinon, le fils ne prend qu'un seul coup sur le crâne, et non plusieurs.
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Non, il s'en prend au minimum deux. Le premier n'est pas montré : la coupe intervient juste avant, on voit le fou en contre-plongée lever les bras pour porter le coup, lorsque le fils s'est effondré à terre, bloqué au niveau du cou par l'encadrement de la porte. Le point de vue quitte la cave pour suivre la seconde intrigue, dans le jardin. On revient ensuite à la cave où l'on nous montre le coup porté, puisque le fils gît sur le sol au milieu d'une mare de sang qui s'échappe de son crâne. Et la caméra cadre alors en plan d'ensemble, pour montrer un second coup, lorsque le fou lâche de nouveau la pierre sur le crâne du jeune, qui ne réagit absolument plus.
Strum a écrit :Tu donnes trop d'importance à des détails à mon avis.
Heu... si l'énumération que j'ai faite précédemment n'est que du détail, c'est clair qu'on sera irréconciliable. :wink:
Strum
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Strum »

Demi-Lune, dans le plan d'ensemble dont tu parles (le second coup), la pierre tombe à côté du crâne et non sur le crâne, et c'est cadré exprès en plan large par Bong pour nous le montrer. Sinon, en effet, pour moi, il y a beaucoup de choses qui relèvent du détail dans ce que tu as énuméré qui intervient dans le cadre d'une espèce de révolte sociale qui a valeur métaphorique et où c'est l'ensemble qui compte. :) Je me suis beaucoup plu en regardant le film à relever et mettre en rapport les multiples métaphores possibles qu'il contient (et n'entravent pas pour autant le déroulement du récit) sur la lutte des classes, le "partage du sensible", la division Corée du Nord/Corée du Sud, l'organisation sociale et la vie comme fiction à écrire, sur la figure du cercle (le cadrage du début du premier plan et du dernier plan sont identiques), etc. C'est un film imparfait mais très riche thématiquement.
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Supfiction
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Supfiction »

Je confirme qu'il y a bien deux coups sur la tête.
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Certes, la guérison du fils m'a surpris, j'aurai plutôt parié sur la fille, mais je n'ai pas trouvé ça si incroyable que ça (on a vu tellement pire au cinéma) sur le moment. Ce qui est gros surtout c'est la flaque de sang bien davantage que les deux coups.
Il faut dire que tout va tellement vite à la fin qu'on y pense que l'espace d'une poignée de secondes. Quoiqu'il en soit, cela reste anecdotique compte tenu du ton du film. C'est comme reprocher aux comédies italiennes classiques d'en faire trop. Quelque-part, cela fait partie du charme du film.

C'est comme la raison pour laquelle
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le père des parasites tue le père des bourgeois, j'ai trouvé ça un peu surprenant et émis une hypothèse plus haut mais personne ne m'a répondu.
Je la remets ici :
ça va très vite à ce moment là. Est-ce par colère en le voyant partir à l'hôpital avec son fils simplement évanoui alors que sa fille est par terre avec un couteau dans la poitrine ?
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Strum »

Supfiction a écrit :Je confirme qu'il y a bien deux coups sur la tête.
Je n'en ai vraiment vu qu'un, mais je peux me tromper, et comme tu dis, cela n'a pas beaucoup d'importance. :).

Concernant ta seconde question :
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Le goutte d'eau pour le père, c'est Park qui se bouche le nez en récupérant ses clés derrière le cadavre, ce qui renvoie le père aux multiples humiliations qu'il a subies concernant sa mauvaise odeur.
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Demi-Lune
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Demi-Lune »

Strum a écrit :Demi-Lune, Parasite, qui relie la comédie à l'italienne et Kafka n'a pour moi strictement rien à voir avec The Strangers qui parle de tout autre chose et l'usage des ralentis chez Bong, cinéaste bienveillant malgré son goût de la satire sociale, n'a rien à voir non plus avec Park, cinéaste sadique que je n'aime guère.
Si j'évoquais The strangers, c'était simplement pour cette image de fou quasi zombifié, le visage en sang, qui m'y a bien malgré moi fait penser - les deux films n'ont effectivement rien à voir. En revanche, si l'on se rejoindra sur le fait que le cinéma de Bong, même dans l'ironie, est animé par plus d'humanité et d'émotions que celui de Park, je n'ai jamais réellement pu chasser de mon esprit l'espèce d'ombre de ce dernier (chose que je n'avais auparavant ressentie qu'avec les accès de violence du Transperceneige, justement, où Park officiait comme producteur) sur la manière dont Parasite est conçu et orchestré. Ce n'est pas une question de sadisme, mais de sophistication générale glacée, dont on sent qu'elle est annonciatrice d'une tragédie, ou de "trucs" de mise en scène qui correspondent à mon goût beaucoup plus à Park qu'à Bong (les ralentis lors de la bataille de jets d'eau ou lors de la garden-party). Mais j'imagine que cette "saveur" en bouche doit rester très obscure pour les défenseurs du film. Disons que la facture du film, son univers, ses idées, m'évoquaient régulièrement une sorte d'imaginaire issu d'autres films sud-coréens que je parvenais difficilement à rattacher à Bong. Je me répète, mais il y a aussi The housemaid, film bidon mais avec cette destruction familiale orchestrée par une gouvernante parvenue au sein d'une maison de riches.
Quant à la tradition de la comédie italienne à laquelle le film se rattacherait principalement, je la conçois tout à fait en théorie, mais il me semble, quitte à radoter, que les considérations sociales restent au fond très superficielles au regard du labeur employé à imposer sans cesse des rebondissements, dans une logique de film de genre (et je n'émets pas de jugement de valeur en disant cela, c'est juste que Bong ne parvient pas pour moi à transcender ce canevas). Des films comme L'argent de la vieille ou Affreux, sales et méchants étaient incisifs et/ou dévastateurs sans commune mesure...
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Strum »

Les considérations sociales liées à la division de la société coréenne sont au cœur du film. Il n'existe pas sans elles. Je m'incline devant ce que tu ressens mais personnellement je n'ai vu que des considérations sociales, du premier au dernier plan (les mêmes). Le détour par différents genres, propre à Bong, est juste pour lui le moyen d'aborder ces considérations sociales sous tous les angles possibles, visuels, métaphorique, allégorique, par les dialogues, etc. L'homme dans le souterrain, le cafard social, est d'ailleurs un personnage kafkaien. Et ces angles sont légions dans le film où on peut même ressentir un sentiment de trop plein.
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Bogus »

Ce que j'en retiens c'est le pur plaisir de spectateur que j'ai ressenti. Vu dans une salle au 3/4 pleine très réceptive et réactive, la tension était palpable pendant le dernier tiers. De ces séances qui vous marque.
Le seul bémol que j'émettrai c'est le manque d'émotion (hormis à la fin), j'aurai par exemple aimé plus de développement concernant la romance entre les enfants des deux familles mais en l'état j'en suis sorti rassasié et enthousiaste!
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Arn
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Arn »

Ce qu'il prend ce pauvre Park ici :( Alors qu'il a selon moi réalisé un des plus beaux et des plus humains films de la Nouvelle Vague coréenne avec JSA.

Vu Parasite aujourd'hui, au Max Linder (premier rang de la mezzanine, on fait difficilement meilleur condition) et je ne sais trop quoi en penser. Bien sûr techniquement c'est assez virtuose. Il y a des plans superbes,
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les bascules d'ambiance, ou le retour dans les "bas fonds" sous la tempête.
Mais concernant le propos j'ai plus de mal. Alors oui la division en classe de la société est au cœur de son film. Et ? Qu'est ce qu'il en fait ? Ça demande de dormir dessus mais malheureusement à chaud j'ai envie de dire pas grand chose. Ou alors une farce assez nihiliste. Quelles perspectives en ressortent ? Je pose vraiment la question à ceux qui applaudissent le caractère social du film.
Et puis une phrase en particulier m'a gêné c'est le
Spoiler (cliquez pour afficher)
"moi aussi si j'étais riche je serais gentil" de la mère.
J'ai trouvé ça assez écœurant, en plus d'être faux, en tout cas de mon point de vue de français. Et cette méchanceté de la famille arnaqueuse m'a assez gêné, malgré quelques scènes pour nous rendre certains personnages touchant (comme le père surtout, et le fils).
Comme la facilité des 20 dernières minutes.
Bref sur le plan formelle on retrouve du très bon BJH. En revanche sur le fond je reste sceptique.
Dernière modification par Arn le 11 juin 19, 08:12, modifié 1 fois.
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Watkinssien
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Watkinssien »

Arn a écrit :En revanche sur le fond je reste septique.
Ah, tout s'explique! :mrgreen:
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Arn
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Arn »

Oups :oops: :mrgreen:
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par A serious man »

Arn a écrit : Et puis une phrase en particulier m'a gêné c'est le
Spoiler (cliquez pour afficher)
"moi aussi si j'étais riche je serais gentil" de la mère.
J'ai trouvé ça assez écœurant, en plus d'être faux, en tout cas de mon point de vue de français..
C'est pourtant l'une des phrases les plus juste du film, et c'est aussi vrai en France qu'en Corée. Je ne vois pas d'ailleurs ce que ça a d’écœurant, c'est un constat très amer (dont le pessimisme est sans doute accentué par les exagérations du film) mais qui se vérifie assez facilement.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je ne veut pas dire que la gentillesse des riches est toujours superficielle et condescendante, ou que les pauvres sont forcément rendu méchant par l'amertume et la frustration de leur vie, simplement que sans faire de l'angélisme en voulant a tout pris excuser les actes répréhensibles par le contexte social, mais si la justice doit tomber, moralement je me vois mal reprocher a des gens dans la situation de la famille du film, leur dureté, leur hargne et leur égoïsme. Surtout dans une société aussi compétitive que la Corée du sud, compétitive au point de compromettre toute forme de solidarité de classe. D'ailleurs je n'ai pas trouvé que la méchanceté de la famille arnaqueuse était si gênante, on n'est pas dans Affreux sales et méchants ou la caricature est poussée au point ou l'humanité semble être inexistante (ou alors uniquement dans ses aspects les moins ragoutants), ici non seulement le personnage du père et du fils sont réellement touchant mais je trouve que ça vaut aussi pour la sœur et la mère leur méchanceté ne m'a jamais paru excessive mais au contraire toujours explicable par les circonstances. J'apprécie d'ailleurs l'absence de manichéisme du film.
Pour ce qui est de l'absence de perspective et du côté nihiliste je peux comprendre que ça gêne, mais je trouve quand même le constat qu'il dresse sur la société contemporaine est en lui même intéressant, et pose question, et donne en plus de ça un excellent film qui mélange très intelligemment les genres, porté par une mise en scène et des acteurs remarquable, et qui pour moi ne se laisse jamais prendre au piège d'une virtuosité gratuite. Pour moi ce film est une trés grande fable sociale effectivement quelque part entre la comédie italienne et Kafka comme le disait Strum.
Je trouve la fin très émouvante, certainement pas facile,
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et je ne comprendrais jamais comment on peut parler de fausse fin quand il est parfaitement clair dés le début qu'il ne s'agit que d'un rêve du fils avec la présence de sa voix off du fils sur les images pour montrer que ce n'est pas, ou pas encore, la réalité. Je ne vois nul tromperie et esbrouffe dans cette scéne
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Strum »

Plus j'y réfléchis, plus je trouve le film plus complexe, plus riche qu'il n'en a l'air de prime abord. Voici en tout cas quelques pistes de réflexion que j'ai postées sur mon blog et dont on voudra bien pardonner la trop grande longueur pour un forum mais qui pourraient nourrir le débat :

Parasite n’est probablement pas le film le plus achevé de Bong Joon-ho, ni le plus à même de définir la singularité de son cinéma, mais il réussit ce même prodige de passer de la farce au drame qui caractérisait Memories of Murder et The Host. Si la tragi-comédie est un genre alors Bong en a inventé un nouveau, la comi-tragédie. Il en éprouve ici la pérennité dans le cadre d’une comédie noire plus populaire, du moins plus accessible, que ses précédents films. Cela ne va pas sans certaines facilités accessoires de la satire et l’on peut trouver que les membres de la famille de Ki-taek (Song Kang-ho, acteur fétiche) bernent trop aisément les candides parents (en particulier la mère au foyer) de la riche famille Park dans le premier tiers du récit qui voit les premiers, fils, fille, père, mère, dans cet ordre, devenir employés dans la luxueuse demeure des seconds. Toutefois, la virtuosité du découpage de Bong, et son montage parallèle montrant d’un côté Ki-taek répétant son rôle de chauffeur attentif au bien-être de ses patrons, et le même jouant son personnage à la perfection pour faire embaucher sa propre femme en tant que gouvernante, déclenchent plus d’une fois l’hilarité du spectateur heureux de la réussite des personnages comme de celle du cinéaste.

A ce stade du récit, on est enclin à croire que l’on peut mesurer les limites de cette comédie sociale noire (poursuivant en Asie la veine de la comédie à l’italienne car il y a du Comencini ou du Monicelli ici, en plus inquiétant), qui semble nous dire, ce qui serait déjà beaucoup, que pour réussir dans la vie, il faut jouer un rôle (ainsi les Kim jouant le rôle de leur emploi), écrire le scénario de sa propre réussite, afin de finir par croire à son propre personnage. Celui qui réussit socialement serait celui qui après avoir écrit son propre rôle (comme le fils), ou après avoir mis en oeuvre son propre plan (comme le père), ne douterait plus de lui-même et de l’organisation juste de la société, ayant même oublié, comme le riche Park, que tout repose à l’origine sur une fiction, sur des écrits organisant socialement et économiquement la société. Si Bong parvient à surprendre ensuite son spectateur, ce n’est pas seulement parce que c’est un scénariste exceptionnel dont les films sont imprévisibles, mais aussi parce qu’il organise à l’intérieur du récit un partage visuel équilibré entre ce qui relève de la métaphore et ce qui relève du récit de surface. Ajoutons que les métaphores sont multiples et que chacune est l’écho d’un partage de l’espace à l’écran. Le premier partage, et donc la première métaphore, est verticale : la famille Kim vit dans un souterrain étroit tandis que la famille Park habite cette immense demeure pourvue d’espace. Aux pauvres, le souterrain confiné où vivent les cafards, aux riches l’espace sans mesure à la surface de la société. Ce « partage du sensible » (comme dirait Jacques Rancière), Bong en rend très bien compte visuellement dans une scène ultérieure où après une inondation, la famille Kim dort dans un gymnase sans espace où s’entassent fripes et familles à la rue, tandis que suit immédiatement après l’image de la résidence aux grands espaces vides. Peu avant, les Kim avaient regagné leur souterrain pour en sauver ce qui pouvait l’être pendant le déluge et Bong avait filmé en plans très larges leur descente au sein de la « ville d’en bas » en suivant une suite d’escaliers se frayant un chemin au milieu des ordures – une belle idée de cinéma car l’échelle de plan choisie pour filmer les personnages, vus alors en tout petits, les rend à leur état de cafards sociaux dès lors qu’ils sortent de la résidence luxueuse du dessus. Cette organisation de l’espace du bas vers le haut et du haut vers le bas, ainsi que la métaphore du cafard renvoient, à l’instar du ton très singulier trouvé par Bong dans The Host (pas tout à fait réédité ici), à Kafka et à son sentiment d’être coupable d’exister. Jouer sur les échelles de plan a toujours été un privilège de l’art baroque, au cinéma ou ailleurs, et Bong est un cinéaste baroque.

Le vitalisme des Kim, et la réussite comique initiale de leur entreprise, semblent pourtant bien peu kafkaïennes a priori. Pourtant, et sans trop en dire pour ne pas déflorer l’intrigue, Bong a l’idée géniale d’imaginer l’existence d’une autre famille pauvre, d’un autre souterrain concurrent, propre à diluer ce vitalisme en impuissance. La pauvreté touche diverses familles mais elle advient toujours dans un souterrain de la société, invisible aux yeux des plus riches qui restent à la surface sans connaître le passage vers le monde d’en bas dont l’accès leur resterait (littéralement) fermé. Et la concurrence au sein des souterrains de s’organiser farouchement pour la survie des uns et des autres.

La satire permet de dire certaines choses en forçant les plis du discours sans manichéisme, travers que l’on pourrait craindre à la lecture de ce qui précède. Bong y échappe grâce aux vertus de la satire et parce qu’il n’idéalise pas les Kim, qui n’ont que tardivement des scrupules, à moins que ce ne soit surtout des inquiétudes, lorsque leurs manigances tournent mal pour plus démunis qu’eux. A chacun son parasite (sans doute l’idée clé du film, chaque « possesseur » de la maison s’en trouvant ainsi affublé, les Kim compris), dans un jeu de renvois ou de contaminations sans fin dont la résidence luxueuse, symbole d’une richesse convoitée, est le centre. Visuellement, Bong filme aussi des couloirs qui peuvent être pris comme des portes d’accès entre la strate du bas et celle du haut de la société, des tables ou des lits sous lesquels les Kim ne cessent de se dissimuler dans la maison, ce qui redouble le discours sur l’invisible opposé au dicible (on peut cacher les pauvres mais non pas les empêcher de discourir par les ressources de la fiction), greffant à son fait divers la doublure de la fable, tout en donnant corps à un discours sur la lutte des classes moins rigide, plus complexe et moins stérile, que celui de Snowpiercer où les wagons du train figuraient la société sur un plan horizontal.

Le dernier tiers du film trace un horizon qui ne semble avoir pour débouché que celui d’une révolte sociale improvisée à force d’humiliations (lesquelles passent par le confinement comme par le discours, ainsi Park parlant des mauvaises odeurs, ce qui ne manquera pas de faire penser à certains discours politiques). A cet égard, le film résonne avec l’actualité que nous connaissons, dans notre pays et dans d’autres, les métaphores devenant allégorie, le rôle du parasite devenant différent en fonction du point de vue selon lequel on se place dans la société. Pour autant, s’il accède à une forme d’universel, s’il devient film de notre temps, c’est d’abord en parlant des particularismes de la Corée. Car, et c’est une autre métaphore possible, le second souterrain du film, qui est un abri anti-nucléaire, de même que les lignes désignées par Park à son chauffeur comme ne pouvant être franchies, peuvent tout aussi bien s’appliquer à la division séminale qui prévaut encore aujourd’hui entre Corée du Sud et Corée du Nord, dont le leader est d’ailleurs cité et tourné en dérision dans le film. A cette aune, chaque coréen se retrouve contraint de ne pas dépasser certaines lignes, ce qui accentue le maillage de leur société. Bong a d’ailleurs affirmé qu’il réaliserait un jour un film sur la guerre de Corée.

L’émotion que dispense in fine le film, contre toute attente au vu de ses prémisses satiriques, est la preuve ultime de sa réussite, de sa capacité à entremêler plusieurs métaphores possibles sans entraver la conduite d’un récit souvent drôle (mais d’un drôle grinçant, comme le grincement d’une charnière de porte), sans peser sur le contour des personnages dessiné par le cinéaste. Du grotesque, Bong dégage le pathétique ; du pathétique, Bong fait voir la tristesse, comme à la fin de The Host. Sans doute, ce foisonnement peut créer ici un sentiment de trop-plein mais le jeu de massacre sans issue que l’on pouvait redouter à un moment n’advient pas, du moins pas sans morale. Car derrière la fable noire et drôlatique sur la lutte des classes, se lit une autre histoire, celle d’un fils qui veut réussir pour faire la joie de son père et lui promet qu’il y arrivera d’une manière ou d’une autre. Derrière l’allégorie, la vérité humaine. Quel sera le lieu qui sera le gage de cette réussite, quelle sera l’aune qui la déterminera ? Elle se mesurera en fonction d’un lieu, car c’est le lieu qui résume une vie (et en fonction de la fiction qui sera écrite pour dire le sens de la vie – ainsi le fils écrivant). Ce sera donc une maison, qui sera filmée par Bong avec la gestion de l’espace qui lui est coutumière et qui lui vient sans doute de la vision qu’il se fait de l’organisation de la société dont il rend compte depuis ses débuts. A cette maison un souterrain fera-t-il toujours écho, où l’on trouvera toujours un prisonnier oublié là depuis des années, comme un maillon indissociable, comme un enfer qui est la fondation du paradis, les deux, maison du haut et souterrain, étant pris dans les rainures de cercles superposés ? Il y a toujours une présence qui hante les films de Bong. Le dernier plan, qui fait écho au premier et éclaire d'une autre lueur ce qui précède, donnant au film la configuration d’un récit se répétant possiblement à l’infini, nous donne un début de réponse. Si les métaphores du film sont multiples, la position du parasite (le titre au singulier le dit) est une. Mais comme souvent chez Bong, la clé de l’énigme pour sortir du cercle reste introuvable, de même que demeure insondable cette étrange pierre plate portée par le fils et qui s’attache à lui comme une malédiction.
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The Boogeyman
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par The Boogeyman »

Je sais que vous l'attendiez tous impatiemment. Il l'a fait :
L'analyse au 1er degré - ah non même pas - du "master of critique" :uhuh:
D'habitude ça lui prend 30 ou 50 minutes pour - dire des conneries - analyser, cette fois il y arrive en 7 minutes 30 parce qu'il n'a rien a dire sur le film... il y a du progrès :D

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Watkinssien
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Re: Parasite (Bong Joon-ho - 2019)

Message par Watkinssien »

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Je n'ai pas cliqué évidemment sur cette vidéo. Manquerait plus que ça.
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